FA-AL : REGARDS CROISÉS SUR LES RETRAITES

REGARDS CROISÉS SUR LES RETRAITES
Source
Brochure Fédération Anarchiste (Paris) Ñ Alternative Libertaire (Bruxelles)
Collection Du charbon pour les braises (2)
Diagonale : Une double injustice
Le capital qui joue aux dés notre Royaume... Anne Vernet (adhérente à la CNT-F)
État des lieux : Sur les retraites Guy Hénocque (Groupe Bakounine de la Fédération Anarchiste)
Partageons les richesses pas la misère : Ni capitalisation libérale Ni répartition inégalitaire Socialisation des retraites ! Groupe Bakounine (Fédération Anarchiste) 
Fonds de pension et mutuelles d'assistance autogérées Charly (Alternative Libertaire Belgique)
La bifurcation manquée Alain Véronèse
Réponses anarcho-syndicaliste : les enjeux de la réforme des retraites Michel Sahuc (adhérent à la Fédération Anarchiste et au Collectif Anarcho-syndicaliste La Sociale) 
Retraites par répartition et égalité sociale :  le syndrome de Janus Jean-Marc Raynaud (adhérent au Groupe Bakounine de la Fédération Anarchiste)
sur les retraites ouvrières de 1900-1901.

NOTES DES ÉDITEURS

Tout vagabondage déplaît au bourgeois, et il existe aussi des vagabonds de l'esprit, qui, étouffant sous le toit qui abritait leurs pères, s'en vont chercher au loin plus d'air et plus d'espace. Au lieu de rester au coin de l'âtre familial à remuer les cendres d'une opinion modérée, au lieu de tenir pour des vérités indiscutables ce qui a consolé et apaisé tant de générations avant eux, ils franchissent la barrière qui clôt le champ paternel, et s'en vont par les chemins audacieux de la critique, où les mène leur insatiable curiosité de douter.
À l'heure où le cauchemar stalinien est enfin rayé de la carte de l'espérance en un monde meilleur... À l'heure où le capitalisme mondialisé (ses partisans affichés comme ceux qui, sous couvert de le réformer, n'en finissent plus de le gérer) se présente comme une réalité indépassable... À l'heure où les obscurantismes religieux et politiques tentent de s'approprier les révoltes qui grondent... Il est plus que temps que les libertaires réaffirment avec force leur projet d'une société d'égalité, de fraternité et de liberté. C'est le but de cette nouvelle collection de débats : Du charbon pour les braises.

Des questions, des questions et encore des questions pour circonscrire l'incendie de la fatalité, de l'obscurantisme et de la résignation. Des réponses, des réponses et encore des réponses pour raviver notre quête d'une humanité enfin débarrassée de l'exploitation et de l'oppression. Des volontés, des volontés et encore des volontés pour allumer des incendies de liberté aux quatre coins de l'aliénation. Du charbon, du charbon et encore du charbon... pour les braises !

La présente brochure (ainsi que la précédente, consacrée au travail salarié) s'inscrit clairement dans cette perspective.

Si son intention première est d'alimenter les réflexions libertaires sur la question de l'avenir des retraites (qui n'en doutons pas, sera centrale dans les prochaines luttes sociales) elle n'esquive pas les débats (et parfois les polémiques) nécessaires à la clarification de nos positions.

Les pages qui suivent se déroulent comme un tour de table dans une libre discussion, livrant des approches diverses, souvent complémentaires, parfois contradictoires voire antinomiques ou antagonistes. Car, si tous les libertaires sont opposés à la privatisation boursière et aux retraites par capitalisation, sont-ils/elles pour autant prêt-e-s à se bagarrer pour la défense, en l'état, du régime actuel par répartition ?

Notre objectif aura été atteint si cette modeste contribution pouvait concourir à l'élaboration d'une synthèse utile aux libertaires, demain, dans l'action au sein du mouvement social !

Éditions du Monde Libertaire
Éditions Alternative Libertaire
DIAGONALE
Une double injustice
Dans la limite des oscillations du salaire conséquente aux fluctuations de l'offre et de la demande, ce qui détermine le prix de la force de travail, ce sont ses frais de production, c'est-à-dire les frais à engager pour que le travailleur subsiste et les frais nécessaires pour le former. Un ingénieur est plus cher à former qu'un ouvrier d'usine. On considère par conséquent que sur le marché du travail, un ingénieur doit être mieux payé qu'un ouvrier d'usine.

Cette idée est tellement inscrite dans les esprits qu'elle n'est contestée par personne, ou presque. Bakounine est peut-être celui qui a le mieux expliqué ce que celui qui a fait des études doit à celui qui n'en a pas fait : Il arrive très souvent qu'un ouvrier fort intelligent est forcé de se taire devant un sot savant qui le bat, non par l'esprit qu'il n'a pas, mais par l'instruction, dont l'ouvrier est privé, et qu'il a pu recevoir, lui, parce que, pendant que sa sottise se développait scientifiquement dans les écoles, le travail de l'ouvrier l'habillait, le logeait, le nourrissait et lui fournissait toutes les choses, maîtres et livres, nécessaires à son instruction(Bakounine, L'instruction intégrale,Le socialisme libertaire).

Une telle opinion peut sembler outrée. À y regarder de près, elle ne l'est pas du tout.

Imaginons un jeune homme qui n'a pas fait d'études, qui quitte l'école à seize ans et glandouille une année. À 17 ans, il trouve du travail jusqu'à sa retraite légale à 60 ans. Cela fait 43 ans de cotisations sociales. Mais pour avoir la retraite, il faut 40 ans de cotisations. Donc, pendant 3 ans, il cotise pour rien, ou disons plus qu'il n'est légalement obligatoire. De plus, statistiquement, au regard de l'ensemble des professions, son espérance de vie est parmi les plus courtes et donc, il touchera une pension de retraite pendant un plus petit nombre d'années. Sans oublier que la retraite étant calculée au prorata du salaire, sa pension sera parmi les plus faibles.

Imaginons un autre jeune homme qui fait des études jusqu'à 26 ans, glandouille une année et qui trouve un travail à 27 ans. Celui-là, à 60 ans, aura cotisé 33 ans. De plus, statistiquement, au regard de l'ensemble des professions, son espérance de vie est parmi les plus longues et, il touchera donc une pension de retraite pendant un plus grand nombre d'années... Sans oublier que la retraite étant calculée au prorata du salaire, sa pension sera parmi les plus fortes.

Autrement dit, tandis que l'étudiant faisait des études, l'ouvrier cotisait 3 années en excédent de ce qu'il aurait dû légalement cotiser pour lui-même : l'ouvrier ne travaillait pas pour lui-même mais pour l'étudiant. L'analyse de Bakounine n'est pas du tout erronée...

La hiérarchie des salaires (et partant des retraites) est liée au mode de fonctionnement du capitalisme lui-même. On ne saurait la combattre si on ne combat pas en même temps le capitalisme et le salariat.


EN GUISE D'INTRODUCTION
Le capital qui joue aux dés notre Royaume...
La conduite des affaires politiques doit «minimiser» la consommation de matière amoureuse et stimuler de manière maximale les instincts d'appropriation. L'envie n'est donc pas un prurit regrettable de [la] démocratie-marché (...) mais une condition nécessaire de sa stabilité, comme l'avait très bien remarqué T. Jefferson (Kentucky Resolutions of 1798): «Le gouvernement libre est fondé sur la jalousie et non sur la confiance" (...) Dans un tel système (...) le souci éthique est une "ressource rare", un bien économique précieux (...): "L'amour est une ressource (!) rare... peut-être la chose la plus précieuse du monde» (Sir Dennis Robertson in Economics Commentaries,Londres 1956).

Gilles Châtelet
Vivre et penser comme des porcs,Folio/Gallimard 1998, pp.76-77

Il est l'heure d'avoir le courage d'être fou

La logique insensée du capital mène à la destruction. À la démence bancaire, il nous faut, anarchistes, anarcho-syndicalistes, opposer notre folie : placer l'abolition de l'argent en premier.

Je me trouve très embarrassée par les articles qui suivent. Plus exactement qu'embarrassée: malheureuse. Et devant le remarquable article de Michel Sahuc, si patient et profond, je m'interroge: la pensée anarchiste, libertaire, doit-elle se laisser conditionner (jusqu'à tomber ailleurs, comme il le dénonce, dans le piège libertarien)par les termes du débat vicieux qu'impose l'ordre moral, esclave du capital? Le débat sur les retraites, selon les termes dans lequel il s'impose, au mieux subroge le droit au devoir, et au pire, se contente d'en faire miroiter la virtualité.

Car le système de retraite par répartition équivaut à ce que l'individu achète le droità se reposer par son travail.Et le système de retraite par capitalisation équivaut, lui, à ce que l'individu achète, plus cher, l'espoirqu'il aura un jour, peut-être, le droit de se reposer après avoir travaillé.

Ainsi la fable des «cotisations» sociales finit, au bout d'un demi-siècle, par réaliser son objectif (du point de vue capitaliste) : qui se souvient encore que les «charges que paie l'entreprise» ne sont qu'un prélèvement arbitraire de l'État sur la plus-value du travailque produit l'employé et dont celui-ci est donc doublement dépossédé (une première fois au titre des cotisations salarialeset une seconde au titre des charges patronales)?

Bien sûr, du point de vue pragmatique, faut-il entrer dans le débat et lutter pour la défensedes acquis puisqu'il n'est pas question, nous laissons-nous persuader, de lutter pour leur progrès.Mais faut-il pour autant oublier que, dans la logique d'un capital sans antagonisme, le premier système (répartition)ne pouvait et ne peut que mener au second (capitalisation),dès lors que le vice fondamental du capitalisme (réduire le travail à l'argent) déterminait le premier?

Le système de la répartition Ñ soi-disant «solidaire» Ñ n'a pu s'instaurer que face à un capital qui se sentait menacé. Menacé par l'institution soviétique qui se réclamait du marxisme. En d'autres termes, le capital a consenti que le travail soit taxé... par un autre que lui-même (le politique, qui lui servit de bouclier). Le capital ne se sent plus menacé : convenons que, s'il subsiste ou s'élabore contre lui un antagonisme susceptible de le menacer, cet antagonisme n'est institué nulle part (est-il seulement en formation?).

On peut même se demander dans quelle mesure il lui sera même possible de s'instituer, sans que les armées ne l'écrasent aussitôt dans le sang, compte tenu du recul général des institutions collectives, politiques, face à l'offensive capitaliste...

Or, seule une institutionpeut faire reculer la voracité du capital. La seule institution (l'URSS) qui fut capable, en apparence, de s'y opposer a été violence instituéeÑ contre la violence du capital.

Le gagnant de cette dialectique n'a donc été, et n'est,que la violence. C'est tout ce qu'il en reste.

Si nous vivons dans une société de plus en plus riche qui d'année en année, accumule les moyens de produire de plus en plus Ñle PIB français va doubler d'ici 2040 (Michel Sahuc), cette fuite en avant de la richesse et de la productivité est elle-même un désastre sur le plan écologico-économique. Le capital, dont tous les freins sont en train de lâcher, est un monstre condamné dont les derniers soubresauts sont mondialementmeurtriers. L'avenir n'est pas viable.

Les prévisions avancées au sommet de Johannesburg indiquent que le concept de «croissance» est un mythe absolument délirant. Il ne peut plus y avoir de croissance, il faut revenir en arrière.Si chaque habitant de la planète vivait sur le pied des mêmes besoins qu'un Français, il faudrait une planète supplémentairepour assurer, par l'exploitation des ressources naturelles, les besoins de tous. Si chaque terrien vivait sur le même pied qu'un américain, c'est alors 3 à 4 planètes supplémentairesqu'il faudrait. L'ordre du gaspillage des ressources et des biens est, en Europe, de 40 %.

Comment penser que la survie d'un retraité, dans des conditions de niveau de vie identiques au moins à celles qu'il a connues en travaillant, soit possibleÑ quel que soit le système?

La résolution de l'équation est simple : soit le tiers au moins de l'humanité disparaîtd'une manière ou d'une autre pour assurer aux deux-tiers restants, et cela dans l'inégalité la plus complète, des conditions de vie «minimales» pour le plus grand nombre, délirantes de faste et de superflu pour la minorité de ceux qui possèderont le contrôle des biens et des fortunes, soit le système explose(et on peut douter de la pérennité des retraites et autres droits dans l'explosion).

Alors que le capitalisme, pour des raisons qui lui sont propres, hâte son cycle, les «héritiers de la révolution», en transigeant sur toutes les dérégulations, croient eux aussi «hâter le cycle» qui amènera, pensent-ils, une nouvelle aube révolutionnaire. Ce ne sera pas celle qu'ils attendent.

Après eux, le déluge...

Toute l'involutionsociale et politique, imprimée au monde par le pouvoir financier, depuis 1989, consiste à faire des droits des marchandises,c'est-à-dire par définition à nier le droit.

Je rappelle que c'est là un article clair de l'AMI (Accord Multilatéral sur l'Investissement),que les «démocraties» ont cru avoir vaincu, ayant refusé de le signer. Or, l'AMI se réalise, au moyen d'une myriade d'accords ponctuels, sectoriels et de pressions diverses (rétorsions économiques, guerre «contre le terrorisme» et «aléas» du marché financier qui n'ont d'aléatoire que l'apparence).

Je rappelle ici l'article 2 du chapitre II de l'Accord Multilatéral sur l'Investissement(OCDE, 3 févier 1998)...

2. On entend par "investissement":

Tout type d'actif détenu ou contrôlé, directement ou indirectement, par un investisseur, notamment :

(I) une entreprise (personne morale ou autre entité constituée ou organisée selon le droit applicable d'une partie contractante, avec ou sans but lucratif, privée ou appartenant à une autorité publique ou contrôlée par elle, y compris une société de capitaux, fiducie, société de personnes, entreprise individuelle, succursale, co-entreprise, association ou organisation) ;
(II) les actions, parts de capital ou autres formes de participation au capital d'une entreprise et les droits en découlant;
(III) les obligations, titres d'emprunt, prêts et autres formes de créance et les droits en découlant ;
(IV) les droits au titre de contrats, notamment les contrats clés en main et les contrats de construction, de gestion, de production ou de partage des recettes;
(V) les créances monétaires et les droits à prestations;
(VI) les droits de propriété intellectuelle ;
(VII) les droits conférés par la loi tels que les concessions, licences, autorisations et permis;
(VIII) tout autre bien corporel ou incorporel, meuble ou immeuble, et tous droits connexes de propriété tels que location, hypothèque, privilège et gage.

Relevons que le terme de droit(qui confond allègrement droits commerciaux et droits civils) est compris comme bien d'investissement.Ces définitions sont particulièrement choquantes. Ainsi une associationpeut être entendue aussi bien comme investisseur que comme investissement. On trouve dans la partie Commentairede l'AMI, au chapitre correspondant à celui-ci (II,2), la précision suivante, exigée par une délégation ayant part à la négociation (sans qu'on ne sache quelle est-elle) : Étant entendu que sont considérés comme biens d'investissements les établissements universitaires ainsi que les centres de recherche scientifique.

La cynique justification morale du devoircensé ouvrir droit au droitn'est qu'appui théologique à cette entreprise d'exploitation et de commercialisation de l'ordre humain. Car le capital, pour augmenter sa captation, n'a plus d'autres territoires à coloniser que l'humanitéelle-même: les organismes, les énergies, les créations et les Ïuvres.

La France, gouvernée par la Banque Centrale Européenne,elle-même relais de la Banque Mondiale,suit ce mouvement.

Dérégulations...

Lorsque les régulations lâchent, le processus de violence et de dévoration (d'autodévoration) se précipite. Chaque dérégulation n'augmente pas la vitesse du processus de manière égale à la dérégulation précédente, mais la multiplie.La force d'inertie du système le rend incontrôlable.

Plusieurs dérégulations fondamentales ont déjà lancé les sociétés humaines sur la route de la désocialisationqui, à son terme, amènera la chute du système capitaliste mais, avec lui,celle des fragiles barrières culturelles des droits fondamentaux qu'il ne tolère et ne soutient que dans la mesure où ceux-ci lui assurent la légitimité apparente du marchéqui lui est nécessaire et qu'il conditionne d'ailleurs au nom même de ces droits (que globalement on peut rapporter au premier amendement de la Constitution américaine, c'est-à-dire les «libertés» strictement individuelles).
 


Reprenons...


Il est technologiquement possible de libérer l'homme des travaux pénibles et dégradants par la robotique. Quand un robot peut extraire du minerai sur Mars, il peut le faire sur Terre (pour autant qu'il soit intelligent qu'un robot extraie du minerai pour fabriquer des robots extracteurs de minerai). Le capital ne le veut pas. Cela lui coûte plus cherde faire appel à la main-d'Ïuvre humaine sous-payée dans les mines, les champs, les usines (en infrastructures, délocalisations, fret, «charges», etc.) mais il refuse le progrès technologique universel.Exactement comme les citoyens d'Athènes, qui connaissaient le principe de la machine à vapeur, ont refusé ce progrès pour la simple raison qu'il aurait détruit le système social qui reposait sur l'esclavage. Qu'aurait donc fait la société grecque, dont les citoyens n'étaient exclusivement que les «hommes libres» non soumis au travail, de milliers d'esclaves inoccupés, sinon devoir renier ses principes et son organisation?

Le capitalisme se trouve devant un problème analogue. Le système grec s'écroula après cette stase.
 


Après moi le déluge: tous, les uns propriétaires des autres?

On pourrait imaginer une super-taxe Tobin, qui consisterait à faire payer les retraites de tous les habitants de plus de 50 ans de la planète, au même taux, par les seuls bénéfices boursiers. Il en resterait encore largement de quoi remplir les poches des investisseurs. Ce serait là croire que le système boursier puisse être socialisé,qu'il puisse relever du domaine social. Or, il est la négation même,dans son esprit, ses principes et son fonctionnement, de la socialisation: si les marchés financiers étaient mis devant l'obligation de payer, ils bloqueraient aussitôt le circuit investissement-production-consommation. Les investisseurs, mis devant le pire, pourraient, de toute façon, attendre plus longtemps que les millions d'êtres humains qui, en quelques mois, mourraient, de faim ou en s'entre-tuant, ou sous la répression.

Le système philosophique qui maintient les libertés individuelles dans l'orbe d'un relatif «ordre» social est celui qui règle la constitution américaine: la liberté individuelle ne vaut ici qu'en tant qu'elle réfère à la croyance en un dieu suprême, auquel elle se soumet en tirant de lui son existence et sa légitimité: telle est la socialisation du modèle américain.L'évolution forcée des «démocraties» européennes vers les privatisations et le régime des droits et libertés individuels va nécessairement amener le retour du religieux, si l'Europe ne produit pas, et très rapidement, un système(politique, symbolique, philosophique et social) cohérent fondant les libertés collectives au-delà de la simple «addition» des individus  Ñcommunautarisme, «ethnicité» culturelle, ou, pire, biologique, et a fortiorilien théologique Ñ: c'est-à-dire en principe politique souverain.

Ce n'est que dans le cÏur du syndicalisme, et très précisément de l'anarcho-syndicalisme, à mon sens, que peut se trouver l'embryon d'un tel système. Pourquoi ? Parce que c'est le seul concept qui permet d'articuler l'individuel au collectif sans les opposer ni les hiérarchiser.

Le passage des libertés collectives aux libertés individuelles est, sur le plan culturel et civilisateur, une épouvantable catastrophe et une régression. Car le système de retraite par capitalisation n'est même pas un système où chacun croira cotiser pour soi et en fait prêtera son épargne à des spécialistes de la spéculation(Michel Sahuc), non, c'est bien pire. Sur le mode du aide-toi, la Bourse t'aidera(la Bourse étant l'expression socialede la devise God bless America[Dieu bénisse l'Amérique] portée sur le billet vert), chaque petit investisseur,en vue de sa petite entreprise personnelle,c'est-à-dire sa petite retraite,se retrouvera être propriétaire d'autrui: c'est-à-dire de ceux qui travaillent dans l'entreprise où il aura placé son argent.

Le règne de «l'économie personnelle» : celui du non-sens

L'illusion actionnariale conduit à l'instauration de l'économie personnellecomme dimension de l'individu social. C'est là une catastrophe psychique, affective, relationnelle, sociale, culturelle: les liens socio-culturels, dont au premier chef la transmission, en vont être gravement perturbés. De quelle mémoire sociale le retraité propriétaire d'autrui par capitalisation sera-t-il dépositaire? De quel concept, quelle idée du progrès, quelle valeur du collectif? L'argent, la famille, la religion?

Toute la transmission Ñ cela nécessairement concerne l'éducation Ñ se retrouve alors balisée par le principe et les règles de l'économie personnelle égomaniaque, illusion par laquelle l'individu, non plus même acteur éco/nomique (c'est-à-dire au sens strict acteur de la loi collective),mais «acteur financier»,croit posséder une part du domaine public : de la collectivité vivante.

L'économie personnelle,absurde oxymore auquel le capitalisme veut contraindre les individus, se présente sous une illusion extrêmement perverse: celle que le capitalisme peut être auto-gérépar les individus. Il est affligeant, désespérant de voir des «libertaires» tomber dans un tel piège.

M'obliger à capitaliser ma retraite me contraint à dévorer autrui

Mais le petit investisseur, qui croit être «copropriétaire» de quelques-uns de ses contemporains, ne comprend pas que l'entreprise en soi Ñ cette entreprise-là, pas une autre Ñ est le dernier souci du système. L'entreprise ne l'intéresse que dans la mesure où elle augmente la masse de capitaux qui circule par elle du seul fait de l'attraction qu'elle suscite à un moment donné.Il n'est évidemment pas de l'intérêt du capital que l'attraction d'une entreprise soit permanente,au contraire : et la gestion jonglante des «portefeuilles» voletant sans risque de meilleures valeurs en meilleures valeurs pendant une durée d'au moins 60 ans (années actives + retraite) est absolument illusoire.

Des milliers de retraités américains ont perdu tous leurs «droits» à des pensions confortables, en perdant les centaines de milliers de dollars investis dans les actions d'Enron et consorts : C'est de leur faute,disent les experts, il ne faut jamais mettre tous ses Ïufs dans le même panier.C'est là clairement admettre la loi de la perte irrémédiable réglée par le divin doigt du hasard boursier.

L'entreprise attractive doit perdre, de préférence aussitôt sa plus-value maximale produite, son attractivité. Le petit actionnaire, donc, doit perdre aussi. Seul le capital gagne à son propre jeu.

La retraite par capitalisation, comme l'actionnariat d'entreprise, consiste à exploiter la mentalité passéiste,convoitante et niaise de l'individu moyen, qui a une génération de retard,et s'imagine encore aux temps du capitalisme de papa,où les valeurs boursières pouvaient «tenir» une vie entière (système que d'aucuns ressortent sous la nouvelle étiquette de développement durable).Mais le capital ne veut surtout pas de valeurs qui tiennent la vie durant. Ce qu'il veut, c'est plus de liquidités tout de suite, plus d'investissements maintenant : prenant l'argent là où il ne peut que le prendre selon le système social en place, il en est au point de dévorer son propre marché.

Dans deux ans, la guerre?

Alors une question doit être posée, tout de même: Pourquoi? Pourquoi une telle démence? Il n'y a pas trente-six cas de figure qui répondent à cette question: on a affaire à un processus qui ressemble exactement, au niveau collectif, à la préparation d'un conflit mondial majeur : la captation des ressources financières, l'accélération du turn-over spéculatif et l'augmentation des arsenaux sont toujours allés de pair avec la préparation des guerrespar le capital.

Mais il se peut aussi que ce soit la limite écologiqueelle-même qui se présente aujourd'hui comme l'échéance «fatale» devant laquelle le capital amasse à toute allure le maximum de profit et étend son contrôle : afin de pouvoir organiser sa retraite à lui,devant la clôture écoplanétaire.


Anne Vernet (adhérente à la CNT-F)

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ÉTAT DES LIEUX
Sur les retraites
Les conquêtes de plusieurs siècles de luttes sociales, de combats intellectuels et politiques pour la dignité des travailleurs sont directement menacées.

Des conquêtes qu'il s'agit d'universaliser, de mondialiser au lieu de prendre prétexte de la mondialisationde la concurrence de pays moins avancés économiquement et socialement, pour les mettre en question.

Rien n'est plus naturel et plus légitime que la défense de ces acquis, que certains veulent présenter comme une forme de conservatisme ou d'archaïsme: droit au travail, sécurité sociale, etc.

On ne peut rien attendre de l'intégration monétaire pour qu'elle assure l'intégration sociale.

On ne peut rien espérer de l'Europe des banquiers.

Bref, à l'Europe monétaire destructrice des acquis sociaux, il est impératif d'opposer une Europe sociale.

Aujourd'hui, nos retraites sont menacées, il faut les défendre, obtenir de sérieuses garanties, asseoir la pérennité de notre système.

Le nouvel âge du capitalisme dans lequel nous vivons est marqué par une tendance spontanée à tout transformer en marchandise et à appauvrir l'activité humaine en la subordonnant aux seuls critères de l'accumulation du profit et des financiers.

Cela concerne aussi bien les formes que le contenu de la production et des échanges mais aussi les normes culturelles qui dominent notre temps, modèlent l'imaginaire collectif et les normes de comportement individuel plus profondément qu'aucune idéologie dominante ne l'a jamais fait dans le passé.

Mais il faut réagir, quand tant de forces et d'intelligences sont disponibles pour penser et construire un autre futur.

Quand l'urgence sociale, écologique frappe si fort aux portes.

C'est un mensonge de faire croire que des acquis sociaux aussi élémentaires que le droit à la retraite par répartition, les services publics, la santé et l'éducation pour tous sont devenues infinançables quand le pays est riche.

Et ce mensonge facilite les projets de marchandisation de tous ces services (capitalisation des retraites, la santé gérée par les compagnies d'assurances, etc.).

C'est un mensonge de faire croire qu'on pourrait changer la vie sans changer la répartition des richesses créées, le partage de la valeur ajoutée.

C'est une course de vitesse qui est engagée contre la montée de l'adhésion aux thèses de l'extrême-droite et contre l'extension des normes du libéralisme qui se nourrissent si bien l'une de l'autre.

Le temps est passé des illusions toujours déçues d'un accompagnement social des pseudo-évidences libérales.

Il faut construire une convergence idéologique et militante.

Ce n'est pas de la synthèse qu'il est question ici, il s'agit de tourner définitivement la page. Un autre monde est possible

Un peu d'histoire

L'organisation sociale en France résulte d'une mise en place progressive des régimes entamée il y a environ un siècle.

Elle a été influencée par les pressions des diverses catégories de travailleurs qui ont défendu leurs propres régimes d'assurances sociales.

D'où l'extrême diversité de ces régimes de prévoyance et de retraite qui protègent de façon très contrastée les personnes selon leur appartenance à telle ou telle catégorie professionnelle.

Pour résumer, les salariés du secteur privé et public bénéficient d'une couverture relativement étendue ; certains ont revendiqué des protections plus élevées (cheminots, mineurs, agents EDF-GDF, etc.).

Pour plus de clarté, nous distinguerons les régimes de retraite des régimes d'assurance maladie.

Nous nous situons aux lendemains de la seconde guerre mondiale, époque à laquelle est crée un régime obligatoire de retraite par répartition dans le cadre de la toute nouvelle sécurité sociale instituée par l'ordonnance du 4/10/1945.

L'ambition est double

1) Système fondé sur la solidarité entre les générations, ce sont les personnes en activité qui vont cotiser pour verser dans le même temps des prestations aux retraités. Il s'agit là du contrat social de notre communauté.

2) Aussi de protéger l'ensemble de la population contre la dépréciation monétaire, car sous l'effet de la crise financière des années trente, le système d'avant-guerre, qui fonctionnait en capitalisation, est anéanti et les épargnants ruinés.

Dès lors, sous l'impulsion de Pierre Laroque, est mis en place un dispositif inspiré du modèle bismarckien selon lequel c'est l'individu en tant que travailleur qui bénéficie d'une couverture vieillesse.

Presque soixante ans plus tard, le constat est unanime : la répartition a rempli et remplit encore sa mission.

Apports considérables de ce système, il a tout d'abord, contribué a améliorer le niveau de vie du troisième âge, autrefois pauvreétait souvent synonyme de vieux.Selon une statistique de l'INSEE, un ménage retraité sur quatre en 1970 est pauvre contre un sur vingt en 1997, et si, en 1970, le revenu fiscal moyen des ménages de plus de 65 ans est inférieur d'un tiers à celui des ménages plus jeunes, il est aujourd'hui équivalent. À titre d'exemple, parmi nos voisins européens, une personne âgée sur cinq vit aujourd'hui sous le seuil de pauvreté en Grande-Bretagne.

Rappelons à nouveau que la répartition présente l'intérêt d'instaurer un véritable pacte de solidarité entre les générations.

En bref, produire de la cohésion sociale, c'est une des réussites non chiffrées de la répartition.

La véritable force de la solidarité est de ne laisser personne au bord du chemin et en cas de crise de chercher à répartir équitablement les efforts entre les différents acteurs (actifs, entreprises, retraités).

Cela dit, le système fait face aujourd'hui à un défi majeur: s'adapter à la contrainte démographique.

L'évolution démographique (source rapport Charpin 1999).

Nombre de cotisants pour un retraité : 1960 - 4 / 1970 - 3,5 / 1980 - 2,7 / 1998 - 1,7 / 2020 - 1,2 / 2040 - 1. Parmi les causes : la baisse de la natalité, espérance de vie en augmentation, chômage structurel.

Tous ces éléments ont modifié le rapport des actifs sur celui des retraités.

Ce phénomène a pour conséquence un déséquilibre financier de plus en plus marqué des régimes de retraite par répartition, de plus il y a trop de régimes distincts, d'où nécessité de globaliser l'ensemble pour obtenir une solidarité plus forte.

Le régime de base des salariés

Règles de fonctionnement. Qui ?

Qui ? Sont assujettis au régime général de la sécurité sociale: les salariés du secteur privé, cadres et non-cadres - les agents non titulaires de l'État et des Collectivités locales. Quand ? Trois conditions doivent être remplies pour liquider la retraite de base: avoir 60 ans, avoir cessé l'activité professionnelle salariée, justifier d'au moins un trimestre de cotisation.

Attention, aucun texte n'oblige quiconque à prendre sa retraite à 60 ans. Les ordonnances de 1982 permettent simplement de le faire à cet âge sans pénalisation lorsque les conditions de durée de cotisation ont été remplies.

Un seul trimestre d'assurance ouvre le droit à une pension du régime général. Il suffit pour cela d'avoir cotisé sur un salaire annuel égal à 200 fois le SMIC horaire.

Le calcul de la pension. La formule générale est la suivante: retraite annuelle = salaire annuel moyen x taux x durée d'affiliation divisée par 150 (le dénominateur 150 n'a pas évolué comme le nombre de trimestre requis).

En 1993, le gouvernement Balladur a commencé à modifier des règles concernant la durée de cotisation pour le secteur privé, 40 ans contre 37,5 années auparavant pour obtenir une retraite à taux plein et le calcul de la pension retient les 25 meilleures années et non plus les 10 meilleures; d'où diminution des pensions versées. Compte tenu de cette réforme (passer de 10 à 25 ans) progressivité dans le nombre d'années à retenir dans le calcul, à raison d'une année de plus tous les ans et cela jusqu'en 2008. Exemple: pour une liquidation intervenant en 2000, le calcul se fera sur la base des 17 meilleures années, en 2001 les 18 meilleures et ainsi de suite jusqu'en 2008.

Les taux de retraite.

- Le taux plein. Le taux normal et maximum est de 50 %, il s'applique au salaire annuel moyen. Pour avoir le taux plein, il existe deux possibilités: avoir au moins 65 ans et un nombre suffisant de trimestres validés; ou bien depuis les ordonnances de 1982, avoir au moins 60 ans et un nombre suffisant de trimestres d'assurance validés.

Il faudra ainsi 157 trimestres en 2000, 158 en 2001 et 159 en 2002 et 160 en 2003, date à partir de laquelle il faudra définitivement 160 trimestres (40 ans) validés. Les trimestres validés sont les trimestres travaillés et cotisés au régime de base des salariés mais aussi ceux travaillés dans un autre régime. Nous retiendrons également les périodes assimilées: maladie, maternité, accident du travail ; chômage indemnisé, convention de conversion; service militaire, mobilisation.

Les mères de famille ont droit à une majoration égale à 8 trimestres par enfant, sous réserve que cet enfant ait été à charge pendant au moins 9 ans avant son 16ème anniversaire.

Taux plein accordé à certaines personnes. Même si elles ne justifient pas du nombre de trimestres requis, certaines personnes pourront bénéficier du taux plein de 50 % dès l'âge de 60 ans. Il s'agit de personnes se trouvant dans l'une des situations suivantes : inaptitude au travail (50 % d'incapacité et impossibilité d'exercer un emploi) ; titulaire d'une pension d'invalidité; ancien déporté ou interné politique ou de la résistance; anciens combattants ou pensionnés de guerre (durée en fonction de l'âge); mères de famille ouvrière (R351 - 23CSS).

- Le taux minoré.Les personnes qui demandent la liquidation de leur retraite de base entre 60 et 65 ans alors qu'elles ne peuvent pas justifier du nombre de trimestres requis se voient appliquer une minoration. Celle-ci est déterminée en affectant le taux de 50 % d'un coefficient de minoration de 1,25 % par trimestre manquant. Important. Le nombre de trimestres manquants est déterminé de la façon la plus favorable à l'affilié entre les deux calculs suivants: soit le nombre de trimestres manquants par rapport au nombre de trimestres requis, soit le nombre de trimestres manquants par rapport aux 65 ans de l'affilié.

- Compléments au calcul. - Minimum contributif: la retraite du régime général comporte un minimum appelé minimum contributifréservé aux personnes liquidant leur retraite au taux plein de 50 %. - Minimum vieillesse: selon les ressources des personnes, il peut être octroyé un minimum vieillesse à partir de 65 ans.

- Les majorations. La retraite peut être majorée : de 10 % pour les assurés (H ou F) ayant eu ou élevé au moins 3 enfants ; 4.000 francs par an (en 1999) pour conjoint à charge (de plus de 65 ans) non titulaire d'un droit propre en assurance vieillesse ou invalidité, si le plafond de ressources personnelles du conjoint n'excède pas un plafond déterminé chaque année.

Les régimes complémentaires

La retraite complémentaire des salariés. ARRCO (Association des Régimes de Retraite COmplémentaire) créée par l'accord du 8/12/1961, la retraite complémentaire est rendue obligatoire pour tous les salariés de l'industrie, du commerce et des services par la loi de généralisation du 29/12/1972. L'affiliation est différente selon le statut ! Les non-cadres cotisent sur leur salaire brut dans une limite fixée à 3 fois le plafond de la sécurité sociale (7.056 euros en 2002) ! Les cadres cotisent à l'ARRCO pour la part de leur salaire limitée au plafond de la sécurité sociale (2.352 euros en 2002). Pour la part de salaire supérieure à cette limite, ils cotisent à l'AGIRC.

La retraite complémentaire des cadres. AGIRC (Association Générale des Institutions de Retraites des Cadres). Personnes concernées: relèvent de l'AGIRC, tous les salariés et assimilés de l'industrie, du commerce et des services. Qui est cadre ? Sont d'office des cadres les personnes visées par les articles 4 et 4 Bis de la Convention collective nationale du 14/04/1947 et les assimilés cadres à titre facultatif aux termes de l'article 36 de la Convention collective de 1947. La retraite fonctionne par acquisition de points en contre-partie de cotisations.

Les régimes facultatifs. L'on ne traite que le volet financier et fiscal destiné exclusivement aux salariés. Rappelons que depuis l'intervention de la loi du 29.12.1972 portant sur la généralisation de la retraite complémentaire, tous les salariés relevant du régime général de sécurité sociale sont obligatoirement affiliés à un régime complémentaire de retraite. En dehors de ce régime, les salariés peuvent, soit dans le cadre de leur entreprise, soit dans celui de la branche professionnelle dont elle relève se voir imposer un régime de retraite supplémentaire leur assurant des prestations allant au-delà de celles garanties par le régime de base et le régime complémentaire. Ces régimes supplémentaires peuvent concerner tous les salariés de l'entreprise ou seulement certaines catégories d'entre eux. Enfin, en marge des régimes collectifs déjà cités, les salariés peuvent prendre l'initiative de souscrire à titre individuel des contrats leur assurant une protection sociale supplémentaire. Dans le cadre du régime de retraite supplémentaire (Art 83 du Code général des Impôts et L 242-1 du Code de la Sécurité Sociale), les cotisations versées par l'entreprise sont déduites de son bénéfice soumis à l'impôt, ces cotisations ne sont pas à ajouter au revenu imposable du salarié, de plus les cotisations ne supportent pas de charges sociales comme le supporterait un supplément de salaire. Il s'agit là d'une formule laissée à la discrétion des employeurs. L'on voit bien là l'intérêt des possédants à substituer ces formes de constitution de retraite (par capitalisation de surcroît) en lieu et place des régimes par répartition.

Les régimes spéciaux

À côté du régime général, qui concerne 9,2 millions de retraités du secteur privé, les régimes spéciaux prennent en charge 5 millions de personnes. Rappelons que l'objectif de 1945 était de créer un régime universel de retraite. Mais certains ont conservé un statut propre. Les régimes spéciaux sont aujourd'hui un bonne centaine. Le système français des retraites n'est pas bâti autour d'un régime unique mais autour de plusieurs; produits de l'histoire sociale de la France. Il est difficile de dénombrer exactement les régimes dits spéciaux; la création peut remonter jusqu'au XVIIIème siècle comme le régime des pensions des marins (1709). Parmi ces régimes spéciaux, les principaux, qui ne distinguent pas régime de base et régime complémentaire sont ceux des fonctionnaires, des agents de la SNCF, de la RATP, d'EDF, des Mines, de la Banque de France, de la Marine, des clercs de notaire, des ministres des cultes. À côté de cette trentaine de régimes, on trouve d'autres petits régimes, parfois très folkloriques comme celui des cantonniers de l'Isère. Les règles de calcul et les prestations des retraites des régimes spéciaux diffèrent de celles du secteur privé mais varient d'un régime spécial à l'autre.

L'assiette et le taux d'appel des cotisations patronales et salariales

L'assiette: le salaire brut, la décomposition du salaire, le Code de la Sécurité Sociale définit trois tranches de salaire. Tranche A: c'est la fraction de salaire comprise entre 0 et un plafond de sécurité sociale, c'est-à-dire au 1/01/2002: 2.352 euros par mois. Tranche B: c'est la fraction de salaire comprise entre un plafond de sécurité sociale et 4 fois ce même plafond, c'est-à-dire au 1/01/2002: entre 2.352 euros et 9.408 euros. Tranche C: c'est la fraction de salaire comprise entre 4 fois le plafond de la sécurité sociale et 8 fois ce même plafond, c'est-à-dire au 1/01/2002: entre 9.408 euros et 18.816 euros. L'employeur est par ailleurs tenu de verser les cotisations dues aux organismes de sécurité sociale. Une partie de ces cotisations sont à sa charge exclusive. Une autre partie est à la charge du salarié et lui est décomptée de son salaire brut pour constituer le salaire net.

Les taux de cotisation (ou d'appel). Les taux sont fixés par la législation sociale et doivent être rigoureusement observés.

Les Cotisations Retraite (en vigueur au 01/07/2002).

- Sécurité sociale (assurance vieillesse). Un taux appliqué uniquement en tranche A: patronal 8,20 % / salarial 6,55 % et un taux patronal appliqué sur la totalité du salaire 1,60 %.

- Régime ARRCO (Association des Régimes de Retraite COmplémentaire). Les non-cadres ont une cotisation appelée sur une assiette comprise entre 0 et 3 plafonds de sécurité sociale. Les cadres et assimilés ont une cotisation appelée sur la tranche A du salaire ; sur les tranches supérieures ils cotisent auprès de l'AGIRC. Les taux : employeur 4,50 %, salarié 3 %.

- Régime AGIRC (Retraite complémentaire obligatoire des cadres). Pour ce régime, l'assiette de cotisation correspond aux tranches B et C du salaire. Taux d'appel : employeur 12,50 % et salarié 7,50 %.

La tentation de la capitalisation

L'air du temps est à la retraite par capitalisation. D'ailleurs cela n'est guère nouveau.

Les fonds de pension, les fonds de retraite par capitalisation et autres dénominations... La capitalisation et sa gestion : soit par le biais de SICAV, FCP, obligations ; soit le fonds de pension pur et dur qui achète les actions en direct (prise de participations et diverses opérations financières); soit par l'entreprise elle-même.

Dans nombre de pays anglo-saxons, celle-ci a désormais une place importante dans la constitution des retraites. Mais plus grave, Bruxellesencourage ses membres à aller dans ce sens pour réformer leur système de base, la retraite par répartition.

Les fonds de pension, support essentiel de la capitalisation prônent l'individualisation. Les défenseurs des retraites par capitalisation s'expriment principalement sur les faiblesses du système par répartition, en particulier face à l'évolution démographique. Réalité ou cri au loup ?

Mais la vérité est ailleurs. Tout régime de retraite, répartition ou capitalisation, doit s'adapter de façon identique à l'allongement de la durée de vie. Dans un régime par capitalisation, la période de versement des primes est fixe tandis que celle de versement de la rente s'allonge. À rente donnée, il faut donc augmenter le niveau des primes. Ou à primes données, c'est le montant de la rente qui doit diminuer. Finalement, face au problème démographique, seule la gestion du risque diffère. D'un côté, le risque est partagé dans un système fondé sur la solidarité. Dans l'autre, chacun alimente individuellement le fonds qui constituera sa retraite avec d'autant moins de difficultés que son salaire est élevé et sa situation professionnelle stable.

L'on entend aussi, dans certains milieux financiers l'argument du rendement des fonds de pension. Parlons en !

En théorie, leur rendement est supérieur à celui du système par répartition; ce qui nécessite que l'activité boursière soit florissante au moment du départ en retraite du salarié et que la gestion du fonds soit sécurisée. Par ailleurs, la dépendance boursière des supports financiers a des effets néfastes sur l'emploi et l'on voit bien que des entreprises présentent des plans sociaux afin de mieux comprimer la masse salariale pour privilégier une augmentation des dividendes au bénéfice des actionnaires. Est-il nécessaire de rappeler le scandale Maxwell, magnat de la presse anglaise, qui s'était largement servi de l'épargne retraite de ses employés pour masquer ses opérations douteuses? Plus récemment, l'affaire Enron, aux USA, a continué à jeter le discrédit sur le dispositif, même s'il est vrai que l'épargne des salariés n'était pas placée directement en fonds de pension mais logée dans l'entreprise elle-même. Bien d'autres ont suivi et plus particulièrement Worldcom. Ces entreprises, dont la notoriété n'a pas traversé l'Atlantique, sont tour à tour mises en cause pour leurs irrégularités comptables, leurs tentatives de dissimuler des dettes ou pour les frasques fiscales de leurs dirigeants et autres délits d'initiés. Des dirigeants qui n'ont jamais manqué de s'octroyer, avec la bénédiction de leur conseil d'administration, des rémunérations élevées et de généreuses indemnités en cas de départ forcé.

Plus grave encore, l'on découvre que ces opérations n'ont pu avoir lieu sans la complicité active ou passive des "garants de la finance" (cabinets d'audit et de commissariats aux comptes, avocats ou autorités de tutelle). À ce sujet, Enron est un cas d'école.

Autres complices très actifs : les banques. Qu'elles soient d'affaires ou commerciales, elles ont nourri cette bulle qui n'en finit plus d'éclater. Elles ont largement financé l'expansion de la bulle notamment en prêtant massivement aux groupes de télécommunications. Elles ont prêtés avec d'autant plus d'entrain qu'elles s'organisaient pour garder le minimum de risques dans leur bilan, revendant ces crédits (ou les risques de crédit) aux fonds de pension et aux caisses de retraite.

Enfin, facteur aggravant, tous les montages financiers en cause aujourd'hui ont été montés par les meilleurs avocats d'affaires qui ont souvent pris soin d'utiliser les failles réglementaires pour ne pas franchir la ligne rouge de la légalité.

Parlons des relations entre les entreprises et les fonds de pension.

Les entreprises devraient considérer les fonds de pension comme une dette, une réalité non prise en compte par les normes comptables. Les empires industriels, ces multinationales qui évoluent sur différents segments du marché, ont pour point commun d'être devenus d'authentiques paniers percés. Les économistes des plus grandes banques d'investissement mondiales le disent (par exemple la Morgan Stanley). Selon une étude publique (en mai 2002), l'harmonisation des normes comptables (exemple Vivendi), les départs massifs en retraite à partir de 2005 et le sous-provisionnement de la plupart des fonds de retraite par capitalisation (car non considérés comme une dette) représentent pour ces entreprises de véritables bombes financières.

La thèse de Morgan Stanley est simple : des fonds de retraite mal capitalisés obéissant à des règles comptables mal définies au sein du pays de résidence. Tout cela ne permet pas aux investisseurs de réellement apprécier le risque, risque qui sera supporté par les retraités actuels et les futurs. Elle cite un exemple : la société Aséa Brown Bovéri. Les chercheurs de Morgan Stanley estiment que le ratio de dettes sur fonds propres (pour mémoire les DLT ne doivent pas dépasser les fonds propres) passe de 202 % à 374 % quand on inclut les obligations de retraite et qu'on les considère comme une dette égale aux autres. Allant plus loin, les économistes de Morgan Stanley affirment que toute présentation des résultats qui gommeraient cet aspect important de leur avenir financier serait trompeuse.

De manière simple, un salarié qui cotise à un fonds de pension accorde en réalité un prêt à son entreprise, celle-ci ayant à charge de le gérer à bon escient, de le faire fructifier puis de payer les retraites auxquelles elle s'est engagée. Si elle manque à cette obligation (circonstances économiques, restructurations...) elle ne peut néanmoins se défiler (juridiquement): le prêt doit être remboursé, autrement dit, les retraités doivent toucher leur dû.

Le choc financier à venir est d'autant plus violent que la durée de vie des retraités s'allonge et que montent en ligne de nouvelles générations de salariés. Mais cette explication seule ne suffit pas.

Le schéma de la capitalisation est plus pénalisant que la répartition et beaucoup plus dangereux. La crise des retraites n'est pas spécifique aux systèmes par répartition. La capitalisation devra faire face à des lendemains qui déchantent.

Les fonds de pension

Les investisseurs anglo-saxons maîtrisent les bourses européennes (ils contrôlent plus de 40 % de l'indice CAC 40). Depuis quelques mois, les Hedge Funds (fonds spéculatifs) défraient la chronique au détriment des investisseurs à moyen et long terme comme les SICAV, les fonds communs de placements ou les fonds de pension. Ces derniers se font moins actifs sur les marchés boursiers. Pourtant, ces vecteurs financiers n'ont pas déserté leurs positions pour se replier dans leurs frontières. Les fonds de pension anglo-saxons, le poids des actionnaires britanniques et américains continuent à progresser de 22,95 % en juin 2001 à 27,30 % en juin 2002, malgré l'incidence de la forte baisse des cours de bourse durant cette période, d'où une augmentation en volume beaucoup plus importante.

Si dans le capitalisme des pays du Nord de l'Europe rien n'a changé depuis deux ans, par contre de juin 2001 à juin 2002, c'est dans les pays latins que le capitalisme a le plus changé de visage. La part des investisseurs anglo-saxons progresse de 5,5 points en moyenne dans le capital des grandes sociétés. Depuis 2001, la chute continue des cours de bourse n'a donc pas freiné l'internationalisation du capital des entreprises cotées, ni encouragé un retrait des investisseurs américains.

Les investisseurs institutionnels comme les fonds de pension pratiquant le plus souvent une gestion indicielle (qui réplique les grands indices boursiers) sont restés présents sur le marché. Cette attitude prouve que le mouvement de diversification de leurs actifs vers l'Europe est plus qu'une mode passagère.

Mais les entreprises répugnent de plus en plus à donner la répartition géographique de leur actionnariat. Elles ne veulent surtout pas alimenter de nouvelles polémiques sur le thème de l'utilité ou de la nocivité des fonds de pension. Peut-être aussi que les sociétés cotées ont l'impression de maîtriser de moins en moins bien l'identité de leurs actionnaires.

D'ailleurs, on le voit bien avec des groupes européens; par exemple EADS (valeur de l'indice CAC 40), société franco-germano-espagnole de droit néerlandais. À la limite, il serait peut être souhaitable et plus utile de savoir qui sont les investisseurs stratégiques plutôt que connaître leur implantation géographique.

La crise boursière et les retraites par capitalisation

La crise des marchés financiers a d'importantes répercussions sur les régimes de retraite par capitalisation. Dans la plupart des pays occidentaux, ceux-ci ont massivement investi en actions dans les années 1990. Du coup, les revenus de ces fonds diminuent et les retraités voient leur pouvoir d'achat baisser. Les fonds de pension américains les plus importants (Calpers, par exemple) ont perdu des sommes importantes investies dans Enron et Worldcom. Aux États-Unis comme en Grande-Bretagne, les entreprises délaissent les fonds à revenus garantis contre des fonds à cotisations définies reportant le risque sur les salariés.

Aujourd'hui, les salariés constatent la fonte du pécule qu'ils amassent pour leurs vieux jours. La crise des marchés financiers met en évidence les failles du système.

Les faillites d'Enron et de Worldcom démontrent l'urgence d'une réforme du système par capitalisation qui a quasiment réduit à zéro la retraite de leurs salariés «piégés» dans des fonds d'épargne salariale investis pour plus de 50 % en actions de leur propre société.

Et il s'agit là d'une forme de la capitalisation que l'on voudrait développer en France!

Au delà, ce sont tous les cotisants qui, à terme, peuvent s'inquiéter. Car en réalité, la faillite frauduleuse de Worldcom et le cas Enron n'avaient rien d'exceptionnel, le principal syndicat américain, l'AFL-CIO, souhaite repenser la structure même du dispositif de retraite par capitalisation.

Le mythe des années 90 de la Bourse commence à faire long feu.

Mais plus grave encore, le risque boursier est de plus en plus supporté par les salariés des sociétés qui voient leur épargne-retraite partir en fumée. En effet, une majorité d'entreprises ne proposent que des plans à cotisations définies où leur engagement ne porte que sur le montant de leur contribution. De plus, certaines ont privilégié l'épargne salariale plus flexible et avantageuse fiscalement. Problème : ils sont plus orientés vers les actions et les entreprises ont toute liberté pour fixer des règles dangereuses, telles que payer leurs propres abondement avec leurs propres actions!

Désormais les Américains et les Britanniques devront cotiser plus, plus longtemps pour obtenir une pension plus maigre. En France nous suivons le même chemin et cela n'est pas nouveau...

Pour consolider la répartition, l'améliorer, la rendre encore plus juste

Tout d'abord, la retraite étant une composante du salaire, il est donc anormal que le financement des retraites soit assuré essentiellement par un prélèvement sur ledit salaire.

Le partage des richesses implique un tout autre schéma. Il est primordial de revoir en priorité l'assiette des cotisations : asseoir les cotisations patronales sur l'intégralité de la valeur ajoutée et l'étendre aux autres revenus tels ceux procurés par les placements financiers...

Tout d'abord, pour plus de clarté dans nos propos, définissons la valeur ajoutée. La valeur ajoutée est la différence entre la valeur de vente de la production et le coût d'achat des matières et fournitures consommées pour produire. La valeur ajoutée est obtenue par le travail du personnel dans l'entreprise. Si l'on soustrait de la valeur ajoutée l'ensemble des frais de personnel et les taxes diverses, on mesure l'excédent brut d'exploitation qui revient à l'entreprise.

Pour la réflexion, il est parfois utile de diviser la valeur ajoutée de l'entreprise par le nombre de salariés. Ce ratio donne des indications précieuses sur la productivité.

Techniquement, on peut mesurer la valeur ajoutée à partir des résultats ou de la production ! à partir des résultats: on ajoute à l'excédent brut d'exploitation, les frais de personnel ! à partir de la production: on soustrait tous les coûts d'exploitation en matières et fournitures.

La valeur ajoutée? Il s'agit d'un paramètre de gestion fondamental pour les entreprises, dans une branche d'activité déterminée, la comparaison des marges commerciales dans le temps (évolution au sein d'une même entreprise) et dans l'espace (comparaison inter- entreprises) est pleine de signification.

Il est important et urgent que le calcul des cotisations reposent sur une assiette qui reflète une réalité économique. Dès lors, le régime de retraites par répartition pourrait alors, mieux que tout autre, accompagner les transformations de la société en partageant les richesses.


Guy Hénocque
Guy Hénocque est adhérent au Groupe Bakounine (Charente Maritime) de la Fédération Anarchiste.

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L'AMORCE DU DÉBAT
PARTAGEONS LES RICHESSES PAS LA MISÈRE

Ni capitalisation libérale
Ni répartition inégalitaire
Socialisation des retraites !

C'est une évidence: le financement des retraites sous sa forme actuellesera mathématiquement impossible à moyen terme.

C'est une autre évidence : quelle que soit la couleur du nouveau gouvernement, la prochaine rentrée sociale sera dominée par la problématique des retraites.

Aujourd'hui, les retraites sont financées par les richesses créées par le travail (cotisations des salariés et des employeurs).

Mais les évolutions technologiques récentes (automatisation, robotisation, informatisation...) font que ces richesses sont de moins en moins produites par le travail humain et de plus en plus par le «travail» des machines.

Le travail humain devient un élément inessentiel à la reproduction du capital et donc, le nombre de travailleurs actifs nécessaires à la production est en chute libre.

Allongement global de l'espérance de vie, arrivée massive de la génération du baby-boom des années 50 et diminution des besoins du capitalisme en travail humain... font qu'il n'est plus possible de financer, dans le cadre actuel,un nombre sans cesse croissant de retraités.

Face à ce constat, la droite comme la gauche, ne nous proposent rien d'autre que de passer d'un système de financement par répartition garanti par l'État à un système de financement par capitalisation géré par la Bourse.

Les résultats de cette «réforme» sont connus. Au plus grand nombre, après une vie de bas salaires, un sous-minimum vieillesse et une (sur)vie misérable... À une minorité privilégiée, après des revenus confortables, des rentes honorables voire fastueuses.

Est-il besoin de le préciser, les libertaires s'opposeront à un système de boursicotage des retraites qui provoquerait une régression sociale sans précédent.

Mais les libertaires peuvent-ils se contenter, pour autant, de défendre le système actuel de répartition garanti par l'État ?

Nous ne le pensons pas!

Le système actuel, présenté comme un "acquis social" est, pour nous,
profondément injuste, inégalitaire et aux antipodes du possible.

Bien évidemment, il nous faut nous battre pour réaliser ce possible et imposer ce partage des richesses aux maîtres du monde... Il nous faut réfléchir à la notion même de retraite dans la dynamique d'une redéfinition du travail socialement utile, de la fonction idéologique du travail et de la nécessaire déconnexion entre revenus et travail... Il nous faut (ré)inventer une place nouvelle pour des «vieux» de plus en plus nombreux dans une société devenue enfin humaine...

Dans ce cadre, nous pensons que les libertaires peuvent, dès aujourd'hui, avancer des revendications offensives à propos des retraites.

Nous en avons recensé six que nous avons regroupées derrière trois étendards.

Au nom de l'égalité, il nous faut nous battre pour :

Au nom de la liberté, il nous faut nous battre pour :
Au nom de l'équité, il nous faut nous battre pour :


Groupe Michel Bakounine (avril 2002)

Le Groupe Bakounine est adhérent à la Fédération Anarchiste.Ce texte a été adopté en réunion comme une base de discussion dans le mouvement, une amorce à un débat qui devrait permettre aux libertaires d'avoir les idées en place pour agir collectivement au sein d'un éventuel mouvement social autour des retraites.

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Avertissement. Un débat a eu lieu sur le fait de savoir si la publication, dans la présente brochure, du texte qui suit, ne risquait pas d'être perçu comme l'énoncé, parmi d'autres, d'un point de vue libertaire particulier. La teneur de ce texte, comme les critiques à la hache dont il est l'objet dans les autres contributions, constituent la meilleure réponse à cette inquiétude. À moins bien sûr, que l'on estime que la réflexion puisse avoir lieu sans que l'on expose des points de vue antagonistes, auquel cas, l'anarchisme comme l'intelligence de nos lecteurs-trices auraient du souci à se faire ! Les éditeurs.
LIBERTARIEN OU... ANARCHO-CAPITALISTE ?
Fonds de pension et mutuelles d'assistance autogérées
Objet de controverse, la pension est un sujet sensible, une cause de grande préoccupation pour chacun et, presque fatalement, un élément central de toute politique sociale et le champ clos où les idéologies s'affrontent.

Le schéma général est simple : la personne épargne au cours de sa vie active et, la vieillesse venue, elle pourvoit à ses besoins en dépensant les économies accumulées. Pour atteindre ce but, deux doctrines sont en concurrence: la pension par répartition entièrement aux mains de l'État et la capitalisation par l'assurance-vie ou le fonds de pension proposés par des entreprises, des mutuelles et des coopératives.

Le système par répartition consiste à percevoir les cotisations des actifs et à distribuer les fonds recueillis aux pensionnés. Il s'agit d'un simple transfert. Lorsque les actifs sont nombreux, des réserves peuvent être constituées et les échéances honorées même lorsque l'accroissement du nombre des pensionnés ne permet plus aux cotisations ordinaires de leur servir leur allocation. Lorsque les actifs atteignent l'âge de la pension et quittent la vie professionnelle, des jeunes y entrent et cotisent à leur tour. Ainsi, de génération en génération, les cotisations des uns servent à payer les pensions des autres. Mais pour fonctionner, ce système doit répondre à plusieurs impératifs: les actifs doivent cotiser suffisamment et être assez nombreux pour que les pensionnés perçoivent leur dû et, condition subséquente d'équité, arrivés à l'âge de la pension, les cotisants doivent être assurés de recevoir à leur tour une pension proportionnée à leurs versements.

Et c'est ici que le bât blesse.

Dès l'origine, pour se procurer les fonds indispensables au démarrage de sa nouvelle carambouille, l'État a condamné tous les actifs à cotiser et, bien plus que sur la solidarité, la pension par répartition repose sur la contrainte. C'est pourquoi elle est et reste un monopole de l'État. Mort-née, elle ne survit que sous la perfusion de la contrainte, seul domaine où l'État excelle. Sans celle-ci, sans la participation obligatoire de tous, le système s'arrêterait bientôt car les cotisations, aussitôt perçues, sont déjà dépensées presque avant d'être collectées à nouveau. L'État a saisi tout le parti qu'il pouvait retirer de ce cercle vicieux. Il a multiplié les promesses. Il a accumulé les régimes. On en compte aujourd'hui plusieurs centaines. Les fonctionnaires et les favoris du pouvoir touchent des pensions plantureuses, les autres mangent des pois chiches. On tâtonne dans l'obscurité des règlements et des exceptions. Les abus sont légions. Les injustices et les erreurs pullulent. Les caisses sont vides mais le clientélisme prospère. On chante les mérites de la répartition sur l'air de la solidarité et les nantis ramassent la mise.

L'allongement de la vie et la mise à la retraite de plus en plus précoce multiplient les pensionnés et raréfient les cotisants. L'esquif dérive et se jette sur le rocher. Mais les politiciens n'en ont cure. Après nous les mouches,pensent-ils comme Louis XV, cet autre tyranneau bien inspiré. Dès aujourd'hui, les cotisants sont certains de ne jamais recevoir la part de leur écot. Dans vingt ans l'hallali sonnera. Les vieux seront alors à la soupe populaire si toutefois il reste quelques euros dans le fond du panier percé.

Mais les champions des solutions autoritaires entonnent l'air de la calomnie: Sans État pas de pension! clament les politiciens.

Ainsi est justifiée l'exploitation des pauvres qui cotisent beaucoup au profit des riches qui cotisent peu, car comme pour l'impôt, la charge est reportée sur le plus faible. Si les anciens militants des luttes héroïques restent attachés à leurs «représentants» aux méthodes impérieuses, les jeunes sont plus individualistes et beaucoup plus circonspects. Ils ont appris à compter et pianotent volontiers sur leur calculette.

Les sciences mathématiques et les statistiques donnent tort à la pension par répartition et la condamnent à la banqueroute.

La masse des cotisants sera toujours perdante comme au loto. Déjà, la fronde se développe et la nouvelle génération est de plus en plus réticente à alimenter un tonneau des Danaïdes où disparaissent ses forces et sa jeunesse. Avec ce refus de participer au marché des dupes, la pension par répartition pourrait chavirer encore plus vite qu'on ne le pense généralement.

Cependant, l'alternative existe depuis longtemps chez les Anglo-saxons et apparentés dont le tempérament est moins porté à confondre la puissance de l'État avec le bonheur de l'individu. Ici, les errances de la gestion et du monopole étatiques sont éliminées. La cotisation ne sert pas à entretenir une armée de fonctionnaires ni à engraisser des profiteurs mais elle est capitalisée selon toutes les règles du calcul actuariel. Lorsqu'il s'agit d'une assurance-vie, elle permet à coup sûr de servir sa pension au cotisant, et s'il s'agit d'un fonds de pension, elle est investie dans le marché selon les règles prudentielles pour, à l'échéance, donner au pensionné le juste produit de ses économies et la rémunération de ses efforts.

Ces fonds de pension sont la cible et le cauchemar des politiciens et de la cohorte de leurs suiveurs.

Parce qu'ils mettent en lumière les tares de la répartition et la rigueur des contraintes qu'elle impose, ils sont accusés de tous les maux dont les États sont coupables : chômage, spéculation financière, manipulation de l'opinion, fraudes et malversations.

La réalité est moins romantique. Les fonds de pension appartiennent aux travailleurs qui y placent leurs économies dans le but de s'assurer une retraite paisible. Ces fonds n'exigent pas du tout un rendement de 15 % comme la propagande du gouvernement le répète à l'envi mais, comme tout investisseur, ils recherchent le meilleur rapport entre le risque et le bénéfice. Jusqu'ici, ils ont toujours mieux réussi que la répartition étatique. Ils ont créé des millions d'emplois en pesant sur la gestion des entreprises, en les assainissant et, chose nouvelle et presque scandaleuse pour certains, en contrôlant les actes et les rémunérations des administrateurs. En dehors des cas où ils sont la propriété de capitalistes comme Maxwell ou Enron, les fonds de pension ont toujours su allier l'efficacité et la sécurité. Leurs clauses et conditions varient de l'un à l'autre et chacun y trouve chaussure à son pied. On y découvre même parfois un assaisonnement de répartition ou un complément de retraite pour les défavorisés. Certains d'entre eux existent depuis plus d'un siècle et ils sont tous passés sans dommage au travers des bourrasques de l'économie et de l'histoire.

Même si, prouesse peu méritoire, les fonds actuels ont des performances supérieures à la calamiteuse gestion de la répartition par les politiciens, et même si la logique de profit peut être comparée à la volonté de puissance de l'État basée sur la contrainte, on ne peut ignorer les multiples déconvenues découlant des fonds de pension constitués par une entreprise pour ses travailleurs. La structure de ces fonds, le cordon ombilical qui les relie à leur société-mère, les soumet à ses aléas d'autant plus qu'ils lui fournissent des capitaux importants. L'absence de sanction et de contrôle des gestionnaires les rendent plus aventureux encore comme l'actualité ne cesse de l'illustrer jour après jour. Sans être exposés à des risques comparables, les fonds indépendants n'en présentent pas moins des défauts similaires. Leurs administrateurs ont presque toujours des intérêts personnels dans les entreprises où l'épargne des cotisants est investie. La hiérarchie des pouvoirs en système capitaliste favorise toujours les mêmes.

Ces enchevêtrements d'intérêts contradictoires ne seront démêlés pour le peuple que dans la société anarchiste.

Après l'anéantissement de l'État, les mutuelles d'assistance autogérées prendront en charge la santé, le chômage et la pension.

Elles collecteront les cotisations, placeront les fonds de manière à servir aux mutualistes les meilleurs services et constitueront des réserves non seulement pour garantir le paiement des pensions et amortir les fluctuations des conjonctures mais aussi pour secourir les défavorisés car la solidarité est la garantie de l'égalité, principe sans lequel l'anarchie ne saurait exister.

La gestion sera assurée par l'assemblée générale des mutualistes dont les apports seront des parts de propriété et non plus de simples dépôts. Chacun des membres sera consulté et aura la capacité de décider de la politique de la mutuelle, de l'affectation des fonds, de l'éthique à respecter; ensemble et en particulier, ils préciseront les conditions du contrôle social à l'intérieur des entreprises où leur patrimoine sera investi.

Les actuaires ont montré que, rapidement et automatiquement, débarrassés du poids et des gaspillages insensés de la gestion étatique, les capitaux apportés atteindront vite des montants considérables. La boule de neige grossira rapidement au point de provoquer l'avalanche et d'emporter tout le pouvoir de décision en matière financière et économique. Sans le miroir aux alouettes de la répartition, les réserves pour les pensions croîtront de manière exponentielle.

Des mains de quelques capitalistes autoritaires et égoïstes, le gouvernement passera aux mutuelles d'assistance autogérées. Sans crédit, sans ce sang frais indispensable à leur vie et à leur expansion, les entreprises s'étiolent et meurent asphyxiées. Pour vivre et prospérer, elles doivent respirer, elles doivent obtenir des banques et des marchés financiers les crédits nécessaires à leurs activités. La puissance des mutuelles d'assistance autogérées leur donnera rapidement les moyens de dominer tous les instruments financiers. Banques et marchés fourniront des crédits aux acteurs économiques mais seulement aux conditions éthiques de leurs propres bailleurs: les mutuelles. Irrésistiblement, les unes après les autres, les entreprises tomberont comme des dominos et viendront grossir le patrimoine de l'économie autogérée. La société capitaliste se transformera ainsi en société démocratique, en société anarchiste.

Mais la Révolution anarchiste est perpétuelle et permanente. Même dans une société anarchiste, l'anéantissement de tous les pouvoirs ne cessera jamais. Il faudra rechercher, extirper et brûler le chiendent sans relâche car l'autorité renaît de ses propres cendres. La grandeur de l'homme est aussi de toujours combattre pour le progrès contre les forces obscures qui l'entourent pour le dominer, pour le ramener en arrière vers un passé ténébreux.

Entre-temps, à l'opposé de son mensonge officiel, l'État a parfaitement conscience du désastre de la répartition et il cherche désespérément à amortir le choc de sa déconfiture. En catimini, il favorise la constitution de fonds avec la participation des entreprises sous la forme d'assurances groupes et, comme si cette opération n'était pas suffisante, il encourage fiscalement les personnes physiques à souscrire des assurances-vie et à investir dans les fonds de pension pour compléter la réduction prévisible de la pension d'État.

Mais le ciel s'assombrit d'année en année. Aucun remède, aucun orviétan ne peut plus sauver la pension par répartition déjà grabataire.

L'État est aux abois au fond de l'impasse où il s'est enfermé.

Cependant, le spectre de l'échéance lui a inspiré un dernier expédient, un ultime artifice, peut-être la solution géniale ou finale: on va importer de la main-d'Ïuvre des pays du sud. Les jeunes immigrés travailleront pour payer la pension de nos vieux. Cette nouvelle traite des noirs sauvera-t-elle la pension par répartition? Dans la pénombre de leurs bureaux, des fonctionnaires déments préparent-ils les papiers timbrés pour l'affrètement de bateaux plombés?

On sait que le pouvoir rend fou et que nos gouvernants vivent dans un monde de chimères. Au bord du gouffre, ils continuent d'assener leur dogme: Seule la main de fer de l'État peut assurer aux vieux une pension décente par la répartition.Le bonheur est dans la cacahouète et la sécurité dans la prison.

Comme un parlementaire reste néanmoins un être humain même s'il n'en a plus que l'apparence, et que la marche inexorable du temps l'amène, lui aussi, finalement au seuil de la retraite, on pouvait s'attendre à ce qu'il aspire comme tout le monde au bonheur par la répartition. Il en a tellement répété le refrain qu'il doit bien y avoir quelque chose de vrai dans ce tombereau de littérature, de sermons du haut de la tribune, de chants louangeurs et de bourrage de crâne.

Eh bien non!

Ce qui est excellent pour les autres n'est pas bon pour lui. Il n'a visiblement pas confiance en son propre jugement. Lui et ses semblables, les parlementaires de toutes obédiences et de toutes philosophies se sont garantis une retraite heureuse et tranquille en se constituant pour eux seuls un fonds de pension capitaliste!


Charly (mai 2002)

Charly est adhérent du groupe Fratanarde Liège et du nouveau collectif qui anime le journal Alternative Libertaire (Belgique) depuis avril 2001. Ce texte est visible dans la rubrique Éditoriaux de son site web à la page http://www.dissidence.be/charly.html.

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RETRAITE, CHÔMAGE,
ASPECTS CULTURELS DU PROBLÈME
La bifurcation manquée
Mes guerriers ne travailleront jamais, le travail s'oppose au rêve. Et, la sagesse nous vient du rêve.
Grand chef Smohallah, fondateur de la religion du rêve
D'emblée, pointons un fait nouveau dans l'histoire politique et sociale récente: c'est bien le patronat (le Medef) qui a l'initiative de la refondation sociale. C'est en réaction, et par rapport à ses propositions, qui de fait sont (à dessein) provocations que le monde syndical et politique en est réduit (au mieux) à essayer de limiter les dégâts. C'est évident en matière d'allocations chômage: le Care,fut adouci en Pareaprès de subtiles reformulations et l'aménagement marginal des mesures les plus explicitement coercitives, mais la «philosophie» du projet patronal est quasi intacte. Ainsi, sur le problème des retraites et pensions, l'initiative des radicales réformes est issue des mêmes, syndicats et gouvernement en sont réduits à ne vouloir qu'éviter et réduire les mesures les plus régressives du projet. En termes généraux, le Medef veut allonger les années de cotisations de N,les contradicteurs en sont réduits à négocier NB X, mais avec un résultat probablement positif: on risque de devoir travailler plus longtemps que d'antan, avant de bénéficier d'une retraite à taux plein. Depuis les mesures Balladur (1993), c'est le cas pour le secteur privé, se souvient-on que la gauche pluriellene fit rien pour remédier à cet allongement de la vie cotisante?

C'est la ruse de la raison capitaliste contemporaine que de déterminer les termes de la négociation, et la position du problème. Ainsi, des experts (de gauche?) tiennent également un discours sur la nécessité d'une retraite à la carte.Il est bien agréable de se voir présenter une carte achalandée, pour autant que l'on ait les moyens de choisir... Et, si vraiment on veut donner la liberté de choix (de continuer ou non à travailler) encore faut-il que les bénéficiaires du choix soient assurés de revenus permettant de choisir (actuellement à 60 ans,) et avec une retraite suffisante, offrant la possibilité d'accéder, de droit, au statut d'inactif pensionné (retraité).

Or, si actuellement, le plus grand nombre des retraités bénéficie d'un revenu égal ou légèrement supérieur à celui des actifs (en moyenne, ce qui ne dit rien sur ceux qui doivent se contenter du minimum vieillesse, environ un million de personnes), les prochaines décennies seront celles de la prolifération des nouveaux vieux pauvres.En effet, pour des masses de jeunes précaires, d'étudiants tardifs, de RMIstes précoces (dès 25 ans), de récurrents chômeurs ne pouvant prétendre à l'ASS, la retraite, même modeste, à taux plein,semble un pactole dont ils ne risquent guère de bénéficier, pour motif de trimestres insuffisants. L'avenir est sombre pour nombre de futurs non-retraités...On perçoit les prémices d'une probable euthanasie économique,qui augure du pire en matière de décomposition sociale.

Contradictions économiques et culturelles

Un état de fait, qui contrarie la tendance à l'allongement de la vie productive (et explique les inquiétudes) : dès 55 ans, seul un sujet sur trois est encore en activité (salariée), à l'ANPE, les inscrits du même âge sont dispensés de recherche et bénéficient d'allocations légèrement réévaluées.

Il y a actuellement, en France, 12 millions de retraités, qui pour la plupart vivent plutôt bien, bénéficient d'un loisir mérité et solvabilisé, encoreperçu comme légitime après une vie de travail et d'efforts.

Bien que cela ne soit encore qu'à mi-voix formulé, le loisir des vieux, c'est le problème.On peut discerner dans le mode de vie des anciens, les imparfaits indices du monde qui pourrait advenir, où le travail (sous contrainte économique) serait d'une utilité marginale. Les magazines dont les retraités sont la cible se nomment : Notre temps,Le temps retrouvé,Pleine Vie,tout un programme... Celui de la bifurcation manquée? D'autant qu'avec l'allongement de l'espérance de vie, les «oisifs pensionnés», d'aujourd'hui sont les anciens actifs, qui dans les années 70/80 ont cessé de produire aux alentours de la cinquantaine, pour un nombre important d'entre eux. C'était l'époque des restructurations industrielles, du chômage à taux non dégressif, des préretraites massivement financées par l'État (financement des licenciements dont les entreprises de l'actuel Baron du Medef ont amplement bénéficié...), avec leurs 90 % du salaire, nombre de sidérurgistes ont attendu la retraite avec une relative sérénité.

On peut actuellement compter plusieurs millions «d'inactifs» encore vifs pensionnés depuis 20 ou 30 ans, et davantage, (200 centenaires en 1950, 9.000 en 2000, probablement 150.000 en 2050). À l'échelle d'une vie le temps de loisir (souvent actif, jusqu'à un âge tardif) tend à devenir égal ou supérieur au temps consacré au travail ! C'est une récente révolution de nature quasi anthropologique.

Ça ne peut plus durer ! Les piliers mêmes de la société du travail sont fragilisés. Les fissures devenaient visibles pour tout le monde (ou presque). Nous y reviendrons en approchant, plus loin, de la bifurcation manquée.

Si licenciements massifs et retraites subventionnés furent nécessaires pour le capitalisme des années 70/80, tant d'un point de vue économique (restructurations largement financées par la collectivité), que politique, le rapport de forces, la contestation des anciens bataillons de la classe ouvrière (charbonnages, sidérurgie...) avaient encore les moyens de se faire entendre.

Aujourd'hui, la donne a changé, le discours du patronat, nonobstant quelques variantes sectorielles, est en contradiction avec celui qu'il tenait hier (mais qui se souvient de ses arguments d'hier ?).

Mais, plus qu'économique, la contradiction majeure, tendanciellement explosive est culturelle, «civilisationnelle».

En d'autres termes radicalement politique,si l'on donne au mot politiqueson sens noble, fort et antique.

La cause de la pauvreté c'est... le manque d'argent

La phrase qui précède est d'une indécente évidence. Elle est pourtant due à J.-K. Galbraith économiste de forte réputation internationale, auteur notamment de L'Ère de l'opulence(1961), dont le dernier livre Des amis bien placés,est disponible aux éditions du Seuil.

C'est pour partie un récit des importantes fréquentations de l'auteur (Roosevelt, Kennedy...), mais ce qui nous intéresse ici ce sont les options économiques du texte, utiles pour étoffer le débat, tant sur le problème des retraites que sur celui du revenu à accorder aux chômeurs.

Depuis longtemps, Galbraith est partisan d'un revenu de droit, supérieur au seuil de pauvreté pour tous les citoyens des pays riches, en premier lieu. Immédiatement réactifs, les contradicteurs font valoir les abus prévisibles: les pauvres auraient les moyens de ne pas travailler?! Plus précisément, la capacité de refuser les mauvais travaux, mal payés qu'ils doivent encore aujourd'hui accepter par nécessité. Explosif. L'on comprend les inquiétudes du Medef (Denis Kessler) quant à la paresse des chômeurs par confort.

Galbraith conçoit que certains abus seront commis, que certains pauvres voudront s'offrir des loisirs Ñ les plus subtils s'essayant à pratiquer une frugalité jouissive, condition d'une authentique écologie politique... Et alors ? Les loisirs constituent une chose tolérable et souvent bénéfique pour les familles riches, et même pour les professeurs d'université. Jamais pour les pauvres; il faut les obliger à travailler. Et, ajoutons, les vieux également et le plus longtemps possible, sinon le long spectacle des anciens ouvriers, modestes employés et cadres moyens qui ne travaillent plus et depuis longtemps (20, 25, 30 ans... voire davantage), risque de faire surgir la question des raisons du travail sous égide de la raison capitaliste.

D'autant que malgré 12 millions de retraités, plus de 2 millions de chômeurs enregistrés, 300.000 dispensés de travail (à 55 ans), nombre d'occupés à des activité de camouflage et de préservation de la culture du travail... la productivité augmente constamment, la société d'abondanceque prévoyait Galbraith (et d'autres) est visiblement devenue celle de la profusion, de l'encombrement, d'un gaspillage éhonté, d'un mimétisme consumériste exacerbé.

Mais, les pauvres, eux, manquent d'argent ? Pourtant l'argent ne manque pas, c'est une donnée immédiate de l'observation. Créer le manque, absolu (misère) ou relatif (pauvreté de situation, comparative, subjective), c'est la raison et le motif de l'expansion du capitalisme.

Il fut une longue époque où seuls les riches pouvaient vivre sans travailler (ils avaient leurs manières différenciées de paraître occupés).

Or, actuellement, par millions, d'anciens ouvriers en bleus, de modestes employé(e)s de magasins, le petit peuple qui fut au service des nantis de la bourgeoisie divine se paient, hors saisons, des voyages aux Antilles, des circuits touristiques et culturels, des séjours aux Canaries.

Indicible effroi de toutes les baronnies de France et de Navarre !

Les retraités d'aujourd'hui ont travaillé hier et avant hier? Oui mais pas assez, pour avoir le droit de se vautrer, et pour des années, dans le loisir qui fut l'essentiel privilège des aristocraties financières. De plus, cet immoralisme sous cape est quelque peu contagieux. Si on avait laissé faire et toléré le montant et la durée trop généreux des allocations chômage, l'encouragement au loisir était dangereux, pire car: avec quelques mois de travail et les allocations acquises, les étudiants étaient financés par les entreprises pour faire des études de sociologie, philosophie, psychologie... alors qu'il nous faut des personnes directement opérationnellesdéclarait Denis Kessler au cours d'une entrevue (imposée) par les associations de chômeurs.

Qu'est-ce donc que ce monde où les étudiants en philosophie travaillent tard et se reposent trop tôt ?

Retraités jouisseurs, étudiants fraudeurs, chômeurs résistants... il était temps de réagir et faire en sorte que les générations suivantes voient les choses autrement.

Tant à l'échelle de la semaine, du mois, de la vie, il est important d'augmenter la durée du travail, (on choisira l'argumentation circonstanciée), sinon... où allons-nous chère baronne ?

La source du problème qui touche les demandeurs d'emploi (chômeurs) et ceux qui, de droit, sont dispensés d'emploi (retraités) est la même. En essayant d'examiner les choses sous un angle peut-être inhabituel, culturel,en négligeant volontairement les aspects immédiatement financiers (combien d'argent dans les multiples caisses), en ignorant les arcanes, complications, obscurités des circuits de financements qui dissimulent une invisible et pourtant éclatante évidence, nous essayons ci-dessous de retourner aux racines d'une économie qui n'aurait jamais dû cesser d'être politique.

Gains de productivité dans tous les secteurs

On soupçonne Galbraith d'être l'auteur d'un livre publié sous pseudonyme collectif dans les années 60, La paix indésirable(1968), sous-titré De l'utilité des guerres.Je ne sais si l'auteur est aujourd'hui «démasqué». Nonobstant, la thèse centrale, argumentée de l'ouvrage, est qu'à l'époque où perdurait l'affrontement du bloc capitaliste et du bloc «communiste», la peur de l'ennemi, les énormes dépenses d'armements, étaient tout à fait nécessaires pour justifier la réduction des budgets sociaux, pour maintenir une rareté relative des biens, et inciter à la discipline d'entreprise. Bref, pour le système, la paix était indésirable, car si les moyens de production mobilisés avaient été orientés vers les besoins civils et pacifiques... la surproduction aurait été menaçante: les manutentionnaires, et les mineurs de fond auraient pu se poser la question de savoir s'il est encore utile de se lever à quatre heures du matin,5 ou 6 fois par semaine.[Sous leur nouvelle présidence, les États-Unis vont probablement réduire les budgets sociaux et investir des milliards de dollars dans la guerre des étoiles.Nouvelle formule d'une recette ancienne... Les attentats du 11 septembre (dramatiques, inadmissibles, condamnables) étant, économiquement parlant, une formidable aubaine pour le capitalisme mondialisé et son centre de commandement nord-américain].

Tout de même, la disparition de l'ennemi principal (à l'Est en tous cas), a permis quelques déversements techniques (internet) et productifs vers la production de biens civils Ñ ce, avec un coût écologique énorme. Et, prix d'une augmentation de la sphère des besoins Ñ ne pas avoir de télévision "à coins carrés", devoir se priver de téléphone portable, ou de l'usage d'une voiture présentable, etc. peut être ressenti comme une pauvreté relative, une misère de position (Bourdieu).

Dans le fond, culturellement parlant, la paix, la prospérité partagée sont indésirables, parce qu'elles risquent de faire surgir la menace du loisir généralisé, de l'effort authentiquement partagé.

Les signes de cette émergence du loisir largement disponible (loisir actif, impliqué, citoyen, idéalement plus proche de l'otiumromain, ou de la scholègrecque, que d'un vulgaire droit à la paressede consommateurs gavés), les symptômes de la fin du travail(de ses modalités sous contrainte libérale) étaient, à la fois manifestes et mal perçus. Tant dans les comportements sociaux réellement perdurants (voir plus haut), que dans de multiples ouvrages d'économie politique, de philosophie, de dénonciations des méfaits de la globalisation, etc.

Avec des nuances d'analyses quelquefois importantes, Paul Lafargue, Émile Zola, John-Mayard Keynes, Bertrand Russel, Joffre Dumadezier, Murray Bookchin, Hannah Arendt, Raoul Vaneigem, Jean-Marie Vincent, André Gorz, Radovan Richta, Jacques Ellul, Dominique Méda, Jérémy Rifkin, Roger Sue, Xavier Pattier, Françoise Gollain, Viviane Forrester... les revues Transversales,Pour,Alternative Libertaire(Belgique, première époque)... au cinéma: La comédie du travail(prix Jean Vigo) et certains des protagonistes mis en scène par Robert Gédiguian (À l'attaque!)... ont pratiqué le démontage idéologique et culturel de la société du travail. La profusion et parfois le succès de livres, de films, ajoutés à l'influence des comportements artistes(Boltanski, Chapellio, Le nouvel esprit du capitalisme,éditions Gallimard, 1999) de refus du travail aliéné, avec en fond de décor sociétal, l'image de la douce lassitude active des anciens...le tout, en convergence, donne à entr'apercevoir, à sentir un contexte culturel, idéologique, minoritaire, mais dont la prégnance sociale, «l'exemplarité» comportementale avaient atteint un niveau d'influence difficilement supportable par le système. Le vieux monde était menacé d'écroulement sous le poids de ses propres contradictions ; d'où l'offensive actuelle du Medef et de ses alliés... dont certains sont issus du monde syndical.

Il n'y a pourtant aucune raison strictement économique pour allonger la durée des cotisations.

Même en l'état actuel des modalités de perception des cotisations patronales et salariales, il y a de l'argent dans les caisses Ñ pourtant aussi nombreuses qu'opaques. Sur les tendances raisonnablement prévisibles, nous avons : croissance de la productivité, 2 %/an, taux de croissance du Pib, également 2 %/an (comme durant la période 1980/2000), chômage (actuel) 9 %. Conséquence, le PIB va croître de 40 % en 20 ans (2000/2020). Le rapport retraités/actifs occupés va passer de 0, 48 à 0, 66, soit une croissance de 38, 5 %. Ceci pour le secteur privé, les prévisions sont un peu moins optimistes pour le régime des fonctionnaires... tout de même les tendances lourdes et réelles sont en contradiction totale avec les arguments du Medef!

La réalité dément aussi irrémédiablement les formulations du sens commun: Il faut faire travailler les jeunes pour payer nos retraites...Encore, on a pu lire sous la plume d'un économiste progressiste cette (fausse) évidence de (mauvais) bon sens: Quand il y a de moins en moins de vendangeurs, et de plus en plus de mangeurs de raisins, il faut bien...Il faut d'abord rappeler qu'un vendangeur d'aujourd'hui est bien plus productif qu'un vendangeur des années d'après guerre durant lesquelles les retraités de l'an 2001 étaient en activité (machines dans les vignobles, robotique, informatique...), gains conséquents de productivité dans tous les secteurs de production.

Pour quelles raisons les seniorsde l'an 2020 et après devraient-ils travailler jusqu'au seuil de la mort, survivre brièvement avec de maigres pensions, dans des conditions économiques et sociales inférieures à celles de leurs parents et grand-parents qui, eux, s'activèrent dans une société infiniment moins riche, moins productive? Il n'y a guère de motifs économiquespour que la richesse collectivement produite profite seulement aux seuls retraités de la capitalisation, les vieux riches qui auront accès à la coûteuse jouvence des biotechnologies. Nous sommes bien dans la situation où les Misères du présentoccultent la Richesse du possibleAndré Gorz (éditions Galilée, 1997).

Le projet du Medef est une véritable crime contre la sûreté de l'esprit!

La bifurcation manquée

Un changement radical d'itinéraire politique et social était probable, possible et désirable par beaucoup, une bifurcation productive était déjà sensible, visible presque. La civilisation est au carrefouren la formulation de Radovan Rictha (éditions Payot, 1970), au carrefour va-t-il vraiment falloir s'engager sur la bifurcation que désigne la signalisation mensongère du patronat ?

C'est la formulation même des questions, qui est problématique. Posons-les autrement, sur des niveaux supérieurs à celui de la stricte économie comptable. Nous savons déjà que nous sommes assez riches globalement,il est donc possible de vivre mieux, en travaillant moins et moins longtemps (voir les chiffres plus haut). Posons donc les questions politiques,voire philosophiques de la répartition des richesses produites. Il nous faut donc nommer les ayant-droit à un revenu. Dans une nomenclature rapide (insuffisante, et en l'état actuel du droit au revenu), nous pouvons distinguer quatre catégories: 1. les travailleurs occupés (salariés), 2. les travailleurs ayant été occupés suffisamment longtemps (retraités), 3. ceux qui ne peuvent travailler (handicapés à la Cotorep), 4. ceux qui se préparent à travailler (les étudiants, apprentis...), pouvant, sous certaines conditions, bénéficier de bourses, d'aides diverses et faibles, de fractions de salaires pour les apprentis. Dans cette catégorie étudiants, au sens large, on peut mettre ceux qui se préparent à un nouveau métier: les bénéficiaires de l'AFR (supprimée dans le Pare).

Les offreurs de travail (chômeurs) sont 42 % seulement à avoir droit à un revenu de remplacement sous contrôle et, pour une durée restreinte parce que l'on craint qu'ils s'installent dans le chômage de confort, l'assistance,voire la résistance aux mauvais travaux (voir plus haut).

En somme, il n'y a pas de fatalité économique, la décision de l'octroi ou non d'un revenu est, en son essence, une question politique, de philosophie politique, avec en son insécable envers, la prescription du devoir de production. On ne peut revendiquer l'usage d'une partie de la richesse socialement produite sans d'une façon ou d'une autrecontribuer à la production (l'examen de bonnes et moins bonnes façons, des producteurs utiles ou nuisibles, nous entraînerait trop loin, nous nous contenterons ici de cette indétermination). Les retraités ayant travaillé ont droit à un revenu, les handicapés ne pouvant travailler sont sujets de la solidarité sociale des sociétés humanisées, les étudiants sont de futurs travailleurs, on leur donne parfois une sorte d'avance sur les fruits de leur production future. Les chômeurs sont en majorité demandeurs d'emploi, pourtant objets d'un soupçon récurrent, d'où l'ambivalence de leur statut, la précarité de leur revenu.

En substance, la question est celle du nombre des ayant-droit et de la répartition sociale de l'effort de production. C'est une question de civilisation. Or, les gains séculaires de productivité, l'allongement de la durée de vie, les perspectives qui, potentiellement, raisonnablement, vont dans le sens de la réduction de la durée hebdomadaire du travail, du nombre des années consacrées à la production économique dessinent un avenir possible, en contradiction radicale avec celui que veut nous imposer le Medef !

Pourquoi ne pas reprendre l'initiative des propositions réellement innovantes, plutôt que de subir une discussion dont les termes et les enjeux nous sont imposés? La brutalité économique, la violence sociale sont les issues de la bifurcation capitaliste.

Doit-on se résigner à ce que l'imagination soit aussi, en plus, le monopole des possesseurs du pouvoir économique et politique? Sommes-nous condamnés à la paix indésirable,donc à la guerre sociale? Par qui ? Pourquoi?

Les derniers mots à un poète.

Le loisir, le repos, la paix du séjour, l'aménité des cités, la sérénité des cieux, le murmure des fontaines, le calme de l'esprit, toutes choses qui concourent à ce que les muses les plus stériles se montrent fécondes, et montrent au monde ravi des fruits merveilleux qui le comble de satisfaction.
Cervantès, Don Quichotte de la Manche.


Alain Véronèse (avril 2001)
Alain Véronèsenous a fait parvenir directement son texte à l'annonce de la publication d'une brochure de débats sur les retraites.

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RÉPONSES ANARCHO-SYNDICALISTES
Les enjeux de la réforme des retraites
La réforme des retraites annoncée comme prioritaire depuis l'élection présidentielle pourrait bien se transformer en lutte sociale et se terminer sur le pavé.

En 1995, Juppé qui avait voulu s'attaquer aux régimes spéciaux du secteur public, après les luttes de novembre-décembre, a fini sur le carreau. En janvier 2001, 300.000 personnes dans la rue faisaient reculer le Medef, qui souhaitait reporter l'âge de la retraite à 65 ans dans le régime complémentaire.

Comme nous le martèlent les médias, la réforme est inéluctable. Le président Chirac l'a promis : ce sera l'une des priorités du gouvernement Raffarin au début de 2003. Mais quel sont les enjeux de cette soi-disant réforme qui a pour finalité d'introduire les fonds de pension en France? Quelles retraites devront-nous défendre et pourquoi?

Une vaste offensive mondiale

Les fonds de pension font partie d'une vaste offensive mondiale ultra-libérale que J. Nikonoff, ancien représentant de la caisse des dépôts aux États-Unis, a baptisé, dans son ouvrage La comédie des fonds de pensionaux éditions Arléa, de révolution blanchemenée depuis 1994 par la Banque Mondiale, le FMI et L'OCDE.

Ces instances financières, sous le contrôle du patronat international et avec la complicité des États et des parlements démocratiques, veulent transférer l'argent des retraites vers des circuits financiers et la Bourse. Elles utilisent comme argument l'augmentation démographique des individus de plus de 60 ans, afin d'affoler les populations. Dans ce but financier, le vieillissement et ses conséquences sont présentés négativement.

Paradoxalement, les ultra-libéraux réussissent à transformer la joie et le formidable espoir de vivre, dans notre civilisation, plus longtemps et en bonne santé en une malédiction et une menace. Pourtant, il est faux de prétendre que la société française n'a plus, dès aujourd'hui, les moyens de financer l'actuel système de retraite par répartition.

Nous vivons, en effet, dans une société de plus en plus riche qui d'année en année, accumule les moyens de produire de plus en plus. Actuellement la France produit deux fois plus de richesse qu'il y a trente ans. Ce qui est en cause, ce n'est pas la capacité de produire de la richesse, mais sa répartition qui est de plus en plus inégale. Si les recettes des différentes caisses de retraite font aujourd'hui défaut, c'est aussi à cause du chômage et de la précarité. Mais au nom de la compétition mondiale, les ultra-libéraux veulent revenir sur les acquis sociaux des travailleurs des pays les plus avancés, car ils les pénalisent commercialement face aux pays pauvres. Il en résulte la réduction des dépenses publiques, la baisse des prélèvements obligatoires, des charges patronales, des retraites dont le coût est insoutenable.

Le travail inessentiel

Dans ce contexte, nous avons été interloqués par les positions de camarades qui, à l'instar du Groupe Bakouninedans son texte Partageons les richesses, pas la misère! reprenaient à leur compte les arguments avancées par les économistes à la solde du capital.

Nous leur rappelons que l'économie est une science foncièrement inexacte car elle est liée à l'idéologie capitaliste et libérale, à la loi du marché (loi particulièrement imprévisible) et à la plus-value, basé à présent sur le profit immédiat des actionnaires. Une preuve ! Depuis sa création aucune prévision du FMI n'a été exacte.

Les retraites sont un enjeu de société essentiel, une question politique et sociale et absolument pas une question économique, aussi les experts ne devraient intervenir qu'a la marge. Ainsi le PIB français va doubler d'ici 2040. Il est donc parfaitement possible, dans le cadre de notre société, d'assurer, sans aucun recul social, le financement des retraites. Comme le démontrent plusieurs études SUD, LCR, les Verts, il n'y a pas de problème pour financer les retraites par répartition. Seule la SNCF avec un taux réel de cotisations, salariales et patronales, de 36 % a un effort contributif plus important à fournir. Donc affirmer que le financement des retraites, sous sa forme actuelle, sera mathématiquement impossible à moyen terme, n'est pas tout à fait vrai.

De plus, nos camarades avancent que les retraites sont financées par les richesses créées par le travail (cotisations des salariés et des employeurs), ce qui n'est plus le cas pour d'autres. En effet, ce n'est plus le seul travail qui crée les richesses mais, surtout, les propriétaires du capital qui spéculent en bourse. Cependant, le produit de ces bulles spéculatives provient bien, à l'origine, du travail!

Ensuite, ils expliquent et persistent à dire que l'évolution technologique (automatisme, robotique, informatique, téléphonie) aboutirait à ce que le travail humain devienne un élément inessentiel à la reproduction du capitalreprenant ainsi un des thèmes de la fin du travail, élucubration que l'on retrouve chez les post-situationnistes Bob Black, Raoul Vaneigem, le groupe Krisis [1], ou dans le cadre de l'écologie sociale, entre autres chez Jeremy Rifkin.

Dès le départ, le débat sur la centralité du travailcomme valeur sociale est miné par son assimilation naïve à la contrainte. On l'accable de l'étymologie latine de tripaliare,torturer avec un tripalium,alors que ce n'est qu'à la fin du XIXe siècle que s'installe, avec le capitalisme et le salariat, l'emploi du terme travailpour désigner toute espèce d'activité professionnelle vendue ou louée à un employeur. Au XXe siècle, le travail salarié, n'est pas une malédiction ancestrale qui clouerait l'homme au tripalium,mais une création récente de la bourgeoisie industrielle qui a relégué le labeur, l'ouvrage, la tâche ou la besogne comme vocables désuets.

Chez les post-situationnistes l'abolition du travailn'est en fait qu'un problème de sémantique c'est l'abolition du travail salarié,de son asservissement par la classe dominante à sa propre visée, la consommation, le profit, le prestige, le privilège, le pouvoir. C'est la fin du travail comme contrainte. Mais cependant, pour faire fonctionner une société, même après l'abolition du salariat, il sera nécessaire d'effectuer des activités humaines, de production, de gestion, de services, de culture, de loisirs et de recherches scientifiques.

Actuellement, l'accroissement du travail renvoie à ce qu'en fait le capitalisme: la création d'emplois sous-payés, le temps partiel obligé, la multiplication des petits boulots, la flexibilité, l'alternative entre le chômage européen, les working poorsanglo-saxons, le prolétariat des pays émergeants, du sud-est asiatique, la famine en Afrique.

Contrairement à ce qu'affirment nos camarades, actuellement les nouvelles technologies dépendent et créent du travail humain. Elles sont à l'origine d'une nouvelle classe technicienneau service du capital composé d'ouvriers spécialisés, de techniciens, de techniciens supérieurs, de salariés qui font partie de la masse salariale des actifs. Comme l'écrit Antonio Martin Bellido dans son article Syndicalisme, nouvelle économie et travail: Globalement, le nombre d'ouvriers ne diminue pas, il est même en augmentation au niveau de la planète.Le travail n'est pas une quantité qui augmente ou diminue suivant les progrès de paramètres techniques. Il est en relation intime avec la politique.

Pour les anarcho-syndicalistes et le courant socialiste, le niveau propre au politique est la régulation et le contrôle de l'action collective. Or, l'action collective déterminante chez Proudhon et Bakounine comme chez Marx, c'est le travail. Car, c'est la seule action collective qui exige régulation et contrôle, autrement dit, qui nécessite le niveau propre au politique. Le travail est ici l'action collective déterminante au niveau propre du politique. Il n'a rien à voir avec le travail, labeur comme dernier rempart contre la désocialisation. Cette notion qui ne nous apporte que la puanteur idéologique du triptyque: Travail, Famille, Patrie.

Ce débat reste pervers, car, derrière la fin annoncée du travail et la thèse du travail devenu inessentielse cache la volonté d'en finir avec la classe ouvrière et la lutte des classes. Le prolétariat devient un gros mot ! En fait, le travail salarié n'est pas en voie de disparition, il se délocalise vers les pays émergeants où la main-d'Ïuvre est moins chère, en créant un véritable prolétariat digne de l'Angleterre du XIXe siècle et, en provoquant chez nous, des licenciements à la suite de dépôts de bilan fictifs. En fait, l'émancipation du travail doit être l'Ïuvre des travailleurs eux-mêmes.

Le prétexte démographique

Il est faux de prétendre que l'actuel système de répartition est menacé par le soi-disant choc démographique constitué par le vieillissement de la population.

L'argument démographique est un prétexte pour imposer les fonds de pension et le raisonnement de nos camarades reprend celui du Conseil d'Orientation des retraitesqui établissait dans son troisième rapport que nos retraites seraient menacées par un double phénomène démographique: l'allongement de la durée de la vie et l'arrivée à la retraite des enfants du baby-boom. En 2040, il y aurait donc moins d'actifs et plus de retraités. Selon eux, si rien n'est fait d'ici là, le niveau des retraites va sensiblement baisser et le pays qui y consacre déjà 12 % du PIB, devra y ajouter 4 % à 6,5 % en plus. En effet, dans ce raisonnement est omis le fait que la courbe démographique relative aux jeunes générations va baisser et par là-même compenser l'augmentation des retraites.

Ce qui importe pour le financement de la solidarité (retraites, assurances chômage, santé..) c'est le rapport entre le nombre de personnes en âge de travailler (les cotisants) et le nombre de ceux qui sont trop âgées ou trop jeunes pour travailler (les bénéficiaires), auxquelles nous pouvons ajouter les personnes qui n'occupent pas un emploi en entreprise comme les jeunes en attente d'un premier emploi, les chômeurs, les femmes au foyer... Au lieu de doubler entre 1995 et 2040, le ratio n'augmentera que de 25 %, quatre fois moins en 45 ans.

Le retour au plein emploi, nous ramènerait à un ratio actif sur inactifde 1,59 comparable à celui de 1993. Ainsi en 1995, on comptait 1,23 inactif pour 1 actif. En 2040, le nombre d'inactifs passera à 1,54. Nous sommes loin d'une catastrophe démographique et cette faible proportion des inactifs est franchement ridicule au regard des dépenses pour les retraites qui ont été multipliées par 10 depuis 1960. Il ne faut pas oublier que les jeunes comme les vieux sont à la charge des actifs. Or, si les démographes prévoient l'augmentation des seconds. Ils prévoient aussi la diminution des premiers.

De plus, la productivité du travail ne cesse de s'accroître. Si sa croissance se poursuit au rythme moyen du siècle écoulé (2 % par an), dans une quarantaine d'années, un actif employé produira, à durée de travail égale, 2,2 fois plus qu'actuellement, largement de quoi compenser, à taux de cotisation inchangés, les pensions de retraite.

Le financement par les fonds de pensions n'est donc pas lié à un problème structurel, mais à un problème politique. Si, en France, les gouvernements de droite comme de gauche s'intéressent aux fonds de pension, c'est pour répondre aux critères financiers de l'Europe. Ils veulent transformer les prélèvements obligatoires en cotisations librement consentiesdont l'avantage est de ne pas figurer sur le compte de l'État, mais que le salarié devra payer s'il veut une retraite.

Des oisifs pensionnés !

Si nous sommes relativement d'accord avec le fond du texte d'Alain Véronèse, Retraite, chômage, aspects culturels du problèmeet sa conclusion optimiste que nous résumerons par l'augmentation des non-actifs ayant droit à un revenu rend possible la réduction du temps de travail hebdomadaire et des années consacrées à la production économique,nous le sommes moins sur la forme. Son ton provocateur, acerbe est-il celui des patrons du Medef ou sa propre vision. Son style post-situationniste provoque quelques doutes. Des affirmations comme 12 millions de retraités [...] vivent plutôt bienn'est pas réaliste quand on connaît le résultat de la baisse sans fin du pouvoir d'achat de ceux ci.

Depuis une vingtaine d'années, le montant des retraites subit un feu roulant d'attaques de différentes natures. C'est l'instauration des cotisations sociales (maladies, CSG, CRDS), la fiscalité plus pesante avec le plafond des 10 % qui baisse, les conséquences de la loi Veil et Balladur de 1993, les accords ARCCO-AGRIC... Si les mécanismes sont différents, les régimes spéciaux et particuliers n'échappent pas à ce laminage des retraites. Signe de cette détérioration, l'évolution du minimum contributif du régime général mis en place en 1983. Au 1er juillet 1983, le minimum contributif brut représentait 59,5 % du smic brut et 68,7 % du salaire minimum net. Dix-huit ans plus tard, il ne représente plus que 45,6 % du Smic brut (-13,9 points) et 53,5 % du smic net (615,2 points). Par rapport au minimum social (Allocation aux vieux travailleurs+ allocation supplémentaire) la chute est identique. Alors qu'il représentait 95,8 % du minimum social en 1983, il n'est plus aujourd'hui que de 92,3 %.

Enfin, dernier élément de cette dégradation, le nombre de personnes concernées. Ainsi, les attributions de droits propres portées au minimum contributif représentait, en 2000, 40,4 % des attributions totales contre 32,8 % dix ans plus tôt. Le nombre de faibles pensions, c'est-à-dire celles dont le montant, en 1997, étaient inférieures à 519 euros (3.400 francs) par mois ne cesse de croître. Près de quatre retraités sur dix sont dans ce cas, contre deux sur dix en 1993.

Face à cette situation certains syndicats revendiquent un minimum vitalqui soit au moins égal au smic.

C'est pour cela que des images d'Épinal comme celles de millions d'anciens ouvriers en bleus, de modestes employé(e)s de magasins (le petit peuple qui fut au service de la bourgeoisie divine) se payant aujourd'hui, hors saisons, des voyages aux Antilles, des circuits touristiques et culturels, des séjours aux Canaries...sont très caricaturales : ce sont plus souvent des circuits en cars dans le cadre de club du troisième âge, parfois aux prix de lourds sacrifices. Après tout, ne sommes-nous pas contre l'élitisme et pour la libre circulation, les vieux ont bien droit aux voyages...

De plus sa vision de petit intellectuel, qui ne raisonne que dans son pré carré, est très occidentale. Faut-il que seuls, les pays développés de la triade États-unis, Europe, Japonaient le droit à moins de travail alors que les pays pauvres continueront à produire les articles à faible valeur ajoutée et accompliront les travaux industriels sales et mal payés. Peut-on parler d'une fin du travail alors que le nombre d'ouvriers est en augmentation au niveau de la planète,que près des trois quarts de l'humanité sont insolvables et vivent en dessous du seuil de pauvreté, que l'Afrique connaît d'épouvantables famines d'origine politique et que les travailleurs précaires de nos pays riches (plus de 15 % de la population) ont toutes sortes de difficultés pour se nourrir, se loger et se soigner ?

Ces histoires d'oisifs pensionnés,de chômeurs de confortsont de la bonne propagande capitaliste occidentale. Quant à notre réalité bien française, lire La misère du mondede Bourdieu.

Historique et problèmes des retraites par répartition

Le texte de Charly (Alternative Libertairebelge) est lui, consternant. Faire l'apologie des fonds de pension et de la capitalisation est de la folie. C'est dans le contexte social actuel faire le jeu du Medef !

Nous tenons tout d'abord à préciser que nous ne nous faisons pas d'illusion sur le système des retraites par répartition, car nous connaissons ses origines et mesurons ses limites.

Jusqu'en 1914, les syndicats ouvriers ont manifesté peu d'intérêt pour la question des retraites et la CGT s'est violemment opposée à la loi sur les retraites ouvrières et paysannesde 1910.

À partir de cette date, la stratégie syndicaliste-révolutionnaire de destruction de l'État laissant la place à une politique de présence auprès de ce dernier ainsi que du patronat, le dossier des Assurances socialesprit une autre mesure. La CGT confédérée se prononce, dès 1918, en faveur des Assurances socialeset soutient ce projet sans relâche jusqu'en 1930.

Les retraites par répartition sont une création, en 1928, du Fonds spécial des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'État(FSPOEIE). La loi du 21 mars 1928, puis les décrets du 24 septembre 1965 et du 18 août 1967, ont institué un statut commun à l'ensemble des ouvriers de l'État et doté ceux-ci d'un régime spécifique de retraite (FSPOEIE) dont la gestion a été confiée à la Caisse des dépôts.Cette gestion est assurée par l'établissement de Bordeaux de la Caisse des dépôts.

La particularité de ce régime par répartition porte à la fois sur la nature même des établissements industriels de l'État employeurs et sur les modes de rémunérations. Ces rémunérations sont basées sur les salaires horaires pratiqués dans l'industrie métallurgique privée et nationalisée de la région parisienne, pour la majorité des ouvriers (environ 98 %).

Le FSPOEIE est placé sous la tutelle ministérielle conjointe de la Direction du Budgetet de la Direction de la Sécurité Sociale.Comme les autres fonds de retraites, il sert un complément de pension et verse l'allocation supplémentaire du Fonds national de solidarité.Le Fonds est financé par des cotisations ouvrières et patronales et par une subvention d'équilibre inscrite au budget général par la Direction du Budget.

En 1930, création des assurances sociales. Obligatoires pour les salariés du privé, mais en-deça d'un certain montant de salaire: apparition de la notion de plafond.

En 1941, le gouvernement de Vichy a accéléré le mouvement en créant la retraite des vieux travailleurs salariés,en recourant à la répartition,ce qui permettait de s'affranchir des délais propres à la capitalisation. Le 15 mars 1941, le maréchal Pétain décide la mise en place d'une nouvelle retraite dite par répartition.Dans son édition du 16 mars 1941, Le Temps explique ainsi le changement: Les sommes qu'exigeront la mise en marche et le fonctionnement régulier du nouveau régime seront libérées par la substitution du système de la répartition au système de la capitalisation actuellement en vigueur pour les assurances sociales, régime qui aurait exigé encore 20 ans pour avoir son plein effet.Et le ministre du travail, René Belin (ancien dirigeant de la CGT) de préciser : Les cotisations destinées à la couverture du risque vieillesse ne donneront plus lieu à un placement, mais seront utilisées au fur et à mesure de leurs rentrées dans les caisses pour le service des pensions. Les assurés sociaux ne seront pas frustrés pour autant. Le taux de pension vieillesse fixé par la législation antérieure sur les assurances sociales reste garanti.

Dans la Résistance, c'est dans la Zone Sud que les MUR, inspirés par les idées de William Henry Beveridge, élaborèrent eux aussi un système de retraites par répartition dans le cadre d'une régime général de sécurité sociale, dont l'objectif était de couvrir toute la population active.

Dans son Programme d'actions de la Résistance,adopté à l'unanimité, le 15 mars 1944, le Conseil National de la Résistancedéfinit les conditions d'une véritable libération nationale. Les mesures à appliquer pour la libération du territoire dessinent, dans les domaines politiques, sociaux, économiques, les traits d'une République nouvelle, profondément étatique.

En 1944, les caisses étaient vides, mais le nouveau gouvernement ne revient pas au système d'avant-guerre. Il décide que les cotisations ouvrent des droits à la retraite comme dans l'ancien système par capitalisation. Bref, l'État utilise le vocabulaire de la capitalisation pour créer un système par répartition. En 1945, les syndicats soutiennent l'institution du régime général de la sécurité sociale.

En matière de retraite (comme pour la maladie, et la famille), la sécurité sociale est fondée sur le principe de la répartition : l'ensemble des travailleurs actifs d'aujourd'hui cotise pour les retraités d'aujourd'hui, tout en se créant des droits pour une future retraite, ce qui correspond à la philosophie de la prise au tas.

Créée par l'ordonnance n° 45-993 du 17 mai 1945, la Caisse Nationale de retraites des agents des collectivités localescouvre les risques vieillesse et invalidité des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers. Le régime général, qui s'inscrivait dans la continuité des assurances sociales en matière de droit à pension, s'est heurté à la résistance générale de tous ceux qui n'adhéraient pas à ces régimes d'assurances sociales, c'est-à-dire aux bénéficiaires de régimes spéciaux plus avantageux (qui ont obtenu à titre provisoire puis définitif le maintien de ces régimes) ainsi qu'au monde agricole dont le régime géré par la Mutualité sociale agricolea été maintenu.

Les indépendants ou non-non,non salariés non agricoles, qui dès 1948, ont créé leurs propres régimes de retraite: la CANCAVA pour les artisans, l'ORGANIC pour les commerçants et industriels, la CNAVPL pour les professions libérales, elle-même fédération de 13 sections professionnelles.

Enfin, les cadres, qui n'échappent pas au régime général, ont eu la possibilité de créer au-dessus du plafond de cotisation (et non plus d'exclusion) leur propre régime dit complémentaire, l'AGIRC, qui va servir de modèle aux grands régimes complémentaires créés ultérieurement, l'ARRCO pour les salariés du privé et l'IRCANTEC pour les agents non titulaires du public.

Cette construction à base professionnelle, sur le modèle allemand, a finalement été complétée par l'instauration du minimum vieillesseen 1956, censé être financé par la vignette automobile créée pour la circonstance. C'est un régime spécial de retraite, distinct du régime général de la sécurité sociale et du régime des fonctionnaires de l'État, auquel toutefois s'apparente étroitement sa réglementation. Sa gestion est assurée par l'établissement de Bordeaux de la Caisse des dépôts.

Ce n'est pas le système par la répartition qui a de nombreux défauts mais son utilisation par l'État. L'argumentation du texte de Charly (Alternative Libertairebelge) reprend celle qui est faite, en France, par les libéraux de la Maison des Libertés.

Par exemple, dans ce système, il n'y a pas d'épargne. Même en mourant le premier jour de votre retraite il n'y aura pas de capital transmis à qui que ce soit, et cela malgré une vie de cotisation. En réalité, ces cotisations ne vous donnent aucun droit concret.

On peut aussi relever que les cadres supérieurs vivent en moyenne bien plus vieux que les ouvriers. Ces derniers toucheront, proportionnellement, beaucoup moins que les premiers. Par exemple, un ouvrier à la retraite à 65 ans, vivant jusqu'à 70 ans, touchera 5 ans de retraite pour 40 ans de cotisations alors qu'un cadre supérieur, vivant jusqu'à 90 ans, touchera lui, 25 ans de retraite.

Mais de façon plus tangible et immédiate, le système des retraites en France, nous montre une répartition avantageant nettement certains groupes. Fort logiquement, un régime public, va avantager... les agents publics et les fonctionnaires. Il y a donc des injustices. C'est pour cela que nous avons pour objectif d'assurer l'égalité entre les régimes spéciaux du service public avec ceux du privé, qui sont bien moins avantageux depuis la réforme Balladur.

La critique du poids de l'État est exacte et a toujours été faite par les anarcho-syndicalistes et les syndicalistes révolutionnaires. Ce système reste un monopole de l'État, qui ne survit que par la participation obligatoire de tous, et aussitôt perçues, les cotisations sont déjà dépensées au moment même où elles sont à nouveau collectées. Grâce à ce cercle vicieux, l'État a multiplié les promesses et accumulé les régimes. Dans le contexte actuel, la contrainte des retraites par répartition est palliée par l'assurance de toucher une pension à l'arrêt de son activité salariale.

Mérite et erreurs du rapport Charpin

Le rapport Charpin a un premier grand mérite : il écarte le spectre des fonds de pension, cette forme de retraite où chacun croit cotiser pour soi,et en fait prête son épargne à des spécialistes de la spéculation pour faire fructifier son magot.Or, cette technique est dangereuse. Dangereuse pour l'économie: elle place les entreprises à la botte des spéculateurs. Dangereuse pour les retraités: que survienne un krach, et ils sont ruinés ! Dangereuse pour les salariés: ils sont condamnés à se serrer la ceinture pour payer les retraites de leurs parents, en espérant demain pouvoir exploiter leurs propres enfants!  Car, de toute façon, les retraites sont prélevées sur le produit national de la même année.

La retraite par capitalisation organise ce prélèvement comme un conflit entre les jeunes et les vieux, orchestré par les spéculateurs. Mais attention : la France est déjà, de fait, le deuxième pays au monde (après les États-Unis, mais avant la Grande Bretagne) pour la capitalisation. En France, cela s'appelle l'Assurance-Vieou Préfon,à qui l'on a attribué d'énormes avantages fiscaux. Sagement, la gauche avait commencé à rogner ces avantages en faisant cotiser les contrats d'Assurance-Vieà la sécurité sociale, sauf dans le cas où ils seraient investis dans les entreprises françaises (contrats DSK). C'est astucieux, mais on peut faire mieux : il faut organiser de vrais fonds d'épargne salariée, cogérés par les syndicats, car il est légitime que les salariés les plus préoccupés se constituent une épargne en sus de leur retraite.

Le système de retraites par répartition fait l'objet en France d'une nouvelle offensive qui s'inscrit dans un projet global codifié avec précision dans un rapport de la Banque mondiale (Averting the Old Age: Policies to Protect the Old and Promote Growth,1994). Elle y recommande l'institution d'un système à trois piliers.

L'idéal, d'après ce rapport de la Banque mondiale, serait donc d'ouvrir la voie au rôle dominant de la finance dans les régimes de retraites. Même si le système français demeure éloigné d'un tel «idéal», la politique actuelle vise à l'en rapprocher. Elle repose sur trois éléments.
  Ce projet d'ensemble articule de manière assez cohérente des intérêts divers. Les sociétés d'assurance sont évidemment intéressées par l'ouverture d'un nouveau marché. Le patronat cherche de manière systématique à réduire le coût salarial à travers le blocage des cotisations; il a également intérêt à développer une forme nouvelle d'association capital-travail qui fournirait, de surcroît, une source de financement captif. Quant au gouvernement, il reprend à son compte l'objectif d'un blocage, voire d'un recul des prélèvements obligatoires, qui s'inscrit clairement dans la logique d'austérité du pacte de stabilité budgétaire signé à Amsterdam en juin 1997. La «réforme» des retraites est, pour l'essentiel, un alignement sur les exigences de la finance.

De plus, les projections du Plan font apparaître une progression du nombre de retraités plus rapide que celui des actifs. Elles oublient, pour commencer, que s'il y a plus de personnes âgées, il y a moins de jeunes : la part des actifs dans la population totale baisse donc beaucoup moins vite, et la charge globale des inactifs ne s'accroît pas autant que le suggère la présentation unilatérale du Plan.

Mais l'erreur principale de la commission Charpin n'est pas de l'ordre du calcul. Elle découle d'une vision technocratique et sans imagination, où l'avenir est le simple décalque de la réalité actuelle. C'est ce qui permet de comprendre la bourde du taux de chômage dit d'équilibrede 9 %, censé prévaloir pour les 40 prochaines années. En projetant comme une évidence la situation actuelle, en renonçant par avance à un retour au plein emploi, les «experts» ont révélé le souhait inconscient d'un maintien du taux de chômage à son niveau actuel. S'il baissait trop, l'inflation ne pourrait à leurs yeux être contenue, et menacerait alors les rendements financiers réels.

Pour faire de la prospective, il aurait fallu une autre ampleur de vue, que l'on était pourtant en droit d'attendre du Plan.

Il aurait fallu, en premier lieu, récuser l'idée d'un vieillissement de la population,qui suggère un recul de la natalité. Or, l'augmentation prévisible de la proportion de personnes âgées découle principalement d'un allongement de la durée de vie, qui devrait plutôt être une bonne nouvelle. Cette mutation importante va forcément déclencher des processus d'adaptation qu'il est difficile d'anticiper complètement, alors que la plasticité sociale est totalement sous-estimée par le rapport Charpin, et ce sous plusieurs aspects.

Ainsi, la réduction du temps de travail peut contribuer à la résorption du taux de chômage et à la mise en place d'une nouvelle forme de plein-emploi. Les femmes ne sont pas condamnées au temps partiel. Dans une société passant peu à peu aux 30 heures, la transformation du temps partiel en temps plein (sauf quand il est effectivement choisi), ou encore l'arrivée sur le marché du travail des 60 % de femmes au foyer qui se disent prêtes à occuper un emploi, pourraient conduire à un surcroît d'activité de 20 % par rapport aux projections du Plan. Mais il faudrait rompre dès aujourd'hui avec les exonérations de charges attachées aux emplois à temps partiel.

Enfin, le recours à l'immigration pourrait directement infléchir la proportion de jeunes actifs, au lieu d'utiliser les fonds de pension pour aller exploiter les pays émergents.

Les objections éventuelles à ces propositions reposent sur l'idée d'employabilité.Il ne serait pas possible de mettre au travail davantage de gens, de femmes ou d'immigrés, parce qu'ils n'auraient pas le profil requis. C'est une chose de rappeler que les ajustements évoqués ne sont pas immédiats, c'en est une autre de postuler que cette inemployabilitéva durer un demi-siècle. Il s'agit là d'une vision conservatrice et exagérément pessimiste, d'autant plus que, dans la consommation induite par les dépenses des retraités, la part de services de proximité est importante.

Tout repose, en fin de compte, sur une pétition de principe, selon laquelle les actifs feraient un jour ou l'autre la grève de la cotisation. Certes, les experts de la commission Charpin s'emploient à susciter une telle révolte en dramatisant à l'excès la situation. Leurs propres chiffres montrent qu'avec 2 % de croissance, il est possible d'assurer à tous les salariés et à tous les retraités, une progression de 1,5 % de croissance. Peut-on vraiment parler de situation catastrophique pour une société dont l'âge moyen est effectivement appelé à augmenter? Faut-il alors allonger la durée de la vie active ou bien la réduire? Si les réponses à cette question sont aussi contradictoires, c'est parce que l'âge de la retraite est censé servir à des objectifs différents et en partie opposés.

Sur le marché du travail, les départs anticipés réduisent la population active et représentent donc un outil de la politique de l'emploi, illustré par exemple par un dispositif comme l'ARPE. Du point de vue des retraites, un recul de l'âge de départ permet, sur le papier, de prolonger la période d'activité et de raccourcir la période de retraite. Mais vouloir reculer l'âge de départ à la retraite dans le contexte actuel est une impasse. Aujourd'hui, un tiers seulement des personnes qui font valoir leurs droits à la retraite sont encore en emploi. Dans ces conditions, le recul de l'âge de la retraite développerait la précarité ou pèserait sur l'emploi des jeunes. C'est pourquoi nous faisons nôtre le principe énoncé par l'Office français des conjonctures économiques: tant que perdure le chômage de masse, il ne peut être question de reculer l'âge de la retraite

Les raisons de refuser la capitalisation

Le discours officiel fonctionne à la manière d'une fable de La Fontaine qui opposerait la cigale dépensière de la répartition à l'épargne prudente de la fourmi. Comme si, le fait d'acheter des titres financiers revenait à mettre de côté aujourd'hui,les biens et les services que les retraités consommeront demain. Or, cela ne fonctionne pas ainsi : il faudra de toute façon produire en 2040 ce que les retraités consommeront en 2040, quelle que soit la manière dont seront alors financées leurs retraites.

Les avocats de la capitalisation font valoir que celle-ci permet de bénéficier des meilleurs rendements financiers (mettons 5 %), tandis que la répartition s'alignerait sur la croissance du PIB (2 %). Ce raisonnement ne peut être généralisé: si certains revenus augmentent plus vite que le PIB, il faut bien que d'autres croissent moins vite. Toute progression du nombre de rentiers ne peut se solder que par une baisse du rendement ou par une austérité croissante pour les salaires, ce qui rend difficile de parler de solidarité inter-générationnelle. Pour leurs partisans, le recours aux fonds de pension permettrait d'accroître l'épargne, donc l'investissement, donc la croissance. Il y a là une véritable obsession de l'épargne qui ne correspond en aucune manière à l'expérience de la dernière décennie et à une préoccupation d'anarchiste, favorable à l'abolition du salariat et du capitalisme. Chaque fois que le taux d'épargne a augmenté, la croissance a ralenti. De manière générale, ce qui est bon pour la rente (et notamment des rendements financiers élevés) ne l'est ni pour la croissance, ni pour l'emploi, ni même pour le budget alourdi par la croissance de la dette publique. Quant à l'investissement des entreprises, il n'est pas limité par un défaut d'épargne, puisque l'autofinancement avoisine les 120 %, ce qui veut dire que les entreprises pourraient augmenter de 20 % leur investissement sur leurs ressources internes. Contrairement à ce qui est dit, l'économie française dispose d'une véritable industrie des fonds de placement,et les grandes manÏuvres récentes, par exemple le rachat de Nissan par Renault, devraient suffire à dissiper le mythe d'un capitalisme sans capitaux.Enfin, l'économie française (ou européenne) dégage un considérable excédent commercial, ce qui équivaut à une sortie d'épargne qui va notamment financer le déficit commercial américain. Aller plus loin sur cette voie (si tant est que les fonds de pension accroissent l'épargne nette) n'est donc pas une bonne idée économique.

Un autre argument souvent avancé est que les fonds de pension permettraient de consolider la capitalisation des entreprises françaises, trop dépendantes des fonds de placement et des fonds de pension étrangers. Si tel est le cas, il ne fallait pas privatiser, ni déréglementer les mouvements de capitaux. Il y a là un bel aveu d'incohérence, et un symbole de la difficulté à mettre en place une politique industrielle franco-européenne. Mais l'instauration de fonds de pension ne changerait rien à cette situation, dans la mesure où ils n'auraient aucune logique ni obligation à se placer français.C'est d'autant plus vrai que d'autres partisans des fonds de pension font valoir qu'ils permettraient d'aller chercher de fortes rentabilités sur les marchés émergents. Encore une fois, les excellents résultats des grands groupes industriels et bancaires, ainsi que les grandes manÏuvres de fusion dans lesquelles ils sont engagés, montrent qu'ils ne sont pas limités par leur disponibilité en capitaux.

Entre répartitionet capitalisation,d'aucuns proposent des solutions intermédiaires, comme la répartition provisionnée.C'est de la capitalisation qui ne dit pas son nom, mais qui a le mérite de montrer l'absurdité d'une formule consistant à augmenter aujourd'hui les cotisations sous prétexte qu'on aura à moins le faire dans 20 ans. Ce faisant, on bride la consommation d'aujourd'hui et on contribue à une récession dont ne sortira évidemment aucune garantie de ressources pour les retraités de la prochaine génération. La proposition consistant à alimenter ces fonds à partir des privatisations est une piètre justification pour ces dernières. Ces fonds devraient alors être placés, et pourquoi pas dans les actions des entreprises privatisées ? Il s'agirait alors d'une épargne forcée qui aurait peu de chose à voir avec un système de retraites. Ces questions sont d'autant plus légitimes que le rapport Charpin propose un fonds de réserve de ce type, mais ne dit strictement rien sur son financement.

Trois raisons de s'opposer à la capitalisation

Voici au moins trois raisons de s'opposer à la capitalisation des retraites. Le passage à un système intégral de capitalisation est impossible. Il faudrait en quelque sorte cotiser deux fois, et pour des sommes considérables, avant que la capitalisation soit capable de verser des retraites significatives. Faut-il alors en accepter une dos? Cela heurte d'abord la logique: si le problèmeporte sur des centaines de milliards, on ne voit pas l'intérêt d'une solution qui porte sur quelques dizaines de milliards. Les experts du commissariat au Plan sont très forts pour fabriquer des scénarios quantifiés établissant le destin catastrophique de la répartition, mais sont bien incapables d'en exhiber un qui illustrerait les vertus d'un passage à la capitalisation.

Voilà pourquoi le débat sur les retraites doit être l'occasion de combattre l'idéologie individualiste financière du chacun pour soi, parce que c'est un leurre et une régression. Un leurre, parce que la généralisation d'un tel système n'est pas soutenable; une régression parce qu'il produit (au nom de la contributivité) un retour en arrière dans le sens du chacun pour soi.

L'éventuelle supériorité d'un tel système réside exclusivement dans sa capacité à étendre le dualisme social. La part des pensions dans le PIB devrait passer de 11,6 % aujourd'hui à 16,6 % en 2040. Comment pourrait-on se dispenser d'une telle progression si, dans le même temps, la part des plus de 60 ans dans la population augmente de 20,6 % à 33,2 % ? Aucun calcul actuariel sur les intérêts composés ne le permet.

Il n'y a, au fond, que deux possibilités. Ou bien le pouvoir d'achat des pensions augmente parallèlement à la richesse produite, et dans ce cas, leur part dans le PIB doit augmenter avec la proportion de personnes âgées. Ou bien on impose une moindre progression du pouvoir d'achat moyen des retraites pour compenser l'augmentation du nombre de retraités, ce qui peut aussi se faire sous la forme d'un recul immédiat de l'âge de la retraite. Il n'existe pas d'autres possibilités, et on vérifie par conséquent que la capitalisation ne peut changer les termes du débat.

Dans un but purement budgétaire, le seul remède proposé par les ultra-libéraux, est la capitalisation avec les fonds de pension. Les experts, les médias, nos politiciens de gauche et de droite, nos syndicats, s'y rangent massivement. Pourtant, il est faux de prétendre que chacun va pouvoir, grâce à l'institution de fonds de pension, se constituer une épargne pour la retraite. En effet, en cotisant à un fonds de pension, on n'accumule pas une épargne ou un capital mais tout juste des droits (sous forme de titre de propriété) sur la richesse qui sera produite au moment où l'on partira à la retraite. Exactement ce qui se passe déjà aujourd'hui avec le système de répartition. À cette différence près, et elle est de taille, que dans le système de répartition, ces droits sont garantis par la loi, alors que, dans le système par capitalisation, il n'est garanti que... par la prospérité du capital financier, avec le risque inhérent à ce type de capital, de nature spéculative.

Passer d'un système de répartition à un système de capitalisation, c'est lâcher la proie pour l'ombre, c'est jouer sa retraite en Bourse !

Dans une société capitaliste, au moins 5 principes pour rester à la répartition

Si ces principes étaient respectés, l'augmentation du ratio retraités/actifs se traduirait par une élévation progressive du taux de cotisation, compatible avec une progression d'ensemble du pouvoir d'achat. Le régime de retraites par répartition malgré ses défauts pourrait alors, mieux que tout autre, éviter que la société bascule un peu plus dans le chaos financier. Son contrôle, par un service public d'État, la sécurité sociale, pourrait en cas de chute de ce dernier, être plus facilement prise en charge par les travailleurs et converti en fonds de solidarité jusqu'à l'abolition du salariat.

L'exemple anglo-saxon: Fonds de pension, piège à con!

Le texte de Charly (Alternative Libertairebelge) ose prendre l'exemple des Anglo-saxons et écrire La cotisation [...] est capitalisée selon la règle du calcul actuariel. Lorsqu'il s'agit d'une assurance-vie, elle permet à coup sûr de servir sa pension au cotisant, et s'il s'agit d'un fonds de pension, elle est investie dans le marché selon les règles prudentielles pour, à l'échéance, donner au pensionné le juste produit de ses économies et la rémunération de ses efforts.Ce sont les raisonnements des ultralibéraux. C'est une blague belge ! Quelle publicité pour la refondation socialedu Medef.

L'exemple anglo-saxon est éclairant sur ce point. La Grande-Bretagne, est avec les États-Unis et les Pays-Bas, l'un des trois pays qui a l'histoire la plus ancienne dans le domaine de la capitalisation. Les législatures successives ont toutes contribué à diminuer la part publique de financement des retraites et encouragé l'essor des acteurs financiers. Reste qu'aujourd'hui, moins de la moitié des salariés sont couverts par ces dispositifs. Même proportion aux USA avec 50 % et entre 30 et 60 % selon que l'on inclut ou pas les comptes individuels en Espagne.

À ce sujet, le livre de Frédéric Lordon, Fonds de pension, piège à con ?apporte des informations édifiantes. Le chapitre II a pour titre Le pouvoir de la finance en action.Le pouvoir dont il est question ici est celui que les investisseurs institutionnels (fonds de pension et de placements financiers, mais aussi grandes banques et sociétés d'assurance) exercent moins comme créanciers imposant leurs priorités aux gouvernements, qu'en tant qu'actionnaires tout puissants des groupes industriels. La propriété privée des moyens de production n'a pas une seule configuration, pas plus qu'il n'y a qu'un seul modèle de gestion des entreprises, de détermination du niveau de rentabilité attendu ou d'utilisation des profits à différents usages (investissements en recherche et développement, expansion des capacités de production et d'emploi, distribution de dividendes...). Les critères de gestion des propriétaires actuels du capital sont entièrement financiers. Les gestionnaires des grands fonds de pension et de placements collectifs (les Fidelityet autres Calpersou Scottish Widows) sont jugés sur la performance de leurs portefeuilles, qui résulte d'une combinaison entre la valeur boursière et le rendement trimestriel des titres qu'ils détiennent. Ils exigent donc que l'activité des groupes dont ils détiennent les actions soit tournée vers deux objectifs : le maintien du cours des actions au niveau le plus élevé possible et la maximisation des flux de dividendes.

Dans ce second chapitre, Frédéric Lordon nous expose les modalités principales de la nouvelle gestion et il nous en déchiffre le langage: le Return on Equity(le célèbre et déjà sinistre ROE qui doit atteindre au minimum 15 %), le buy-back,les spin offà la suite de fusions, le downsizing...et j'en passe. Il nous expose aussi, pièces en main, les déconvenues que cette nouvelle gestion des groupes industriels a déjà connues aux États-Unis. Elles sont l'annonce, la prémonitionde ce qui attend la France si l'introduction dans ce pays, des rapports entre finance et industrie qui existent là-bas, va à son terme avec la création de fonds de pension à la française.Car, si les déconvenues américaines ont été masquées par l'avènement miraculeux d'une nouvelle économiedopée par l'afflux des liquidités financières du monde entier vers les marchés financiers de New York, Chicago et Los Angeles, dans le cas français, leur adoption accélérerait le processus de désindustrialisation déjà engagé.

Dans son troisième chapitre, Le salariat exposé à tous les risques,Frédéric Lordon décline les conséquences du pouvoir du nouvel actionnariat, ainsi que de la gestion patronale à priorité financière sur la situation des salariés. Ce chapitre montre comment après deux décennies d'attaques répétées des patrons et des gouvernements successifs, c'est sur les salariés que se concentrent et s'ajustent toutes les tensions Ñ celles des orientations d'une politique économique conçue pour satisfaire les marchés,celles des transformations des formes de la concurrence sous l'effet de la libéralisation des échanges et de la délocalisation des firmes, et enfin pour couronner le tout, celles aujourd'hui de la domination des critères de gestion financiers.

C'est dans ce chapitre que Lordon développe une analyse dont il résume lui-même les résultats : Non seulement le dégagement de rentabilité exigé par les investisseurs s'effectue par l'éviction des salaires dans le partage de la valeur ajoutée, mais le pouvoir actionnarial est désormais en position de réclamer une sorte de revenu minimum du capital(souligné par l'auteur). Les fondements et le fonctionnement du régime d'accumulation financiarisé supposent que la masse salariale[soit] la variable d'ajustement du système.C'est la fonction des politiques de flexibilité et de précarité, qui peuvent être aussi interprétées comme représentant la tentative d'imposer au facteur travail un équivalent de la propriété de liquidité dont le marché financier dote le capital(souligné par l'auteur). Une fois le régime d'accumulation financiarisé établi, les salaires sont ravalés à la place de grandeur résiduelle qui était autrefois le propre du profit,mais plus fondamentalement encore c'est une gigantesque redistribution du risque qui s'opère entre capitalistes et salariés. Désormais la gestion de l'emploi et des salaires doit permettre au capital de se défausser du risque sur les salariés.Lordon nous livre là la clef des politiques patronales, que le Medef veut étendre à la protection sociale, au nom de la responsabilisationdes salariés.

Une drôle de société anarchiste...

Le texte de Charly (Alternative Libertairebelge) nous apporte comme solution une drôle de société anarchiste où des mutuelles d'assistance autogérées prennent la place de l'État et collecteront les cotisations, placeront les fonds de manière à servir aux mutualistes les meilleurs services et constitueront des réserves. Les actuaires ont montré que, rapidement et automatiquement, débarrassés du poids et des gaspillages insensés de la gestion étatique, les capitaux apportés atteindront vite des montants considérables. Les réserves pour les pensions croîtront de manière exponentielle. Le gouvernement passera aux mutuelles d'assistance autogérées qui, pour vivre, doivent obtenir des banques et des marchés financiers les crédits nécessaires à leurs activités. La puissance des mutuelles d'assistance autogérées leur donnera rapidement les moyens de dominer tous les instruments financiers. Banques et marchés fourniront des crédits aux acteurs économiques mais seulement aux conditions éthiques de leurs propres bailleurs: les mutuelles. Sans crédit, sans ce sang frais indispensable à leur vie et à leur expansion, les entreprises s'étiolent et meurent asphyxiées... Irrésistiblement, les unes après les autres, les entreprises tomberont comme des dominos et viendront grossir le patrimoine de l'économie autogérée.

Dans cette organisation le mutualisme néo-proudhonien de l'auteur remplace l'État sans faire de rupture avec le capitalisme. Nous sommes, ici dans une gestion mutualiste du capital avec même thésaurisation des fonds financiers. Ces fonds sont de l'argent. Dans un projet anarchiste, il y a refus du capitalisme, de la logique du profit, du salariat et de l'argent ce qui n'est pas le cas ici. Pour nous, une véritable société anarchiste est un fédéralisme autogestionnaire communiste libertaire.Ce mutualisme capitaliste n'est qu'une pitrerie de libertarien.

Comme l'écrit si bien Gilles Châtelet, les libertariens sont un courant d'idée qui présente souvent avec subtilité et même ludisme la soumission au marché comme l'incarnation des idées libertaires parvenues à maturité.

Vers l'abolition du salariat et des retraites

Anarcho-syndicalistes et avant tout syndicalistes au service de leur base (les travailleurs), il nous faut rester pragmatiques et raisonner en terme défensif.

Nous savons que dans le contexte actuel de décomposition syndicale, le combat pour assurer des retraites dignes à l'ensemble des travailleurs sera difficile. Nous sommes devant des forces financières puissantes : Banque Mondiale, FMI, OCDE et Banque Européenne qui sont appuyées, dans notre pays, par la refondation sociale du Medef et le gouvernement de droite.

Il nous semble que proposer, comme nos camarades du Groupe Bakounine, une retraite unique de 1.400 euros, même si cela part d'un bon sentiment reste prématuré et inadapté dans les conditions sociales actuelles. Cette proposition n'est en fait qu'un aménagement du capitalisme de plus.

Pour notre part, nous nous contenterons de défendre des retraites par répartition solidaireavec pour objectif d'assurer l'égalité entre les régimes spéciaux du service public et les régimes du privé. Ce qui est déjà un vaste programme.

Dans le cadre d'une résistance syndicale, nous défendons ce que nous croyons possible de défendre.

Mais, en tant qu'anarchistes favorables à l'abolition du salariat, nous sommes aussi pour l'abolition des retraites qui ne sont, en somme, que des pensions salariales.

Nous rappelons que dans une société fédérale autogestionnaire communiste libertaire, les besoins des individus qui cesseront leurs activités professionnelles pour le bon fonctionnement de la collectivité, seront pris en charge par les services publics des communes fédérales et, en particulier, par le service local d'entraide sociale, selon le principe de la répartition des biens,et qui devra assurer, avec l'aide de travailleurs sociaux et des voisins, le suivi des personnes âgées pour qu'elles soient maintenues, le plus longtemps possible, dans le tissu social.

Dans le cadre de la liberté, nous devons éviter les ghettos gériatriques de type maisons de retraite ou, comme aux USA, de villages pour troisième âge. Le maintien à domicile doit être privilégié et la résidence en maison de repos doit se faire à la suite du choix de la personne.

Enfin, pour conclure ce débat sur le mode des retraites, il nous faut choisir entre la pestedes fonds de pension et du marché capitaliste ou le cholérades retraites par répartition et le monopole de l'État.

Pour toutes les raisons que nous avons exposées, nous choisissons avec les travailleurs de défendre, dans la situation économique politique et sociale actuelle, des retraites par répartition solidaire avec, pour objectif, l'égalité entre les régimes du public et du privé.

Et pour l'avenir, l'abolition du salariat, de l'argent et donc des pensions de retraite.


Michel Sahuc (juillet 2002)

Michel Sahuc est adhérent à la Fédération Anarchiste à Montpellier et au Collectif Anarcho-syndicaliste La Sociale.

[1] Note des éditeurs : voir dans la brochure Réflexions croisées sur le travail(première brochure de cette nouvelle collection Du charbon pour les braises), la reproduction du Manifeste contre le travail du groupe allemand Krisis.

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RETRAITES PAR RÉPARTITION ET ÉGALITÉ SOCIALE
Le syndrome de Janus
Dans les mois qui viennent, le gouvernement et le patronat vont tenter de démanteler encore un peu plus notre système actuel de retraites.

Comme toujours dans les grandes batailles, l'offensive aura été précédée (merci la gauche plurielle) par une longue et intense préparation d'artillerie.

Impossible de continuer encore longtemps comme ça,nous répète-t-on depuis des années à grands renforts de rapports, d'études, de sondages et autres prédictions alarmistes drapées d'austères chiffrages à prétention scientifique.

D'un côté, les dépenses de retraite ne cessent de croître: augmentation de la durée de la vie et, donc, du nombre de retraités [1] et du nombre d'années pendant lesquelles il faudra leur verser une pension ; arrivée massive à l'âge de la retraite de la génération du baby boom qui, parce qu'elle a bossé plein pot pour des salaires en augmentation permanente, va bénéficier de retraites conséquentes; diminution régulière de l'âge de la retraite augmentant ainsi le nombre des retraités... Et de l'autre, le nombre et le montant des cotisations servant à financer ces dépenses ne cessent de diminuer : baisse de la natalité, diminution du pourcentage d'actifs dans la population, chômage "structurel", précarisation des emplois...

Bref, si on s'en tient à l'essentiel du message, sauf à augmenter sans cesse (mais il y aura forcément une limite) les cotisations ouvrières et patronales ou à diminuer sans cesse (mais il y aura là encore forcément une limite) le montant des pensions de retraite, le principe même d'une retraite par répartition qui consiste à payer les retraites d'aujourd'hui avec les cotisations d'aujourd'hui serait tout simplement condamné.

Mais condamné à quoi ? À mettre la clef sous la porte et à passer le relais à un système d'assurance privée basé sur la capitalisation de l'épargne de chacun et son investissement dans des fonds de pension placés en actions de toutes sortes ?

Il y a encore peu, les Talibans du capitalisme made inlibéralisme et quelques libertariens [2] beuglaient, à qui mieux mieux, qu'il ne pouvait pas en être autrement et s'en réjouissaient ostensiblement.

C'était avant la crise de la bourse, les faillites frauduleuses en cascade de grandes entreprises anglo-saxonnes et le triste spectacle de centaines de milliers de gogos plumés jusqu'à l'os et n'ayant plus, en guise de pension de retraite, après avoir vu leurs économies s'évaporer avec l'implosion de la bulle spéculative, que leurs yeux pour pleurer.

De cela, il n'est plus guère question aujourd'hui à moins de penser que l'on puisse jouer ses économies et sa retraite à la roulette boursière. Mais quel est le citoyen lambda qui, après une vie de labeur, serait d'accord de prendre le risque de ne plus percevoir de pension de retraite le temps d'un krach boursier pouvant durer des années ? Et quel est le politicard qui misera un rouble sur une telle haridelle au grand prix de son élection ou de sa réélection?

Alors? Alors, et c'est ce qui va nous être proposé dans les mois et les années à venir, si la répartition est plombée par le déséquilibre entre actifset inactifs,et si la capitalisation n'est pas l'assurance tous risques, la solution, celle qu'on va nous présenter comme étant de l'ordre du bon sens, ne consisterait-elle pas à trouver un compromis entre les deux ? À marier la chèvre et le choux ? À nous refaire le coup du pâté d'alouette avec le cheval de la capitalisation et l'alouette de la répartition ?

D'un côté, on pourrait donc garder le noble principe de la répartition (une manière de solidarité entre générations) et, même, y mettre un brin de folie «citoyenne» avec l'instauration d'un RMI de première classe pour vieux, et, de l'autre, aller encore un peu plus loin sur le chemin, déjà largement défloré, de la capitalisation (ça fait déjà belle lurette que les cotisations retraites sont investies en actions et autres placements immobiliers) et (c'est là l'objectif majeur à atteindre pour les maîtres du monde qui pensent que l'on peut tondre toujours plus ras le mouton prolétaire) sur celui de la réduction des coûts patronaux inhérents à la tonte (il suffit d'augmenter le nombre de trimestres de cotisations permettant l'obtention d'une pension de retraite complète pour retarder l'âge du départ effectif à la retraite et diminuer ainsi le nombre de retraités et la durée des pensions qui leur seront versées).

Le résultat de tout cela ne fait pas l'ombre d'un doute.

Si le gouvernement et le patronat réussissent leur coup, il nous faudra travailler plus longtemps pour percevoir des pensions moindres qu'aujourd'hui. Et si on a la malchance de partir en retraite au moment où la bourse plonge ou de bosser dans une boîte se retrouvant en faillite frauduleuse, il nous faudra nous contenter du RMI pour vieux.

On s'en doute, à l'heure où ce pays n'a jamais produit autant de richesses, la perspective d'une telle régression sociale devrait provoquer une levée de boucliers d'importance et on peut compter sur les anarchistes pour être aux premiers rangs de la lutte.

Reste que s'il faut tout faire pour barrer la route à la régression sociale qui s'annonce, le meilleur moyen de réussir ne réside sûrement pas dans la défense inconditionnelle de ce qui existe aujourd'hui en matière de retraite.

Notre système actuel de retraite, même s'il relève pour l'essentiel du principe de la répartition, et, donc, d'une solidarité intergénérationnelle, n'en est pas moins largement insatisfaisant. La notion de retraite, en restant couplée à celle de travail productif, charrie des valeurs sur lesquelles il conviendrait de s'interroger, si du moins on estime que la croissance économique permanente menace, à terme les conditions même de la vie. De plus, le corporatisme (plusieurs centaines de caisses professionnelles) y règne en maître avec son cortège d'inégalités en tous genres (certaines professions particulièrement bien organisées partent en retraite plus tôt que d'autres qui ont le tort d'être moins puissantes). La valeur de point de retraite diffère selon que l'on est, là encore, fort ou faible. Les travailleurs du public touchent une retraite à taux plein au bout de 37,5 annuités de cotisation, tandis que ceux du privé doivent cotiser 40 ans pour parvenir au même résultat). Dans le même ordre d'idée, ce sont les cadres qui ont perçu les plus fortes rémunérations pendant leur période d'activité, qui touchent les plus grosses retraites, et ce sont les petits salaires (les plus nombreux et avec, comme par hasard, l'espérance de vie la plus faible) qui supportent l'essentiel d'une solidarité dont ils profitent le moins.

Bref, si on ajoute à ces inégalités et à ces injustices les différentes formes de capitalisation prospérant depuis une vingtaine d'années, tant à un niveau individuel qu'à un niveau professionnel, et qui profitent pour l'essentiel aux classes moyennes, c'est peu dire que notre système de retraite est à plusieurs vitesses et ne peut être défendu en l'état par ceux et celles qui se piquent, sinon d'égalité, du moins de justice sociale.

Au bout du compte, mais on l'aura aisément compris, la meilleure manière de défendre le système de retraite par répartition contre l'offensive d'une capitalisation présente depuis belle lurette dans la bergerie est encore d'énoncer des revendications susceptible de doter enfin le principe de répartition des valeurs d'égalité et de justice qui lui font si cruellement défaut aujourd'hui.

Pour l'heure c'est parce que les deux principes cohabitent déjà par trop que l'on va essayer de nous les présenter comme les deux faces d'une même pièce de trois dollars.

Espérons qu'il n'est pas déjà trop tard pour battre une nouvelle monnaie, celle d'une véritable répartition!

Banalités de base

La vieillesse doit-elle s'appréhender sur le mode du chacun pour soi, de la loi de la jungle et des privilèges de naissance et de fortune, ou bien sur celui, collectif, solidaire et égalitaire du droit à une vie décente pour tous les vieux ?

Dans le premier cas, on aura une approche purement comptable des problématiques de retraite et on se fera l'apologue de l'épargne individuelle, du placement financier, des taux maximum de retour sur investissement, de la loi du marché, de la recherche du profit à tout prix, et, bien sûr, des fonds de pension.

Dans cette hypothèse, la logique voudrait qu'on intègre au raisonnement sa contrepartie de risque et d'absence de garantie quant à la perception d'une retraite, mais là... !

Dans le second cas, on aura une approche plus sociale (voire même politique) du problème et on se fera le chantre de la solidarité, de l'obligation d'adhérer (et de cotiser) à un système de retraite basé sur la répartition (les cotisations du moment servant à payer les retraites du moment) et de la garantie (la sécurité) majeure qu'apportera toujours la collectivité par rapport au versement des retraites (fût-ce en faisant le choix de se passer d'un deuxième porte-avion nucléaire, en réduisant le budget de la police ou... en taxant un peu plus les riches).

Dans cette hypothèse, la logique voudrait que l'on cesse de taxer les pauvres, que l'on revende le Charles De Gaulle, que l'on supprime le budget de la police et... qu'on offre à tous les vieux les mêmes moyens d'une vie décente! Mais là... !

Nos retraites ne sont pas tombées du ciel

Le système de retraites qui est encore le nôtre en ce début de 21ème siècle, il faut avoir cela bien présent à l'esprit, est récent et a mis un certain temps à se mettre en place.

Comme la sécurité sociale et, d'une manière générale, ce qu'on appelle la protection sociale, il date pour l'essentiel de l'après deuxième guerre mondiale. Et c'est peu dire que l'accouchement s'est fait au forceps de décennies et de siècles de luttes longues et âpres.

Antérieurement, c'est-à-dire jusqu'au début du siècle dernier, la retraite n'existait tout simplement pas. Les ouvriers et les paysans étaient contraints, pour survivre, de travailler jusqu'à l'extrême limite de leurs forces et, quand celles-ci avaient par trop décliné, ils devaient s'en remettre à la solidarité familiale ou bien, comme on disait alors, aller finir à l'hospice.

L'une et l'autre de ces deux perspectives ayant toujours été inacceptables, depuis toujours ou presque, les corporations, d'abord, et les associations ouvrières, ensuite, mirent sur pied des caisses de secours pour venir en aide à ceux d'entre leurs membres qui se trouvaient les plus démunis face à la vieillesse, à la maladie et au chômage.

Est-il besoin de le préciser, pour magnifique et exemplaire qu'ait pu être cette entraide, elle restait limitée à une élite ouvrière et ne pouvait délivrer que de maigres subsides.

Aussi, plutôt que de chercher à développer une logique dont on dirait aujourd'hui qu'elle est marquée au fer rouge du partage et de l'autogestion de la misère, les bourses du travail de la fin du 19ème siècle et la CGT du début du 20ème siècle (qui étaient alors animées par les libertaires) firent le choix d'une autre stratégie et préférèrent mettre l'accent sur des luttes susceptibles d'arracher un maximum de droits et d'argent au patronat, le but de la manÏuvre étant de créer un rapport de forces permettant, en commençant à partager les richesses, d'aboutir au plus vite à l'abolition du capitalisme et du salariat.

À titre d'exemple de cette stratégie, la lettre du Comité fédéral des bourses du travail de France et des coloniesen date du 25 avril 1900 (reproduite ci-après en annexe), enjoignant à ses membres de s'opposer au projet de loi Guieysse sur les retraites ouvrières (ce projet visait pourtant à créer une caisse nationale de retraites financée à égalité par des cotisations ouvrières et patronales). Tout cela au motif que le principe de cette caisse en était (déjà) la capitalisation: les cotisations devaient être placées en rentes et autres valeurset, le temps de la phase d'accumulation primitive du capital (les 35 premières années), n'offrir aux travailleurs de 65 ans qu'une pension de 150 francs par an dont il était dit qu'elle devait, ensuite, passer à 360 francs minimum. Et parce que le principe même d'une cotisation ouvrière (fût-elle gérée sur un autre mode que celui de la capitalisation) était inacceptable en ce sens qu'elle réduisait encore un peu plus un salaire déjà insuffisant pour vivre, et ce d'autant plus qu'il était évident que les cotisations patronales ne seraient pas prélevées sur les profits patronaux mais sur les trois sous que les patrons auraient pu verser sous forme de salaires à leurs ouvriers.

Comme on le voit, le débat réforme ou révolution qui a entraîné une fracture au sein du mouvement ouvrier entre mutualistes évolutionnistes et syndicalistes révolutionnaires ne date pas d'aujourd'hui, et, en ce temps là comme actuellement, c'était déjà tout à la fois un vrai et un faux débat.

Un vrai débat parce que mieux vaudra toujours prévenir que guérir, s'attaquer aux causes plutôt qu'aux effets et se battre pour vivre plutôt que pour survivre.

Et un faux débat, parce que, même persuadé du bien-fondé de l'évi-dence d'un tel raisonnement, celui qui subit les événements, généralement depuis des lustres, aspirera toujours à les subir un peu moins.

À telle enseigne que grâce aux luttes frontales menées par les militants révolutionnaires qui ont permis d'arracher des droits et des sous, et aux luttes, assurément moins frontales, menées par les tenants du réformisme et du mutualisme, qui ont permis de tirer un certain profit des rapports de forces qui s'en sont ensuivis, nous en sommes arrivés là où nous en sommes encore aujourd'hui, c'est-à-dire à un mieux social qu'il sera toujours aisé de qualifier de moins pire.

Laisser le coq passer le seuil, vous le verrez bientôt sur le buffet

Le système de retraite actuel est né dans l'immédiat après deuxième guerre mondiale (la bourgeoisie qui s'était discréditée dans la collaboration rasait les murs, tandis que gaullistes et «communistes» se partageaient le pouvoir), lors de l'instauration de la toute nouvelle sécurité sociale promulguée par l'ordonnance du 4 octobre 1945.

L'objectif était de faire bénéficier tous les salariés d'un régime de retraites garanti et décent.

Pour ce faire, il fut décidé de rompre avec l'ancien système de retraite qui était basé (et oui !) sur la capitalisation (et qui avait explosé en vol lors des années qui suivirent la crise de 1929 en ruinant tous les petits épargnants) et d'instaurer un système dit de répartition.

Le principe en était simple. Obligation étant faite à tous les salariés et à tous les employeurs de payer des cotisations, l'argent collecté, géré paritairement, était immédiatement affecté au paiement des retraites. En clair, les actifsdu moment se retrouvaient à financer les pensions des inactifsdu moment.

Les avantage de cette solidarité intergénérationnelle étaient évidents pour les salariés. Par une socialisation du risque (celui que prend toujours celui qui paye aujourd'hui pour recevoir quelque chose demain), les cotisants du jour se voyaient, en effet, quasiment assurés de percevoir une pension lorsque l'heure de la retraite sonnerait. Et ce, d'autant plus que l'État se portait garant du versement d'un minimum vieillesse.

À l'inverse, les désavantages d'un tel système étaient tout aussi flagrants pour le patronat qui, non content de devoir mettre la main à la poche (et à l'évidence de plus en plus avec le temps), se voyait privé de la manne que représentait, auparavant, des cotisations gérées par capitalisation et qui pouvaient soit s'investir directement dans l'entreprise soit alimenter la spéculation boursière.

Aussi, dès que le rapport de force recommença à tourner significativement en sa faveur, il n'eut de cesse de chercher à limiter le montant des prestations versées, à reculer le moment de leur versement et à récupérer une partie de la manne.

Tel est le sens des mesures prises par un certain Balladur afin d'indexer le montant des retraites sur les prix et non plus sur les salaires (ce qui revenait à interdire les retraités d'augmentation de pouvoir d'achat), de l'augmentation du nombre de trimestres nécessaires à l'obtention d'une retraite pleine (le secteur privé est passé de 37,5 annuités à 40) et de diverses mesures réglementaires et fiscales favorisant (au détriment de l'impôt comme de la protection sociale) la mise en Ïuvre d'un actionnariat salarié. C'est ainsi, notamment, que les primes relevant de la participation (1967), obligatoire pour les entreprises de plus de 50 salariés, purent être versées, pendant les trois à cinq ans où elles sont bloquées, sur un compte figurant au passif du bilan de l'entreprise ou investies, via un Fond Commun de Placement d'Entreprise,en actions de l'entreprise. C'est ainsi, encore, que, lors de la mise sur pied des régimes de retraite supplémentaire (dans le cadre d'accords d'entreprises ou de branches), les cotisations versées par l'entreprise furent déduites de son bénéfice avant impôt, ne furent pas à ajouter au revenu imposable du salarié et ne supportèrent pas de charges sociales. Et c'est ainsi, enfin, que la déferlante des privatisations construisit de toute pièce cette arnaque (les travailleurs de France Télécom sont en train d'en faire l'amère expérience) de l'actionnariat salarié.

Toutes ces mesures, techniques et peu aisées à comprendre, peuvent sembler mineures. Mais c'est loin d'être le cas, puisqu'en 1997, elles ont généré un flux de 45 milliards de francs et ont entraîné une exonération 20 milliards de charges sociales et 5 milliards d'exonération fiscale, soit autant de manque à gagner pour la sécurité sociale et pour le budget de l'État.

Quoi qu'il en soit, de 1945 à nos jours, le système de retraite par répartition n'a pas si mal fonctionné que cela, dixit l'INSEE (et c'est largement corroboré par la vox populi). Si en 1970, un ménage retraité sur 4 était pauvre, cette proportion n'était plus que de un sur 20 en 1997 et que, comme par hasard, les premiers problèmes ne sont apparus qu'il y a une vingtaine d'années, lorsque un certain nombre de mesures fiscales et réglementaires se sont attachées à diminuer les recettes de la protection sociale par répartition et à faire rentrer par la fenêtre une capitalisation qui avait été mise à la porte en 1945.

Dans ces conditions, on comprend mieux pourquoi l'offensive qui se prépare contre le système actuel des retraites hésite à attaquer frontalement le principe même de la répartition (on parle de complémentaritéet d'équilibre),s'avance masqué (on parle de fonds d'épargne salariaux et de nouveaux droits des salariés) et se la joue conjoncture (on parle de la détériorationdu rapport entre actifset inactifs) et progrès social aux accents patriotiques (on parle de fonds d'épargne salariaux permettant aux salariés de peser sur la stratégie de l'entreprise et d'éviter que les capitaux étrangers ne viennent jusque dans nos bras égorger nos...).

Le souvenir, non encore estompé, du fiasco du système de retraite par capitalisation existant jusqu'en 1945 ; le souvenir encore bien présent de 60 ans d'une protection sociale qui n'a cessé de s'étendre et de s'améliorer; la crise boursière actuelle et les faillites frauduleuses des fonds de pension à la Enron,à la Maxwellou à la Worldcom...incitent à certaines prudences de langage et peut être même stratégiques. Et, hormis quelques attardés d'un libéralisme ethniquement pur et quelques bouffons libertariens qui, non contents de dénoncer le système des retraites par répartition, se font les chantres de fonds de pension censés être aujourd'hui aux mains des travailleurs et devenir demain l'arme absolue du prolétariat pour subvertir le capitalisme [2], nombreux sont ceux d'entre les patrons et gouvernants français et européens (l'Europe et ses traditions de protection sociale étant le véritable enjeu de l'offensive en cours contre la sécu, les retraites, les services publics étatiques...) qui, finalement, se contenteraient de pousser un peu plus loin encore le bouchon de l'encerclement de la répartition par la capitalisation qui s'est mis en place depuis une vingtaine d'années. Car, après tout, mieux vaut peut-être continuer à saigner encore un peu plus la bête (jusqu'à présent ça ne marche pas si mal que ça), plutôt que prendre le risque (celui d'une réaction sociale d'envergure) d'une estocade aléatoire.

Garder le système de retraite par répartition en l'état, c'est possible

C'est un fait, et il convient de s'en réjouir, la durée de vie moyenne s'allongeant, non seulement les retraités sont de plus en plus nombreux, mais ils perçoivent leurs retraites pendant de plus en plus longtemps.

C'est un autre fait, la génération (nombreuse et ayant été nourrie à la mamelle désormais en voie de disparition du plein emploi et de salaires en croissance quasi continue) arrivant en masse à l'âge de la retraite, le phénomène va encore s'amplifier.

De là à en conclure que les dépenses de retraites vont sensiblement augmenter dans les années à venir, il n'y a qu'un pas que l'évidence mathématique ne peut pas ne pas franchir.

Dans ces conditions, comme dans le même temps les recettes issues des cotisations retraites vont en diminuant du fait d'un nombre d'actifsmoindre, d'un chômage désormais qualifié de structurelau motif d'une mécanisation (robotique, informatique...) de la production réduisant sans cesse le champ du travail productif et d'une précarisation croissante (et donc mal rémunérée) de l'emploi salarié, on (les patrons, le pouvoir, les médias...) nous explique d'abondance que le système de répartition (qui consiste à payer les retraites d'aujourd'hui avec les cotisations d'aujourd'hui) même s'il est pétri de bonnes intentions solidaristes, nous conduit droit dans le mur.

Le raisonnement semble bétonné d'évidence. En fait, il est tissé de demi-mensonges tous plus flagrants les uns que les autres.

En premier lieu il est loin d'être prouvé que la détériorationdu rapport entre actifset inactifs,c'est-à-dire entre les jeunes et les vieux, soit aussi massive qu'annoncée dans les décennies à venir. Car, la météorologie démographique est loin d'être une science exacte et l'a largement prouvé dans le passé, en ignorant les hausses brutales du taux de fertilité (de ce point de vue comme les pauvres font toujours plus d'enfants que les riches il y aurait lieu d'être optimiste) et celles, des apports de populations issues d'une immigration parfois sollicitée pour boucher les trous.

En second lieu, il n'est pas davantage prouvé (sauf à renier l'essence même du capitalisme et son évolution au rythme de cycles successifs de croissance et de crises) que le chômage dont nul ne peut nier aujourd'hui l'importance et la persistance relève désormais de l'inéluctable.

En troisième lieu, il est flagrant (mais ce n'est pas nouveau) que le champ du travail productif se réduit pour cause de mécanisation de la production. Il est tout aussi flagrant, que le champ du travail en général et du travail social en particulier, est infini et qu'il est largement créateur d'emplois dès lors qu'un rapport de forces (au profit des classes laborieuses) sur les plans politique, économique, social et culturel se met en place suite, bien évidemment, à des luttes au couteau pour imposer ces emplois et leur financement par des prélèvements sur les profits issus de l'augmentation de la production et de la productivité du travail.

Comme on le voit, la détérioration annoncée de la balance comptable entre dépenses et recettes pour le financement des retraites repose sur un parti-pris mensonger de par le fait qu'elle n'intègre pas les hypothèses (pourtant parfaitement plausibles) susceptibles de la démentir.

Mieux, si on en reste au niveau strictement comptable, il est carrément crapuleux d'omettre de dire que le déficit actuel de la sécu et des retraites repose, aujourd'hui, sur une diminution orchestrée des recettes.

Il faut, en effet, le savoir! Si les exonérations de charges sociales et fiscales dont bénéficient les entreprises pour mettre en Ïuvre l'actionnariat salarial cessaient aujourd'hui, et si l'État et les entreprises payaient ce qu'ils leur doivent aux caisses de sécu et de retraites, il n'y aurait plus de déséquilibre des comptes.

Mais là n'est pas le pire ! Le pire, en effet, est dans l'approche purement comptable qui est faite du problème. Car, en matière de retraite comme de protection sociale, il n'en a jamais été ainsi.

Sinon, comment expliquer qu'au cours des cinquante dernières années le coût de la protection sociale ait été multiplié par dix? Y aurait-il eu dix fois plus de cotisants? Dix fois moins de dépenses? Ou des augmentations de cotisation surréalistes? On connaît la réponse.

Si la protection sociale a pu se développer dans de telles proportions en cinq décennies, c'est tout simplement parce que la production et la productivité (et donc la richesse) ont augmenté dans des proportions au moins similaires et en ont assuré le financement.

Dans le même ordre d'idée, le fait que les ouvriers d'aujourd'hui possèdent (pour la plupart) une automobile, la télé, un magnétoscope, un frigo, une machine à laver la vaisselle, un lave-linge, un sèche-linge, un ordinateur... et sont abonnés à canal bidule, alors qu'il y a quarante ans ils roulaient à vélo, lavaient le linge et la vaisselle à la main et achetaient l'Huma dimanche, n'a pas d'autre explication.

Aujourd'hui comme hier, il reste des ouvriers, des galériens de la France d'en bas et des petites gens, mais, tout en restant identique en proportion, leur part de la galetten'en a pas moins considérablement augmenté en volume.

Et, mine de rien, ça change tout, car 10 % de 5.000 cela sera toujours autre chose que 10 % de 1.000.

Aussi, comme la productivité en général, et celle du travail en particulier, continuent d'augmenter chaque jour un peu plus (ça s'appelle l'augmentation du produit intérieur brutet ça débouche sur l'augmentation du pouvoir d'achat), on ne voit pas pourquoi ce qui était possible hier (sur des bases moindres) ne le serait plus demain, et, donc, pourquoi une société qui ne cesse de s'enrichir ne pourrait pas financer une augmentation des dépenses liées à la protection sociale.

Au bout du compte, mais on l'aura aisément compris, dès lors que la galettene cesse de grossir et que les parts des uns et des autres croissent en proportion, le problème du financement des retraites et leur coût, fût-il en augmentation, ne se pose pas.

À condition, bien sûr, qu'un certain "partage", dont chacun devrait savoir qu'il s'arrache par des luttes et des rapports de force, perdure.

Le soi-disant problème du financement actuel et à venir des retraites dans le cadre d'un système par répartition n'est pas ailleurs.

De l'arnaque de la capitalisation et du danger de sa cohabitation avec la répartition

Vu la crise de la bourse, l'effondrement sans fin du cours des actions, les faillites frauduleuses des Enron,Maxwellet Worldcom...les forts en gueule d'hier de la capitalisation ont mis un bémol à la guerre sainte contre la répartition. Et c'est désormais l'orchestre de la complémentarité, de la coexistence, et de la cohabitation entre la capitalisation et la répartition qui nous joue sa petite musique.

Pour l'heure, nous dit-on, les cotisations retraite, sécu, et autres de cette formidables chose qu'est la protection sociale, sont immédiatement affectées au paiement des retraites, des allocations maladie, chômage... et sont consommées dans l'instant sans profit aucun.

Ça n'est en fait, qu'à moitié vrai, parce que cela fait déjà longtemps que les caisses de retraite, de sécu, de chômage... ne se privent pas de placer leur trésorerie sur le marché capitaliste des actions, des obligations et autres investissements spéculatifs immobiliers. Mais il est clair que tout cela n'opère qu'à la marge.

Aussi, si davantage de ces cotisations étaient placées directement ou indirectement dans le capital des entreprises ou en bourse, même si ça n'est pas censé rapporter beaucoup (aujourd'hui c'est flagrant), ça rapporterait quand même un peu plus que le presque rien actuel, car malgré tout, la bourse, sur le long terme...!

Mieux, ce faisant, ce recours partiel à la capitalisation via des fonds d'épargne salariale(on retire le terme fonds de pensionqui a une connotation trop anglo-saxonne et trop looser) permettrait aux salariés d'une entreprise, sinon de devenir propriétaires de leur entreprise, du moins de peser sur sa stratégie.

Mieux encore, des fonds d'épargne salariale françaispermettraient de sauver la France de l'accaparement de ses entreprises par des fonds de pension anglo-saxons.

Reste que personne aujourd'hui n'étant capable de dire combien de temps va durer la dégringolade boursière, il est loin d'être certain que les placements boursiers (sur le court et le moyen terme c'est même de l'inverse qu'il s'agit) soient plus performantssur le long terme que le bon vieux livret A.

Reste que les salariés de France Télécom qui ont pourtant souscrit des actions par dizaines de milliers et se sont fait plumer cherchent encore (ce n'était d'ailleurs pas leur objectif) en quoi ils sont devenus propriétaires de leur entreprise ou ont pu peser sur sa stratégie.

Reste que des fonds d'épargne salariale bleu-blanc-rouge,comme leurs copains de la bannière étoilée ou de l'union jack,parce qu'ils courent et courront toujours après le profit maximal dans le minimum de temps, n'auront jamais la fibre patriotique.

Au bout du compte, mais est-ce vraiment étonnant, on voit mal en quoi l'argent des pauvres et des travailleurs a intérêt à aller frapper à la porte des riches et des patrons pour faire des petits ou tout simplement pour ne pas perdre de sa valeur.

Proudhon, déjà, parce qu'il avait compris cela, parlait de la nécessité d'une banque du peuple.Il avait raison, tant il est vrai que les pauvres, parce qu'ils sont des multitudes, sont collectivement plus riches que les riches. C'est d'ailleurs pourquoi les riches ont toujours pris l'argent là ou il était, c'est-à-dire chez les pauvres.

Dans ces conditions, il est clair qu'une gestion capitalisatrice des cotisations de retraite constitue non seulement une menace, mais un danger mortel pour le financement d'un système de retraite par répartition.

À certains moments, ça peut rapporter de l'argent (mais à quel prix, si ce n'est celui d'une augmentation de l'exploitation, d'une diminution des coûts salariaux et d'une augmentation du chômage ?) ; mais à d'autres, les plus nombreux (mais toujours au même prix) ça perdra toujours sa culotte.

Aujourd'hui, et ce depuis 20 ans, le ver de la capitalisation est dans le fruit de la répartition.

Le pouvoir, les patrons, les médias et les harkis du syndicalisme nous ont fait croire, qu'en grossissant, le ver était en train de nous faire prendre du poids. Ça a été vrai un instant, celui de l'illusion de notre appétit du toujours plus à n'importe quel prix.

Mais, aujourd'hui, ça branle dans le manche et il faut qu'il soit clair que les choses n'iront pas en s'améliorant car le développement du ténia se fait toujours au détriment de celui qui l'héberge. Jusqu'à ce que mort s'ensuive.

De l'amélioration du principe de répartition

Le système actuel des retraites qui permet aux salariés les plus aisés de percevoir les plus grosses pensions, de bénéficier de la solidarité des plus démunis (espérance de vie moindre) et de grappiller l'essentiel des fruits de la capitalisation existante, profite essentiellement aux classes moyennes. Et il est évident qu'un peu plus de capitalisation leur profiterait encore plus.

A contrario,la classe ouvrière et tous les petits du salariat feraient tout naturellement les frais d'un surplus de capitalisation dont il est clair qu'il serait financé par une ponction sur la répartition (diminution des charges sociales patronales, exonération fiscale...).

Aussi, conscients du fait que la seule défense du statu quoouvrirait grandes les portes à encore un peu plus de capitalisation, certains proposent d'améliorer le système actuel de retraite par répartition.

C'est ainsi qu'on [3] nous propose de développer l'emploi et de taxer tous les revenus (ceux du travail et les autres).

À l'évidence, en développant le nombre d'emplois on rétablit l'équilibre entre cotisants actifs et pensionnés non actifs.À l'évidence, également, si on taxe les revenus du capital, de la spéculation et de la propriété on augmente encore un peu plus les recettes. À l'évidence!

Reste que vouloir développer les emplois pose la question de savoir comment on va s'y prendre, de quels types d'emplois il s'agit de développer et en quoi cela permet d'échapper à la vérole productiviste et à la folie suicidaire (d'un point de vue écologiste) d'une croissance économique permanente qui fonde ce type de raisonnement!

Pourquoi, en effet, le capitalisme qui ne cesse de supprimer des emplois (en occident, du moins) se mettrait-il subitement à en créer? Mais, admettons qu'on l'y contraigne inamicalement à l'occasion de grands mouvements sociaux. S'agira-t-il de créer des emplois non précaires ou des emplois précaires? S'agira-t-il de créer des emplois utiles socialement (il en est sûrement plein à inventer) ou des emplois nuisibles (flics, militaires, maçons construisant des prisons ou des centrales nucléaires, ouvriers fabriquant des canons...) ou foncièrement inutiles (contrôleurs SNCF, ouvriers fabriquant la énième nouvelle lessive, petites mains de la bureaucratie ordinaire...) ? S'agira-t-il, au bout du compte, de créer des emplois pour créer des emplois? Et jusqu'où ira-t-on comme ça dans cette logique de la fuite en avant qui ne se pose jamais la question du pourquoi, du comment et du sens de cette aberration écologique et sociale que sont le productivisme à tout crin et la croissance économique permanente? [4]

Reste que vouloir taxer le capital, la spéculation et la propriété pose la question de savoir comment on va s'y prendre et surtout à quoi ça va servir !

Pourquoi, en effet, le capitalisme qui ne cesse de nous taxer, accepterait t-il soudainement de passer à la caisse ? Mais admettons qu'on l'y contraigne inamicalement à l'occasion de grands mouvements sociaux. S'agira t-il d'affecter cette manne financière au paiement des salaires et des retraites de flics, de militaires, de maçons construisant des prisons ou des centrales nucléaires, d'ouvriers fabriquant des canons ou la énième nouvelle lessive à la con, de contrôleurs SNCF, de petites mains de la bureaucratie ordinaire...?

Bref, dans le cadre de la problématique consistant à essayer de sauver le système actuel des retraites par répartition des appétits du capitalisme comme dans d'autres problématiques du même ordre (à propos d'EDF, de la poste, de l'éducation nationale et autres services publics étatiques du même tonneau) la stratégie se résumant à réclamer davantage de moyens, si elle est nécessaire, est dramatiquement insuffisante pour vaincre.

En d'autres temps, en d'autres lieux et en d'autres circonstances, Camillo Berneri disait déjà: le dilemme guerre ou révolution n'a plus de sens. Le seul dilemme est celui ci : ou la victoire sur Franco grâce à la guerre révolutionnaire, ou la défaite.

Nous en sommes là ! Ou la répartition, avec davantage de moyens, saura démontrer qu'elle a plus de sens d'égalité, de justice et d'humanité que la capitalisation, ou la défaite!

Faire rimer répartition avec égalité sociale

Si développer l'emploi et taxer l'ensemble des revenus permet d'augmenter les recettes de la répartition, cela ne réduit en rien le déficit d'égalité et de justice sociale qui mine notre système actuel de retraite par répartition.

Dans ces conditions, si on estime que la meilleure défense du principe de répartition réside dans son adhésion sans faille à toujours plus d'égalité et de justice sociale, un certain nombre de mesures s'imposent, en complément de celles visant à augmenter les recettes.

En premier lieu, il convient de rompre avec le corporatisme qui divise les salariés et se battre pour :

En second lieu, il convient de rompre avec la logique d'inégalité et d'injustice existant aujourd'hui et se battre pour :
Du droit de tous les vieux à vivre dans la même décence

Même avec plus d'égalité et de justice, le système des retraites par répartition restera toujours couplé au travail et plus particulièrement au salariat.

De cela il n'y a pas lieu de s'offusquer dès lors que ce qui constitue un acquis social indéniable n'est considéré que comme une étape vers l'abolition du salariat et celle du travail comme contrainte.

Dans ces conditions il convient, quand on parle de retraite, de toujours rappeler ce vers quoi nous voulons aller, à savoir une société où ce sera la collectivité (parce qu'elle profite de leur travail) qui financera intégralement les retraites des travailleurs, où le travail (hormis les tâches pénibles qui seront partagées) sera libre, où l'exploitation (et donc le salariat) et l'oppression auront été abolis, et où tous les êtres humains auront le droit (et les moyens de ce droit) de vivre libres.

Dans une société il n'y aura donc plus de retraite au sens où on l'entend aujourd'hui parce qu'il n'y aura plus de salariat et parce que tous les vieux (travailleurs ou non) recevront de la collectivité les mêmes moyens financiers et autres de satisfaire au mieux tous leurs besoins.


Jean-Marc Raynaud (septembre 2002)
Jean-Marc Raynaud est adhérent au Groupe Bakounine(Charente Maritime) de la Fédération Anarchiste.

[1] Pour éviter des lourdeurs, j'ai fait le choix du masculin pour les pluriels, mais il va sans dire Ñ et donc, encore mieux en le disant Ñ que ce masculin fait référence aux êtres humains des deux sexes.
[2] Voir le texte surréaliste de Charly d'AL(Belgique).
[2b] Voir le texte surréaliste de Charly d'AL(Belgique).
[3] Voir notamment le texte d'Alain Bihr, La bourse ou la vie,paru dans la revue À Contre Courant, syndical et politiquen° 137 et 138, 1 rue Hugo, 52100 Bettancourt-La-Ferrée.
[4] Voir, à ce sujet, la première brochure de cette nouvelle collection, Du charbon pour les braises,consacrée à un débat sur le travail.

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DOCUMENT / 1900-1901 / FERNAND PELLOUTIER
Sur les retraites ouvrières
Projet de loi sur les retraites ouvrières. Critique contenue dans le rapport sur les travaux du Comité fédéral pendant l'exercice 1900-1901.

Dans le courant de l'année écoulée depuis le dernier Congrès, le Comité fédéral a pris à tâche de discuter amplement le projet de loi sur les retraites ouvrières. Après de sérieuses discussions, parfois très animées, il s'est mis d'accord pour rejeter ce projet et le secrétaire fut chargé de rédiger une circulaire très courte, invitant les Bourses du Travail à étudier ce projet comme il le fit lui-même, et à relire attentivement la circulaire qui y serait adjointe et qui contient une critique du projet Guieysse que les Bourses reçurent déjà l'année dernière.

 Nous croyons devoir reproduire ces deux circulaires qu'ont reçues toutes les Bourses et auxquelles toutes ont répondu à peu près dans le même sens que le Comité fédéral, avec des considérations toutes justifiées contre un si piètre projet.



 Fédération des Bourses de Travail de France et des Colonies (mai 1901)

Cher Camarade.

Le Comité fédéral me charge de rappeler à votre souvenir la circulaire que vous faisait parvenir, au mois d'août de l'année dernière, le regretté camarade Pelloutier, à propos du projet de loi Guieysse pour la création d'une caisse de retraites.

 Cette circulaire, je crois ne pouvoir mieux faire que de vous l'adresser de nouveau en vous priant d'engager tous les militants de votre Bourse du Travail à la relire attentivement, car elle est faite d'arguments qui démasquent merveilleusement toute la philanthropie bourgeoise, sÏur jumelle de la charité chrétienne.

 Je dois en outre vous avertir que le projet actuel, sur le point d'être discuté à la Chambre, ne vaut pas même le projet Guieysse.

 Les interprètes les plus autorisés de la société capitaliste exaltent ce projet parce qu'ils pensent que, s'il était voté, cela captiverait assez l'ouvrier pour qu'il ne trouble plus l'ordre et la tranquillité publics.

 Comme toutes les lois ou projets de lois, dites ouvrières, celui-ci est un piège, défions-nous en !

 Pour le Comité Fédéral, Le Secrétaire : Georges Yvetot



 Fédération des Bourses de Travail de France et des Colonies
 (Paris, 25 août 1900)
 Au camarade secrétaire de la Bourse du Travail de...

Après délibération, le Comité fédéral croit devoir vous transmettre, en vous priant de le soumettre à l'étude du Conseil d'administration, le manifeste ci-dessous que lui a inspiré l'examen du projet présenté par M. Guieysse pour la création d'une Caisse de retraites.

Le projet de loi sur les retraites ouvrières que M. Guieysse présentera à la Chambre des députés soumet tous les travailleurs - commerce, industrie et agriculture - environ 7 millions, à un prélèvement obligatoire sur leurs salaires : 0,05 francs par jour sur les salaires au-dessous de 2 francs, 0,10 francs par jour sur les salaires au-dessus de 2 francs. La retenue sera faite par le patron, qui aura lui-même à verser à l'État une somme égale aux prélèvements faits sur les salaires de son ou de ses ouvriers.

Le rapport estime à 200 millions les sommes qui seront versées annuellement, moitié par les patrons, moitié par les ouvriers.

Trente années après que le projet sera devenu loi, c'est-à-dire après trente années de versements, l'ouvrier âgé de 65 ans aura droit à une pension annuelle d'au moins 360 francs, accompagnée d'une assurance de 1.000 francs qui, en cas de décès, revient à sa famille.

Pendant ce délai de trente années, précédant le fonctionnement de la Caisse de retraite, les travailleurs âgés de 65 ans auront droit à une pension annuelle de 150 francs, 12,50 francs par mois, 0,40 francs par jour, et à une assurance de 1.000 francs pour la famille en cas de décès.

Le projet compte dans les rentrées une somme de vingt millions, produite par un impôt de 0,20 francs par jour sur chaque ouvrier étranger travaillant en France.

Si les sommes versées n'atteignent pas le chiffre prévu et jugé indispensable par la Commission, l'État devra intervenir pour parfaire les versements.

Tel est, dans ses grandes lignes, le projet que M. Guieysse défendra à la tribune de la Chambre.

Une pension, si ridiculement modique qu'elle puisse être, semble encore préférable dans l'esprit de beaucoup à la mendicité, à la prison pour vagabondage, ou à la mort par la faim que la société bourgeoise offre comme avenir à ceux qui passent leur vie à l'enrichir ; cette apparence de tranquillité pour leurs vieux jours tente les travailleurs et les dispose à accueillir favorablement un tel projet.

Pourtant, du projet Guieysse, comme de tous les projets analogues, ils doivent se désintéresser. Ligne de conduite tracée précédemment par les Congrès de Toulouse et de Rennes.

Le Comité fédéral croit devoir appuyer son opinion de quelques arguments. Le projet Guieysse est inacceptable, non seulement parce que l'échéance de trente années rend fort problématique l'amélioration du sort des vieux travailleurs, mais encore parce que, pendant et après le délai de trente années nécessaire pour cumuler les capitaux et les intérêts, il a comme conséquence immédiate une aggravation certaine, absolue, indiscutable de la situation de tous les travailleurs.

Le projet dit fort bien que les versements de 0,05 francs et 0,10 francs devront être faits par les patrons et par les ouvriers. Mais il faudra établir que les sommes qui devraient être versées par les patrons ne seront pas récupérées sur les salaires de l'ouvrier. Ce qui paraît fort probable, étant donné l'antagonisme des intérêts en présence, le passé et le présent pouvant pour la circonstance servir d'indication. Or, les versements, devant atteindre annuellement la somme de 200 millions, seront effectués, en totalité ou en presque totalité, par les travailleurs. On diminue donc de pareille somme leur puissance de consommation, alors que les salaires sont déjà inférieurs de 4 à 5 % au prix des choses absolument nécessaires à l'existence. Les versements qui précèdent et rendent possible l'application du projet élèvent encore cette différence et éloignent la classe productrice de la possibilité de consommation. C'est la constatation d'un fait que nul ne peut nier.

Mais en plus, ces prélèvements directs s'augmentent et s'aggravent des prélèvements indirects, qui résultent forcément d'un projet tel qu'on le soumet à notre appréciation.

Les versements annuels, même en les supposant faits parallèlement par les patrons et les ouvriers, devront être convertis en rentes d'État produisant des intérêts, lesquels intérêts rendent seuls réalisable le projet Guieysse. Mais le capital n'ayant pas lui-même de faculté reproductive, les travailleurs n'auront pas seulement versé directement les sommes constituant le capital jugé nécessaire pour le fonctionnement de la Caisse de retraites, ils paieront encore en plus indirectement les intérêts des sommes, versées par eux, le Travail seul donnant une valeur au Capital.

Et lorsqu'on pense à l'énormité des sommes entassées (20 millions pendant 30 années), à l'importance des intérêts que produiront ces sommes, il est permis d'affirmer que l'application d'une telle loi constituerait un danger pour la classe ouvrière.

Le Travail ne reçoit pas aujourd'hui du Capital ce qui lui est indispensable, il est inadmissible qu'on le prive, qu'on réduise sa part :

1) des 200 millions à verser annuellement ;

2) des intérêts des sommes capitalisées (environ 8 milliards, produisant au taux actuel de la rente française environ 200 millions).

Par un tel entassement de Capitaux tout le système capitaliste est ébranlé, et les conditions de vie faites aux travailleurs sont profondément changées. Le projet Guieysse rend sûrement plus mauvaise la situation des travailleurs valides, il ne peut aucunement l'améliorer, il a comme résultat un surcroît de misères, de privations et de souffrances, et fait peser plus lourdement sur toute la classe ouvrière le joug capitaliste.

Le Comité fédéral croit que les Bourses du Travail, Syndicats, doivent repousser comme inacceptable le projet dont M. Guieysse est rapporteur.

En conséquence, il vous prie de statuer sur le projet de déclaration ci-dessous, lequel, au cas d'acceptation par la majorité des Bourses du Travail, serait publié et notifié aux intéressés.

Considérant que, malgré les affirmations de la statistique officielle, la Fédération des Bourses du Travail se fait forte de prouver que les salaires actuels sont inférieurs de 3 à 5 % au prix des choses nécessaires à l'existence ;

Que, par suite, les Congrès ouvriers de Limoges, de Toulouse et de Rennes ont eu raison de déclarer inacceptable tout système de retraite nationale qui, demandant à l'ouvrier une contribution personnelle, diminuerait encore ses moyens d'existence ;

Que, spécialement, le projet Guieysse, outre qu'il impose à l'ouvrier une cotisation particulière, repose sur le système de la capitalisation, c'est-à-dire sur la production d'intérêts par les capitaux versés à l'État ;

Que ces intérêts ne pouvant provenir que d'achats de rentes ou d'autres valeurs, c'est le travailleur qui se trouverait en payer la plus forte part, ayant ainsi à supporter, non seulement sa contribution officielle, mais une nouvelle et indirecte contribution ;

Que, d'ailleurs, tout autre système aboutirait aux mêmes résultats, en remplaçant l'intérêt des capitaux par l'augmentation de la contribution et, par conséquent, en diminuant toujours la puissance d'achat de l'ouvrier et en obligeant l'État à des achats de rentes qui troubleraient la situation économique ;

La Fédération des Bourses du Travail croit qu'il est de l'intérêt des organisations ouvrières de repousser, non seulement le projet Guieysse, mais tous les projets de retraite nationale, les uns étant aussi utopiques que les autres ;

Elle les engage, par contre, à redoubler d'énergie pour obtenir l'augmentation des salaires et la diminution de la durée du travail, moyen beaucoup plus sûr de garantir l'existence des travailleurs.

Le Comité Fédéral des Bourses du Travail


Extrait de l'Histoire des Bourses du Travail, Fernand Pelloutier, Alfred Costes éditeur, 1946, pp.330-335.

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