Émile Pouget-L'Été (1897)

Émile Pouget
L'ÉTÉ
Almanach du Père Peinard, 1897.
1894, pour les mois révolutionnaires.

voir aussi LES CALENDRIERS DU PASSÉ.


L'ÉTÉ rapplique le 21 juin. Riche saison que celle-là ! tout le monde s'en ressent. Tous ! jusqu'aux purotins. A ceux-ci, en leur réchauffant la carcasse, le soleil rend la mistoufle moins cruelle.

Les trimardeurs s'essaiment le long des routes ; ils font le lézard à l'ombre des grands arbres et bouffent moins mal que de coutume : ils peuvent se dispenser d'aller tirer le pied de biche et, sous le ciel en chaleur, y a plan de se pagnoter dans les gerbes et d'y roupiller en douce.

Ah, ce que l'Été serait chouette à vivre, si le populo n'était pas condamné aux travaux forcés ! On le passera, kif-kif les petits oiseaux, en de continuelles chansons et roucoulades.

Ces étouffoirs que sont les grandes villes et la hideuse lèpre des bagnes industriels auraient disparu. En place de ces agglomérations puantes on aurait des chapelets de maisons potables, panachées de verdure et serpentant au diable-au-vert.

Le travail industriel, qui, grâce aux machines bougrement perfectionnées qu'on aurait pondues, serait fait proprement et sans que les bons bougres s'esquintent le tempérament, serait quasi devenu une besogne d'hiver.

Quand viendrait la saison où, en nous faisant risette, le soleil nous invite à la flâne, on s'en irait prendre des bains d'air, en pleine campluche.

Au lieu d'aller faire les pantouflards, aux bouibouis des bains de mer ou des stations thermales, on trouverait plus chouette d'aller donner un coup de collier aux cul-terreux, au moment des récoltes. Et, là encore, grâce aux mirifiques mécaniques le boulot ne serait qu'une grande partie de rigolade.

Ceux qui, au lieu de se frotter le museau dans les sillons, préféreraient se laver le cuir dans la grande tasse, n'auraient pas à se gêner.

La contrainte serait de sortie ! chacun tirerait du côté où ses goûts le pousseraient.

Ceux qui aiment la mer, iraient donner un coup de collier aux pêcheurs et, ce serait pour eux autrement rupin que les trouducuteries auxquelles se soumettent aujourd'hui les types de la haute qui s'en vont moisir sur les plages à la mode.



Messidor ouvrira l'été en plein : le soleil recevra tant de pailles dans l'¦il que les jours en rapetisseront ; par contre, les nuits tirant toute la couleur verte de leur côté, elles se foutront à rallonger jusqu'à la saison du boudin.

En messidor, on moissonnera, engerbera, dépiquera, ‹ non plus à grands renforts de bras, mais avec le flon-flon des machines.

Les pauvres bougres qui s'amèneront au louage, après s'être appuyés des lieues et des lieues sur les grandes routes, feront grise mine. Trop souvent ils trouveront visage de bois : les machines leur couperont la chique ! Là où, autrefois, on aurait embauché des centaines de prolos, quelques douzaines suffiront, et au lieu de durer des temps infinis, la moisson et tout le turbin qui s'en suit sera abattu en quelques jours.

Les malédictions pleuvront sur les mécaniques : les prolos montreront le poing aux moissonneuses qui, sans faire de magnes, foutront le blé en gerbes ; aux dépiqueuses qui avaleront les gerbes comme une pillule et rendront le grain tout ensaché.

Ce serait pourtant si commode de faire un bon ménage ! Y aurait qu'à foutre une sacrée purge aux richards : un coup qu'on aurait déblayé la terre de cette vermine, la récolte n'entrerait plus dans leurs granges et au lieu de faire concurrence au populo, les mécaniques ronfleraient à son profit.

Pour lors, on serait rupins ! Les gigots ne nous passeraient plus sous le nez, on aurait sa part de pain blanc, on boirait du sec et du frais.

On perdrait jusqu'au souvenir de la Saint-Jean, cette maudite fête crétine où les prolos de la campluche s'en vont au marché, foutant leur viande aux enchères, kif-kif du bétail.

Les voilà embauchés pour six mois ou un an ! Ils s'amènent à leur nouvelle étable, sans bride au cou, ‹ c'est des animaux dociles. Et dire qu'on appelle ça se louer, pauvres de nous..., c'est se vendre, nom de dieu !

L'esclave des temps anciens était moins dégueulasse : on était esclave par force, et non volontairement comme aujourd'hui.



Thermidor nous amènera la canicule, transformera nos caboches en bouillottes, muera les pépins en parasols et cuira les ¦ufs au cul des poules. Les flics feront la chasse aux cabots et Arton se pavanera aux bains de mer ; les poissons boiront de l'eau tiède, les bistrots seront dans leur dur, les porcs iront à la glandée, et les cornichons auront la gueule verte.

Ce mois-là, des tas d'avaros nous dégoulineront sur la margoulette :

Non contents d'être sucés jusqu'à la moelle par les sangsues gouvernementales, nous aurons à subir une sacrée invasion de punaises qui seront plates de la tête et minces du ventre. Malheur aux gourdiflots qui n'auront pas fait provision de poudre sans fumée, de mélinite, de plancastite, et autres fourbis en ite...je ne les vois pas à la fête !

Outre ça, dans la tripatouillée d'épidémies dont il faudra nous garrer, y en a une que la canicule rendra bougrement terrible, maligne, perverse, redoutable : ce sera la disette de picaillons ! vu la morte saison, la monouille sera aussi rare dans nos porte-braises que la justice dans les jupons des jugeurs et l'intelligence dans les bottes des gendarmes. Les pauvres bougres que rongera cette épidémie, plus affreuse que la gale, la peste ou le cholera, ne sauront à quel médecin se vouer. Pour s'en guérir radicalement, y aurait pourtant pas la mer à boire : il suffirait de ne pas attendre l'ouverture de la chasse, et se fiche illico à l'affût du gibier accapareur.

Les dépotés étant à l'abri de cette épidémie, ils continueront à la mener joyeuse : esquintés de n'avoir rien foutu de l'année, ils battront leur flemme en thermidor, et les chemins de fer trimballeront leur viande aux quatre coins du patelin.

Aux bons bougres qui espèrent les réformes promises par les faiseurs de lois, je conseille d'éplucher le temps que ces salauds turbinent dans l'année : c'est si peu que, le voudraient-ils, y aurait pas plan qu'ils tiennent leurs promesses.

L'été, ils s'appuient à l'affilée trois mois de flemme ; en plus, à chaque fête, carillonnée ou non, ils s'offrent des vacances ; pour ce qui est de leur boulot, le reste du temps ils ont à peine cinq séances par semaines. Tout calcul fait, ils ne vont à l'Aquarium qu'une centaine de jours par an.

Et ils n'y moisissent pas, nom de dieu ! Quand ils ne se donnent pas campos, ce qui leur arrive bougrement de fois, ils s'amènent vers les deux heures et s'esbignent vers les 5 ou 6 plombes. Grosso modo, en admettant qu'ils ne rateraient pas une séance, ça leur fait 4 heures par jour, ‹ 400 heures par an... soit une paye de plus de 20 francs l'heure ! Et ça ne leur suffit pas, nom de dieu !

A un avocat de Cherbourg, qui guignait l'Aquarium, on demandait : «Comment, vous qui gagnez 20,000 balles par an, vous lâcheriez votre cabinet pour palper les 9,000 francs des députés ?
‹ Vous me prenez donc pour une tourte ? eépondit l'ambitieux. Un député intelligent ne se contente pas de 9,000 francs.»



Fructidor le bien nommé, nom d'une pipe ! La fruitaille fruitera par tous les coins : tandis que les malins déchausseront les patates, écosseront les haricots, ne sauront par quel bout commencer, les loufoques gauleront les raisins en place des noix, les niguedouilles vendangeront les escargots, les charognes encaisseront des marrons et les finauds suceront la poire aux pommes et aux bonnes bougresses.

Par exemple, ceux-là feront une sale gueule qui récolteront des vingt-huit jours ! Ils en seront tellement à cran que dans les man¦uvres les gradés seront d'une riche prudence, se tenant à l'écart pour ne pas récolter de pruneaux.

D'autre part, les huîtres et les richards commenceront à rappliquer à la ville.

Le soleil musardera sous le signe de la vierge, et en fait de bégueules, faisant grise mine aux bécots, on ne verra guère que les laiderons et les bigottes.

Les braconniers n'auront pas attendu l'autorisance gouvernementale pour décrocher leur fusil, et ils n'auront foutre pas eu tort ! Les trous du cul brailleront qu'ils exterminent le gibier, ne lui laissant pas pousser poils et plumes. Qu'ils cessent de jérémier ! Il en sera de même aussi longtemps qu'on nous foutra des entraves aux pattes : du moment que les dirigeants interdisent quèque chose, c'est une raison pour sauter à pieds joints sur l'interdiction.

Les bidards qui cracheront 25 balles à l'État pourront massacrer cailles, perdreaux, lapins, sans craindre les charpentiers à Carnot. C'est-y leur permis qui offusquera le gibier ? Toujours est-il qu'ils n'en dégringoleront pas des flottes !

Plus heureuses seont les bonnes bougresses : elles feront une rude chasse aux puces, qui, cette année, abonderont à boisseaux. Eh crédieu, je vous réponds d'une chose, c'est que les veinards qui leur donneront un coup de main pour ce turbin galeux ne bouderont pas à la besogne.

Fructidor bouclera l'an 102 du calendrier révolutionnaire. Si les sans-culottes qui, il y a un siècle, le foutirent en chantier, revenaient, histoire de boire chopine avec nous, ils se ficheraient salement de notre fiole et nous engueuleraient comme un pied. A nous voir, revenus au vomissement du calendrier esclave,ils nous renieraient illico, ne voulant pas, dans nos têtes à gifles, reconnaître la bobine de leurs petits-fils.

Et nom de dieu, ils n'auraient pas tort de trouver que nous n'avons guère marché sur leurs traces; s'ils n'étaient pas en plein dans l'axe, du moins les bougres étaient de leur siècle, tandis qu'il serait difficile de dire duquel nous sommes. Au lieu de sang, c'est du jus de navet, du pissat de richard qui gargouille dans nos veines.

Enfin, espérons qu'un de ces quatre matins, la moutarde nous montant au nez, nous rattraperons le temps perdu.


Émile Pouget