PATRIE !
S'il nous fallait attaquer les uns après les autres, les innombrables
préjugés dont on a farci nos cerveaux et saturé notre
intelligence dès l'âge le plus tendre, non-seulement le cadre
de ce journal serait insuffisant, mais encore des volumes contiendraient
à peine la matière que comporte un pareil sujet. force nous
est donc de nous rabattre sur les préjugés qui nous semblent
les plus enracinés dans l'esprit des masses, sur ceux qui maintiennent
le plus les travailleurs dans une situation misérable, inférieure,
et qui sont pour ainsi dire, le nÏud gordien de l'émancipation sociale
des prolétaires des Deux-Mondes.
Pour cela faire, nous commencerons notre Ïuvre en attaquant le préjugé
capital, celui qui, depuis des siècles, a fait répandre le
plus de larmes, ériger le brigandage, le vol, le meurtre
en principe, en institution.
Ce préjugé sur lequel, seul, nous voulons nous arrêter
aujourd'hui ; qui a divisé les hommes, parqueté les peuples,
c'est le préjugé militaire, le chauvinisme.
Ce préjugé qui nous a fait jusqu'à ce jour, reconnaître
comme chefs couverts de gloire et d'honneur, ceux qui avaient assassinés
ou fait assassiner le plus d'hommes, jeter le plus de deuils, dévaster
le plus de peuples.
Par quel renversement de la raison humaine cet état de choses
a-t-il pu exister sur toute la terre depuis tant de siècles ?
Quels moyens, quels talismans des bandits ont-ils pu employer ? De
quels mots se sont-ils servis ?
D'un seul mot : PATRIE !
Par ce mot, les peuples inconscients ont été domptés,
enchaînés.
C'est à ce mot sinistre et fatal que des flots de sang ont été
versés, sans compter ceux qui se verseront encore tant que subsistera
ce chauvinisme idiot et féroce.
Patrie : mot stupide.
Patriotisme : mot criminel.
Patrie : Droit de propriété des bandits rentés,
galonnés, et entretenus par la bêtise des masses laborieuses.
Patriotisme : Haine officielle imposée entre peuples frères,
mais enchaînés.
société bourgeoise infâme ; ah ! comme il est vrai
que l'immensité de ton monstrueux édifice a bien pour base
l'ignominie, et pour principe, la solidarité des crimes.
Patriotisme : Haïssons-nous les uns les autres.
Patrie : Divisons pour régner.
Inconscients que nous sommes, le prétendu patriotisme de nos
maîtres ne devrait-il pas nous servir d'exemples et nous dessiller
les yeux !
Les capitaux qu'ils ont volés aux producteurs Ñ seuls auteurs
de la richesse publique Ñ ont-ils une patrie ?
Leurs bagnes industriels, tous grands ouverts aux ouvriers de n'importe
quelle nation, pourvu qu'ils s'offrent à meilleur marché
que les ouvriers français, ont-ils une patrie ?
Ce préjugé que le peuple a conservé religieusement
jusqu'à ce jour et qui nous faisait frissonner d'une certaine fièvre
lorsque nous voyons les mascarades franco-russes ; cette fièvre
belliqueuse et qui tient de l'animalité féroce qui s'empare
de nous lorsqu'on nous parle de l'Allemagne, ce préjugé monstrueux
a été créé et entretenu par ceux qui, par notre
faiblesse, se sont érigés nos maîtres, afin d'opérer,
de temps à autre quelques saignées nécessaires à
leur prérogatives, parmi les travailleurs
en grève, toujours plus nombreux et plus affamés.
A l'influence religieuse qui disparaît, ne faut-il pas à
la bourgeoisie, une influence qui la remplace et lui assure les moyens
de «gouverner» !
De la religion nouvelle du patriotisme. L'office est différent,
mais le but est le même : abêtir l'homme pour l'exploiter plus
facilement.
A quoi servent, en effet, les armées, ces écoles de l'abrutissement
et de la servilité ? A qui servent-elles, si ce n'est qu'à
cimenter l'édifice bourgeois en permettant aux dirigeants de retaper
leur prestige par les guerres étrangères,et perpétuer
l'exploitation des masses par la répression des mouvements populaires
ayant pour objet de réclamer le droit de de vivre en travaillant.
Voilà où nous ont conduit nos préjugés
et notre routine du laisser-faire parce que ça s'est toujours fait.
Le peuple comprendra-t-il bientôt que pour s'appartenir, il faut
qu'il fasse une vie nouvelle, qu'il rompe avec le vieux monde qui n'attend
qu'une poussée pour s'écrouler, qu'il fonde enfin, une société
nouvelle où le passé ne sera plus qu'un cauchemar.
Allons, peuple travailleur, jette un coup d'Ïil sur le passé,
envisage le présent qui ne vaut pas mieux, et redresse-toi enfin
justicier implacable, garde-toi contre les crapules galonnées, les
loups-cerviers de la finance, les serpents de la superstition, les hyènes
du pouvoir, les corrompus de la magistrature, les crapauds de la presse
bourgeoise patriotarde, les chenilles de la police et les enragés
de l'autorité sous toutes ses formes.
Si l'on cherche à nous diviser et susciter parmi nous la guerre,
tendons au contraire une main fraternelle à tous les opprimés
du globe terrestre qui est notre commune-patrie.
Si l'on commande de nous égorger les uns les autres pour quelque
motif que ce soit. Eh bien ! retournons-nous unis contre nos dirigeants,
enfermons-les dans le cercle de nos colères, et pour répondre
à leurs excitations perfides et criminelles, exploités des
deux hémisphères, oublions les premiers coups et les dernières
blessures, et dans une ripaille de titans, mangeons ensemble nos tyrans,
nos exploiteurs et nos maîtres !
|
APPEL AUX EMPLOYÉS
S'Il est une chose écÏurante entre toutes à
constater, c'est bien l'avachissement dans lequel sont tombés les
employés de toutes sortes, qu'ils appartiennent aux administrations,
au commerce, à la finance ou à l'industrie.
Ce sont les individus les plus domestiqués de
la classe pauvre, d'ailleurs, comme les domestiques, leur plaisir est de
singer leurs maîtres ; il en sont arrivés à ce degré
d'affaissement, qu'ils ne sentent plus le collier de servitude et des réprimandes
qui feraient bondir d'indignation un ouvrier, les laissent calmes et soumis.
L'habitude, l'autorité et l'instruction bourgeoise,
les ont bien transformés ; ils ont subi une sélection à
rebours, qui en a fait des châtrés du libre arbitre et les
mènera à l'idiotie, si la Révolutionn'y met
ordre.
Mais, me diront les compagnons, ce n'est pas avec du
vinaigre qu'on attrape les mouches, et cette diatribe ne peut qu'éloigner
de nous les indécis.
A cela je répondrai que la Révolution n'a
pas besoin de soldats effémines, lesquels sont même un embarras
dans la luette ; ce n'est pas non plus en flattant les esclaves qu'on en
fait des hommes et d'ailleurs ceux qui ont du sang dans les veines, un
peu de cÏur et les idées droites, savent bien qu'il y a toujours
des exceptions à la règle ; ils chercheront et viendront
à la Grande Idée quand même, écÏurés
de se trouver en pareille compagnie.
Quand je songe au discours et à la mine piteuse
du candidat Gaffarel, à côté du succès obtenu
par l'orateur Brunet, lors de la dernière conférence à
la salle Foveau, je vois encore mieux l'ignorance crasse de la plupart
de ces employés, qui croient, comme le disent les canardsbourgeois,
que l'Anarchie n'est qu'un prétexte pour piller et assassiner.
Faut-il leur répéter pour la millionième
fois peut-être, que l'Anarchie est discutée depuis plus de
cent ans ; que le communisme a été noyé dans le sang
pendant la grande révolution ; que les principes anarchistes sont
soutenus victorieusement dans des centaines d'ouvrages, par des savants
indiscutés de toutes les nations.
Pour n'en citer que quelques-uns : l'illustre géographe
Elisée Reclus, le savant naturaliste Kropotkine, les écrivains
de talent Octave Mirbeau, J. Grave, Xavier Merline, A. Hamon, Zo-D'axa,
charles Mulato, William Morris, H. Fèvre, G. Darien, Bernard Lazare,
André Veidaux, Ludovic Malquin, Paul Reclus, etc..., l'orateur Sébastien
Faure, que nous avons entendu à Dijon, et que nous écouterons
encore prochainement peut-être, avec grand plaisir...
J'en passe et des meilleurs, car ils ne sont pas tous
connus.
Faut-il donc leur apprendre qu'une quantité de
journaux répandent les idées : la Révolte, le Père
Peinard, la Revue anarchiste, la Société Nouvelle, l'Art
Social, l'Insurgé,etc...
Qu'une multitude de brochures, qui sont chacune une étude
sérieuse, ont été éditées à des
prix abordables à tous.
Depuis quelques années, les idées communistes-anarchistes
ont fait des progrès immenses ; elles ont pénétré
partout, dans les campagnes aussi bien que dans les villes et dans tous
les milieux. (On me citait hier un cultivateur qui vend ses terres pour
faire de la propagande autour de lui.)
Eh bien, malgré cela, le milieu bureaucrate, que
l'on croit à tort plus développé comme intelligence,
est réfractaire par ignorance et par routine aux idées nouvelles.
Cependant, quoi qu'en pensent les ouvriers, leur sort
n'est pas enviable ; pour les douze ou quinze cents francs qu'on leur jette
à la figure, comme un os à ronger, quel service humiliant
on leur demande, à quelle bassesse et quelle domesticité
on les contraint.
Aussi, plusieurs d'entre eux sont déjà
parmi nous ; certains, ont même payé de leur liberté
leur dévouement à la cause et sont encore sous les verrous
bourgeois.
Camarades ! Alors qu'une vie nouvelle se prépare,
sublime de liberté, dégalité et de vraie fraternité,
vous ne resterez pas indifférents à la lutte formidable engagée
par quelques héros contre le colosse bourgeois ; vous vous souviendrez
que la blouse maculée de charbon, de farine, de plâtre ou
d'huile est la sÏur de vos vestons trop courts et percés aux coudes.
Un effort, un peu de désintéressement et
de hardiesse et vous serez vite convaincus que l'Anarchie est l'avenir
de l'Humanité (ainsi que l'a dit Blanqui).
|