Mistoufe02.htm


Paraissant tous les Dimanches
    À DIJON

- Extraits du n°2 -
12 novembre 1893
PATRIE !

S'il nous fallait attaquer les uns après les autres, les innombrables préjugés dont on a farci nos cerveaux et saturé notre intelligence dès l'âge le plus tendre, non-seulement le cadre de ce journal serait insuffisant, mais encore des volumes contiendraient à peine la matière que comporte un pareil sujet. force nous est donc de nous rabattre sur les préjugés qui nous semblent les plus enracinés dans l'esprit des masses, sur ceux qui maintiennent le plus les travailleurs dans une situation misérable, inférieure, et qui sont pour ainsi dire, le nÏud gordien de l'émancipation sociale des prolétaires des Deux-Mondes.
Pour cela faire, nous commencerons notre Ïuvre en attaquant le préjugé capital, celui qui, depuis des siècles, a fait répandre le plus de larmes, ériger le brigandage, le vol, le meurtre en principe, en institution.
Ce préjugé sur lequel, seul, nous voulons nous arrêter aujourd'hui ; qui a divisé les hommes, parqueté les peuples, c'est le préjugé militaire, le chauvinisme.
Ce préjugé qui nous a fait jusqu'à ce jour, reconnaître comme chefs couverts de gloire et d'honneur, ceux qui avaient assassinés ou fait assassiner le plus d'hommes, jeter le plus de deuils, dévaster le plus de peuples.
Par quel renversement de la raison humaine cet état de choses a-t-il pu exister sur toute la terre depuis tant de siècles ?
Quels moyens, quels talismans des bandits ont-ils pu employer ? De quels mots se sont-ils servis ?
D'un seul mot : PATRIE !
Par ce mot, les peuples inconscients ont été domptés, enchaînés.
C'est à ce mot sinistre et fatal que des flots de sang ont été versés, sans compter ceux qui se verseront encore tant que subsistera ce chauvinisme idiot et féroce.
Patrie : mot stupide.
Patriotisme : mot criminel.
Patrie : Droit de propriété des bandits rentés, galonnés, et entretenus par la bêtise des masses laborieuses.
Patriotisme : Haine officielle imposée entre peuples frères, mais enchaînés.
société bourgeoise infâme ; ah ! comme il est vrai que l'immensité de ton monstrueux édifice a bien pour base l'ignominie, et pour principe, la solidarité des crimes.
Patriotisme : Haïssons-nous les uns les autres.
Patrie : Divisons pour régner.
Inconscients que nous sommes, le prétendu patriotisme de nos maîtres ne devrait-il pas nous servir d'exemples et nous dessiller les yeux !
Les capitaux qu'ils ont volés aux producteurs Ñ seuls auteurs de la richesse publique Ñ ont-ils une patrie ?
Leurs bagnes industriels, tous grands ouverts aux ouvriers de n'importe quelle nation, pourvu qu'ils s'offrent à meilleur marché que les ouvriers français, ont-ils une patrie ?
Ce préjugé que le peuple a conservé religieusement jusqu'à ce jour et qui nous faisait frissonner d'une certaine fièvre lorsque nous voyons les mascarades franco-russes ; cette fièvre belliqueuse et qui tient de l'animalité féroce qui s'empare de nous lorsqu'on nous parle de l'Allemagne, ce préjugé monstrueux a été créé et entretenu par ceux qui, par notre faiblesse, se sont érigés nos maîtres, afin d'opérer, de temps à autre quelques saignées nécessaires à leur prérogatives, parmi les travailleurs en grève, toujours plus nombreux et plus affamés.

A l'influence religieuse qui disparaît, ne faut-il pas à la bourgeoisie, une influence qui la remplace et lui assure les moyens de «gouverner» !
De la religion nouvelle du patriotisme. L'office est différent, mais le but est le même : abêtir l'homme pour l'exploiter plus facilement.
A quoi servent, en effet, les armées, ces écoles de l'abrutissement et de la servilité ? A qui servent-elles, si ce n'est qu'à cimenter l'édifice bourgeois en permettant aux dirigeants de retaper leur prestige par les guerres étrangères,et perpétuer l'exploitation des masses par la répression des mouvements populaires ayant pour objet de réclamer le droit de de vivre en travaillant.
Voilà où nous ont conduit nos préjugés et notre routine du laisser-faire parce que ça s'est toujours fait.
Le peuple comprendra-t-il bientôt que pour s'appartenir, il faut qu'il fasse une vie nouvelle, qu'il rompe avec le vieux monde qui n'attend qu'une poussée pour s'écrouler, qu'il fonde enfin, une société nouvelle où le passé ne sera plus qu'un cauchemar.
Allons, peuple travailleur, jette un coup d'Ïil sur le passé, envisage le présent qui ne vaut pas mieux, et redresse-toi enfin justicier implacable, garde-toi contre les crapules galonnées, les loups-cerviers de la finance, les serpents de la superstition, les hyènes du pouvoir, les corrompus de la magistrature, les crapauds de la presse bourgeoise patriotarde, les chenilles de la police et les enragés de l'autorité sous toutes ses formes.
Si l'on cherche à nous diviser et susciter parmi nous la guerre, tendons au contraire une main fraternelle à tous les opprimés du globe terrestre qui est notre commune-patrie.
Si l'on commande de nous égorger les uns les autres pour quelque motif que ce soit. Eh bien ! retournons-nous unis contre nos dirigeants, enfermons-les dans le cercle de nos colères, et pour répondre à leurs excitations perfides et criminelles, exploités des deux hémisphères, oublions les premiers coups et les dernières blessures, et dans une ripaille de titans, mangeons ensemble nos tyrans, nos exploiteurs et nos maîtres !


APPEL AUX EMPLOYÉS

S'Il est une chose écÏurante entre toutes à constater, c'est bien l'avachissement dans lequel sont tombés les employés de toutes sortes, qu'ils appartiennent aux administrations, au commerce, à la finance ou à l'industrie.
Ce sont les individus les plus domestiqués de la classe pauvre, d'ailleurs, comme les domestiques, leur plaisir est de singer leurs maîtres ; il en sont arrivés à ce degré d'affaissement, qu'ils ne sentent plus le collier de servitude et des réprimandes qui feraient bondir d'indignation un ouvrier, les laissent calmes et soumis.
L'habitude, l'autorité et l'instruction bourgeoise, les ont bien transformés ; ils ont subi une sélection à rebours, qui en a fait des châtrés du libre arbitre et les mènera à l'idiotie, si la Révolutionn'y met ordre.
Mais, me diront les compagnons, ce n'est pas avec du vinaigre qu'on attrape les mouches, et cette diatribe ne peut qu'éloigner de nous les indécis.
A cela je répondrai que la Révolution n'a pas besoin de soldats effémines, lesquels sont même un embarras dans la luette ; ce n'est pas non plus en flattant les esclaves qu'on en fait des hommes et d'ailleurs ceux qui ont du sang dans les veines, un peu de cÏur et les idées droites, savent bien qu'il y a toujours des exceptions à la règle ; ils chercheront et viendront à la Grande Idée quand même, écÏurés de se trouver en pareille compagnie.
Quand je songe au discours et à la mine piteuse du candidat Gaffarel, à côté du succès obtenu par l'orateur Brunet, lors de la dernière conférence à la salle Foveau, je vois encore mieux l'ignorance crasse de la plupart de ces employés, qui croient, comme le disent les canardsbourgeois, que l'Anarchie n'est qu'un prétexte pour piller et assassiner.
Faut-il leur répéter pour la millionième fois peut-être, que l'Anarchie est discutée depuis plus de cent ans ; que le communisme a été noyé dans le sang pendant la grande révolution ; que les principes anarchistes sont soutenus victorieusement dans des centaines d'ouvrages, par des savants indiscutés de toutes les nations.
Pour n'en citer que quelques-uns : l'illustre géographe Elisée Reclus, le savant naturaliste Kropotkine, les écrivains de talent Octave Mirbeau, J. Grave, Xavier Merline, A. Hamon, Zo-D'axa, charles Mulato, William Morris, H. Fèvre, G. Darien, Bernard Lazare, André Veidaux, Ludovic Malquin, Paul Reclus, etc..., l'orateur Sébastien Faure, que nous avons entendu à Dijon, et que nous écouterons encore prochainement peut-être, avec grand plaisir...
J'en passe et des meilleurs, car ils ne sont pas tous connus.
Faut-il donc leur apprendre qu'une quantité de journaux répandent les idées : la Révolte, le Père Peinard, la Revue anarchiste, la Société Nouvelle, l'Art Social, l'Insurgé,etc...
Qu'une multitude de brochures, qui sont chacune une étude sérieuse, ont été éditées à des prix abordables à tous.
Depuis quelques années, les idées communistes-anarchistes ont fait des progrès immenses ; elles ont pénétré partout, dans les campagnes aussi bien que dans les villes et dans tous les milieux. (On me citait hier un cultivateur qui vend ses terres pour faire de la propagande autour de lui.)
Eh bien, malgré cela, le milieu bureaucrate, que l'on croit à tort plus développé comme intelligence, est réfractaire par ignorance et par routine aux idées nouvelles.
Cependant, quoi qu'en pensent les ouvriers, leur sort n'est pas enviable ; pour les douze ou quinze cents francs qu'on leur jette à la figure, comme un os à ronger, quel service humiliant on leur demande, à quelle bassesse et quelle domesticité on les contraint.
Aussi, plusieurs d'entre eux sont déjà parmi nous ; certains, ont même payé de leur liberté leur dévouement à la cause et sont encore sous les verrous bourgeois.
Camarades ! Alors qu'une vie nouvelle se prépare, sublime de liberté, dégalité et de vraie fraternité, vous ne resterez pas indifférents à la lutte formidable engagée par quelques héros contre le colosse bourgeois ; vous vous souviendrez que la blouse maculée de charbon, de farine, de plâtre ou d'huile est la sÏur de vos vestons trop courts et percés aux coudes.
Un effort, un peu de désintéressement et de hardiesse et vous serez vite convaincus que l'Anarchie est l'avenir de l'Humanité (ainsi que l'a dit Blanqui).


BOURGEOIS PHILANTHROPES

Sous ce titre, dans son premier numéro, la Mistoufeapprenait à ses lecteurs qu'une souscription, faite en 1891, par le Progrès de la Côte-d'Or,en faveur d'une famille pauvre, n'avait jamais été versée entre les mains des intéressés.
Dans son numéro du lundi 6 novembre, le Progrès de la Côte-d'Ortraite les Anarchistes de calomniateurs, disant qu'ils ont entre les mains le reçu de l'argent versé.
A la lecture de cette note, deux administrateurs de la Mistoufese sont rendus aux bureaux du Progrès,accompagnés du père de famille pour qui la souscription avait été faite, pour voir quelle signature portait le reçu.
Suivant notre désir, ces Messieurs ont mis devant nos yeux, à notre grande stupéfaction, la signature de M.Alfred Vacher, qui, agissant au nom du propriétaire de la maison où habitait cette pauvre famille, emportant les sept francs qui devaient légèrement soulager ceux qui mouraient de faim.
Que pensez-vous, amis lecteurs, de cette distribution absurde ; n'est-ce pas plutôt le Progrèsqui, ayant appris la misère noire du sieur Vachez, a saisi au bond l'occasion de donner un morceau de pain à ce malheureux recors qui tombait d'inanition, n'en doutez pas, car ce n'est pas le propriétaire qui a touché, mais l'huissier qui s'est payé ses honoraires.
Que le Progrès maintenant ne vienne pas nous dire qu'il a crut bien faire, en remettant la somme à l'huissier pour éviter l'expulsion du locataire ; celui-ci a fort bien été mis dehors quelques jours après.
Fiez-vous donc aux bourgeois philanthropes !


UN FIEFFÉ EXPLOITEUR

Dans la rue Louis-Blanc, à Dijon, il existe une fabrique de chaussons, dont le patron possède à la place du cÏur une pièce de cent sous.
Cet individu, sans vergogne, ne craint pas de faire faire le travail d'un homme auquel il donnait trois francs par jour, à un enfant qu'il paie seulement un franc.
Par des vols continuels de ce genre, pratiqués sur tout le personnel de sa maison, composée de filles, femmes, garçons et hommes, il arrivera, en peu de temps, à ramasser une fortune ; tandis que ceux qui l'auront enrichi ne pouvant vivre de leur travail seront obligés, les unes de se livrer à la prostitution, les autres de prendre où il y a pour nourrir leur famille.
Des farceurs nous disent que la fortune est le fruit du travail, ils devraient ajouter : des Travailleurs



 
SILHOUETTES TROYENNES
 

Lorsqu'on veut sonder le trou noir des consciences et des responsabilités humaines, on porte son attention sur les impressions originelles de l'homme soumis à l'examen. Ñ E. H.


LE CITOYEN LELOUP

Face pâle ; visage triangulaire aux pommettes osseuses, pareilles à des coquilles de noix sculptées en têtes d'hommes ; les yeux renfoncés à l'iris couleur bile ; les sourcils sont froncés ; la barbe noire est taillée en bouc ; dents longues et narines frétillantes dénotant l'appétit, la convoitise et la méchanceté sournoise, c'est lui Leloup.
En semaine, pas de flaflas, un simple gilet en toile noire ; le dimanche et principalement les jours de réunions publiques, un complet ne permettant pas de le confondre avec le vulgaire ; un ambitieux de deuxième ordre inconsciemment conscient de son inconséquence, vivant dans un pis-aller incertain.
Pour satisfaire aux désirs de son arrogante autocratie : tous les moyens lui sont bons. Mais les moyens jésuitiques, ceux détournés, ceux qui ne comportent pas de châtiments, sont l'objet de sa sélection.
A fait partie du Comité central du Parti ouvrier où il jouait le pontife, l'archange, le dispensateur et le tartufe... suivant le cas, ce qui ne faisait pas toujours l'affaire du grand lama Pédron, qui proposa et obtint son expulsion du Parti ouvrier.
Leloup s'est vengé en posant dernièrement sa candidature au conseil des prud'hommes où il fut élu contre le candidat estampillé par le Parti ouvrier.
Dans les réunions publiques, il s'est donné pour rôle l'emploi des embêteurs. Fouinassant, ergotant, tracassant, calomniant selon ses petites Ñ oh ! très petites Ñ facultés.
Leloup est un despote en herbe, un despote-avorton. Dans le milieu ouvrier où sa souplesse d'échine a su germer et prendre vie, il est la pluie et le beau temps.
Insuffisant, tranchant, sans franchise, cet apprenti bonze, à l'esprit obtus, s'imagine être un lion.
Puisqu'il semble tenir à ne pas faire mentir son nom, et à être classé parmi les carnassiers, qu'il prenne un échelon : un lion ! un loup ! allons donc !!! une punaise,passe encore.

O anarchos, laissez à l'aise
Mordre cet animal rampant,
En croyant frapper un serpent,
N'écrasez pas une punaise.
Charité bourgeoise

Le 1er novembre, à midi 25, tris bourgeois, au ventre rebondissant, sortaient de prendre leur apéritif au café de la concorde et se dirigeaient vers l'hôtel de la Cloche.
Devant cet hôtel, trois enfants de huit à dix ans, les vêtements en lambeaux, imploraient les passants. L'un d'eux, plus hardi, courut au-devant de nos bourgeois tendant la main en disant : un petit sou, s'il vous plaît.
«Veux-tu me foutre le camp», répondit celui auquel s'adressait ces paroles ; mais le gamin, habitué aux refus, persista dans sa demande jusqu'à l'escalier de l'hôtel.
Là, il fut rejoint par ses camarades qui à leur tour tendirent la main. Celui qui avait repoussé le premier enfant, se voyant entouré par les trois, leva sa canne pour les en frapper ; mais, devant les regards de deux colleurs d'affiches de la Mistoufequi passaient, il la baissa, ouvrir son porte-monnaie et jeta au loin un sou. Ce changement d'attitude était seulement motivé par notre présence ; de plus, ces trois repus, en lâchant ce sou, le faisaient pour se débarrasser et s'amuser de la lutte entre les trois malheureux gamins.
Songez, bourgeois ventrus, que si vous n'aviez pas volé aux parents de ces enfants l'argent qui vous permet de dîner au plus grand hôtel de Dijon, eux n'auraient pas besoin de tendre la main un jour de fête.



Vers LA MISTOUFE n°3