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Paraissant tous les Dimanches
    À DIJON

5 novembre 1893
Producteurs et parasites

Des personnes bien pensantes, mais imbues de préjugés, osent affirmer que l'égalité entre les hommes, ne pourra jamais s'établir et encore moins exister par la raison de l'inégalité des intelligences ; est-ce que l'inégalité d'intelligence a quelque chose de commun avec l'inégalité de condition, les hommes sont des êtres de même nature et soumis aux mêmes besoins, tous ont le même droit de vivre et une égale part dans les avantages de la vie sociale.

Si l'on juge les droits d'autrui sur les siens, ne devant rien l'on ne doit rien exiger ; l'égalité entre les hommes suppose leur indépendance, ils ne se doivent qu'un appui mutuel ; tout privilège est une négation de l'égalité, une usurpation, une violence contre nature.

L'homme, enfant de la terre, ne doit être tributaire que de la sueur qui arrose le sol pour le féconder ; mais pour le malheur des travailleurs, le sol est tributaire de la conquête, le sol et tout ce qui en fait partie : artisans, ouvriers serfs, esclaves attachés au manche de l'outil ou de la charrue, comme faisant partie de l'outillage ; instrument de travail, mais non homme libre, être sans volonté à exprimer, ni droit à faire valoir, la terre que tu fouilles, tu en est déshérité, tu n'as pour égaux que les souffrants et des humiliés et devant toi des tenanciers, arbitres de ton sort ! N'ayant que tes bras pour produire, tu n'es pas maître de ta personne ; tu n'as que des devoirs, et ton travail est payé de mépris, d'ingratitude et de misère.

L'homme ne peut désirer ce qu'il ne comprend pas et encore moins vouloir ce qui lui est inconnu ; de même, il ne saurait exercer une profession, ni faire un métier qu'il n'aurait jamais appris ; et comme en toutes choses l'idée précède l'exécution, nous devons socialement en conclure que le communisme libertaire ne pourra socialement s'appliquer qu'après avoir été compris par les masses.

L'homme, comme la plante, retire sa nourriture de la terre, sans elle il ne pourrait pas exister, donc, la terre doit être à tous et à personne ; à tous pour l'embellir et la faire fructifier, à personne pour le droit de faire payer à autrui pour l'occuper ou s'en servir. Un droit qui se paye n'est pas un droit, celui qui n'a pas la liberté de produire, n'a pas le droit ou plutôt la liberté de vivre.

Le Communisme libertaire, l'Anarchie, c'est l'égalité non pas devant la loi, mais devant l'instrument de travail, devant la terre, devant tout ; chacun ayant droit aux produits ainsi qu'à toutes les découvertes scientifiques et industrielles. Tous pour chacun, chacun pour tous. Ce ne sera qu'à cette condition que l'homme aura son autonomie ; que l'organisation industrielle et agricole pourra se développer en toute liberté et dans toute sa puissance, pour satisfaire tous les besoins et empêcher qu'il y ait des meurts-la-faim au milieu de l'abondance, lorsque toutes les richesses de la terre seront en commun, chacun pourra produire dans la limite de ses forces et à sa volonté, quand il n'y aura plus de rentes, d'impôts, de fermages, de location à fournir, ni de salaires à mériter, chacun pourra consommer selon ses besoins, qui consentirait à gouverner sans impôt à recevoir, qui pourrait se dire propriétaire ou capitaliste, sans rente ni fermage, ce n'est pas le titre qui fait le maître, mais le bénéfice.

Ayons conscience de nos droits et de notre force ; déclarons hautement que la conquête a été le principe constitutif des gouvernements et des droits de propriété individuelle ; que l'esclavage et les redevances aux souverains et seigneurs, en ont été la conséquence ; que les impôts et les rentes en sont la continuation ; et qu'aussi longtemps que nous voudrons les fournir, il y aura des souffrants et des parasites, des repus et des meurt-la-faim.

De la volonté et de l'énergie ! Revendiquons ce qui nous a été soustrait, et qui, de par la loi des besoins est indispensable à tous les êtres ; la terre. Levons-nous pour la justice et disons à ceux qui nous gouvernent et détiennent les richesses sociales : nous ne voulons plus de maîtres qui nous forcent à vivre en vagabonds, en mendiants et en forçats, nous n'en voulons plus car ils nous laissent en partage la misère et l'ironique perspective de mourir à l a peine ou de faim, de se faire tuer pour défendre leurs privilèges, pour que leur race s'éteigne à jamais : guerre à eux et à leur privilèges, jusqu'à l'avènement de la radieuse anarchie


EXCITATION AU CHAUVINISME

Dimanche dernier, les bourgeois dijonnais ont joué pour la vingtième fois au moins la parade chauviniste du 30 octobre.

Comme toute parade elle était accompagnée de grosse caisse et de coups de tam-tam ; les chiffons patriotiques flottaient au vent et les fanfares des sociétés de gymnastique jetaient leurs notes bruyantes.

Nous avons autant que n'importe qui le culte des morts, nous n'oublions pas les victimes des luttes sociales et tous les dévouements pour nous sont respectables.

Loin de nous l'idée d'insulter à la mémoire des braves qui sont tombés sous les balles allemandes s'ils se sont trompés d'idéal, si leur mort ne sert qu'à glorifier l'infâme patrie, cette marâtre abominable qui a déjà tant répandu de sang, ils n'en sont pas moins des victimes, dignes d'une meilleure cause.

Nous ne pouvons donc que protester contre des manifestations qui ont pour but la réclame patriotique à laquelle pour d'excellentes raisons nous sommes opposés.

Cette réclame, d'ailleurs, n'est pas seulement patriotique, elle est aussi indirectement commerciale.

Les bourgeois qui poussent à ces sortes d'exhibitions, comprennent bien leurs intérêts ; pour plus amples renseignements demandez plutôt à l'un d'eux, tristement célèbre à Dijon, qui fit fortune en 1870, en vendant à l'armée des souliers dont la semelle était en carton.

Un autre vend des bidons, un troisième des képis, des musettes, etc. ; il y a encore les fournisseurs de livrées,ceux de vivres, des armes et des munitions de toutes sortes (et les histoires de faux poinçons ne sont pas rares.)

Enfin, ils sont une armée ces négociants qui s'engraissent en fournissant la nourriture à des soldats qui ne mangent jamais à leur faim.

Toute diminution des effectifs, tout commencement de désarmement porterait atteinte à leur fortune ; aussi c'est avec un soin jaloux qu'ils entretiennent l'esprit chauvin ; ils soufflent sur le feu de la discorde de tous leurs poumons et poussent à la lutte fratricide entre les peuples, pour la plus grande gloire de quelques despotes et le profit de tous les souteneurs du régime capitaliste.

A l'appui de nos théories, que l'on repousse de parti pris, nous donnerons dans le prochain numéro les appréciations de quelques philosophes sur l'idée de la patrie.


BOURGEOIS PHILANTHROPES

Au commencement de 1891, le Progrès de la Côte-d'Orouvrit une souscription en faveur d'une pauvre famille, laquelle a produit une certaine somme. Réclamée en trois fois différentes par les intéressés, ces Messieurs du Progrèssont restés sourds.

Fiez-vous donc aux bourgeois philanthropes.



 
 




FAITS CORRECTIONNELS







Dijon Ñ Le 27 octobre dernier, un pauvre diable, passant en correctionnelle pour vagabondage, se voit infliger quinze jours de prison, proteste contre sa condamnation, déclarant à ses juges qu'il préférerait en avoir pour quatre mois, vu l'approche de l'hiver.
Faut-il que la Société soit ingrate pour qu'il se trouve des êtres humains qui consentent à donner leur liberté en échange de la boule de son et de la puante paillasse de la prison.
A cette même audience, deux individus en goguette ont été condamnés chacun à un mois de prison, pour avoir soit-disant volé du charbon, quand en réalité, d'après leurs déclarations sans preuve du contraire, ils l'ont ramassé dans la rue.
Mais les gendarmes furieux de n'avoir pu mettre la main sur des contrebandiers d'allumettes qu'ils pistaient, se vengèrent en faisant condamner les deux pauvres bougres.
 

SILHOUETTES TROYENNES
 

Lorsqu'on veut sonder le trou noir des consciences et des responsabilités humaines, on porte son attention sur les impressions originelles de l'homme soumis à l'examen. Ñ E. H.


LE CITOYEN PEDRON

A tout seigneur, tout honneur !

Un long squelette ; le poil capillaire de l'occiput se raréfiant ; le teint billeux, le front large, sillonné de rides légères ; les yeux jaunes, tachetés de fébriles fauves, réfléchissent une tristesse sauvage, très expansive par instant ; une longue barbe noire tombant en stalactites le long des joues amaigries ; les oreilles détachées, piquées de poils follets.
L'accoutrement du corps complète cette physionomie originale et lui donne l'air d'une fantaisie bachique d'Hoffmann.
Un politicailleur tonitruant et gesticulant. Caractère entaché surtout d'une hypertrophie du MOI ; c'est un débrouillard sans scrupule, possédant une mesquine cervelle pleine de finesse et de ressources ; il pilote les timides, les faibles et les naïfs au milieu des écueils dont est semé le chemin de sa fortune politique.
Horloger pour la frime, sa principale profession est socialiste.Pas une réunion où l'on aperçoive sa stupide margoulette de demi-parasite. Sa ponte littéraire qui émaille les colonnes du Socialiste Troyenne diffère pas beaucoup des bons devoirs d'un bon «primairien» habile ; ses rimes mirlitonnesques sont tournées comme un écolier qui travaille sans avoir le cÏur à ce qu'il fait et qui ne songe qu'à épater par son habileté ; ses discours sont un hors-d'oeuvre fastidieux, un non-sens qui désarme les auditeurs naïfs par sa sincérité superficielle.
En somme, intelligence des plus souple et qui n'est pas précisément compatible avec l'honnêteté.
C'est un pléthorique d'ambition, un vaniteux sans raison, un bavard inconséquent : un politicien de caboulot !
Nous n'aurions voulu exiger de lui ni intelligence, ni silence, mais seulement qu'il ne ressemble point à cette bonne femme qui mettait des cierges sur Saint Michel et sur le Diable afin de se faire des amis partout.
Le citoyen Pédron prend rang dans la hiérarchie marxiste après l'éminent Bazile, dit Jules Guesde, l'autoritaire hirsute. Ces majestueux bélîtres ressemblent aux forçats des anciens bagnes accouplés à la même chaîne et traînant le même boulet. Ce boulet s'appelle : Élections !
Aux prochaines, à nous les pommes cuites ! ! !

Bobino
MANIFESTES ANARCHISTES

Le lundi 30 octobre dernier, les agents de police de Dijon, munis de leur sabre et d'une éponge, se mirent à arracher les quelques centaines de placards anarchistes qui ont été apposés sur les murs pendant la nuit du 29 au 30.

Pourquoi faire enlever ces manifestes qui font appel à la réconciliation des peuples, plutôt que de s'efforcer d'entretenir le chauvinisme par des fêtes patriotiques qui se renouvellent chaque année au 30 octobre, dans le but d'entretenir la haine des peuples entre eux.


LETTRE DE CACHET

Le camarade Legrand, ex-candidat abstentionniste, à Châtillon, arrêté sur la dénonciation d'une femme Gelin, que les promesses du maire de Dijon a encouragée, se voit depuis trois semaines séparé de sa famille sans qu'aucun fait sérieux ne motive son emprisonnement.

Et l'on dit que les lettres de cachet sont supprimées.


LE TEMPS DE L'INQUISITION

Les camarades Massoubre, Catineau, Nicolas et Maudui, en prévention à la prison de Bar-sur-Seine, ont été pendant quatre mois renfermés dans des cellules grillées, sans jamais en sortir. Les gardes-chiourmes ne pénétraient vers eux que le revolver au poing, leur lançant à la face toutes sortes de mortifications.
Ils sont renvoyés aux assises de février, cela fera neuf mois de prévention.
Pendant ce temps, les panamistes roulent carrosse.



Besançon.Ñ Décidément, les argousins ne se gênent plus, le camarade Bardot a été saisi au collet par les gens de l'ordre, traîné au poste, où il a été gardé arbitrairement 24 heures, pour le crime d'avoir crié Le Père Peinardsur la voie publique, seule ressource qui lui reste de vendre les journaux, ayant perdu son travail pour avoir fait de l'agitation abstentionniste aux élections législatives dernières.

Voici une preuve que, sans l'égalité économique, la liberté politique n'est qu'un mensonge.



Vers LA MISTOUFE n°2