Contre-sommet du G8 à Évian : du gaz dans l'eau minérale et de l'eau dans le vin rouge (et noir)...

CONTRE-SOMMET DU G8 A EVIAN :
DU GAZ DANS L'EAU MINERALE
ET DE L'EAU DANS LE VIN ROUGE (ET NOIR)...
Journal du SIA «Solidarité» N°13 de Juin 2003.
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(chèques à l'ordre du Syndicat Intercorporatif Anarchosyndicaliste de Caen BP 257 14013 Caen cedex,
4 N° par an, 20 pages minimum, envoyé à domicile sous enveloppe).

Nous avons reçu de camarades «indépendants» de la région, un texte qui tente un bilan critique du contre-sommet d'Evian, coté français (Annemasse)... En décalage avec l'autosatisfaction un peu béate qui semble prévaloir dans les organisations libertaires nationales, il nous a paru intéressant de le publier.
Syndicat Intercorporatif Anarchosyndicaliste de Caen
Ce texte ne se veut pas un récit exhaustif des manifs anti-G8. Nous avons surtout cherché à mettre en lumière certains faits qui nous ont paru préoccupants.

Ce texte est une sorte de bilan critique de l'intervention anarchiste qui a eu lieu lors du dernier G8, c'est à dire à la fois des manifestations et du village libertaire mis en place à cette occasion. Notre critique se veut constructive et pas spectatrice même si elle risque de nuancer assez sérieusement une certaine satisfaction bon marché qui règne actuellement dans les milieux anars suite à ces quelques journées de mobilisation.

Commençons par un rapide rappel des faits et  de leur contexte.

Bref récit des évènements

Les 1er, 2 et 3 juin a eu lieu à Evian un énième sommet du G8. La tenue de ce sommet a provoqué l'organisation d'un contre-sommet «altermondialiste». Comme d'hab, le dispositif policier et militaire déployé autour de cette réunion à huis clos des grandes puissances planétaires fut énorme. Des dizaines d'avions de combats, d'hélicos, de caméras, des dizaines de compagnies de CRS, des dizaines d'escadrons de gendarmerie mobile, des drones aériens de surveillance (et même un dirigeable équipé d'un oeil perçant...), des RG à foison, des flics en civil, des policiers déguisés en journalistes et des journalistes au comportement policier... Une zone d'exclusion fut établie à 25 kilomètres tout autour d'Evian : toute manif y était interdite. Un véritable état de siège...

Le gouvernement autorisa les manifestations et concentrations sur la région d'Annemasse, petite ville située à une distance respectable d'Evian. De manière au minimum tacite, le mouvement altermondialiste officiel s'engagea à ne pas tenter de pénétrer massivement dans la zone d'exclusion légale. L'aéroport d'Annemasse et des champs attenant furent mis à la disposition des altermondialistes pour y installer leurs campements, forums et logistique.

Les organisations anars nationales réunies au sein de la CLAAAC G8 (Convergence des Luttes Anti-Autoritaires et Anti-Capitalistes G8, à savoir Alternative Libertaire, le réseau NO PASARAN, La Fédération Anarchiste, l'Organisation Communiste Libertaire, La CNTF pour ne citer que les françaises...) négocièrent apparemment avec les réformistes l'existence d'un espace autonome, propre au mouvement libertaire.

Pour accueillir les manifestants, 2 villages furent organisés : le Village Intergalactique (VIG) rassemblant la gauche de la gauche et le Village Alternatif Anti-capitaliste et Anti-Guerre (VAAAG). Adossé au VAAAG, on trouvait aussi un petit campement féministe non-mixte («Le point G») et un peu à l'écart du VIG, le petit campement du Mouvement d'Intégration des Banlieues (MIB) et celui d'«étudiants en lutte» refusant de s'inscrire dans un village plutôt que dans l'autre.

Le VAAAG, où nous avons résidé, alimenté en eau et électricité, comportait 2 espaces, un réservé aux chapiteaux, concerts, débats, tables de presse et l'autre réservé plus spécifiquement au camping, aux «cantines» végétariennes qui assuraient la bouffe (il y avait même un four à pain monté sur remorque), buvettes... La partie camping était divisée en quartiers gérés par des AG journalières et matinales.

Le VAAAG a été complètement rempli durant le week-end du 31 mai au 1er juin. On y trouvait une majorité d'anars, des radicaux, des teuffeurs, des curieux...

Pour notre part, nous sommes arrivés au VAAAG le samedi. Nous ne parlerons donc pas de ce qui s'y est passé les jours précédents. Nous signalons juste au passage que le jeudi 29 une manif festive a eu lieu à Annemasse, des débats et forums de discussion sur pleins de thèmes ont eu lieu également du jeudi au samedi.

Le samedi midi, une manif est partie du VAAAG en direction d'Annemasse pour perturber la tenue d'une conférence du PS, réunissant Hollande et Campdessus (un ancien ponte français du FMI), sur le thème d'une «autre mondialisation est possible». La provocation était double : récupération politicienne du thème de l'antimondialisation par un parti social-libéral et participation d'un ex membre distingué du FMI. La manif a fini par mal tourner suite au gazage des manifestantEs par le Service d'Ordre musclé du PS. Les gens ont riposté en pétant les vitres de la salle de conférence. Les CRS sont alors intervenus et ont dégagé la foule, ce qui a donné lieu à quelques incidents. Le cortège a ensuite été refoulé jusqu'au camp par des tirs de lacrymos. L'action policière a été peu offensive, le gouvernement cherchant visiblement à ne pas mettre d'huile sur le feu en cette période d'agitation sociale.

En fin d'après-midi, s'est tenu une réunion ouverte d'information sur la grande manif prévue le lendemain. Le cartel d'organisation composant la CLAAAC G8 y a exposé sa conception de la manif à venir, une conception fort classique : manif «familiale et populaire», cortège organisé (embryon de SO, banderoles, animation sono, distribution de tracts... ). Ces organisations ont clairement dit que le cortège ne devait pas servir «de porte-avions permettant le décollage et le repli d'actions violentes». La place du cortège libertaire fut négociée avec les réformards. Une partie de ceux-ci souhaitaient que toute personne masquée soit isolée voire maîtrisée et remise à la police en cas de comportement «violent».  Ce point litigieux (y compris pour une partie des réformistes) fut refusé par la CLAAAC qui décida d'accepter au sein du cortège des gens masqués... à condition qu'ils n'agissent pas.

La journée du dimanche débuta très tôt (4H du mat) par une opération de blocage d'un carrefour routier en bordure de la zone d'exclusion. L'objectif : empêcher le passage de traducteurs, membres des services diplomatiques et protocolaires... Le cortège fut finalement bloqué par les CRS, des barricades furent érigées et enflammées. La police tira des lacrymos et des grenades offensives pendant plusieurs heures pour tenter de disperser ce blocage.

Dans les villages, les cortèges s'ébranlèrent vers 10H en direction du centre d'Annemasse. Le cortège  libertaire était assez important (2500-3000 personnes) et bruyant, hostile aux médias, plutôt joyeux. La manif, qui devait regrouper au moins 20 000 personnes (c'est difficile à évaluer), finit par rejoindre Genève et par faire sa jonction avec le grand cortège suisse. Quelques petits groupes autonomes sur le trajet taggaient les plaques de bois qui recouvraient les vitrines, détournaient ou dégradaient les panneaux publicitaires. Nous nous retrouvâmes, après un bref passage dans quelques avenues genevoises, des dizaines et des dizaines de milliers... sur une sorte de périphérique encaissé et déprimant. Une station service fut attaquée par quelques dizaines de radicaux qui la pillèrent ensuite dans la joie et la bonne humeur, ce qui provoqua un vent de panique parmi les organisateurs de la CLAAAC qui se dissocièrent au micro de cette action et firent presser le pas au cortège anar. Pendant ce temps là, une foule citoyenniste, outrée par tant de verre brisé et par la distribution gratuite de menues marchandises à l'origine payantes, huait depuis les ponts qui surplombaient le périph. Nous continuâmes notre périple sur ce putain de périph, repassâmes côté français par un poste frontière désert avant de revenir par l'autoroute vers Annemasse où  nous fumes canalisés discrètement par la police qui nous interdisait ainsi le centre-ville. Gentiment, nous finîmes par regagner les villages.

Dès la fin d'après-midi, de nombreux manifestants firent leurs bagages, pendant qu'arrivaient des nouvelles sur l'importante répression menée à Lausanne. En fin d'après-midi, une AG a lieu sur le tas, au milieu du VAAAG, sans sonorisation, difficilement audible, avec des traductions peu efficaces, sans ordre du jour. Y rode une sorte paranoïa. Des villages de Lausanne ayant été attaqué et gazé Ñ après que des militants offensifs s'y soient retranchés Ñ beaucoup craignent qu'il en soit de même coté français. Plusieurs proposition émergent : monter en convoi manifester sur Genève (ou au minimum aux portes de l'État Suisse, au poste frontière le plus proche), organiser un  pique-nique sur la place de la mairie d'Annemasse ou bien ne rien faire du tout par crainte de la répression. Des informations arrivaient au compte goutte. Les très nombreuses personnes interpellées à Lausanne semblaient être relâchées progressivement tandis qu'à Genève, un squatt était apparemment encerclé par la police.

Aucune décision formelle ne put finalement être prise et l'AG se termina sur la proposition tonitruante de quelques individus de descendre sur la place de la mairie à Annemasse. Ce fut le dernier mot de l'AG et donc ce qui fut fait, faute de vote.

Un embryon de cortège se rassembla chaotiquement à la sortie du VAAAG. Rajoutant à la confusion ambiante, des membres de la CLAAAC interviennent sur le tas et sur le tard pour tenter de dissuader les manifestantEs d'aller en ville. Ils jouent sur la peur, la libération de la plupart des interpellés coté suisse. Les gens continuent à sortir du VAAAG et du VIG aussi et à s'amasser. Le cortège finit donc par s'ébranler dans une ambiance tendue. Tout le monde craint des incidents. Après un parcours tortueux et improvisé, marqué à un moment donné par un face à face nerveux avec les CRS, la manif finit par atteindre la place de la mairie. Elle en repartira au bout d'une bonne heure de pique-nique  et d'AG foireuse initiée par des trotskistes en mal de récup.

Le lundi, il ne reste plus grand monde sur le VAAAG. Les organisations sont désormais absentes et la plupart de leurs militantEs ont quitté les lieux après la manifestation médiatique du dimanche.

Un certain nombre de personnes décident de passer en Suisse, certainEs pour une  manif sur la marchandisation de l'eau en face du siège de l'OMC, d'autres pour une manifestation non autorisée contre la répression. Cette seconde manif tourne mal. Le cortège est coincé sur un pont par des flics anti-émeutes suisses, mais aussi allemands et français (prêtés au gouvernement suisse qui en manquait). On demande aux gens de sortir au milieu d'une haie de flics en déclinant leur identité. Ils refusent. Gazages et arrosages par canons à eau (allemands prêtés à la Suisse). Les habitants gueulent. Des altermondialistes redescendus de différents villages suisses rejoignent les alentours. Rapidement, devant la répression manifeste et disproportionnée, des incidents éclatent. Les balles en plastiques fusent.

Coté français, après une période de confusion, nous finissons par apprendre que les manifestantEs bloquéEs à Genève sont autorisés à rejoindre une place où ils vont pouvoir se disperser sans harcèlement policier. Il s'agit alors de rapatrier les résidentEs du VAAAG et du VIG. Le convoi tarde à s'ébranler sous l'impulsion d'une équipe légale très frileuse, seule réelle structure à fonctionner encore sur le camp et cherchant à retarder les départs afin de les encadrer entre autre par peur que des habitantEs rejoignent les zones émeutières. Le convoi finit par rejoindre la place. Le départ se fait de manière précipitée suite à l'arrivée sur la place d'un nouveau cortège. La Legal Team craint des incidents et presse la manoeuvre. Faute de place une dizaine de personnes demeurent sur les lieux. Interpellé sur la nécessité  d'un second convoi, un des responsables de l'équipe légale hurle : «On y va. Tant pis. Y'aura pas de deuxième convoi». Heureusement, un autre petit convoi arrive rapidement en provenance du VIG et emmène les derniers des mohicans... Nous repartons dans notre région le lendemain.

Un bilan mitigé

Le fonctionnement pratique du village a été relativement bon, mis à part quelques divergences avec des teuffeurs, quelques mecs bourrés. L'intendance Ñ bouffe, aide médicale, nettoyage, bars, eau et électricité Ñ s'est organisée dans le consensus et l'efficacité. Concerts, forum et tables de presse se sont bien tenus offrant animation et dimension politique. L'ambiance générale a été plutôt bonne, une fois résolus quelques frictions sur le caractère uniquement végétarien de la nourriture distribuée dans les cantines, sur la présence bruyante de quelques teuffeurs... Par ailleurs le village a drainé beaucoup de monde, suscité de nombreuses visites.

Tout cela n'est pas négligeable, cependant un certain nombre de faits nous ont paru préoccupants.

Concernant les AG et la «démocratie  directe»

Tout d'abord, Les AG nous paraissent avoir été mal organisées : absence de lieu adéquat pour les AG (celle du dimanche sur la répression s'est tenue au milieu du camp, dans  le bruit et les va-et-vient), absence de sonorisation (dur de s'entendre quand on est 400), traductions déficientes (assurées sur le tas par des personnes de bonne volonté auprès de certains groupes d'étrangerEs... quand elles étaient assurées), pas d'ordre du jour, pas de votes sur les différentes propositions...

Le samedi : Il n'y a pas eu d'AG pour préparer la manif du lendemain. Les organisations membres de la CLAAAC se sont contentées d'exposer, lors d'une réunion ouverte, le cadre (préalablement défini entre elles) de la manif du dimanche. Une fois ce cadre rappelé, les tâches ont été réparties entre militantEs et volontaires. Les habitantEs du VAAAG n'ont eu sur cette question aucun pouvoir réel de décision. Il semble que le CLAAAC n'a pas souhaité prendre le risque d'un éventuel télescopage entre ses décisions et celles qui auraient pu être prises par une AG des HabitantEs du VAAAG.

De fait, les organisations, se sont installées dans un rôle d'avant-garde dans un village qui se voulait une expérience active d'autogestion tant pratique que politique. Or sur le plan politique, il y a eu un clair déficit démocratique.

Le dimanche : L'AG anti-répression fut très chaotique, ne débouchant sur aucune prise de décision formelle. La peur de la répression (pourtant peu probable vu l'attitude mesurée de la police française lors des incidents du samedi, les déclarations apaisantes de Sarkozy et le fait qu'on se trouvait à moins de 48 heures d'un préavis de grève générale) fut attisée pêle-mêle par des gens du CLAAAC, des habitantEs inexpérimentéEs et des aussi des gens du VIG. Les propositions d'aller protester contre la répression en Suisse ou à la frontière furent évacuées lorsque des partisanEs de la descente à la mairie d'Annemasse finirent par se lever en gueulant «Tous à la mairie» provoquant ainsi la dissolution de l'AG. Spontanéité ou manipulation ? Soulignons au passage la docilité de l'AG...

Le lundi : Face à la répression coté suisse, les habitantEs ont été confrontéEs à la confusion de l'information et à une legal team, dirigiste et assez parano, qui a pris toutes les décisions concernant l'organisation des convois. Ce type de décision devait-elle être monopolisée par la legal team ou passer par une AG ? Surtout que l'attitude autoritaire a souvent été lourde, sûrement accentuée par la fatigue de la legal team.

En conclusion, si les AG de quartiers à caractère essentiellement pratique, logistique ont bien fonctionné, cependant, à aucun moment, n'ont été impulsées des AG structurées permettant aux habitantEs du VAAAG de définir collectivement et directement le contenu politique, stratégique et pratique des actions. Aucun effort particulier n'a été fait pour alimenter l'auto-organisation des habitantEs du village. Concrètement, les AG ont été vues comme secondaires, d'une importance marginale, là où elles auraient du revêtir un caractère central.

Concernant les manifs et actions

Par ailleurs, coté français, le cortège anarchiste  du dimanche a revêtu un caractère très classique. Un défilé traditionnel, en rouge et noir. Les organisations du CLAAAC avaient décidé d'une manif «populaire et familiale ». Objectif atteint : elle fut banale. Pour ces organisations, il s'agissait de rompre avec l'image des «casseurs» et des «violents» et de s'offrir une vitrine médiatiquement et politiquement correcte. En l'occurrence, la manifestation du dimanche a été une éclatante démonstration que le mouvement anarchiste pouvait faire aussi peu et mal que les autres. A l'intérieur du défilé aucun aspect véritablement créatif et/ou festif. Juste de gentils GO anars sur des chars gueulant quelques slogans repris chaotiquement et qui incitent le cortège à s'éloigner précipitamment quand une station service est abîmée (alors qu'aucune intervention policière n'était possible à ce moment là, à cet endroit là), des responsables de SO qui crient des ordres à leurs maigres troupes, peu de créativité de la foule elle-même... si ce n'est quelques petits groupes autonomes redécorant les panneaux publicitaires et les vitrines...

Nous avons été frappés par le légalisme affiché du CLAAAC (et donc des organisations qui le composait) et par celui qui a régné lors de la manif. Hypocritement, le CLAAAC a incité les gens qui voulaient des formes d'actions plus radicales à s'organiser pour aller les faire «ailleurs», c'est à dire loin d'eux et de leur projet de manif présentable. Evidemment, les orgas n'ont à aucun moment cherché à faciliter l'émergence d'initiatives différentes : pas d'espace de discussion et refus que la manif soit utilisée comme base arrière, ne serait ce qu'à partir d'un moment T. Dans ces conditions, on ne saurait s'étonner du fait que rien n'est pu s'organiser coté français et qu'il ne se soit quasiment rien passé à Genève le dimanche.

Quant aux blocages, il y en eu un seul côté français, le dimanche matin. De nombreuses personnes y ont participé (ce qui nous semble symptomatique du fait que beaucoup de gens n'étaient pas venus à Evian pour participer à une manif traditionnelle qu'ils peuvent «s'offrir» régulièrement dans leur ville d'origine). Là au moins, il y a eu «action directe». Notons au passage que beaucoup de gens du VIG ont co-organisé et participé à cette action. Notons aussi qu'aucune autre action ne fut prévue pour le lundi et le mardi, alors que continuait le G8... «L'action directe», tellement encensée (en paroles) par le mouvement, fut décidément peu mise en Ïuvre...

Le légalisme nous a semblé, malheureusement, fortement intégré par une majorité des personnes présentes au VAAAG. Nous insistons sur ce point car il signifie que le mouvement anar qui prétend combattre le système insère, dans les faits, son action dans le moule idéologique du pouvoir. Il y a là d'un point de vue révolutionnaire un véritable problème et la nécessité d'un travail de rupture d'avec le légalisme. Nous étions des milliers, face à un État français momentanément empêtrer dans  un conflit social d'ampleur... et nous n'avons même pas cherché à en profiter. Nous avons suivi les recommandations de la loi, de la gauche altermondialiste et des médias. Cela doit sérieusement nous interroger. Déjà, l'année passée, durant l'entre 2 tours, à aucun moment, le mouvement n'a cherché à radicaliser la situation de crise politique. On ne peut faire fi du contexte social et historique. La force des gouvernements successifs et du MEDEF, c'est d'avoir retiré aux opprimés, par le légalisme et le renoncement à l'action directe, leurs capacités de nuisance. Cela aboutit à la pacification des pratiques réelles de lutte. Nous en avons eu dernièrement un nouvel exemple avec la mobilisation contre le projet de réforme des retraites. Si face au décervelage citoyenniste et médiatique, face à l'ordre sécuritaire et à la répression accrue du mouvement social, le mouvement révolutionnaire courbe l'échine, qui résistera ?

A ce propos, si le mouvement anar a eu sa sucette sous forme d'un article sympathique du «Monde», c'est sûrement tout autant le nombre de manifestantEs qu'il a rassemblé que sa pacification qui a ainsi été récompensé. Il faut noter que l'attitude de la CLAAAC face aux médias a sensiblement évolué : refus par les habitantEs de leur présence dans le village au début, puis visites guidées de l'espace dit «politique» par des journalistes accompagnés de membres de la CLAAAC lorsque le «temps fort» de la manif du dimanche approchait. Il semble que l'hostilité majoritaire des habitantEs vis à vis des médias n'ait pas toujours convenu aux organisations de la CLAAAC. Passée le temps médiatique de la manif du dimanche, les organisations se sont en tant que telles évaporées. Même si des AG de grève devaient avoir lieu le lundi et même s'il fallait préparer la grève générale du mardi, une évaporation si rapide et importante (avec démontage de toutes les tables de presse) laisse forcément songeur...

A propos de la passivité des manifestantEs

Nous avons été également relativement surpris de la relative passivité de nombreux habitantEs du VAAAG face aux événements et à l'encadrement politique. Beaucoup trop de spectateurs, donc beaucoup trop de frustrations également. Il semble que ce soit le prix qu'il ait fallut payer au succès du camp. Peu d'expérience et des espaces d'auto-organisation insuffisamment ouverts. Il y avait effectivement plein de gens mais peu expérimentés sur le plan pratique, peu rodés aux AG massives, parfois peu politisés (ou sur des bases politiques plus proches du citoyennisme que de l'anarchisme), le plus souvent confrontés à leur premier G8. Régnait, dès lors, un effet d'attente et de consommation d'action très difficile à briser.

Partout, surtout à partir du dimanche, rôdait la peur de la répression, irrationnelle, sans rapport réel avec les événements et la situation politique et sociale liée à un manque d'analyse et à une méconnaissance des phénomènes de foule. Manque d'expérience pratique aussi dans les moments un peu plus chauds du samedi. Naïveté aussi souvent, devant des troupes policières qui reculent face à des manifestants pacifiques pour se positionner plus loin, par exemple.

Tout cela a débouché sur une certaine passivité face aux plus expérimentés... CLAAAC et legal team., d'autant plus confortés dans une position d'avant-garde et alimentant à l'occasion ce sentiment diffus et pesant de peur.

Ce manque d'expérience s'est traduit par un manque criant de vision stratégique et ce d'autant plus que de son coté la CLAAAC en avait tracé les principaux contours.

On ne peut donc que regretter la carence de liaison efficace avec la Suisse et la mise au point de stratégies sinon communes, au moins complémentaires, afin de perturber au mieux le G8 Ñ si tel était l'objectif Ñ pendant l'ensemble de sa durée et non pas seulement pendant la journée d'ouverture. Nous ne pouvons que déplorer également le manque de réactivité et de créativité face aux contre-mesures répressives prises par le pouvoir coté suisse. Le choix d'Evian, ville frontalière bordée par le lac Leman fut du point de vue du maintien de l'ordre très judicieux, dispersant de fait les forces contestatrices entre 2 États et 3 villes.

Bien sûr, notre vision ne  peut être que partielle et elle comporte sa part de subjectivité.

Nous précisons une nouvelle fois que notre démarche critique vise à chercher les limites et les faiblesses de cette initiative anti-G8, d'autant plus qu'elles incitent à nous questionner également sur celles du mouvement anarchiste français.

Nous sommes bien conscients du fait que des centaines de gens qui ne se connaissent pas, avec des niveaux d'expériences différents, des sensibilités diverses ne peuvent se mettre à fonctionner collectivement de manière efficace, comme par magie, du jour au lendemain (ni même en quelques jours).

Nous sommes bien conscient que côté français, on a encore peu d'expérience dans les domaines de l'organisation de villages libertaires, de l'organisation d'actions offensives ou de désobéissance civile de masse, des AG massives. Coté suisse, ils semblaient avoir plus d'expérience (squats, manifs anti-Davos...).

Nous sommes bien conscients que les organisateurs de la CLAAAC furent débordés par la masse de travail liée au succès du VAAAG et pour certainEs parfois proches de l'épuisement.

Pourtant l'idée d'organiser un (ou des) villages(s) libertaires (et pourquoi pas aussi en dehors de l'agenda des grands sommets étatiques) est, en soi, une bonne chose... à condition que la qualité du fonctionnement, des débats et des pratiques soit aussi au rendez-vous et que ces initiatives servent réellement à élever le niveau moyen de politisation et d'expérience pratique de larges franges du mouvement.

Nous n'avons pas besoin de vitrines médiatiques, nous avons tous besoin de «laboratoires» pour forger une radicalité adaptée à la situation présente et pour gagner en expérience pratique et tactique.