A la rentrée la principale offensive patronale va se porter sur le dossier des retraites. Contrairement à 1995, le gouvernement va se garder de pratiquer une attaque frontale et va choisir de réformer progressivement chaque régime, voire chaque profession. Pour arriver à ses fins, il lui suffit d’appliquer les deux réformes qui ont été préparées par l’ancienne majorité socialo-libérale : l’allongement de l’âge de départ à la retraite et l’épargne salariale.
Maintenir les « seniors
» en activité
Il n’est plus question d’accroître de façon automatique la durée de la cotisation de 2,5 ans comme en 1993. L’ancien gouvernement a su traduire en terme moderne les engagements pris au sommet européen de Stockholm en mars 2001 où il avait été décidé de porter de 34% à 50% le taux de travailleurs français actifs dans les tranches d’âge 55-64 ans. Malgré cet accord, l’égoïsme patronal pousse chaque entreprise à essayer de se débarrasser de ses salariés les plus vieux, même si cela est en opposition avec les intérêts de la bourgeoisie qui est de maintenir le plus longtemps possible les travailleurs en activité. Face à ce dilemme, la bourgeoisie d’Etat et ses hauts fonctionnaires jouent le rôle de gendarmes afin d’imposer une certaine discipline interne à la classe capitaliste. Elle va donc remettre en cause tous les mécanismes des préretraites qui bénéficiaient une aide de l’Etat (FNE, CFA…). Comme pour la Loi Aubry, le maintien dans l’emploi des personnes « âgées » est présenté comme une lutte progressiste contre la discrimination. En effet les mesures de préretraites et les plans sociaux déplacent les «seniors» hors des entreprises. La réforme de la gestion des salariés âgés se fait avec en parallèle l’introduction de la gestion par compétences. Les DRH entendent préparer moralement les travailleurs à une réorientation professionnelle au tournant des 40 ans. D’après leur étude un travailleur de plus de 50 ans a du mal à assimiler une réorientation en profondeur. On réalisera donc un bilan de compétences et on assurera une formation rapide afin de recycler le salarié dans une activité annexe jusqu'à sa retraite.Cette nouvelle gestion s’inscrit dans une logique de formation tout au long de sa vie, dans laquelle le travailleur devra accepter la transformation de son travail et surtout une baisse de son salaire. Cette « réforme » tombe bien pour l’Etat bourgeois puisque le niveau des pensions est calculé en fonction des meilleures années de travail, c'est-à- dire dans le système actuel de progression des salaires, en fin de carrière. Le taux actuel de la pension qui en moyenne est de 78% du revenu moyen net d’activité, va donc baisser automatiquement. Le gouvernement Raffarin a repris la proposition des socialo-libéraux qui consiste de proposer que le salarié choisisse son âge de départ à la retraite.
Mais il ne faut pas que ce soit une décision contrainte. Imaginons un salarié menacé de licenciement à 56 ou 57 ans. Pour éviter le chômage il va être tenté de prendre sa retraite, même en sachant qu’il va subir un abattement non négligeable sur ses revenus pour tout le restant de ces jours. Il faut donc s’opposer à toute idée de « retraite couperet» et protéger le salarié âgé pour qu’il ne subisse pas la pression des directions. Cette retraite à la carte est présentée comme un gain de liberté où, grâce à une activité plus longue, les droits augmenteraient. C’est faire abstraction du fait que les conditions de travail ne cessent de se dégrader et que de nombreux travailleurs ne profiteront pas de leur retraite en raison de leur décès prématuré. Ce type de retraite permet surtout d’ajuster le taux de pension avec des variables liées à une durée d’activité individuelle. Il n’est donc plus question d’augmenter les cotisations lorsque les travailleurs en activité ne sont plus assez nombreux pour financer les pensions des anciens.
Le développement de la rémunération sous forme d’épargne salariale va réduire la rémunération sous forme de salaire, ce sera autant de cotisations en moins pour les caisses de Sécurité Sociale chaque année. Suite à la baisse des cotisations sociales, le régime complémentaire de l’AGIRC a également vu son déficit doubler, ce qui va contraindre les ayant droits à avoir recours à la capitalisation.
Même évolution avancée avec la renégociation du régime complémentaire en 2003. Progressivement pour maintenir le taux des pensions, le gouvernement Raffarin n’aura alors qu’une proposition très simple : celui d’un départ en retraite plus tardif en échange du maintien du taux des pensions et cela pour ceux qui seront encore en vie pour en profiter. Le piège se referme et, dans une logique individuelle, les travailleurs vont s’obliger à se maintenir au travail afin de conserver des retraites suffisantes.
Cette réforme insidieuse offre un double avantage au patronat : réduire les coûts des salariés âgés, tout en réduisant les cotisations salariales.
L’Epargne Salariale contre le salaire socialisé
La deuxième mesure est l’introduction de l’Epargne salariale sous forme de Préfon c'est-à-dire de rente afin de fragiliser la retraite par répartition. Il n’y aura donc pas de remise en cause apparente du socle de la Sécurité Sociale et du régime de répartition. L’Etat bourgeois va construire progressivement son système de fonds de pension en laissant la sécurité sociale se dissoudre pour devenir qu’un simple minimum vieillesse qu’il faudra compléter individuellement. La Loi Fabius a en effet déjà prévu des Plans Partenariaux d’Epargne Salariale Volontaire (PPESV) avec lesquels l’épargne ne pourra pas être débloqué avant 10 ans. Le versement au bénéficiaire pourra se faire sous forme de rente. Et certains dirigeants syndicaux osent encore affirmer que la loi ne concurrence pas la répartition ! De plus la tentation sera grande, pour le salarié isolé par l’absence de perspectives syndicales, puisque les plus value des Plans Epargne Entreprise (PEE) sont exonérées d’impôt sur le revenu. Les entreprises incitent aussi par l’abondement, qui consiste à un versement supplémentaire gratuit, au pourcentage de l’épargne investi.
Pour tous les syndicalistes de lutte de classe, il s’agit de mener un combat contre l’épargne salariale. Malheureusement jusqu'à présent cette question a été traitée entreprise par entreprise et les directions syndicales ont tout fait pour atomiser la riposte des travailleurs alors que la grande mobilisation sur les retraites complémentaire de l’année dernière permettait d’engager le combat dans une bonne direction. Il s’agit dés à présent de faire un état des lieux de l’application de cette réforme patronale et définir des axes de lutte sur lesquels les syndicalistes combatifs pourraient coordonner les travailleurs dans les semaines prochaines. Car défendre la Sécurité Sociale et la répartition sans combattre l’épargne salariale est une stratégie inopérante.
La Loi FabiusLa sociale démocratie qui évolue de plus en plus vers la droite sociale a servi comme d’ordinaire de bras politique au secteur le plus moderniste du grand capital. En effet, la Loi Fabius du 9 février 2001 offre de nouveaux avantages fiscaux et surtout oblige les patrons à négocier tous les ans, pendant trois ans, le dossier de l’épargne salariale dans les entreprises. C’est la même tactique que celle employée par Aubry pour les 35 heures. Les patrons et la fonction publique sont obligés de revoir la gestion de leur main d’oeuvre et cette négociation annuelle va avoir comme conséquence de marginaliser celle sur les salaires. Cela a également pour objectif de pousser les employeurs à capter l’épargne de leurs salariés afin de l’investir dans l’économie boursière. Rien n’empêche en effet l’épargne salariale de s’investir dans des SICAV et autres supports. Mais elle n’offre alors aucun intérêt par rapport aux services des banques. Les taux de rémunération supérieurs ne peuvent être obtenus qu’à travers l’actionnariat interne à l’entreprise. Bercy avait peur que les fonds de pensions étasuniens ne se désinvestissent des entreprises françaises, ce qui a provoqué l’accélération de l’application de la réforme. Il fallait donc remplir la bulle financière avec d’autres apports. La bourgeoisie avec l’aide du Medef espérait faire grimper l’épargne salariale à 100 milliards d’Euro dès 2002. Il est donc évident que dans la rigueur salariale liée à l’application des 35 heures et dans la perspective de l’intensification du travail, une carotte devait être offerte. L’actionnariat salarié a pour avantage de pousser les travailleurs à accepter la politique de rigueur de la direction en échange d’une éventuelle perspective de dividendes.
C’est la raison principale pour laquelle les salariés de Vivendi et de France Telecom ont accepté les réorganisations internes. La Loi, avec son obligation annuelle de négociation, est également une terrible pression sur les appareils syndicaux comme la C.G.T., F.O., les S.U.D. qui continuaient de critiquer verbalement l’épargne salariale. Mais c’est aussi vrai pour tout militant d’entreprise qui se retrouve face à une négociation où il sait très bien que les syndicats jaunes comme la C.F.D.T., la C.F.T.C. et la C.G.C. vont accepter la logique de l’accord. Il y a aussi de nombreux camarades de travail qui ne sont pas au fait de l’épargne salariale et qui eux aussi poussent les syndicalistes à négocier. Et surtout, ce sont les appareils qui ne veulent pas déserter le terrain des comités de surveillance où les contacts avec les organismes financiers sont nombreux, et pas exempts de relations parfois étonnantes, sans parler du financement des élus! Or la loi laisse une grande liberté au patronat pour ratifier l’accord sur l’épargne salariale, soit à l’aide d’un référendum des 2/3 des salariés, soit par accord avec les syndicats, soit au sein du Conseil d’Etablissement. Il est donc facile s’il n’y a pas de mobilisation du personnel, de contourner un syndicat critique ou opposé.
Un accord dangereux
L’accord minoritaire conclu le 10 février entre les organisations patronales, la C.F.D.T. et la C.F.T.C. est sans aucun doute une spectaculaire tentative d’esquive au lendemain de la très forte mobilisation du 25 janvier. Il s’analyse comme une tentative de mainmise du patronat sur la réforme des retraites. Après l’importante mobilisation du 25 janvier, le patronat à été contraint de rétablir « l’ASF » assurant pour 21 mois le maintien du droit à la retraite à 60 ans sans abattement. C’est un acquis du mouvement social et des organisations syndicales qui l’ont porté. Pour autant rien n’est réglé sur le fond. Le chantage patronal va reprendre dans les mois prochains. Plus grave l’accord minimal du 10 février constitue un point d’appui pour le Medef, dans sa stratégie de mise en cause des droit à la retraite à 60 ans à taux plein. Nous ne devons pas considérer comme un « chiffon de papier » un texte qui affiche clairement des orientations politiques et patronales en matière de réforme de notre système de retraite. Le danger de cet accord ne doit pas être sous-estimé. Ces principaux points sont sans ambiguïté : les signataires Medef, C.F.D.T, C.F.T.C. demandent ensemble aux pouvoirs publics de légiférer sur le régime des retraites, l’accord définit les principes sur lesquels devrait reposer la réforme.Cela est inacceptable et remet en cause la légitimité des organisations syndicales à débattre et négocier de manière autonome avec le gouvernement.
L’accord prévoit le blocage des cotisations sur 10 ans, alors que dans les prochaines années, le rythme annuel des départs en retraite passe de 500.000 à 750.000 appelant des financements supplémentaire. Par contre, « pour équilibrer les régimes », il recommande de « privilégier la variable de la durée des cotisations ».
Dans ce cas, pour maintenir le niveau relatif des retraites à l’horizon de dix ans, il faudrait allonger la durée de cotisations à 45,5 années, puis à 45 ans. Grâce à cet accord le Medef marque des point, il n’y a pas un sous de plus pour les retraites par répartition et la durée des cotisations est allongée.
Dans une note interne le Medef écrit : «L’accord conclu reprend notre projet initial en retenant que la future réforme des retraites stabilisera les taux de cotisations sur une longue période et adaptera la durée de cotisation en fonction des besoins financiers des régimes».
Les salariés qui accéderont au travail de plus en plus tard, ou qui connaîtront des périodes de chômage, de précarité ou de formation, l’augmentation du nombre d’annuités les obligeront à travailler jusqu’à 65 ans et plus. Ce sera une remise en cause de la retraite à 60 ans et de la retraite par répartition car seuls ceux qui bénéficieraient de fond de pension pourraient espérer partir à 65 ans avec une retraite convenable. C’est l’aggravation des inégalités. Quant aux retraites complémentaires elles-mêmes, l’accord est loin de régler leur devenir. Les pensions seront indexées sur les prix et non sur les salaires. La possibilité de partir à 60 ans sans abattement est maintenue mais pour 21 mois seulement. Les cotisations ASF entre le 1er janvier et le 31 mars 2001 ne seront pas reversées, privant les régimes de 11 milliards de francs de ressources. Le Medef opère un hold-up sur les réserves de l’ASF. De telles orientations et décisions sont lourdes de menaces pour les salariés du privé mais aussi pour ceux du secteur public puisque le patronat, au nom de l’équité de situation, veut obtenir un alignement par le bas des régimes.
La difficulté de la mobilisation syndicale
Dès à présent de nombreux militants se sont fait prendre au piège des négociations d’entreprise sur l’épargne salariale.C’est de la faute dans un premier temps à l’absence de recul politique et à l’isolement de chaque militant face aux manœuvres ambiguës des centrales syndicales. Heureusement que par réflexes syndicaux, certains militants ont senti le danger et tenté localement de résister à l’épargne salariale. La principale difficulté est d’argumenter sur la profonde opposition qui existe entre le « salaire socialisé » et la « rémunération individuelle ». En effet sans logique de lutte de classe et en l’absence de discours syndical, le salarié voit dans son salaire un simple élément individuel. Il n’a pas conscience que son salaire s’inscrit dans une logique d’affrontement de classe portant sur la répartition des richesses et des profits. Il ne prend pas conscience de la nature des autres éléments de sa rémunération et les versements à la Sécurité sociale ne sont pas différenciés des versements provenant de l’Etat (aides sociales), ni ceux issus de l’Epargne. Or, l’un est géré par le salarié et sa classe (salaire et les allocations sociales), l’autre est géré par la bourgeoisie (bureaucratie d’Etat, assurances privées, Organismes de placement, voir l’entreprise elle-même avec l’actionnariat salarié). L’objectif de la politique patronale est donc de s’attaquer au salaire qui représente un pouvoir de classe. Ce qui permettrait au patronat de remettre en cause un acquis qu’il ne supporte pas : verser un salaire à des personnes qui ne sont pas exploitées comme les retraités, les malades, les chômeurs, car c’est ce salaire socialisé qui unifie l’ensemble de la classe quelque soit la situation sociale de chaque prolétaire. Cette incompréhension est due aux partis « de gauche » (1) et à la bureaucratie syndicale intégrée à l’appareil d’Etat qui ne cesse pas de propager des illusions sur l’Etat providence qui assurerait une répartition « sociale » et équitable des richesses. C’est le mythe de l’impôt qui servirait de base à une « démocratie sociale ». Le patronat soutient aussi cette logique pour la simple logique que ces impôts (TVA, CSG..) sont des moyens pour s’attaquer au salaire socialisé, aux intérêts de la classe des travailleurs qui reposent sur des revenus directement tirés de la production des richesse, des revenus gérés collectivement par les syndicats dans des formes dérivées de la protection sociale ou des mutuelle. Ces impôts servent au patronat de moyens pour mettre la main sur les revenus salariés et casser toute conscience de classe.
Il est donc important de développer la réflexion sur la nature de toute rémunération. L’épargne salariale n’est pas un salaire. Il ne relève pas du rapport de classe et n’assure aucune garantie pour le salarié qui a choisi d’y sacrifier son salaire direct ou socialisé.
C’est pourquoi il apparaît indispensable de lier la défense de la protection sociale à une mobilisation allant dans le sens d’une gestion exclusivement syndicale des organismes de gestion du salaire socialisé (CNAM, UNEDIC, CNAV, Mutuelles ouvrières…).
(1) L’Etat providence est toujours apparu comme un fantasme pour bien des « révolutionnaires » issus de l’encadrement capitaliste (enseignants, universitaires, hauts fonctionnaires, cadres, intellectuels…).