Avant-proposLa période des années quatre-vingts aura été, pour certains, celle des désillusions et du désabusement.En 1981, de faux espoirs furent placés dans la gauche, notamment pour contrer les vagues de licenciements provoquées par les restructurations capitalistes depuis 1973. ÒLÕétat de grâceÓ dont bénéficia à ce moment le pouvoir et la volonté dÕune grande partie des militants syndicalistes Òde ne rien faire qui puisse gêner les nouveaux dirigeantsÓ achevèrent de laminer les mouvements sociaux qui avaient vu le jour sous les divers gouvernements de droite.LÕescroquerie du ÒMitterrandismeÓ ne peut cependant tout expliquer. Les rares tentatives pour impulser des luttes radicales se sont brisées sur un écueil beaucoup plus grave bien que moins visible : tout un discours dominant sÕétait développé et avait ÒlessivéÓ la pensée politique. Les Ònouveaux philosophesÓ nous ont fait lÕéloge de la démocratie comme le meilleur des mondes; lentement mais sûrement le militantisme, les idées de révolution et de lutte de classes, les mots de bourgeoisie et de prolétariat ont été rangés sous la rubrique des choses Òringarde Ó. LÕimplosion des pays dits socialistes a amplifié lÕidée selon laquelle la Òtransformation du mondeÓ était impossible. Il suffisait dÕaffirmer sa volonté de changer la société pour être taxé dÕirréaliste voire dÕirresponsable ! Au fil des ans, une pensée minimaliste a bouché les horizons: il fallait Òfaire au plus presséÓ (les restos du cÏur), Òaméliorer ce qui pouvait lÕêtreÓ (continuer quand même de voter parce que lÕautre candidat était ÒpireÓ) et surtout ne pas être trop ÒrévoltéÕ. Comme si le fait de ÒpositiverÓ (formule à la mode) pouvait résoudre les problèmes!Cette époque est-elle révolue ? Nul ne peut prédire lÕavenir. Quoi quÕil en soit, nous pouvons remarquer que les élections présidentielles de 1995 se sont déroulées dans un climat de lutte sociale. Il semblerait que la résignation et la démission collective commencent à céder la place à des révoltes dÕune détermination parfois impressionnante. Ce fut le cas pour une frange du mouvement lycéen-étudiant contre le CIP et bien plus encore lors du mouvement social de novembre-décembre 1995. De plus, il nÕest pas difficile de se rendre compte que la recherche de perspectives nouvelles est devenue un enjeu majeur: lÕensemble de la classe politique est elle-même obligée de le reconnaître, Òil nÕy a plus de projetsÓ...Plus de projets? Dans leur mallette de gestionnaire du système, sûrement... De notre côté, nous avons bel et bien une alternative à proposer!
LÕUnion Régionale Rhône-Alpes de la Fédération Anarchiste
Le constat face aux injustices sociales, celles que lÕon subit personnellement ou celles faites à autrui, provoque notre révolte et lÕon se dit quÕon ne peut pas rester sans rien faire devant une telle situation...Mais le seul sentiment de révolte ne veut pas dire grand chose: il est tout relatif. Ce qui vous semblera inacceptable ne le sera pas forcément aux yeux dÕun autre. Par soumission, par inconscience ou par idéologie, certains ne voient hélas rien dÕabject dans le racisme; ou estiment ÒnormalÓ dÕêtre soumis aux ordres dÕun chef ! En fait, tout dépend de notre vécu, de notre réflexion, de notre éthique, de ce que nous considérons comme possible. Pour notre part, si nous contestons radicalement la société actuelle, cÕest parce que nous sommes convaincus quÕune société de liberté et dÕégalité est réalisable.Cette exigence dÕégalité et de liberté est notre première motivation. Or ces termes ont tellement été galvaudés (par les religieux, les fascistes, les libéraux ou les marxistes...) quÕil nous faut redéfinir la signification concrète que nous leur donnons.
LÕégalité économique et sociale
Les aristocrates de lÕAncien Régime justifiaient leurs positions sociales en se référant au divin et à leur Òsang bleuÓ. AujourdÕhui encore lÕinégalité fondamentale entre les êtres humains continue dÕêtre proclamée: des talents inégalement répartis Òdès la naissanceÓ condamneraient une fraction de lÕhumanité à la ÒmédiocritéÓ tandis que lÕautre (composée de riches hommes dÕaffaires et de grandes personnalités politiques...) serait naturellement appelée à dominer. NÕest-ce pas cela quÕon tente de nous apprendre dans les livres scolaires, au travers des biographies de ces grands bourgeois et chefs dÕÉtat Òqui font lÕhistoireÓ?...Ces discours simplistes se retrouvent dans des conversations quotidiennes et des réflexions ÔanodinesÓ. Combien de fois a-t-on pu entendre: ÒCette personne a du talent, un don, il est normal quÕelle gagne plus Ó? CÕest bel et bien à un véritable consensus inégalitaire que nous sommes confrontés. Contre de telles idées reçues, nous affirmons que les Òdifférences de potentialités innéesÓ (à supposer quÕelles existent réellement, ce qui sur le plan scientifique fait encore lÕobjet de nombreuses polémiques) sont négligeables par rapport à lÕinfluence du milieu social. Les fameux Òniveaux de compétencesÓ, sur lesquels les hiérarchies prétendent sÕétablit ne sont que le produit dÕune éducation et plus globalement dÕun système de classes qui conditionnent notre vie dès le plus jeune âge. LorsquÕon est ouvrier dans une usine, ce nÕest pas parce quÕon ÒnÕest bon quÕà celaÓ. CÕest parce que rien ne nous a permis ou ÒincitéÓ à faire autre chose! Il est évident quÕen règle générale, on poursuit des études longues seulement si on peut bénéficier dÕun appui familial (sur le plan financier et/ou culturel)... Bien entendu, il existera toujours des différences: égal ne doit pas être confondu avec identique. Les individus ne sont pas comparables à des Òfeuilles blanchesÓ sur lesquelles lÕenvironnement social écrirait lÕintégralité du texte. Les personnalités existent et heureusement ! Par contre, dans un contexte favorable, chaque personne, en fonction de ses centres dÕintérêts et de ses envies, devient capable de développer des connaissances et des aptitudes à des activités complexes. Pour lÕun, ce sera dans lÕart, pour lÕautre dans un domaine scientifique; pour un troisième, dans un méfier requérant un fort sens pratique ou des dispositions particulières pour le dialogue, etc.Notre égalitarisme va donc sÕopposer à la ÒméritocratieÓ. Comme son nom lÕindique, ce principe consiste à fonder les hiérarchies sur le mérite. Ainsi, pour les démocrates, la justice sociale se limite à garantir une égalité des ÒchancesÓ et des ÒdroitsÓ, sans faire une seule seconde le procès de la compétition et de ses conséquences. CÕest une façon de nous dire: ÒVous aurez, au départ, les mêmes atouts, et il nÕy aura quÕune seule et unique règle du jeu; au bout du compte, les meilleurs devront être récompensés de leurs efforts, de leur sens de la responsabilité et de lÕinitiativeÓ... Dans ce système, les privilèges de la naissance sont officiellement abolis: quÕon soit né dans une famille riche ou pauvre ne change rien... En théorie, nÕimporte lequel dÕentre nous est autorisé à devenir ingénieur ou haut fonctionnaire ! Et où nous donne en modèle ce fils dÕouvrier, ce Òself-made manÓ qui par son ÒcourageÓ, sa ÒténacitéÓ et son ÒhabiletéÓ, a fait fortune ! Bref, on veut nous persuader que les possibilités dÕascension sociale sont égales pour tous... Quelle absurdité ! On ne peut oser soutenir que chacun peut sÕélever socialement alors que le système hiérarchique établit, par définition, des ÒgagnantsÓ et des ÒperdantsÓ ! Dans la réalité, nous savons ce quÕil en est : les ÒréussitesÓ spectaculaires de personnes issues de classes populaires restent de rares exceptions et la classe bourgeoise nÕa aucun mal à préserver ses prérogatives, ne serait-ce que par lÕhéritage.Pour prévenir le risque de cette réflexion subversive sur lÕégalité, la propagande libérale a continuellement joué sur la peur de lÕuniformisation, du nivellement par le bas. Mais pourquoi lÕégalité empêcherait-elle la diversité des cultures et des mÏurs ? Pourquoi rendrait-elle impossible de consommer et de travailler selon ses goûts personnels ? Pourquoi signifierait-elle un appauvrissement généralisé alors que nous vivons tous pour la plupart au dessous du salaire et du revenu moyen ? LÕégalité économique entraînerait au contraire lÕamélioration du niveau de vie pour lÕimmense majorité ! Plus que cela, elle est une condition incontournable à lÕémancipation et à lÕépanouissement de chacun, en permettant des relations humaines sans domination.LÕinégalité, cÕest aussi pratiquer des discriminations ou légiférer en fonction de la couleur de peau, du sexe, des préférences sexuelles, de lÕâge...
Contre le racismeLe racisme nÕest pas seulement une opinion car il finit toujours par provoquer des agressions, par la volonté dÕanéantir des individus ou des populations entières. Dans le racisme, nous trouvons schématiquement trois ingrédients : la peur, la frustration et lÕidéologie. Il est bien connu quÕon a toujours peur de ce que lÕon ne connaît pas. ÒIls ne sont pas comme nous Ò: ainsi sÕexprime, au premier degré, cette sorte de peste émotionnelle qui, dÕhabitudes culturelles en fantasmes sécuritaires, rend suspect tout Òétranger Ó.Le rejet de ÒlÕimmigréÓ, cÕest le stupide et criminel moyen dÕextérioriser ses angoisses, de se défouler sur des boucs émissaires, de trouver plus ÒméprisableÓ que soi, en humiliant un autre individu. Ce phénomène dÕaliénation découle aussi du système inégalitaire et capitaliste : quand les ouvriers ou les chômeurs ÒfrançaisÓ concentrent leur haine envers ceux quÕils vont nommer Òles ArabesÓ, Òles NoirsÓ ou Òles JuifsÓ, leurs patrons et leurs dirigeants dorment tranquilles !Le racisme ne se résume donc pas à des réflexes primaires. Arme de domination, il a dÕemblée une dimension politique et idéologique. CÕest le racisme qui a légitimé et rendu possible lÕesclavage puis la colonisation sous prétexte dÕune Òmission civilisatriceÓ. CÕest bien là le véritable mobile du racisme: justifier à priori et a posteriori les actes de domination et dÕexploitation.Selon les époques et les circonstances, lÕidéologie raciste sÕest structurée sur des notions et des argumentaires différents. Le racisme a dÕabord affirmé la théorie selon laquelle lÕhumanité est divisible en groupes biologiques, certains étant ÒsupérieursÓ à dÕautres. Bien entendu, il sÕagit dÕune aberration. La science a incontestablement prouvé quÕil nÕexiste pas de Òraces humainesÓ, quÕil est absurde de vouloir ainsi cataloguer les populations. Du point de vue de la génétique, il peut y avoir moins de différences entre un habitant du continent africain ou asiatique et un ÒoccidentalÓ quÕentre deux ÒoccidentauxÓ.Ensuite, la notion de supériorité est vide de sens : sÕil existe des cultures différentes, elles ont toutes leur complexité et leurs richesses, et on ne peut retenir des critères dÕévaluation pour les classer.Enfin, le racisme ne se réduit pas à cette classification biologique. Cette référence ne lui est pas indispensable. La culture (la langue, les mÏurs, les traditions, etc.), lui fournit un terreau largement suffisant.
On ne saurait alors ignorer combien racisme et nationalisme sont liés, même si certains voudraient nous convaincre que la nation peut être Ògénéreuse et respectueuse des diversitésÓ. Seulement voilà, de manière globale, la représentation nationaliste de la société affirme: ¥ que les différences et les antagonismes au sein de la ÒnationÓ sont dÕimportance négligeable; ¥ que les similitudes, pourtant faciles à trouver, entre notre société et celles des ÒétrangersÓ ne sont pas significatives.
Autrement dit, notre ÒnationÓ est censée être une entité unique, dont tous les éléments sont intimement liés, Òtelle une grande famille Ó ! Cela suppose que nous devrions nous identifier, avant tout, par lÕappartenance à Ònotre groupe nationalÓ, en tant que communauté supérieure dÕintérêt. Non seulement toutes les oppositions de classes sont ÒoubliéesÓ, mais cÕest lÕapologie in fine de la préférence nationale, et nous savons ce que ce terme signifie. La nation, par définition, ne peut donc pas être Òpluri-culturelleÓ sans perdre ce qui est supposé faire son identité et sans se condamner dans son principe (dans des pays comme les USA, la Òpluri-culturalitéÓ se traduit par un cloisonnement, des ghettos, et une hiérarchisation des ÒcommunautésÓ). Tout juste tolère-t-elle la notion ÒdÕintégrationÓ qui se traduit par lÕobligation faite aux ÒétrangersÓ de se fondre dans la culture du Òpays dÕaccueilÓ.
Il nÕy a pas une bonne et une mauvaise interprétation du nationalisme: les partis politiques qui se targuent à longueur de journée dÕagir Òpour la grandeur de la France et dans lÕintérêt des Français Ó ont tous, de ce simple fait, une énorme responsabilité dans la recrudescence de la xénophobie, quelles que soient les nuances de leurs discours. Le Front national sÕest contenté de faire de la surenchère sur le très consensuel mythe patriotique, avec un slogan: ÒLa France aux Français Ò qui, dans le fond, reflète une idée partagée par tous les nationalistes.
Anarchistes, nous sommes Òa-nationalistesÓ: nous ne nous reconnaissons dans aucune nation. Nous savons que nous sommes dÕune classe sociale, que nous parlons une ou plusieurs langues, que nous aimons telle ou telle région du monde, que nous partageons tels ou tels goûts musicaux avec dÕautres... CÕest cela qui nous définit, en tant ÒquÕentités socialesÓ, et rien dÕautre. Ceux qui raisonnent en terme de Òcommunautés organiquesÓ ou ÒethniquesÓ ont déjà un revolver dans la main pour faire marcher les autres individus au pas cadencé ou au son de lÕhymne national.
Contre le sexismeToutes les formes de sexisme ont un point commun: elles reviennent à considérer les femmes comme étant dÕune Òvaleur moindreÓ que les hommes. Plus largement, le sexisme est une norme sociale qui tend à attribuer à chaque sexe un rôle précis dans la société, un certain type dÕactivité et de comportements. Dans sa version la plus réactionnaire, si lÕon peut sÕexprimer ainsi, le sexisme réserve aux femmes la sphère privée, lÕéducation des jeunes enfants, le ménage, etc. LÕenfermement au nom de la Òvie du foyerÓ conditionne lÕabsence dÕautonomie. Le sexisme réserve aux femmes des Òtraits de caractèreÓ: longtemps ÒlÕhystérieÓ fut taxée ÒdÕessentiellement féminineÓ. A contrario lÕhomme peut évoluer dans la Òsphère publiqueÓ comme en terrain conquis: dans les diverses hiérarchies et ramifications du Pouvoir, les postes de ÒresponsabilitéÓ lui sont ÒnaturellementÓ réservés.Si les relations au sein des familles et dans les couples se sont profondément modifiées depuis vingt ans, le sexisme nÕen reste pas moins extrêmement présent. il suffit de regarder autour de soi pour sÕen rendre compte : la violence physique et psychologique envers les femmes est loin dÕavoir disparu ! Le nombre de viols et de violences ÒdomestiquesÓ le montre assez (une femme sur huit est victime de violences sexuelles avant lÕâge adulte). Sur le plan professionnel, quand les femmes sont ÒautoriséesÓ à se présenter sur le marché du travail, elles sont fortement incitées, pour ne pas dire forcées, à exercer certains travaux et pas dÕautres : elles seront Òà leur placeÓ dans les bureaux, les salons de coiffure ou les écoles, pas dans les secteurs dÕactivités techniques. Dans la plupart des cas, et à qualifications égales, elles seront moins payées que les hommes. Les femmes sont toujours contraintes a Òêtre séduisantesÓ. Elles sont toujours cet Òobjet du désirÓ qui fait vendre, via la publicité, voitures et déodorants masculins. CÕest toujours lÕimage de la ménagère (de moins de cinquante ans !) qui choisit entre deux barils de lessive !Quant aux hommes, sÕils sont sans doute plus invités quÕauparavant à user de la séduction, ils doivent selon lÕexpression consacrée et profondément stupide, prouver ÒquÕils en ontÓ ! ÒLÕhommeÓ doit savoir se battre, être physiquement et moralement fort. SÕil connaît quelques blagues bien Òbeauf Ó, loin dÕêtre enclin à se taire, il sera, dans la plupart des cas, apprécié pour sa ÒjovialitéÓ (?) et sa Òconnaissance des choses de la vieÓ ( !?). Mais gare à lui sÕil pleure: il sera Òune femmeletteÓ et... un ÒpédéÓ ! Car le sexisme cÕest aussi, et largement, la haine homophobe : le rejet de lÕhomosexualité masculine et féminine, ces comportements étant couramment taxés ÒdÕanormalitéÓ, de ÒdévianceÓ, ÒdÕincapacité à être de son sexeÓ. CÕest pourquoi on se rend bien compte que la norme sexiste, si elle joue dÕabord contre les femmes, elle joue aussi contre une partie des hommes. Le sexisme fausse tout y compris les rapports amicaux. il aliène et opprime les hommes qui ont, ou auraient, le désir de vivre autrement leurs relations amoureuses (que ce soit sur le mode hétérosexuel, homosexuel, ou bisexuel) et les rend également victimes de violences sexuelles (cÕest le cas pour un homme sur dix, avant lÕâge adulte).Les attaques redoublées ces derniers temps contre lÕavortement et la contraception, le fanatisme religieux dÕun Jean-Paul II et ses encycliques sont là pour nous rappeler que rien nÕest jamais totalement acquis et que le combat pour la liberté sexuelle et lÕégalité sociale entre hommes et femmes est toujours dÕactualité. Combat éminemment politique car, là encore, le sexisme est un outil de contrôle : comme le racisme, il sert de ÒdéfouloirÓ aux individus dominés.
La liberté
Que veut dire être libre? Concrètement, la liberté est un pouvoir: celui dÕagir ou de ne pas agir. Nous sommes libres quand personne ne nous empêche de faire de notre vie ce que nous voulons et quand personne ne nous impose sa volonté (par la force ou la manipulation). La liberté est dÕemblée un rapport social (elle nÕexiste pas dans la nature mais est une création humaine). Nous ne pouvons être libres là où existe une hiérarchie de commandement et des pouvoirs de coercition : lorsquÕun État nous contraint à effectuer un service national (militaire ou civil) ou lorsque nous sommes à la merci des patrons qui ont tout pouvoir de nous embaucher ou de nous licencier, nous sommes bien entendu toujours Òlibres Ó de nous révolter, mais nous ne sommes pas libres, socialement parlant;Selon la fameuse formule Òla liberté des uns sÕarrête où commence celle des autresÓ, on nous présente la liberté comme quelque chose dont on doit se garder. Elle serait même extrêmement dangereuse car synonyme de Òfaire tout et nÕimporte quoiÓ: ÒSÕils étaient totalement libres de faire ce qui leur plaît, les humains sÕentre-déchireraient dans un chaos généralisé et la vie en société deviendrait impossible Ò...! Ce discours nÕest pas désintéressé, il permet de justifier le principe de lÕAutorité et de transformer la liberté en un Òidéal inaccessible Ó. Elle nÕest plus quÕun sujet dÕincantation, réservé pour les effets de manches des tribuns politiques. Dans les actes, seules sont tolérées des libertés partielles, cadrées par le Droit et la Loi. La constitution nous autorise la grève bien sage et le droit dÕassociation, mais gare à celui qui ose sÕinsoumettre et se rebeller! Bref, nous sommes tous en liberté surveillée !En opposition à cette vision réductrice autant quÕhypocrite, les anarchistes ont développé une conception sociale de la liberté humaine. Quand, dans leurs révoltes et leurs luttes, les populations ont exigé la liberté, ce nÕétait pas une liberté abstraite et philosophique, mais bien une liberté associée au principe égalitaire. Pour nous, la liberté ne peut exister sans lÕégalité économique et sociale. Liberté et Egalité sont indissociable. La liberté est pleine et entière quand lÕindividu, émancipé de toutes tutelles et de toute domination, a la possibilité de construire et dÕentretenir des relations volontaires avec les autres. Si être tous libres signifie lÕabsence de domination, il faut, pour que je sois parfaitement libre, que les autres le soient aussi : la liberté de chacun est la condition de la liberté de tous et comme le disait Bakounine, ÒLa liberté des autres étend la mienne à lÕinfini Ò.Par ailleurs, puisque les individus sont des êtres sociaux, la liberté nÕest pas le refus de toutes les contraintes. Pour sÕorganiser avec les autres, lÕindividu doit prendre des engagements, établir des arrangements et les respecter. Il atteint sa complète liberté quand il peut choisir ses contrats et en négocier les termes. Enfin, toute censure nous est insupportable car elle suppose un pouvoir, une Autorité pour lÕexercer. Si une opinion nous paraît dangereuse, dans ce quÕelle représente et laisse supposer comme actes à venir, on ne résout rien en lÕinterdisant. Prétendre quÕÓ il ne faut pas laisser la parole aux ennemis de la liberté Ò est le meilleur moyen dÕaller vers là dictature.
Nos refus politiques
De ces premières réflexions découle une série de positions, sur lÕÉtat, le Capitalisme et la Religion.
Le refus de lÕÉtat
Premièrement lÕÉtat nÕest pas un outil neutre que lÕon peut utiliser à bon ou mauvais escient.À partir du moment où un groupe dispose des moyens dÕoppression (militaires et policiers) lui permettant dÕagir dans ses seuls intérêts, il ne faut pas sÕétonner quÕil les utilise! Parler ÒdÕabus de pouvoirÓ est ridicule, car à quoi servirait le pouvoir si lÕon nÕen abusait pas? Prenez le plus généreux des ouvriers, donnez-lui un trône et il se transformera en un dictateur paranoïaque!Deuxièmement rejeter lÕÉtat, ce nÕest pas rejeter lÕorganisation. Ceux pour qui lÕÉtat est dÕune absolue nécessité font volontairement ou non, de sérieuses confusions entre État et société. il est vrai que les êtres humains ne peuvent vivre sans ordonner leurs relations et leurs actions. Ils ont besoin pour cela de se doter de structures politiques et dÕorganismes de gestion. Mais il est complètement faux de croire que lÕÉtat est la seule forme dÕorganisation possible ou quÕil est un Òinévitable moindre malÓ.En confisquant nombre de fonctions dÕutilité collective (comme la santé, lÕéducation, les transports, etc.) lÕÉtat veut se parer dÕune légitimité sans faille, nous persuader quÕil est incontournable.Il sÕagit dÕune gigantesque escroquerie: les classes dominantes ont construit les appareils dÕÉtat pour servir leurs seuls intérêts et non pas la société. LÕÉtat est un outil de répression, de contrôle et de gestion, qui opère contre nous et qui limite ou écrase nos initiatives dÕauto-organisation.Pour que la société fonctionne, nous nÕavons pas besoin dÕêtre dirigés, et, refusant lÕÉtat nous proposons le fédéralisme libertaire et lÕautogestion (sujet que nous allons traiter plus loin), cÕest-à-dire des modes de fonctionnement qui donnent aux individus la possibilité de coordonner les activités sociales, en traitant dÕégaux à égaux.
De par notre anti-autoritarisme, nous sommes amenés à nous démarquer des démocrates. La démocratie, cÕest étymologiquement lÕidée du Òpouvoir du peupleÓ mais historiquement cÕest la référence, soit à la démocratie athénienne (où il y avait des esclaves!), soit à la démocratie actuelle qui sÕest développée depuis la Révolution américaine et affirmée avec la Révolution française. Pour éviter de se faire piéger par le jeu du langage, nous pouvons dire que le problème fondamental est celui de la délégation de pouvoir : être démocrate cÕest penser que le peuple Òdoit élire ses gouvernants Ó ( par le suffrage universel ).
Le Òdémocrate Ó reste donc dans le schéma dirigeants-dirigés. Si la dictature est le pire des systèmes politiques, nous constatons que dans la démocratie, le pouvoir des individus, des collectivités, des groupes sociaux, etc., se réduit à une peau de chagrin. Les ÒcitoyensÓ nÕont aucun contrôle sur leurs élus: si ces derniers ne respectent pas leurs engagements (comme cÕest habituellement le cas!), personne ne peut les destituer, on leur a donné un véritable chèque en blanc... Pourtant, certains vous diront: ÒSi tel candidat déçoit, il ne sera pas réélu ! Ó. Et alors? Ce sera lÕun de ses acolytes qui le sera, pour refaire une politique pratiquement identique! Ou bien, le candidat jurera ses grands dieux que, cette fois-ci, il sÕen tiendra à son programme et une fois de plus, il trompera lÕélectorat crédule!Par ailleurs, il faudrait sÕinterroger sur les véritables pouvoirs des gouvernements! Dans le jeu économique, les dirigeants, quelles que soient leurs intentions préalables, nÕont pas de marge de manÏuvre significative. Ils sont subordonnés aux intérêts capitalistes. Ils gèrent la crise sociale, par de fausses politiques de lÕemploi, par la charité et ÒlÕaction socialeÓ, par la répression.
Enfin, la démocratie, cÕest la primauté de la règle majoritaire.
À ce titre, le référendum est paraît-il, la forme de gouvernement la plus ÒdémocratiqueÓ: les ÒcitoyensÓ ne sont-ils pas appelés à intervenir directement dans la Òvie politique du paysÓ? Or, cÕest une évidence, la majorité nÕa pas toujours raison.
SÕen remettre sans condition à son jugement pour prendre des décisions sur tout est extrêmement dangereux : allons-nous accepter de voter sur des questions comme la peine de mort, lÕexpulsion des immigrés (ou Òenfants dÕimmigrésÓ), le droit des femmes à travailler? On ne peut pas accepter de soumettre à un vote ce qui nÕest pas négociable et ce qui bafoue le principe de la justice sociale!Ceci dit nous ne sommes pas systématiquement opposés au vote.
Nous pouvons y recourir sÕil est conçu comme un mode de décision accepté par tous, afin dÕavoir à un moment donné, des indications sur les positions de chacun, de trancher rapidement des questions techniques, de choisir entre différentes options économiques de production.
Le refus du capitalisme, de la logique du profit, du salariat et de la monnaieLe capitalisme est un système économique basé sur le fait quÕune classe sociale, la bourgeoisie, est propriétaire des moyens de production, de distribution et dÕéchange. Cette appropriation privée des capacités productives de lÕhumanité sÕest accentuée dès les débuts du XIXe siècle, dÕabord en Europe, et nÕa cessé de se développer jusquÕà être aujourdÕhui étendue à lÕensemble de la planète. Une variante, le capitalisme dÕÉtat sÕest imposée entre 1917 et 1990 dans ce que lÕon a appelé à tort les Òpays socialistesÓ. La bourgeoisie y était remplacée par la bureaucratie de lÕÉtat, seul et unique propriétaire.Dans le capitalisme, les propriétaires des capitaux financiers, des entreprises, des outils techniques, des réseaux de commerce, etc., ont le contrôle absolu des processus de production, depuis la définition des besoins de consommation en passant par lÕorganisation du travail, la politique dÕembauche, les lieux dÕimplantation des entreprises... Ceux qui, comme la majorité dÕentre nous, ne possèdent que leurs bras, leurs savoir-faire ou leurs connaissances intellectuelles, sont contraints, pour vivre, de louer leurs services à des employeurs en échange dÕun salaire (les libéraux parlent alors de Òcontrat Ó, comme si le salarié était libre de négocier, à armes égales, avec le patron!).NÕen déplaise à ceux pour qui parler de lutte de classes fait Òlangue de boisÓ, il existe bien un prolétariat en confrontation permanente avec une bourgeoisie. CÕest de ce rapport de force entre exploiteurs et exploités que dépend le niveau de vie des uns et le taux de profit des autres.Les capitalistes ont développé quantité de Òbonnes raisons Ó pour justifier leur système. Ils prétendent que le profit est la rémunération correspondant aux risques financiers pris par les actionnaires. LÕargument est trop facile et faux! Quand un patron investit dans une nouvelle production, le capital quÕil engage provient du détournement et de lÕappropriation dÕune partie du travail réalisé par les salariés dÕune industrie. Le capitaliste ÒparieÓ avec les fruits du travail collectif quÕil a volé! Petits patrons comme grands barons de lÕindustrie soutiennent que sans perspective dÕenrichissement personnel et sans compétition, la société ne pourrait plus fonctionner faute de ÒressortÓ pour dynamiser les initiatives individuelles. LÕexemple de la faillite des Òpays socialistesÓ est très souvent mis en avant pour affirmer que le capitalisme est lÕorganisation qui garantit à chacun une chance de promotion sociale et de bien-être pour peu que lÕon fasse les efforts nécessaires. Ce raisonnement est falsificateur, car ÒlÕégalité des chancesÓ (comme nous lÕavons dit précédemment) nÕest jamais assurée, puisque la transmission des titres de propriété comme des modèles culturels font que les richesses et le pouvoir se transmettent de génération en génération, dans les mêmes classes.Quant à la fonction stimulante de lÕenrichissement personnel, cÕest un argument tronqué.
Pour nous, la coopération et lÕentraide (sans lesquelles tout travail, y compris aujourdÕhui, serait impossible) sont les seules conditions indispensables au progrès économique et social. La concurrence, au contraire, outre quÕelle conduit les individus à perdre leur vie pour la gagner, génère de formidables gaspillages. Au lieu de regrouper des énergies dans un but commun, elles les dispersent dans une guerre économique. Pour entretenir des débouchés, les bureaux dÕétudes limitent volontairement la durée de vie des produits. De nouvelles gammes, simplement remodelées sortent des entreprises pour faire illusion. Des moyens énormes sont mis dans la publicité et le marketing pour conditionner les consommateurs...
LÕefficacité et la rationalité du capitalisme restent pourtant des idées fortement ancrées dans les esprits, notamment en raison de la supposition suivante: lÕéconomie de marché permettrait de satisfaire au mieux les besoins des individus. On va ainsi nous dire: ÒSi le capitaliste veut vendre, il doit trouver des acheteurs. Si les marchandises ne trouvent pas preneurs, il fera banqueroute a moins de trouver dÕautres produits correspondant aux attentes des consommateursÓ. La logique de marché pousserait donc les chefs dÕentreprise à coller au plus près de la demande... Ce raisonnement est exact... sauf quÕil omet de dire que cette ÒdemandeÓ ne reflète pas les besoins sociaux des populations mais le pouvoir dÕachat des différentes classes de consommateurs! Étant donné que toutes les productions sont assujetties à des objectifs de rentabilité, les besoins des populations non solvables sont ignorés: dans le capitalisme, celui qui nÕa pas dÕargent nÕexiste pas.
Cette évidence nous amène à la critique de la monnaie. Celle-ci nÕest pas, comme le disent les économistes, un Òsimple et commode moyen dÕéchange Ó. Pour répartir les richesses produites, les humains auraient pu trouver bien dÕautres solutions! Et puis on constate que le capitalisme sait de lui-même sÕen passer lorsque cela sÕavère opportun: il est par exemple fréquent que des pays négocient entre eux des accords de troc en raison des incertitudes qui planent sur le système monétaire international! Si la monnaie est partiellement un outil, cÕest en tant que support fondamental de la réalisation du profit.
Sans elle, la possibilité dÕaccumuler des valeurs resterait extrêmement réduite; sans la thésaurisation (lÕaction dÕamasser de lÕargent), le capitalisme ne se serait pas développé! Avec lÕargent, le système de domination sÕest aussi doté dÕune puissante arme dÕaliénation idéologique: dans la course aux gains, lÕutilité et la valeur sociale des choses passent au second plan, ou sont tout bonnement oubliées. La monnaie, et ce nÕest pas une de ses caractéristiques les moins importantes, permet de masquer la réalité des rapports dÕexploitation. Quand un propriétaire extorque une plus-value au locataire, le rapport dÕexploitation nÕest pas immédiatement visible: le locataire est censé Òpayer le coût de construction et dÕentretien Ó du logement mais le montant du vol nÕest affiché nulle part! LÕexploitation, le vol par lÕinterface de la monnaie, est une méthode somme toute beaucoup plus habile que lÕancien esclavage, ÒdirectÓ et brutal... LÕargent crée un pouvoir qui échappe à tout contrôle. On le sait: quoi de plus anonyme quÕun billet de banque? Quoi de plus ÒindéchiffrableÕ que les multiples transactions sur les places financières internationales?
Le refus de la ReligionDes intégrismes (catholiques, islamistes...) aux tendances Òmodernistes Ó et Òprogressistes Ó voire Òrévolutionnaires Ó, la religion est loin de se réduire à une pensée unique. On ne peut combattre cette nébuleuse par la seule référence aux crimes de lÕinquisition, aux exactions de ses composantes les plus obscurantistes. CÕest au fondement de la religion quÕil faut sÕattaquer. Anarchistes, nous ne sommes pas seulement anticléricaux (opposés à lÕinfluence des clergés dans les affaires publiques), nous sommes athées: Cela signifie que nous nions lÕexistence de toutes divinités en affirmant quÕelles sont de purs produits de lÕimagination humaine! Comment peut-on lutter contre la croyance en Dieu? La croyance étant hermétique au raisonnement scientifique, Dieu est, par la force des choses, indémontrable et indémontré !Il ne servirait donc à rien de chercher à prouver, dÕun point de vue logique, que Dieu nÕexiste pas. Mais, en portant lÕattention sur ce que sous-tend le phénomène religieux, cÕest-à-dire en dévoilant ses finalités et ses mobiles non avoués, nous mettrons en évidence les raisons objectives de lÕathéisme.Pour lÕindividu qui veut se rassurer, la religion est une fuite dans le mysticisme et dans le moralisme: en se soumettant à des commandements supérieurs, il se dépossède de sa responsabilité et de son individualité. Croire en Dieu, cÕest se donner un Maître et "Dieu étant tout, le monde réel et lÕhomme ne sont rien (...) Dieu étant le maître, lÕhomme est esclave" (Bakounine).Pour les Églises, qui sont des États, lÕordre moral est le moyen de maintenir les peuples dans la soumission. Elles ont constamment servi les bourgeoisies, béni les armées et excommunié les mutins, tout en utilisant des aspirations populaires à Òun monde meilleurÓ!Proudhon écrivait au sujet de la relation entre te pouvoir et lÕÉglise:ÒLÕidée économique du capital, lÕidée politique du gouvernement ou de lÕautorité, lÕidée théologique de lÕÉglise, sont trois idées identiques et réciproquement convertibles: attaquer lÕune, cÕest attaquer lÕautre... Ce que le capital fait sur le travail, et lÕÉtat sur la liberté, lÕÉglise lÕopère à son tour sur lÕintelligence. Cette trinité de lÕabsolutisme est fatale, dans la pratique comme dans la philosophie. Pour opprimer efficacement le peuple, il faut lÕenchaîner dans son corps, dans sa volonté, dans sa raison Ò.Cependant, si nous sommes radicalement hostiles à lÕégard de la pensée religieuse, notre lutte ne peut passer par une Òinterdiction du droit de culte Ó, interdiction qui serait une mesure à la fois inefficace et contraire à nos principes libertaires. Tant que lÕindividu, adulte et responsable, veut croire, prier ou faire des pèlerinages, quÕil le fasse librement. Les discriminations sociales contre des individus en fonction de leurs convictions religieuses ne sont pas admissibles.La question de LÕécole confessionnelle pose un problème plus épineux, puisquÕil sÕagit de la mainmise des religieux sur lÕéducation dÕindividus qui ne sont pas encore ÒautonomesÓ. Il nÕy a pas de pire embrigadement que celui commis sur des enfants et des adolescents, que ce soit par des Églises, des Partis, des organisations politiques ou des sectes! Comment combattre cet autoritarisme inqualifiable et qui ne mérite aucune excuse? Si interdire par la force les écoles confessionnelles produit fatalement des effets contraires à celui recherché (en mettant ces écoles et les religieux en position de victimes), nous pouvons en revanche :¥ Leur refuser toute aide économique.
¥ Dénoncer sans relâche leur existence et montrer quÕau delà de tous leurs discours dÕapparence ÒgénéreuseÓ, les théologiens sÕopposent toujours à la liberté de lÕindividu, au développement de son autonomie et de son sens critique.
¥ Leur opposer surtout un système éducatif offrant les meilleures conditions dÕenseignement car cÕest la transformation sociale elle-même qui doit en définitive, priver les Églises de leur crédibilité.
Le projet de société anarchisteQuand on sÕaventure à définir les structures dÕune nouvelle organisation sociale, il y a deux écueils quÕil faut absolument éviter: être trop vague et être précis ! Être trop vague, cÕest se fermer les portes de lÕavenir en éloignant de nous ceux qui exigent (et cÕest parfaitement compréhensible) des précisions avant de ÒsÕengagerÓ. CÕest se condamner à lÕimmobilité, à la stagnation et à nÕêtre, en définitive, quÕune secte sans importance, dont la seule activité se limite au bavardage, à la négation, à lÕagitation stérile.Être trop précis, cÕest engager imprudemment lÕavenir un avenir sans cesse changeant. CÕest risquer dÕenfermer la vie sociale dans un schéma prédéterminé, ce qui ne manquerait pas de dégénérer rapidement en un dogmatisme étroit et liberticide.Entre ces deux pôles, nous tenterons de trouver une juste mesure en exposant les grandes lignes de ce que pourrait être une société anarchiste, sans prétendre apporter toutes les réponses.
Le Fédéralisme libertaire, quelques considérations générales
LorsquÕon évoque le fédéralisme, la plupart des gens pensent immédiatement à des pays comme les USA ou la Suisse... De prime abord, il nÕest quÕune ÒvariétéÓ de gouvernement et ne semble guère révolutionnaire... Cependant, étant donné que le fédéralisme signifie Òalliance Ó, prendre ce mot au pied de la lettre pour lÕappliquer à lÕensemble de la vie sociale, politique et économique, cÕest poser dÕemblée une critique radicale du capitalisme et de lÕÉtat.Économiquement. il ne peut exister de véritable alliance quÕentre individus égaux. Politiquement, le fédéralisme libertaire condamne toute puissance militaire et toute institution policière; il est lÕennemi du centralisme qui conduit à lÕasservissement. Qui dit pouvoir central dit mise en tutelle, mise sous surveillance, mise sous commandement, mise sous dictature! Notons au passage que les politiques de ÒdécentralisationÓ et de ÒrégionalisationÓ ne nous rendent pas lÕÉtat plus sympathique: sÕil a appris à déléguer des responsabilités à des instances territoriales, il nÕen est pas devenu plus juste pour autant. Ce sont seulement les méthodes dÕoppression qui ont changé!Fédérer, dÕun point de vue anarchiste, cÕest créer des fédérations à tous les niveaux, en généralisant le principe de la libre association. Il sÕagit de coordonner des systèmes autogérés, des petites collectivités aux regroupements les plus vastes, et non pas dÕagglomérer des institutions organisées sur un mode autoritaire!
Le fédéralisme libertaire veut cimenter la société par un lien social dont lÕélément essentiel est lÕadhésion à des projets et à des oeuvres communes.CÕest une nouvelle conception du contrat social, sur la base du volontariat et non de la coercition.La société libertaire bannit-elle pour autant toute forme de ÒcontraintesÓ? Non, puisque nous avons expliqué dans le paragraphe sur la liberté que passer un contrat signifie savoir prendre des engagements et les respecter. Sans vouloir refaire ici de grandes théories sociologiques, mais pour éviter de se fourvoyer dans un optimisme idéaliste, il est important de tenir compte de réalités simples. LÕêtre humain nÕest pas ÒnaturellementÓ plus disposé pour lÕentraide que pour la domination (à ce titre il nÕa pas de ÒnatureÓ) et il nous semble incontestable que les individus transforment effectivement, par leurs actions, les structures sociales, et que ces structures sociales agissent à leur tour sur les individus, en créant des contextes, en conditionnant les habitudes, en déterminant les possibilités dÕaction. CÕest ce quÕon appelle en dÕautres termes un rapport interactif.On ne peut alors concevoir lÕindividu comme un acteur tout-puissant de sa vie et partant de cette idée, nous sommes convaincus quÕune société anarchiste, comme nÕimporte quelle autre société, ne pourrait fonctionner par la seule Òbonne volontéÓ de ses membres. Ce sont les modes dÕorganisation qui doivent eux-mêmes entraîner des comportements libertaires, individuels et collectifs.Le contrat fédératif comporte donc un aspect incitatif et un aspect ÒcontraignantÓ. Pour préciser notre pensée et prendre lÕexemple du travail, cÕest justement par une nouvelle organisation de ce dernier que pourra sÕentretenir la motivation, lÕintérêt que lÕon porte à son travail. Dès lÕinstant où nous sommes mis en mesure de nous réapproprier notre activité professionnelle, où nous ne sommes plus des pions, des rouages, des exécutants, mais des acteurs dÕun système qui produit pour tous, très rares sont ceux qui Òne sÕintéressent à rienÓ. Quand nous travaillerons pour nous et non plus pour enrichir des patrons, nous nous apercevrons vite que la Òfainéantise naturelle et anti-socialeÓ nÕétait quÕun mythe inventé par les dominants pour justifier leurs positions. Par ailleurs, la contrainte du pacte fédératif est une contrainte librement consentie et égalitairement négociée.
Pour bien se comprendre, ce nÕest pas la contrainte exercée par un chef. Ce sont les règles, établies par les différentes parties, qui sont ÒcontraignantesÓ: respecter des horaires, mener jusquÕau bout le projet qui a été décidé collectivement. CÕest la contrainte qui découle immanquablement de lÕassociation... Dans le discours des partisans de lÕAutorité, cÕest dÕabord et avant tout le rapport de soumission qui pousse la grande masse des individus à travailler. La motivation y apparaît comme une notion subsidiaire, un simple ÒplusÕ: sÕil faut Òmotiver le salariéÓ, cÕest pour quÕil soit plus rentable. Pour nous, les choses ne se posent absolument pas dans ces termes. CÕest la contrainte (telle que nous lÕavons définie au point précédent) qui est un complément à la motivation quand celle-ci vient à manquer. Et nous connaissons bien ce phénomène dans les associations ou les organisations militantes, quand le caractère rébarbatif de certaines tâches finissent par venir à bout de lÕenthousiasme des premiers temps. Mais puisque la contrainte du contrat fédératif ne peut pas être le moteur de la motivation, elle ne peut pas non plus sÕy substituer: lorsque lÕun dÕentre nous nÕest plus motivé par ce quÕil fait, on ne peut se contenter de lui rappeler ses engagements. On doit se préoccuper immédiatement de trouver des solutions pour réorganiser son activité afin quÕelle redevienne gratifiante.
La question du lien social, de la responsabilisation et de la contrainte nous amène à reparler de la monnaie. LÕidée selon laquelle lÕargent est un phénomène indépassable est fortement ancrée dans les esprits et rend très difficile sa contestation. Les arguments pour le maintien de la monnaie sÕarticulent autour de trois axes principaux: ¥ Pour pouvoir gérer la société, nous dit-on, il faut bien évaluer les produits, les actions économiques, il faut bien faire des budgets, estimer des investissements, calculer la valeur des choses à échanger...¥ La monnaie est même censée être lÕoutil de la justice sociale; sÕil nÕy a pas de monnaie, comment allons-nous voir quÕun individu prend Òplus que sa part de la richesse collectiveÓ? ¥ Et, comble suprême de lÕaliénation, la monnaie va jusquÕà véhiculer une image de liberté: ÒsÕil nÕest plus possible de vendre les fruits de son travailÓ, comment le peintre va-t-il pouvoir vivre, puisque ses toiles, cÕest le cas de le dire, nÕauront plus de prix? Comment lÕécrivain pourra-t-il vendre ses ouvrages? Comment le musicien pourra-t-il faire payer lÕentrée à ses concerts etc.? Bref, Òpouvoir gagner de lÕargentÓ semble être la garantie de lÕindépendance...Dans les faits nous avons vu quelle était la fonction réelle de la monnaie, et nous savons ce que vaut la liberté dans le système monétaire: rien ou pas grand chose! Concrètement, répondre à ces interrogations, cÕest proposer, comme nous tentons de le faire ici, un mode de fonctionnement global de la société, qui intégrerait, dans ses multiples facettes, lÕabsence de monnaie.Nous affirmons (et nous insistons sur cette question car on nous lÕa souvent posée) que les activités culturelles, loin dÕêtre handicapées par la suppression de la monnaie, seront au contraire décuplées. Tout ce quÕil faut aux individus, ce sont les possibilités matérielles de sÕexprimer; et la véritable création, celle quÕanime la passion, se moque bien des perspectives de profits! CÕest chacun dÕentre nous qui, grâce à une réduction massive du temps de travail, aura la possibilité de se cultiver, de peindre, dÕécrire, de faire du théâtre, de donner des concerts; libéré de la logique du profit et du ÒvedettariatÓ (cette Òélite talentueuseÓ - ou perçue comme telle), lÕart, production sociale fondamentale, nÕen sera que plus populaire et plus authentique.Nous affirmerons également, au cours des lignes qui suivent la possibilité dÕorganiser le travail, de coordonner les relations entre les fédérations, dÕétablir des projets et des objectifs de production, de faire un lien entre le travail et la consommation, sans lÕintermédiaire de cet ustensile marchand quÕest la monnaie.
LÕorganisation fédérale anarchisteAvant tout, il faut se demander quelles fonctions sociales doivent être organisées et au risque de schématiser, nous allons en répertorier quelques grandes catégories.Nous avons:¥ La définition des grands objectifs de production, en fonction des besoins recensés.¥ Le fonctionnement interne des Òunités de production Ó: usines, exploitations agricoles, organismes de services aux industries, aux collectivités et aux particuliers...¥ La coordination de ces unités en de vastes réseaux, puisquÕelles ne peuvent exister indépendamment les unes des autres: il faut quÕelles disposent des outils, des produits, des bâtiments et des infrastructures (routes, voies ferroviaires et aériennes...) conditionnant leur bonne marche.
¥ La répartition des biens de consommation, des logements...
¥ Les services de santé, de sécurité civile, de transports publics...
¥ Les structures dÕéducation et de formation et plus largement tout ce qui se rapporte à la transmission de lÕinformation et des savoirs.
¥ Reste enfin à réguler des conflits de toutes sortes, que ce soit entre deux individus, entre un individu et un groupe, entre deux fédérations, entre des communes ou des régions...
Nous allons maintenant définir de quelle façon sÕétabliraient les fédérations pour remplir ces fonctions organisatrices, quelles seraient leurs relations; puis nous expliquerons ce que pourraient être lÕautogestion généralisée de la production et lÕorganisation de la répartition. Nous terminerons par les questions de lÕéducation, de lÕinformation et de la gestion des conflits.
Si lÕon observe la vie sociale, nous pouvons constater que, dÕun côté, nous vivons tous et toutes dans des lieux: une ville, une région; de lÕautre, nous exerçons des activités spécifiques: notre métier, nos études, notre art, et sur un plan plus ludique, nos loisirs.Le fédéralisme doit intégrer cette double dimension: nous mettrions en place, sur un plan ÒgéographiqueÓ, des fédérations communales, régionales, puis inter-communales et inter-régionales, et parallèlement à ces collectivités, existeraient des fédérations de travailleurs, par branche professionnelle, par méfier, par type de production et de service. Pour être encore plus concret, il y aurait des fédérations du bâtiment de la construction métallurgique, de lÕindustrie électrotechnique et de la mécanique, de lÕélectronique et de lÕinformatique, de lÕagriculture et de lÕagroalimentaire, des transports, des services (nettoyage, surveillance technique pour la sécurité des installations, conseil et ingénierie)...Nous devons également compter avec les multiples associations particulières qui compléteraient lÕarchitecture de la société et qui seraient des actrices irremplaçables du mouvement social et de la convivialité (on ne peut en effet imaginer une société qui ne serait faite que ÒdÕinstitutionsÓ bien huilées!).
Ce double fédéralisme ne doit cependant pas vous laisser penser quÕil y aurait une frontière nette et étanche entre les fédérations de communes et les fédérations de travailleurs. Elles seraient au contraire, et par la force des choses, étroitement imbriquées.Si une fédération de production envisage de créer une nouvelle unité, elle ne peut décider seule du lieu dÕinstallation. Ce choix regarde aussi la Commune et la Région, ne serait-ce que pour garantir la meilleure adaptation des infrastructures routières et ferroviaires. Ces fédérations auront dÕautant plus leur mot à dire sÕil sÕagit dÕune usine représentant des risques élevés de pollution et dÕaccidents. De la même façon, les fédérations de la formation professionnelle devront coopérer étroitement avec les fédérations de travailleurs, comme avec les fédérations de Communes, pour décider des stages à mettre en Ïuvre. Les fédérations du bâtiment se référeront aux Communes qui connaîtront mieux que nÕimporte quel autre organisme de statistiques, les demandes en logements. Les transports publics, ou les organismes de santé, planifieront toujours leurs implantations et leur développement dÕaprès les informations que leur auront transmises les diverses fédérations concernées par la mise en oeuvre de ces projets (sur les capacités techniques disponibles et les besoins sociaux).En ce qui concerne lÕorganisation de la répartition des biens, elle serait prise en charge par des fédérations de consommateurs créées au sein des communes. Les fédérations de travailleurs livreraient les produits à des organismes communaux qui géreraient un réseau de dépôts, autogérés par les habitants, par quartiers, villages etc. Car sÕil faut bien que des travailleurs sÕemploient à assurer le fonctionnement quotidien de ces structures, leur particularité serait dÕêtre contrôlées directement par les individus qui sÕy inscriraient. Ces deux sortes de fédérations, de production et de consommation, seraient en relation constante, afin de garantir lÕadéquation entre lÕoffreÓ et Òla demandeÓ.
Le fédéralisme communal mérite que lÕon sÕy arrête un instant, car il doit être, à notre avis, relativisé. En ce début de 21ème siècle et pour les sociétés industrialisées, il serait absurde de concevoir une organisation sociale basée exclusivement sur des entités géographiques.La production et la distribution sÕorganisent en réseaux à une échelle mondiale; avec lÕaccroissement des possibilités de communication et de transports, les individus ne limitent plus leur socialisation à un quartier ou à une ville. Et tant mieux: si certains se plaisent à déplorer Òla fin des vies de quartiers Ó on ne regrettera pas ÒlÕesprit de clocher Ó qui était leur corollaire. Ceci dit, la commune, dans une société libertaire, continuerait dÕêtre indispensable pour toutes les activités sociales de ÒproximitéÓ. En collaboration constante avec dÕautres communes et fédérations de travailleurs, les habitants pourront y décider des plans dÕaménagement de lÕespace (urbanisme). CÕest là que se coordonneraient la gestion des fédérations de consommateurs, celle des structures éducatives, des organismes dÕinformation et des services collectifs tels ceux de lÕéquipement sanitaire, de la voirie, de la sécurité civile (prévention contre les risques dÕincendies et risques industriels...). CÕest dans les communes que pourraient se créer des organismes chargés de la répartition et de lÕentretien du parc de logements, sous forme de régies de quartiers. Il faudra, en outre, coordonner les relations entre les communes et ce au niveau mondial, afin dÕéviter quÕune région, naturellement plus riche quÕune autre, ne sÕoctroie des privilèges et de régler les problèmes de choix de production pouvant se poser entre différentes régions du monde.Sur le plan politique, les communes et leurs fédérations sont appelées à être des lieux de débats par le biais de forums locaux, ouverts à tous sans distinction (réflexions sur les problèmes rencontrés, expression des critiques et des propositions, élaboration de projets...).
Le fédéralisme libertaire ne va pas sans lÕautogestion qui est la prise en main, concrète et quotidienne, par les individus et les collectivités dÕindividus, de la vie sociale, économique, politique et culturelle.
Dans ce système, où il nÕy a ni économie de marché ni planification autoritaire, cÕest la population qui décide et valide les grandes orientations, lors dÕassemblées des Fédérations, de réunions de Communes, de Régions etc. Comme il est impossible que Òtout le monde sÕoccupe de tout Ó, des individus sont mandatés pour coordonner la mise en application des politiques ainsi définies et des équipes sont chargées dÕétudier et de préparer des projets, dÕentretenir les relations entre les fédérations et de faire circuler lÕinformation. Si les mandatés prennent des initiatives, ils le font dans le strict cadre de leurs mandats, ils nÕont pas de pouvoir décisionnel à proprement parler. Ils ne disposent dÕaucun moyen coercitif pour imposer ces décisions et peuvent être révoqués à tout moment sÕils ne respectent pas leurs obligations.
Les unités et réseaux de production nÕappartiendraient à aucun groupe en particulier. CÕest lÕensemble de la collectivité humaine qui les posséderait. Les fédérations, donc les individus égaux qui les composent, en auraient la gestion. Elles décideraient de construire telle usine, de lancer tel type de fabrication ou de service, de transformer un site industriel ou de lÕabandonner; elles coordonneraient la circulation et lÕutilisation des matières premières et des machines. Mais elles ne seraient pas ÒpropriétaireÓ des moyens de production, au sens où elles ne pourraient pas en disposer pour procéder à des transactions au seul bénéfice de leurs membres. Dans notre idée, les fédérations ne sont ni des ÒcorporationsÓ, ni des Òcartels économiquesÓ. Chaque fédération sÕintègre dans une politique dont le premier objectif est la satisfaction des besoins de tous. Elles ne sont que des outils de cette politique globale et collective.
LÕautogestion implique un statut radicalement nouveau pour les travailleurs. Nous ne serions plus des salariés de telle ou telle entreprise capitaliste, aux ordres dÕun patron et de ses cadres du personnel et autres petits chefs. Nous serions des adhérents à des fédérations, des Òtravailleurs fédérésÓ, tout simplement! Nous prendrions part à la vie de notre fédération, nous assisterions à diverses réunions pour décider de lÕorganisation de notre travail, pour régler les conflits (qui surgissent inévitablement dans nÕimporte quel groupe), pour faire des bilans dÕactivité ou pour formuler des propositions....Le contrat que nous passerions avec notre fédération (concernant les heures de travail, lÕoccupation dÕun poste défini, etc.) serait alors un vrai contrat: établi à égalité avec les autres et non dicté par un ÒentrepreneurÓ sous la menace du chômage!Là encore, il nous faut préciser que nous nÕy déciderions pas ÒunilatéralementÓ de nos orientations professionnelles. Comme nous lÕavons dit, notre liberté est forcément une liberté sociale et lÕon ne peut jamais espérer Òfaire exactement ce qui nous plaîtÓ, sans se soucier des problèmes collectifs. Si par exemple, en fonction de phénomènes de mode quelconque sur tels ou tels métiers, des fédérations sont en Òsur-effectifÕ, il faudra bien quÕelles prennent des mesures, surtout si dÕautres branches ont du mal à trouver de nouveaux adhérents! Le cas échéant, la décision serait prise, après concertation entre les fédérations, de bloquer, pour un temps, les adhésions dans certains domaines professionnels. De toute manière, il ne servirait à rien que 300.000 individus exercent dans lÕinformatique si 200.000 suffisent pour réaliser les objectifs de production.
Si parler ÒdÕemploiÓ rappelle peut-être trop lÕorganisation actuelle du salariat, nous le reprenons dans le sens où les individus auraient cette garantie de pouvoir sÕemployer à exercer un métier. Aucune contrainte économique ne poussant les fédérations à une aveugle logique de rentabilité à court terme, elles auraient toute latitude pour ajuster constamment lÕorganisation du travail aux variations de la population active (les personnes en âge de travailler) et celles de la productivité (lÕefficacité que confèrent les progrès technologiques au travail).Les travailleurs seraient seuls juges de la durée du temps de travail à effectuer, et des organismes de formation prendraient les initiatives adéquates pour rendre possible toutes les Òrestructurations Ó (alors quÕaujourdÕhui, décrocher un stage Òsérieux Ó relève du parcours du combattant!).
La non-division du travail est la condition sine qua non de lÕégalité sociale et politique.Nous entendons souvent lÕobjection suivante: ÒQui va réclamer en priorité de travailler sur des chantiers dÕimmeubles, de décharger des camions, de faire du nettoyage industriel, sÕil peut choisir dÕoccuper un poste de dessinateur, de médecin, dÕarchitecte ou de conseiller technique?... Vous ne trouverez personne et le système sera bloqué. Ò. Cet argument sous-tend deux questions différentes: un travail serait refusé soit parce quÕil est trop pénible, soit parce quÕil nÕest pas assez (ou pas du tout) valorisant.À la première question, nous répondrons quÕil nÕest pas tolérable que des individus soient cantonnés, toute leur vie durant, à des travaux de forces, à des tâches répétitives, alors que dÕautres se réservent les travaux les plus agréables, les plus variés, les moins fatigants, sinon, il ne servirait à rien de parler dÕégalité.Quant à la seconde question, elle reflète bien lÕaliénation de notre époque! CÕest en effet le système capitaliste et méritocratique qui attribue à certaines tâches un caractère ÒsubalterneÓ alors que dÕautres sont socialement sur-valorisées. Dans les faits, nous savons bien quÕaucun travail nÕest plus sot quÕun autre, puisque le balayage des rues est aussi indispensable que lÕingénierie industrielle. CÕest une raison de plus pour montrer que lÕobjection ne tient pas, car dans un système où tous les travaux seraient également considérés, il nÕy aurait plus cette course au prestige que nous connaissons aujourdÕhui.Nous pourrions enfin nous demander si la mise en Ïuvre de la rotation des tâches ne pose pas de problèmes insurmontables. Si nous la concevons de manière simpliste, en pensant quÕun individu Òdoit faire tous les métiers, au moins une foisÓ, elle est une utopie irréalisable. Heureusement, à ce niveau, toutes les adaptations sont possibles: dÕune part, la rotation peut sÕopérer sur des mois ou des années, si le poste exige un long apprentissage et une grande expérience; dÕautre part, elle nÕest pas un but en soi. Nous nÕirions pas tenir une comptabilité, en mois ou en heures, avec des barèmes pour chaque travaux, de ce que font les autres! Tout en tenant compte des contraintes, des impératifs particuliers liés aux différents métiers, lÕessentiel sera que chacun prenne globalement sa part de travaux pénibles (selon, bien entendu, ses capacités physiques). Rien nÕempêcherait un ingénieur ou un enseignant de se sortir périodiquement du travail théorique pour participer à des travaux de voirie ou de constructions! Rien nÕempêcherait que les individus partagent leur semaine, leur mois ou leur année entre deux emplois, lÕun plus plaisant et lÕautre plus monotone. Il nous semble quÕil y a là une question dÕéthique incontournable.
Nous pensons que le fait de devoir travailler pour pouvoir consommer est quelque chose qui va de soi. Si dans la société actuelle toutes les variantes de refus du travail (absentéisme ou chômage volontaire...) sont totalement légitimes, comme manifestation dÕune résistance à lÕexploitation, nousréaffirmons, une fois de plus, que nous ne sommes Òcontre le travailÓ mais contre la façon dont il est organisé par les capitalistes.Nous en parlions dans le paragraphe sur la responsabilité et la motivation: dans une société où nous aurions la liberté de maîtriser notre travail, de le faire pour nous autant que pour les autres, il serait bien étonnant que la ÒfainéantiseÓ prenne une ampleur telle que lÕon aurait à sÕen protéger.Pourtant, il nous faut bien envisager des cas de ce genre. Imaginons quÕau sein de notre commune, lÕun dÕentre nous refuse de sÕinvestir dans quoi que ce soit, ou quÕil sÕinscrive dans un collectif de travailleurs et quÕil manque régulièrement à son poste, ou quÕil passe ses journées de travail en se fichant de la bonne marche du collectif. Et bien, après avoir tout tenté pour comprendre ce qui ne va pas, pour lui proposer dÕautres arrangements, et si ces tentatives sÕavèrent infructueuses, il devra assumer sa Òmauvaise volontéÓ. Nous lui dirons dÕaller chercher une autre commune, un autre collectif de travail qui lÕaccepte!Enfin si des groupes dÕindividus ne veulent pas travailler dans le cadre des fédérations de la société anarchiste, parce quÕils refuseraient, par exemple, ÒlÕindustrialisation Ó (à lÕinstar de certains écologistes dÕaujourdÕhui), ils seront bien évidemment libres de vivre comme ils le souhaitent. SÕils veulent se regrouper pour vivre en communauté autonome, pourquoi pas! SÕils veulent vivre en autarcie dans la misère matérielle, en se privant de ce quÕapporte le progrès technologique, cela est leur affaire et ne regarde quÕeux.
On nous a posé la question des dizaines de fois: en lÕabsence de monnaie, et si les individus ne sont plus tenus de gérer un budget, comment éviter que les produits les plus rares, les plus beaux, les plus récents, soient pris dÕassaut? Si, dans un dépôt, on met en Òlibre serviceÓ tous les disques lasers du stock, il se pourrait effectivement que les premiers ne laissent rien pour les autres! (bien quÕune société libertaire, engageant à la responsabilité, nous inciterait sans doute à adopter des comportements radicalement différents). Les fédérations de consommateurs peuvent facilement trouver des méthodes pour ÒrégulerÓ lÕaccès des produits à leurs adhérents. Les systèmes du prêt et de la commande nÕexistent-ils pas déjà dans notre société? Rien nÕempêcherait de les généraliser. Toutes les nouveautés (en matériels audiovisuels, informatiques...) pourraient, dans un premier temps, être mises en prêt, afin de pouvoir servir successivement à de nombreux individus, dans lÕattente de leur fabrication en grande série. Toutes les demandes particulières de produits plus ou moins spécifiques, pourraient donner lieu à des réservations. Pour ce qui est de lÕalimentation, il ne serait guère difficile de prévoir une distribution mesurée et surveillée des denrées rares. Les fédérations de consommateurs chargeraient les travailleurs des dépôts de veiller à ce que personne ne fasse dÕabus: si tel ou tel individu se sert chaque fois avec les meilleurs produits, le rôle des ÒpermanentsÓ serait de lui opposer un refus et de discuter avec lui,quitte à poser le problème lors dÕune assemblée générale de lÕorganisme si la situation devenait conflictuelle. Mais en arriver à de telles ÒextrémitésÓ serait certainement très rare.Le logement pose sans doute des problèmes plus complexes. Deux questions doivent être soulevées: celle de la propriété et celle de la répartition proprement dite. Hostile à la propriété privée des moyens de production, nous sommes pour la propriété dÕusage. Cela veut dire quÕun individu est considéré propriétaire de biens lorsquÕil les utilise pour lui-même. Ainsi, son logement devient une propriété inaliénable. Tant quÕil y habite, personne ne peut le lui reprendre sans son consentement et pour quelque motif que ce soit. Le principe de lÕaccumulation du patrimoine par lÕhéritage disparaît. Par contre, il resterait toujours la possibilité de laisser, de son vivant, un logement aux personnes de son choix, à condition quÕelles y emménagent.Ensuite, lÕÏuvre constructive de la révolution sera jugée sur la capacité à fournir à chaque individu, à chaque famille, un logement disposant de tout le confort techniquement possible. Dans les zones urbaines, on devra repenser entièrement lÕoccupation des sols. Les quartiers résidentiels et les cités HLM, manifestation criante de lÕinjustice sociale, devront matériellement disparaître pour reconstruire des habitations, collectives ou individuelles, dans un souci constant dÕégalité. Ce qui nÕexclurait pas, au contraire, des plans ÒdÕurbanismeÓ diversifiés et originaux, ayant fait lÕobjet de débats publics au sein des Communes. Mais, nous direz-vous, comment les Communes vont-elles gérer la répartition des résidences individuelles et des appartements en habitation collective? Une fois de plus, il nous faut prendre les choses dans lÕordre: cÕest la demande qui doit commander la production. Supposons un cas de figure: si lÕensemble de la population exprime le souhait dÕun lotissement individuel, et bien lÕidée de lÕhabitat collectif nÕaura plus quÕà être purement et simplement abandonnée! Tout dépendra des besoins et des envies exprimées par les habitants, et, durant la période où se mettra en place cette transformation, les Communes répartiront provisoirement, par la négociation, le parc de logements disponibles. Quant aux résidences les plus luxueuses, les Communes pourraient décider de les socialiser et de les transformer en résidences de villégiature, de santé, en lieux de vie etc. Toutes les solutions sont une fois de plus imaginables.
En parlant de lÕéducation après la production et la répartition, nous ne voudrions pas laisser croire que nous la considérons moins importante. LÕéducation a continuellement suscité un très fort intérêt de la part des anarchistes, conscients que la personnalité de lÕindividu, sa psychologie et son sens éthique commencent à se modeler dans les premières années de sa vie.Nous définirons lÕéducation libertaire en quelques grands points.Inscrite dans lÕégalité dÕune société sans classes, lÕéducation doit être organisée pour donner à chacun les mêmes possibilités dÕaccès au savoir et ce dans tous les domaines. Dans le cadre du refus de la division du travail Òmanuel / intellectuelÓ, nous devons être sensibilisés et incités très tôt à toutes les formes dÕactivités sociales et économiques, des plus simples aux plus complexes. LÕéducation libertaire rejette lÕendoctrinement. Ce nÕest pas en assenant un discours ÒanarchisteÓ à des ÒélèvesÓ, autrement dit en employant des méthodes contraires à nos fins, que les enfants et les adolescents apprendront à penser librement. Le système éducatif dÕune société anarchiste leur donnera les moyens intellectuels de leur autonomie en développant au maximum leur sens critique.Il en découle que lÕécole libertaire sera publique et laïque. Non pas une laïcité dÕÉtat mais une laïcité garantissant une liberté dÕinitiative tous azimuts. Si lÕéducation ne peut être laissée à des religieux ou à des sectes, lÕécole doit être un espace où lÕon étudie et où lÕon débat de toutes les questions, où lÕon apprend à réfléchir et à argumenter, à construire ses idées personnelles. SÕil ne sera pas permis à des professeurs ÒdÕenseigner une religionÓ (ou ÒdÕenseignerÓ le fascisme!), les programmes seront conçus pour passer au crible les discours théologiques et idéologiques afin de comprendre leurs tenants et leurs aboutissants. Un débat ouvert sur la société intègre forcément lÕintégralité des interrogations philosophiques, scientifiques et politiques.
LÕaccès au savoir ne doit pas être limité à une tranche dÕâge: tout adulte doit pouvoir choisir des temps dÕétudes, la durée de ces périodes étant fixée par les Fédérations de lÕEducation (en fonction de leurs moyens).
LÕorganisation des systèmes éducatifs doit associer les travailleurs de lÕéducation, les jeunes et, dans une certaine mesure, les parents. Bien entendu nous ne pouvons présager ici de ce que seraient les relations parents-enfants dans une société libertaire. LÕémancipation des jeunes des tutelles parentales impliquerait quÕils assument le plus tôt possible leur indépendance. Selon nous, la socialisation des individus ne passe pas forcément par la famille, même Ònon-autoritaireÓ. Si tout enfant a besoin de repères, de ÒréférentsÓ, lÕinstauration dÕune société libertaire oblige à une réflexion nouvelle sur ÒlÕautorité parentaleÓ.
LÕinformation, dans une société autogestionnaire, aurait une importance capitale. Être informé est la première condition pour que les populations opèrent des choix politiques en toute connaissance de cause. AujourdÕhui, les médias nous abreuvent de faits dÕactualité, mais les informations sur la gestion des entreprises ne sont pas accessibles. Les comptabilités publiques sont, de par leur complexité, inutilisables par le commun des mortels! Le système de dominance actuel a dÕailleurs intérêt à augmenter cette complexité pour justifier lÕexistence dÕune élite qui, elle, ÒsaitÓ (ou feint de Òsavoir ?) ce qui se cache derrière les multiples graphiques et équations économiques! Il nous faut distinguer deux types dÕinformations: les informations de caractère ÒprofessionnelÓ et celles relatives aux actualités politiques, culturelles, etc.Les Fédérations informeraient leurs adhérents et la population du bilan de leurs activités. Elles rendraient compte de leurs problèmes, des différentes innovations technologiques, des nouveaux investissements envisagés (en moyens techniques et humains) ou des relations quÕelles entretiennent. Elles présenteraient aux consommateurs les produits fabriqués, leur mode de diffusion, leur qualité etc. (ce qui remplacerait la publicité marchande qui désinforme le public plus quÕelle ne lÕinforme).Les médias de lÕaudiovisuel, de la radio et de la presse écrite, seront lÕÏuvre de communes, de régions, de regroupements particuliers, selon toutes les affinités possibles. Étant donné lÕabsence de monnaie, les médias de la presse écrite ne pourront pas vendre leurs publications Ces dernières seront forcément gratuites. ÒMais alors, nous demanderez-vous, sÕil nÕy a plus la sanction du marché, comment seront déterminées les quantités de tirages ?Ó. CÕest une nouvelle fois, la demande exprimée par les individus (et retransmise par les Communes) ou les statistiques sur lÕécoulement des titres dans les dépôts de distribution, qui fourniront les indications nécessaires aux organismes éditeurs. Ils auront pour mission dÕimprimer un ensemble de titres, dans les proportions définies par les Communes. SÕils ne peuvent publier tous les titres, ils sÕengageront à fournir les matériels et les matières premières pour que les associations aient les moyens de sÕauto éditer (la répartition des moyens techniques sera évidemment faite dans la mesure des possibilités, des stocks de papier disponibles...). En fin de compte, la seule limite à lÕédition sera ÒphysiqueÓ: les quantités de papier et la capacité productive des imprimeries. Et les petites associations y trouveront un immense avantage car elles ne seront plus handicapées par le sacro-saint Òseuil dÕautofinancementÓ. Dans lÕaudiovisuel, le but sera aussi de garantir une ÒproductionÓ grandement diversifiée. Cela nÕexclut pas lÕexistence de grandes ÒchaînesÓ, organisées comme les autres structures sociales sur la base de lÕautogestion, avec une part des émissions conçues et animées par des professionnels. En effet, les métiers de lÕanimation et du journalisme ne sÕimprovisent pas, du moins si lÕon veut conserver une certaine exigence de qualité. Comme dans la presse, les fédérations des métiers de lÕaudiovisuel mettront les moyens adéquats à disposition de groupements associatifs.
La société libertaire ne serait pas une société ÒidéaleÓ, sans conflits, et ces conflits nÕauraient pas tous la même envergure et la même gravité. Les conflits au sein dÕun collectif de travail ou dÕune fédération ne posent pas de problèmes particuliers: cÕest aux travailleurs de ces collectifs dÕétablir leurs règles de fonctionnement. Le contrat, en cas de non-respect des clauses, peut être rompu. Libre alors à chaque individu et groupe dÕindividus de se positionner dans dÕautres collectifs de travail si des problèmes ÒdÕincompatibilités dÕhumeursÓ sÕavèrent insolubles. Les divergences entre deux fédérations (sur un plan de travail, sur des livraisons, sur une occupation des sols...) peuvent être réglées par la négociation. Au besoin, les deux fédérations en appelleraient à une commission inter-fédérale de conciliation.La démocratie directe par la voie du suffrage peut se pratiquer tant que les enjeux liés à des choix de gestion ne suscitent pas dÕopposition politique réelle et tant que lÕunanimité nÕest pas nécessaire à la cohésion sociale. Il nÕy aurait pas de quoi épiloguer des mois pour décider si telle rue va devenir piétonne, si un quartier doit être rénové ou si lÕon doit, dans lÕunité de production où lÕon travaille, réorganiser des postes! De la même façon, lÕabsence dÕunanimité entre des fédérations régionales ne doit pas bloquer pendant des années la construction dÕun axe routier... Après une information et un débat ces questions peuvent donc être tranchées par un vote des mandatés fédéraux ou par référendum.De plus, les procédés de vote pourraient varier selon lÕimportance relative des problèmes. Pour les décisions de moindre importance, la majorité simple suffirait. Dans dÕautres cas (par exemple: le déplacement dÕun site dÕune unité de production entraînant une réorganisation de lÕactivité professionnelle pour les travailleurs de ce site) on pourrait appliquer la majorité des trois quarts ou des deux tiers; autant de modalités devant être définies par les Fédérations.Des conflits plus sérieux, dÕordre politique, peuvent se poser. Ce serait le cas de divergences portant sur le choix de société. Prenons un cas de figure théorique: la question de la production et de la circulation automobile. Il serait bien évidemment de lÕintérêt de tous de développer au maximum les transports collectifs, plus économiques en énergie et plus ÒintelligentsÓ car plus ÒrationnelsÓ. Toutefois, il nÕest pas difficile dÕimaginer des désaccords sur ce point. Certains seraient radicalement Òcontre lÕautomobile Ó, au nom dÕun Òanti-productivismeÓ rétrograde, alors que dÕautres seraient partisans de conserver une production importante de véhicules et de confortables infrastructures routières et surtout autoroutières. Comment régler la question lorsque quÕun blocage de ce type peut mener jusquÕà des affrontements? Et lorsquÕon voit la détermination dÕune frange de nos ÒécolosÓ dÕaujourdÕhui, on ne peut douter que la question des autoroutes, qui pour nous ne justifierait au fond aucune ÒdramatisationÓ, sera prise très au sérieux! Il nÕy a pas ici de Òremèdes miraclesÓ: que la majorité impose son choix à la minorité ou que cette dernière puisse opposer un droit de veto, dans les deux cas, une partie de la population se fait léser. La seule solution reste la recherche maximale du consensus: cela passe par une information complète des individus sur les sujets en question, des débats, une disposition des fédérations pour la diplomatie. On peut en effet penser quÕen y consacrant le temps quÕil faut une solution de compromis pourrait être trouvée.
Ceci dit nÕoublions pas quÕaucun mode de prise de décision ne peut concilier des choix qui ne sont pas conciliables, et rendre inutile le militantisme dÕopposition. LÕimportant est que ces oppositions sÕexpriment par des arguments et non par la violence physique.
Nous aurions pu prendre des exemples plus sérieux: des collectivités religieuses pourraient revendiquer la mainmise sur lÕéducation de leurs enfants. DÕautres réactionnaires pourraient lutter en faveur dÕun retour à ÒlÕordre ancienÓ, à lÕautoritarisme, à lÕéconomie marchande. Face à ces contestations, nous ne devrons employer ni la répression ni la censure; comme le système libertaire sera jugé sur pièces, il faudra faire en sorte quÕil fonctionne suffisamment bien pour couper ces mouvements de toutes bases sociales.
En tout état de cause, si le mode de règlement des conflits en société anarchiste ne peut être parfait, la plus magnifique des victoires serait dÕen avoir fini avec la barbarie guerrière, avec ces gouvernements et machineries politico-militaires qui enrégimentent les foules dans de sinistres farces patriotiques et sanglantes; et cÕest bien cette possibilité que nous offrirait une société débarrassée des États, où les différentes régions du monde seraient fédérées dans une union mondialiste et où le désarmement serait la règle.
Après ces conflits de nature ÒcollectiveÓ , nous devons aborder ceux de type inter-individuel: les agressions, les vols, les crimes... Pour poser correctement le problème, nous savons que la ÒdélinquanceÓ est, dans sa quasi intégralité, le résultat dÕune société inégalitaire et de lÕoppression. Plus de 80% des individus emprisonnés le sont pour des raisons économiques: ÒvoleursÓ, ÒescrocsÓ, ÒdealersÓ. La monnaie nÕest pas Òla causeÓ du vol mais elle le facilite grandement, justement parce que lÕargent nÕa pas dÕodeur. Sans la monnaie, nous pourrions déjà éviter toute incitation à la fraude, à lÕescroquerie, au cambriolage. Sans la frustration économique générée par le modèle de la consommation de masse et la misère, on peut supposer, sans risquer dÕêtre utopistes, que les actes dÕagression et de vol pour ces motifs financiers ne se poseraient plus.
Par contre, aucune société, aussi juste et égalitaire soit-elle, ne pourra complètement éradiquer les agressions sexuelles ou les crimes passionnels. Si lÕon ne peut penser quÕen société anarchiste, Òtout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes Ó, on peut espérer réduire drastiquement le nombre des agressions et des crimes de ce genre. En effet les relations entre les individus ne sont pas indépendantes de lÕorganisation sociale. Quand sont affirmées, et pratiquées dans les faits, lÕégalité et la liberté sociale, ces relations, basées aujourdÕhui sur les modèles de domination, de possession et de jalousie, changeraient forcément de nature. Les mutations dans les rapports affectifs toucheraient dÕabord la vieille institution de la ÒfamilleÓ: certains voudraient, dans ces années de ÒcrisesÓ, nous la présenter comme la cellule de base, le ÒcoconÓ premier; grâce auquel lÕindividu se construit! CÕest pourtant lÕinverse: la famille réduit le nombre des repères de lÕindividu, restreint son champ de socialisation, lui inculque finalement, dès le plus jeune âge, les notions dÕobéissance et surtout dÕexclusivité, cÕest-à-dire de fidélité. Cette éducation se traduit ultérieurement par les sentiments de jalousie et de possession maladive. En provoquant une révolution culturelle, la révolution sociale modifierait profondément les Òsavoir-êtreÓ.
Cependant, face aux individus, même en nombre moindre, qui représenteraient toujours un danger pour autrui, comment devrait procéder la société anarchiste? Nous ne pouvons accepter ni la justice ÒspontanéeÓ des foules, avec ses méthodes expéditives - le ÒlynchageÓ de lÕaccusé(e) - ni lÕinstitution judiciaire, supposant un appareil de contrôle et une police. Nous pensons que lÕorganisation sociale fédérative doit dans ce cas aussi, se doter de structures Òautogestionnaire Ó: ce sera aux communes de mandater, non pas des Òjuges Ó tout puissants, mais des commissions, chargées dÕenquêter sur les faits, et, éventuellement, dÕassurer un suivi social de tel ou tel individu reconnu ÒcoupableÓ. CÕest seulement si la personne nÕest plus maître de ses actes que la Commune peut décider de la placer dans une structure de soins. LÕessentiel étant pour ne pas reproduire les hôpitaux psychiatriques et les prisons de notre époque, de garantir un contrôle collectif et la totale transparence des procédures. Il nÕy aurait donc plus de jugement définitif et chaque action de sanction (dont le nombre serait, rappelons-le, finalement extrêmement réduit) prendrait la forme dÕun questionnement sur les causes de ces Òdéviances Ó. Car la société libertaire ne saurait ÒjugerÓ sans se remettre en cause: si un individu a été violent envers sa compagne ou son enfant, cÕest quÕil subsiste une frustration et que les modèles de rapports affectifs entre les individus doivent être de nouveau lÕobjet dÕun débat collectif.
Le projet que nous venons dÕexposer donne un sens à notre action dans les différentes luttes que nous essayons dÕimpulser. Il structure nos premiers refus et propose une suite à notre condamnation des systèmes de domination.Reste à expliquer ce quÕest notre pratique révolutionnaire, quelles formes de luttes nous devons mettre en place, quels sont les moyens à employer pour parvenir à nos fins.
Les intérêts des exploiteurs étant inconciliables avec ceux des exploités, les conflits sociaux sont la permanente expression de la lutte de classes, et la révolution en est le possible aboutissement. Nous nÕenvisageons pas la révolution comme un Ògrand soirÓ. Nous savons très bien que rien ne se fait Òpar magieÓ du jour au lendemain. La révolution est un long processus. CÕest au fur et à mesure du développement dÕun mouvement social quÕelle se construit. De la dynamique des luttes naissent de nouvelles prises de conscience; des expériences et des débats au sein de ce mouvement émergent des projets dÕalternatives sociales.CÕest lorsque le rapport de force entre exploiteurs et exploités bascule en faveur des seconds que se produit la rupture: lorsque les salariés déclenchent une grève générale et commencent à exproprier les patrons, à faire fonctionner les entreprises et les services publics pour leur compte collectif.La grève générale expropriatrice est en effet lÕétape ÒpivotÓ du processus révolutionnaire. Dès que se produit cette rupture, il faut continuer sur la voie de lÕauto-organisation, de lÕautogestion et du fédéralisme. Les organisations de lutte, dont se sera doté le mouvement social au cours des années antérieures, seront les outils de cette réorganisation.Les syndicats, les associations de quartiers, les diverses associations et organisations politiques anarchistes fourniront les premières structures dÕautogestion afin de coordonner au plus vite les services publics, la production des biens et leur répartition.
Enfin, aucune Òchasse aux sorcièresÓ ne devra être pratiquée: un individu qui aura précédemment été flic, curé, ou patron, sÕil accepte les principes de la nouvelle société, sera reconnu lÕégal des autres. Il ne pourra lui être tenu rigueur de son ancienne positon sociale, ceci afin dÕéviter des Òtribunaux révolutionnaires Ó de sinistre mémoire.
La plupart du temps, lÕidée de la révolution déclenche une peur, celle de la violence. Or la violence nÕest-elle pas déjà présente dans les rapports sociaux du système capitaliste et étatiste? Des guerres entre États jusquÕau quotidien des salariés, la violence physique et psychologique est là. Alors oui, la révolution sera forcément confrontée à ce problème. On ne peut imaginer la bourgeoisie et la classe politique se laisser déposséder de leurs biens et de leur pouvoir sans réagir. AujourdÕhui même, ils sÕattellent à mater les révoltes: les Renseignements Généraux de la police fichent les éléments Òsubversifs Ó, les milices patronales chargent les piquets de grèves, des entreprises de gardiennage louent leurs services à des propriétaires pour expulser des squatters... Dès que lÕÉtat et le patronat se sentiront menacés dans leur existence, ils emploieront tous les moyens de répression à leur disposition.Face à cette réaction du Pouvoir, le mouvement révolutionnaire devra sÕorganiser pour sa défense. Il faut cependant veiller à ce que cette violence défensive soit assumée et contrôlée collectivement afin dÕéviter que certains ne soient tentés dÕen faire une stratégie en tant que telle (en se constituant en groupes ou en Òbranches armées Ó).En un mot: aucune apologie de la violence nÕest acceptable car nous la haïssons plus que tout. Néanmoins, aucun renversement de lÕordre actuel ne pourra se faire dÕune façon totalement pacifique. Le mouvement révolutionnaire doit par conséquent la prévoir, sans perdre son objectif fondamental: lÕexpropriation des exploiteurs, le démantèlement de lÕÉtat et la mise en place immédiate dÕune organisation sociale fédéraliste et autogestionnaire.Finalement, la question que lÕon nous pose fréquemment est bien de savoir si Òle jeu en vaut la chandelleÓ: le risque que représente la tentative dÕune révolution nÕest-il pas trop grand? Et au lieu de sÕengager dans une telle aventure dont nous pourrions ressortir brisés, ne vaudrait-il pas mieux se contenter de victoires et dÕavancées partielles? En dÕautres termes, ne devrions-nous pas abandonner lÕambition révolutionnaire au profit dÕune forme de Òréformisme radicalÓ, cÕest-à-dire se contenter des luttes sociales pour faire reculer peu à peu la domination?.
Le problème ne se pose pas ainsi. DÕabord, il y a des moments dans lÕhistoire où le mouvement social, se trouvant en position de force, représente un danger inacceptable pour le Pouvoir. Ce nÕest donc pas le mouvement social qui choisit forcément lÕinstant de la confrontation. Ensuite, les révolutions ou les mouvements insurrectionnels ne se font pas Òsur commande Ó. Ce sont des Òlames de fondÓ et non des produits de décisions purement rationnelles. Mai 68 nÕétait prévu par personne, pas plus que lÕampleur prise, il y a quinze ans, pas le mouvement des squats en Hollande. Enfin la peur de passer le Òpoint de non-retourÓ est souvent ce qui a bloqué les mouvements sociaux (la première illustration de ce phénomène fut la ÒparalysieÓ des esclaves révoltés de Spartacus devant Rome) et lÕon constate que ces hésitations ont eu des conséquences plus catastrophiques que les tentatives révolutionnaires affirmées dans des contextes trop défavorables. Tout ceci pour dire que la très grande part de spontanéité des phénomènes révolutionnaires nous interdit de penser à les ÒprogrammerÓ. Aucune organisation, aucun parti ne peut prétendre déclencher une révolution ou en retarder lÕéchéance. Par contre, nous la souhaitons car elle est le seul moyen de mettre fin au système actuel et à ses violences. Nous agissons pour lui donner toutes les chances de réussite et quand une tentative de ce type se produit, notre rôle doit consister à ce quÕelle soit la plus constructive possible, à être prêts à contrer les oppositions des partis contre-révolutionnaires et la réaction de lÕÉtat. Si le risque est effectivement grand, il est encore plus dangereux de faire comme si nous pouvions vivre tranquillement sans subir les coups de lÕorganisation sociale autoritaire. Si une partie dÕentre nous peut toujours sÕen sortir par la Òdémerde individuelleÓ, la soumission ne mène fatalement quÕà plus de misère. Si les luttes sociales reprennent, elles déboucheront tôt ou tard sur de nouveaux affrontements dÕenvergure contre la bourgeoisie. À nous de faire en sorte que ces affrontements ne se produisent pas en pure perte, quÕils ne soient pas des soubresauts pour retomber ensuite dans une société toujours aussi inégalitaire et destructrice des individus, mais que nous franchissions le pas pour conquérir notre totale liberté.
LÕimage de la révolution a lourdement pâti des exactions et des crimes commis par les révolutionnaires autoritaires. Sous la Révolution française en 1793, la Terreur est mise à lÕordre du jour sous la pression des sans-culottes qui voient en elle la possibilité de démasquer les accapareurs et les Òennemis de lÕintérieurÓ. Tout dÕabord tournée contre les modérés (girondins, dantonistes...) elle se retournera ensuite contre le mouvement égalitariste, contre les sans-culottes, les enragés et les clubs populaires, en se révélant comme lÕoutil dÕun pouvoir ennemi de la révolution sociale. La révolution bolchevique en Russie, la révolution chinoise et autres révolutions dites ÒsocialistesÓ, sans exception, nÕont fait quÕinstaurer la dictature de bureaucraties, dÕun capitalisme dÕÉtat qui exploitait et opprimait lÕimmense majorité. Les pratiques autogestionnaires et les aspirations à lÕauto-organisation furent canalisées puis détruites systématiquement par les nouvelles classes dirigeantes qui sÕévertuèrent à réprimer tout ce qui nÕétait pas conforme à leur ÒligneÓ, pour préserver leur pouvoir et leurs intérêts de classe.La révolution anarchiste doit adopter des pratiques conformes à ses fins et cÕest pourquoi nous rejetons les préceptes du marxisme-léninisme et du trotskisme: lÕavant-gardisme, lÕidée ÒdÕétape transitoireÓ, la Òdictature du prolétariatÓ.À première vue, il semblerait que marxistes et anarchistes soient dÕaccord sur la disparition de lÕÉtat. Dans un texte intitulé LÕorigine de la famille, de la propriété privée et de lÕÉtat, Engels écrit: ÒAvec la disparition des classes sociales disparaîtra inéluctablement lÕÉtat. La société qui réorganisera la production sur la base de lÕassociation libre et égale des producteurs, reléguera la machine dÕÉtat à la place qui lui convient: au musée des antiquités, à côté du rouet et de la hache de bronze Ó. Marx, de son côté a été fort peu prolixe sur la Òfuture sociétéÓ.Mais lorsquÕon aborde la question de la ÒtransitionÓ, notre point de vue devient inconciliable avec celui des marxistes-léninistes. Pour ces derniers, le passage au socialisme sÕeffectue via la dictature du prolétariat et lÕinstauration dÕun ÒÉtat ouvrierÓ: ÒLe prolétariat se servira de sa suprématie politique pour centraliser tous les instruments de production dans les mains de lÕÉtat, cÕest-à-dire du prolétariat organisé en classe dominante Ò (Manifeste du parti communiste, 1848). Pour Lénine, Òil est nécessaire dÕutiliser provisoirement les instruments, les moyens et les procédés du pouvoir de lÕÉtat contre les exploiteurs, de même que pour la suppression des classes, la dictature provisoire de la classe opprimée est indispensable Ò.
Soyons sérieux: premièrement la Òdictature du prolétariatÓ est un non-sens. Le prolétariat est ce quÕil est parce quÕil est exploité et dominé. Si ce nÕest plus le cas, il nÕexiste plus. Et sÕil nÕexiste plus, comment pourrait-il exercer sa Òdictature Ó et sur qui? Pour nous, une telle rhétorique nÕest que le prétexte pour justifier la dictature pure et simple du Parti unique! Deuxièmement, un État ne peut dépérir de lui-même. Au contraire, il fait tout pour rester debout et se renforcer! Le stalinisme nÕétait donc pas la Òdégénérescence dÕun État ouvrierÓ (pour reprendre les mots des trotskistes) mais la suite sinistre et logique de la prise de pouvoir bolchevique. La seule période transitoire que nous reconnaissons est celle durant laquelle se travaille la perspective révolutionnaire, et, après la rupture, celle où les nouvelles structures fédéralistes et autogestionnaires se mettent en place et prennent leurs marques.
Par ailleurs, les résultats obtenus étant conditionnés par les méthodes employées, nous affirmons que la fin ne justifie pas les moyens mais quÕelle y est contenue. LÕavant-gardisme, qui correspond au rôle dirigeant dÕune Òélite auto-proclaméeÓ sur la ÒmasseÓ, est contre-révolutionnaire par essence.
Aucune formation idéologique, aucune organisation ne pourra émanciper les individus en leur imposant lÕobéissance, en les dirigeant. Cette vision des choses conduit au résultat inverse: elle tue toute liberté, fait naître de nouveaux chefs, pires que les précédents!Notre émancipation ne pourra se faire que par notre propre action, directe, cÕest-à-dire sans charger quiconque de nous conduire, de nous guider! Au concept dÕavant-garde, nous opposons ceux de Òforces dÕinfluencesÓ et de Òminorités agissantesÓ. Selon les contextes, il existe en permanence des individus, des groupes, des organisations qui prennent des initiatives, qui jouent, à un moment donné, des rôles dÕinstigateurs, de catalyseurs.
CÕest dans ce sens que les organisations anarchistes spécifiques sont indispensables à la construction et à la politisation dÕun mouvement social révolutionnaire. CÕest aux militant(e)s anarchistes de se regrouper pour constituer un pôle dÕinfluence: pour convaincre, pour apporter critiques, analyses et propositions anarchistes, pour défendre les principes dÕauto-organisation, pour impulser des luttes sur les bases de la révolution sociale... Mais ces organisations ne peuvent et ne doivent prétendre à lÕencadrement ou à la direction de ces mouvements.
Comme nous lÕavons dit plus haut, lÕÉtat nÕest pas un outil neutre. Le conquérir pour tenter de mener une politique plus juste, pour, en quelque sorte, tenter ÒdÕhumaniserÓ le capitalisme est une véritable utopie. Aucun gouvernement de ÒgaucheÓ ne pourra tenir ses promesses, tout simplement parce quÕen acceptant les règles du jeu de lÕéconomie de marché et de la propriété privée des moyens de production, il sera contraint de faire la politique correspondant aux intérêts des véritables détenteurs du pouvoir: les patrons dÕindustrie, les groupes financiers, les multinationales. Voilà pourquoi la politique de gauche est un mythe.Nous présenter aux élections pour tenter dÕêtre élus nÕest donc pas notre combat. La seule chose qui compte, cÕest le rapport de force que seront capables dÕétablir les exploités, face aux patrons et aux gouvernants. LÕabstention aux élections municipales, régionales, législatives ou présidentielles est un leitmotiv du mouvement anarchiste. LÕabstention est lÕexpression dÕun refus: celui de se prêter à la mascarade des partis démocrates. Nous y ajoutons immédiatement un distinguo capital: lÕabstentionnisme du Òpêcheur à la ligneÓ est tout aussi dangereux que lÕacte du citoyen qui, se croyant ÒresponsableÕ, met un bulletin de vote dans une urne, en signant lÕarrêt de mort de son propre pouvoir politique. Notre abstentionnisme nÕa rien dÕun acte passif: il est un moyen dÕintervenir en dénonçant la Òpolitique-spectacleÓ et en affirmant la nécessité dÕune prise de conscience du prolétariat.Il nÕest pas rare que lÕon nous reproche cette tactique, en nous accusant de Òfaire le jeu de la droite, voire de lÕextrême droiteÓ. En 1981, il fallait Òdonner sa chance à la gaucheÓ, et puis on verrait.. Depuis, on a vu! Bien sûr, il restera toujours les indécrottables pour nous certifier ÒquÕavec la droite, la situation aurait été encore pireÓ. Ce raisonnement du Òmoindre malÓ peut mener loin, très loin! Si loin que lÕon a pu entendre, en 1995, de lamentables dialogues entre partisans de la gauche, certains se demandant si un ÒChirac socialÓ ne valait pas mieux quÕun ÒBalladur qui avait fait confiance à Pasqua...Ó !. On atteint ici les sommets de la politique de comptoir! Reste lÕargument Òchoc Ó:ÒEn ne votant pas, vous favorisez la progression de lÕextrême droite! Ò. Notre réponse est claire: lÕhistoire nous a suffisamment montré que les démocraties nÕont jamais pu (ou voulu) barrer la route au fascisme. En Espagne, en 1936, vaincu dans les urnes, le fascisme, cinq mois plus tard, rejaillissait avec dÕautant plus de force dans la rue. Et puis, sÕil faut parler de Òceux qui font le jeu du FNÓ, parlons-en! À ceux et celles qui ont la mémoire courte, rappelons juste quelques faits, afin de montrer combien la gauche, historique et actuelle, sÕest employée à pérenniser un système et des méthodes, qui, de fait, constituèrent un terreau fertile au fascisme: ce sont les élus socialistes du Front Populaire qui en 1940 votèrent les pleins pouvoirs à Pétain (excepté trente-six dÕentre eux). CÕest la gauche socialiste qui laissa la Révolution espagnole se faire écraser, en refusant de lui vendre des armes. CÕest encore elle qui enferma les réfugiés espagnols dans des camps de concentration avant de les livrer aux fascistes. CÕest le socialiste Jules Moch qui a inventé, en mars 1948, les CRS. CÕest le général Bigeard, spécialiste de la torture, celui qui envoyait des camions pour ramasser les morts dÕinterrogatoires quÕon jetait à la mer qui déclarait en 1981, à propos de la victoire de la gauche:ÒVous savez, ça ne me gêne pas. JÕai fait deux guerres coloniales. Toutes sous régime socialiste Ó . CÕest Mitterrand qui parla, avant les élections présidentielles de 1988, de Òseuil de toléranceÓ au sujet de lÕimmigration. CÕest bien Fabius qui déclara: ÒLe Pen pose les bonnes questions mais apporte les mauvaises réponses Ò (quelles bonnes questions pose Le Pen? Aucune!); cÕest bien la gauche qui multiplia les camps de rétention pour les clandestins, alors quÕil nÕen existait quÕun seul sous Giscard !... Alors, que les électeurs et électrices de gauche nÕessaient pas de donner des leçons aux anarchistes sur ce sujet! Si cÕétait être naïf que de voter à gauche en 1981, cÕest aujourdÕhui être masochiste!
Les anarchistes apparaissent parfois tellement radicaux que certains les imaginent indifférents aux luttes sociales; plus exactement, une logique du Òtout ou rienÓ les éloignerait des combats de ÒterrainÓ. CÕest là bien méconnaître lÕhistoire et lÕactualité du mouvement! En décidant dÕentrer dans les syndicats dans les années 1890, les anarchistes marquèrent profondément le syndicalisme ouvrier pour en faire, dans les années qui précédèrent la Grande Guerre, en France comme dans les autres pays latins, une puissance avec laquelle durent compter la bourgeoisie, les gouvernements et les politiciens sociaux-démocrates.AujourdÕhui, nous ne concevons pas notre militantisme sans un investissement dans les luttes quotidiennes. Ceux ou celles qui se contenteraient de prêcher Òla bonne paroleÓ sont bien éloigné(e)s de notre anarchisme social.Ceci étant réaffirmé, il faut comprendre sur quelles bases politiques nous nous impliquons dans les luttes revendicatives. Quand nous réagissons contre les conditions de vie qui nous sont faites, contre les actes dÕoppression de lÕÉtat et les conséquences de lÕexploitation du capitalisme, nous sommes amenés, disons de manière ÒspontanéeÓ, à revendiquer.Mais la question des revendications est plus complexe quÕelle nÕy parait. Nous voyons, dans un premier temps, que nombre dÕentre elles sont autant de ÒréactionsÓ immédiates, émanant de refus élémentaires.
La première chose à faire si lÕon veut sÕopposer à lÕexploitation dÕun patron, cÕest bien évidemment dÕexiger des augmentations de salaires, de meilleures conditions de travail et la réduction du temps de travail. Alors que lÕintérêt du patronat est de nous payer toujours moins en nous obligeant à travailler toujours plus vite et/ou plus longtemps, ces luttes peuvent sÕinscrire dans une dynamique de contestation globale du système. Nous disons Òelles peuventÓ, car cela nÕa rien dÕautomatique. Et lÕon comprend ici que les revendications, en elles-mêmes, ont des implications politiques bien différentes selon le sens quÕon leur donne et les buts quÕon leur associe.
Expliquons-nous: si lÕon reprend lÕexemple de lÕaugmentation de salaire, deux types de discours (au moins) sont possibles.
Les grandes centrales syndicales réformistes dénoncent en permanence (et encore!) lÕinsuffisance des revenus, affirment quÕil faut limiter les inégalités, mettre en oeuvre une politique économique plus juste. etc. Dans le même temps, elles feront tout pour vous empêcher dÕaller plus loin. Pour elles, il ne peut pas être question de vouloir sÕattaquer à lÕexistence même du patronat. Le but associé à la revendication reste un simple aménagement du salariat et donc du capitalisme. Dans les faits, nous savons que ce réformisme a mené à de continuels replis et à de perpétuels désenchantements.
LÕautre discours, celui dont nous sommes partisans, consiste à dire, chaque fois que lÕoccasion nous en est donnée: ÒEffectivement. nous devons contrer, dans lÕimmédiat, les intérêts des patrons. Revendiquer lÕamélioration constante des conditions de travail, agir autant de fois que possible pour augmenter le prix de notre travail, cÕest maintenir la pression contre nos exploiteurs, cÕest lutter pied à pied contre eux. Mais le but que nous poursuivons nÕest pas le Òcompromis Ó. Tant que le salariat existera, il y aura exploitation et inégalités. Notre but est donc que les salariés sÕorganisent pour abolir ce système Ò. À nous ensuite dÕexpliquer notre projet sociétaire. Telle est la façon dont nous concevons la politisation dÕune revendication ÒimmédiateÓ.
SÕimpliquer dans les luttes sociales, cÕest aussi dénoncer toutes les désinformations, toutes les manipulations idéologiques. Prenons de nouveau quelques exemples.Le ÒtrouÓ de la sécurité socialeSi, sur votre lieu de travail, vous pouvez démontrer chiffres à lÕappui, que le fameux Òtrou de la SécuÓ dont les médias nous rabâchent tant les oreilles nÕexiste pas, vous aurez certainement lÕattention de votre auditoire, tellement ceux qui dénoncent ce bluff sont rares. Pourtant les chiffres ne sont pas secrets, tout le monde peut y avoir accès. Et ils nous apprennent des choses intéressantes! On sÕaperçoit que le déficit consiste avant tout en des factures impayées. Les 56,4 milliards de ÒtrouÓ de 1993 se décomposent comme suit: 35,9 milliards impayés par le patronat et 9,2 milliards impayés par lÕÉtat. À cela se rajoutent 19,1 milliards de prise en charge par le régime général des déficits des autres régimes vieillesse (militaires, exploitants agricoles, artisans et commerçants...). Au total 67,6 milliards de francs de charges indues, sans lesquelles le régime général aurait été excédentaire de plus de 10 milliards de francs! Cela nÕest encore rien en comparaison de ce que nous coûtent les trusts pharmaceutiques avec des médicaments vendus dix fois leur prix!Et puis, vu lÕampleur des inégalités économiques dans la répartition des salaires, des revenus et des patrimoines, parler de déficit de la Sécu est définitivement inadmissible.Sachez que si lÕon prend les deux millions de ménages les plus riches, lÕéquivalent de leurs privilèges se chiffre, ne serait-ce quÕen terme de revenus, à plus de 800 milliards de francs par an (ce chiffre représente la différence entre le revenu réel de ces ménages et le revenu moyen, estimation établie dÕaprès les données sociales de lÕINSEE... et il ne sÕagit là que dÕun calcul des revenus déclarés au fisc!). Que sont en comparaison, les quelques 60 milliards qui ÒmanqueraientÓ à la Sécu ?Le déficit invoqué nÕest quÕun moyen pour justifier la transformation du besoin de santé en un marché ouvert à lÕappétit de profits de grands groupes financiers!
La Òlutte contre lÕexclusionÓ fait lÕobjet dÕun vaste consensus: on voit même des patrons se ÒmobiliserÓ sur le sujet et nous vanter les mérites de lÕentreprise citoyenneÓ.Cela devrait suffire à nous faire pressentir le piège...Idéologiquement, ÒlÕexclusion Ó est une notion falsificatrice. Nous nÕallons pas nier que des individus sont, en grand nombre, Òexclus Ó durablement du monde du travail, cela est un fait. Or, si lÕon suit cette idée, on pourrait dire que toute inégalité est une forme ÒdÕexclusion Ó, donc que le capitalisme marche a coup dÕexclusion...Le modèle de ÒlÕexclusionÓ (avec le concept de société ÒdualeÓ) ne fait pas simplement référence aux inégalités et aux privations. De façon plus perverse, il a lÕimmense avantage de masquer la réalité de lÕexploitation.
Cette nouvelle représentation de lÕunivers social envoie la lutte des classes aux oubliettes au profit dÕune nouvelle frontière qui sépare la majorité des ÒindusÓ dÕune minorité ÒdÕexclusÓ. Elle présuppose implicitement lÕhomogénéité des premiers ou, du moins, minimise les contradictions dÕintérêts à lÕÏuvre dans le ÒventreÓ de la société. Par ce jeu de langage, le pouvoir tente dÕopposer une ÒcatégorieÓ dÕexploités à une autre. Les salariés embauchés sont qualifiés de ÒprivilégiésÓ par rapport à ceux qui sont au chômage, au RMI; précaires ou Òsans domicile fixeÓ.
Avec la paupérisation dÕune partie croissante de la population, lÕaction sociale est devenue lÕargument de vente des partis. Cette action sociale est une véritable gestion de la misère: on fait des logements Òpour les pauvres Ó, des architectes inventent la Òborne de survie Ó pour les SDF et des mairies se mettent à éditer des ÒguidesÓ à leur intention! Avec le RMI, la charité (bien ordonnée!) est devenue, en 1984, une affaire dÕÉtat Les crédules de gauche y verront un formidable Òprogrès socialÓ. Pour nous, le RMI banalise le statut de Òmiséreux Ó: loin dÕêtre un ÒprogrèsÓ il installe durablement dans la misère des centaines de milliers dÕindividus qui ne pourront plus (ou très difficilement) sortir de ce système.Les associations caritatives se multiplient et les bonnes âmes nous disent: ÒNÕallez surtout pas critiquer cela! Vous ne pouvez pas dire que ça ne sert à rienÓ! Est-ce bien comme cela quÕil faut aborder les choses? Ce nÕest certainement pas aux anarchistes que lÕon pourra reprocher de ne pas pratiquer lÕentraide et la solidarité. Seulement à la différence des associations et organisations caritatives et humanitaires, nous affirmons que la solidarité ne peut être séparée de la lutte politique et sociale. La solidarité doit sÕexercer dans la lutte car cÕest cette dernière qui doit primer. CÕest une question de choix: on peut toujours décider dans un élan de grande générosité de sÕoccuper des personnes en difficulté, mais ces efforts seront fournis en pure perte si aucune dynamique de résistance ne se crée! À en croire leurs gestionnaires, les Òrestos du cÏurÓ seraient lÕÏuvre du siècle. Récemment, ils fêtaient dans la joie leurs dix années dÕexistence. Quelle magnifique victoire! Ces dix années sont au contraire la preuve que ce genre dÕinitiative est totalement incapable de changer quoi que ce soit. QuÕont-ils donc fait en dix ans pour sÕattaquer aux causes de la misère, ou de ÒlÕexclusionÓ comme ils disent? QuÕont-ils donc fait en dix ans, à part jouer objectivement le jeu des dominants, en sÕattelant à ÒgommerÓ les manifestations trop évidentes de la grande pauvreté? Les bénévoles de ces associations, qui croient sincèrement se rendre utiles, auraient mieux fait de réfléchir à des actions plus offensives et forcément plus politiques, ce qui, par ailleurs, nÕaurait pas été contradictoire avec la pratique de lÕentraide!Les humanitaires ont cru pouvoir donner des leçons aux militants politiques, en se vantant de leur pragmatisme et de leur sens du ÒconcretÓ. Malheureusement pour eux, ils nÕont pas a être fiers de leur bilan! La banalisation de lÕaction sociale nÕa même pas empêché que se mettent en place les plus abjectes Òchasses aux pauvresÓ. Faut-il sÕen étonner? Le système ÒdÕencadrement des exclusÓ semble si bien huilé que nombre de politiciens, toutes tendances confondues, sÕautorisent maintenant à déclarer Òla mancheÓ intolérable: on lÕa vu cet été 1995 à Pau (mairie socialiste), Tarbes (communiste), La Rochelle (Michel Crépeau, radical de gauche), Valence (Ah, mairie de droite!), Toulon (FN). Dans leur logique, puisque tout est fait pour Òla réinsertionÓ ou pour assurer du moins un Òminimum vital Ó, ceux qui restent dans la rue nÕont pas dÕexcuse. Et voilà les ÒzonardsÓ et les ÒSDFÓ culpabilisés et criminalisés aux yeux des Òhonnêtes citoyens Ó!
Au nom de la Òdéfense de lÕemploiÓ , on va tenter de nous faire avaler les plus grosses couleuvres comme la généralisation des petits boulots (pudiquement appelés Òemplois de proximitéÓ); les cadeaux au patronat vont se multiplier sous forme de primes et dÕexonérations de charges...Les politiques Òanti-chômageÓ se suivent et se ressemblent. CÕest que les gouvernements, quelles que soient leurs inclinations ÒlibéraleÓ ou ÒsocialÓ, ne maîtrisent en rien le jeu économique mondial et, nÕétant que les gestionnaires politiques des intérêts de la bourgeoisie, nÕont pas de solution réelle à proposer. À quoi peuvent-ils se raccrocher? Entre autres, à des relents de protectionnisme (rappelez-vous la campagne publicitaire Ònos emplettes sont nos emploisÓ) qui favorisent le terrain à toutes les divagations nationalistes et xénophobes. Depuis longtemps le Parti communiste a choisi le camp du Òrepli sur la NationÓ avec son ÒProduisons français Ò Sans trop dÕefforts, le Front national a pu enchaîner sur le ÒProduisons avec des Français Ò, jusquÕà aujourdÕhui où lÕapplication du principe de la préférence nationale sÕaccélère: des centaines de maîtres auxiliaires nÕont pu avoir de postes pour cette raison, et la discrimination raciste est monnaie courante sur le marché du travail.
Contre le chômage, une seule solution semblerait efficace: la réduction du temps de travail. Sachant que le débat sur le sujet ne pouvait être évité, la classe dirigeante sÕest aussitôt munie de formules ÒnouvellesÓ. En effet la réduction du temps de travail est une revendication historique du mouvement ouvrier; marquée dÕun caractère trop ÒsubversifÕ, elle ne pouvait être reprise telle quelle. Quand au siècle dernier les travailleurs commencèrent à lutter pour les Ò3 ? 8Ó (huit heures de travail, huit heures de loisirs, huit heures de repos), ce nÕétait pas pour ménager le capitalisme, mais dans lÕesprit de le combattre. Jusque dans les années soixante-dix, la réduction du temps de travail sÕassociait à une sévère critique: on ne voulait plus Òperdre sa vie à la gagnerÓ. Pour la bourgeoisie, il fallait donc présenter la réduction du temps de travail comme une simple solution conjoncturelle (et parmi dÕautres) à la Òcrise de lÕemploiÓ. Ses modalités dÕapplication devaient également satisfaire aux exigences impératives du patronat en matière de flexibilité. Ainsi apparurent les gris-gris du ÒpartageÓ, de ÒlÕaménagementÓ et de ÒlÕannualisation du temps de travailÓ. Trois expressions fortement synonymes car toutes se rejoignent sur un point: les salariés sont appelés à Òfaire des sacrificesÓ par Òsolidarité avec les demandeurs dÕemploiÓ. Des travailleurs se voient contraints dÕaccepter des diminutions de leurs payes ou de partir en pré-retraite avec moins des trois quarts de leur salaire... Il est probable que ces politiques nÕauront quÕun effet très limité sur lÕemploi. Nous en serons de toute façon les seuls perdants. Dans lÕhypothèse où le taux de chômage viendrait réellement à baisser, soyons sûrs que ce phénomène sÕaccompagnera dÕune précarité accrue et dÕun nivellement des salaires par le bas. CÕest inacceptable. Pour notre part, nous défendons la réduction massive du temps de travail non seulement sans perte du pouvoir dÕachat mais en nous opposant à tout blocage des salaires. Et nous affirmons que la lutte contre le chômage et la précarité passe obligatoirement par une contestation globale du système: dans le cadre du marché capitaliste, il nÕy a pas de solution qui permette de faire lÕéconomie dÕun combat de classes.
Cette volonté de mener un combat global se traduit par le refus de cloisonner les luttes en de multiples terrains dÕinterventions spécifiques.LÕerreur serait de sÕenfermer dans des revendications catégorielles. Il ne faut pas que des réalités quotidiennes, sans aucun doute diverses et différentes, nous conduisent à Òsaucissonner Ó le mouvement social. Nous nÕallons pas raisonner comme les dominants qui sont les premiers à promouvoir ÒlÕindividualisation des problèmesÓ, et à diviser le prolétariat en multipliant les statuts sociaux. Nous savons bien que la menace du chômage concerne tous les salariés. Alors, dire que les individus qui sont privés dÕemploi ont des intérêts propres à défendre et quÕils doivent par conséquent ÒsÕorganiser de manière autonomeÓ est un discours dangereux, aussi dangereux que celui des salariés qui se cantonnent dans un corporatisme frileux et confortable. Revendiquer une Òaugmentation du RMIÓ ou son Òextension aux moins de 26 ansÓ ne peut conduire nulle part sinon à renforcer cette gestion de la misère que nous dénonçons. Il faut en finir avec ces stratégies de Òclientélisme Ó : les individus salariés, au chômage ou touchés par la grande pauvreté, ont les mêmes ennemis et les mêmes intérêts. De ce fait. ils doivent se mobiliser ensemble, sur des objectifs communs.Plus largement, tous les combats dÕémancipation et de libération, quÕils soient ciblés contre le sexisme, le racisme, le militarisme, le fascisme, le cléricalisme, etc., ne peuvent aboutir que sÕils sÕunissent dans une action de classe contre lÕÉtat, le capitalisme et la religion.De notre point de vue, on ne peut Òcombattre le Front nationalÓ sans dénoncer les responsabilités de la droite comme de la gauche, et surtout, sans avoir à proposer un projet sociétaire global. On ne peut faire de lÕantimilitarisme sans sÕattaquer aux notions dÕÉtat et de Nation. On ne peut non plus faire de lÕantiracisme sans combattre sur le fond le principe de la ÒnationalitéÓ. On ne peut faire de lÕanti-sexisme, défendre la contraception et la liberté dÕavortement sans sÕen prendre aux fondements de la religion (et son approche du Òdroit à la vieÓ). On ne peut sÕatteler à la défense de la protection sociale sans avoir à prendre position sur la collaboration de classe que représente la gestion paritaire des organismes en question. On ne peut sÕinvestir dans des revendications sur lÕécole sans récuser lÕélitisme qui sévit dans lÕenseignement (public ou privé), sans combattre lÕinféodation du système éducatif aux besoins du patronat et sans sÕopposer à la fois aux églises et la laïcité dÕÉtat. Tous les problèmes sont étroitement liés entre eux et font partie dÕune unique et même problématique politique. Voilà la conviction qui inspire chacune de nos prises de positions.
LÕobjet de cette brochure nÕest pas de livrer Òclefs en main Ó un projet et une méthode. Certains la trouveront trop précise et catégorique, dÕautres lÕestimeront trop floue et incomplète. LÕessentiel est quÕelle joue son rôle dÕoutil militant, en permettant à ceux et celles qui ne connaissent pas, ou mal, lÕanarchisme de le découvrir ou de mieux lÕappréhender. CÕest une contribution qui sÕintègre à notre effort: refaire de notre mouvement une force politique et sociale conséquente, capable dÕinfluer sur le cours de lÕhistoire.LÕanarchisme conduit à remettre beaucoup de choses en question; et nous pouvons nous référer à des expériences révolutionnaires (dont la plus importante est celle réalisée en Espagne en 1936/38), aucune société nÕayant jamais encore pu se développer sur le long terme.Nous sommes conscients de lÕampleur du changement que nous souhaitons, des difficultés que cela pose. Mais nous sommes convaincus que lÕanarchisme nÕest pas une théorie dépassée comme certains ÒhistoriensÓ veulent trop souvent le faire croire. En embrassant lÕensemble des problèmes dÕactualité, lÕanarchisme est à même dÕapporter, dans les sociétés industrialisées comme dans celles à dominante rurale, une réponse à la question sociale. Cette question peut se résumer en une phrase: comment organiser la société pour que les individus vivent égaux et libres? CÕest une interrogation qui tenaille lÕhumanité depuis ses débuts, depuis les révoltes dÕesclaves de lÕAntiquité, les jacqueries du Moyen Age, la Révolution française, les Révolutions russes, espagnolesÉNous nÕavons pas ici traité de lÕaspect historique de lÕanarchisme: ce ne pouvait être le sujet dÕune si courte brochure. Ce que nous pouvons dire, cÕest que lÕanarchisme, sur lÕéchelle du temps, de la société et comme doctrine politique constituée, est un mouvement finalement récent: à peine plus dÕun siècle. LÕhistoire nÕétant pas prédéterminée, le seul sens quÕelle peut prendre sera celui que les individus, décidés à vaincre lÕoppression, sauront lui imprimer. Inutile donc de se lamenter sur ÒlÕéternelle loi du plus fort Ó, cette Òmaudite nature humaine Ó (qui nÕexiste que dans les esprits) ou ÒlÕéternelleÓ loi qui fait de lÕhomme un loup pour ses congénères. Inutile enfin dÕattendre que les ÒmentalitésÓ changent pour se lancer dans la lutte sociale car elles ne se modifieront quÕau fil des événements.
Les seuls combats perdus dÕavance sont ceux que lÕon refuse de mener !