L'égalité n'est pas la parité


La parité n'est pasl'égalité

La loi sur la parité dans la représentation politique aura fait couler beaucoup d'encre. Dans cette querelle des " féministes " on oppose deux pensées : les universalistes et les paritaires.

À nous de nous positionner au travers de ces deux analyses qu'on présente comme contradictoires et qui au final doivent nous ériger en deux camps distincts. Pourtant la question qui doit préoccuper un grand nombre de femmes derrière tout ce débat est en quoi cette nouvelle loi va-t-elle vraiment changer notre condition, en quoi est-elle porteuse d'égalité ?

La législation en matière d'égalisation du statut homme/femme ne cesse de proliférer au fur et à mesure des années, à tel point que certaines en arrivent à penser que cette législation fait de la femme "une espèce protégée". Ironie du sort, c'est que toutes ces lois n'ont guère d'effet sur la réalité de notre quotidien. La politique des quotas ne va-t-elle pas se révéler une fois de plus comme un faux-semblant tendant à masquer l'idéologie sexiste et patriarcale qui gère encore et toujours les rapports hommes/femmes. Quelle réalité peut avoir une telle "avancée institutionnelle" lorsqu'on sait que partout ailleurs dans la société une telle parité n'existe pas, et que si elle existe, elle n'est pour autant pas synonyme d'égalité. La persistance des stéréotypes, la résistance active des hommes et quelquefois des femmes constituent un frein très puissant à l'accès à l'égalité des femmes et des hommes.



À l'école la mixité engendre des inégalités
Si la parité existe à l'école, cela n'est pourtant pas synonyme d'égalité des chances. De nombreux processus conscients ou inconscients sont à l'oeuvre pour
limiter la réussite des filles. Ainsi on a pu démontrer que la mixité ne profite pas aux filles qui sont le plus souvent les victimes des effets produits par cette mixité. De fait les enseignants interagissent différemment avec les élèves selon leur sexe, parce qu'ils partagent les images stéréotypées du masculin et du féminin qui prévalent dans la société. Ils projettent sur les deux sexes des aptitudes naturelles qui conditionnent des attentes différentes. Cela a surtout été démontré dans les matières scientifiques : comme on présuppose que les garçons y sont plus performants, alors on attend d'eux plus de résultats que des filles et donc on les sollicite plus, donc on les fait plus travailler donc ils réussissent mieux. Voilà comment on vérifie sur le terrain une "aptitude naturelle". Le pire c'est que même les filles s'y laissent prendre puisque à résultats équivalents, elles s'estiment moins "bonnes" que les garçons. Mais ce qui vaut pour les matières scientifiques vaut aussi plus largement, D'une manière générale, il semble que les garçons soient plus sollicités au cours de leur scolarité que les filles. Les modèles sexués intégrés depuis l'enfance sont à l'oeuvre dans une ambiance mixte ; placés dans le contexte de compétition de l'école, les garçons se mettent plus facilement en avant que les filles. De même les filles s'auto-évaluent à la baisse dans une classe mixte, ce qu'elle ne font pas dans une classe de filles. Un contexte non mixte favorise chez les filles une meilleure estime d'elles-mêmes et par conséquent une réussite plus grande. Ceci n'est pas un plaidoyer pour un retour à une école non-mixte mais ces études montrent bien en quoi la mixité/parité à l'école cache une réalité de discrimination active à l'encontre des filles.

Cette situation discriminante d'apprentissage est ensuite amplifiée par le jeu des orientations qui croise les préjugés des enseignants, l'évaluation que l'élève fait de ses capacités et le risque qu'il ou elle veut prendre en choisissant une voie plutôt qu'une autre. Quand le choix est possible, à niveau de réussite égale, l'orientation est là encore révélatrice de la conformité des modèles préexistants: études courtes et principalement littéraires chez les filles, études longues et scientifiques pour les garçons. Cette autocensure chez les filles s'explique aisément car elles savent que leur avenir professionnel ne dépend pas que de leurs capacités mais aussi et surtout de leur désir de se battre dans un monde d'hommes. Pour peu qu'elles aient en plus envie d'avoir des enfants, là ça se complique carrément. Où l'on revient à l'incontournable partage des "réalités domestiques" préliminaire à toute revendication d'égalité (sauf pour les classes "bourgeoises" qui peuvent monnayer les services d'une tierce personne).



Au boulot, ce n'est guère mieux


 
D'après la loi, l'égalité devant le travail existe, et si la demande est tout à fait paritaire car les femmes ont depuis longtemps compris que l'autonomie financière était à la base de l'autonomie tout court, la réponse à cette demande, elle, est tout à fait sexuée. Car l'accès des femmes au travail n'existe que devant les nécessités de la concurrence, de la rentabilité, du profit et s'efface très vite en terme d'égalité par une bonne dose de discrimination sexiste. En gros elles sont embauchées principalement parce qu'elles sont payées moins cher que les hommes et d'autant plus facilement dans les emplois où leur qualification peut être niée, ou bien encore pour des temps partiels obligatoires qu'elles remplissent à 85 % (supposémment pour pouvoir prendre soin de la maisonnée !). Est-il encore utile de rappeler les différences de salaires pour un travail égal, de décrire les procédés d'exclusion des femmes des postes intéressants ou porteurs de responsabilités, donc de promotion, comment pour un travail équivalent les femmes s'avèrent être surqualifiées par rapport aux hommes (1) ?

En fait, le travail des femmes est surtout toléré dans la mesure où il est source de profits importants pour les boîtes qui les embauchent. Sinon le chômage est évidemment plus important pour les femmes que pour les hommes bien qu'elle ne soient pas toutes comptabilisées, enfin elles sont globalement moins indemnisées que ces derniers.

Le surchômage féminin et le sous-emploi (Contrats Emploi Solidarité, stages divers, emplois précaires ou à temps partiel) placent bon nombre de femmes dans la frange de la population la plus précarisée. D'autant plus pour les familles monoparentales qui sont en fait des femmes seules élevant leurs enfants et vivant bien souvent en dessous du seuil de pauvreté.



La parité dans la représentation politicienne
Quels changements la représentation paritaire des femmes dans la sphère du pouvoir peut apporter à celles dont le souci majeur est le manque d'argent, ou bien les violences subies, ou encore le refus du mari -ou du partenaire-- de participer aux tâches ménagères et de s'occuper des enfants ?

Le recours à la loi peut donner des cadres institutionnels, si les mentalités et les pratiques au quotidien ne changent pas, rien ne change. Les femmes continuent à assumer la double journée de travail et donc à se projeter dans l'avenir et faire leur choix en tenant compte de cette réalité. Jusqu'à présent les lois contre les violences et les abus sexuels ont surtout vu le nombre de plaintes augmenter. Récemment un journal annonçait que deux millions de femmes seraient battues en France. La solution trouvée par ces femmes ne se pose guère autrement qu'en terme de rupture. Les femmes se sentent toujours aussi menacées dans les lieux mixtes et particulièrement la nuit si elles ne sont pas accompagnées. Celles qui arrivent à surmonter cette menace sont celles qui s'organisent pour y faire face.

Dans le système capitaliste qui se nourrit de l'exploitation des femmes, supprimer cette exploitation ne peut se faire sans supprimer le système. Il est vain de penser qu'on peut l'aménager, car cet aménagement au bénéfice d'une population se fera forcément au détriment d'une autre.

De la même façon à l'intérieur de ce système, toutes les femmes n'ont pas les mêmes intérêts. Ainsi la parité dans la représentation politique risque de n'offrir un changement qu'à celles qui accèderont à ces postes bien payés. Leur volonté de représenter les partis politiques et de participer à la politique politicienne montre assez leur adhésion au système qui leur donne une place de privilégiées qu'elles ont -et auront- à coeur de défendre. Ces classes sociales supérieures ne peuvent perdurer que dans la mesure où le "sous prolétariat"  perdure aussi.

Espérons qu'une représentation des femmes au gouvernement ne suscite pas les mêmes illusions concernant la lutte contre le patriarcat que celles produites par l'élection de la gauche en 81 dans la lutte anti-capitaliste.

Si capitalisme et patriarcat sont effectivement liés, il faut alors reconnaître que les futures politiciennes font partie d'une classe sociale qui n'a que des miettes à nous proposer. En ce qui nous concerne nous nous en tiendrons à ce que Suzanne Blaise écrivait en 79 (2) : " II n'existe pas plus de "féminisme bourgeois" que de "féminisme révolutionnaire" ". Le féminisme bourgeois est une imposture et le féminisme révolutionnaire est un pléonasme. Le féminisme ne peut être que révolutionnaire parce qu'il remet en cause non seulement les mentalités mais les structures économiques, c'est-à-dire une oppression commune aux hommes et aux femmes. Le féminisme véritable est celui qui défend non pas seulement une catégorie de femmes mais toutes les femmes. Une société féministe ne peut donc être qu'une société où l'exploitation de classe --celle des hommes par d'autres hommes, et celles des femmes par tous les hommes -- sera abolie".



 

Dominique

[Extrait de Courant Alternatif #97, un mensuel édité en France par l'Organisation Communiste Libertaire.]


NOTES :

1. Ces thèmes ont déjà été traités en détail par le livre de l'OCL: "Libération des femmes et projet libertaire" édité chez
Acratie.- l'Essart- 86310 - La Bussière [France].

2. Dans un texte destiné à la revue "Les raisons de la colère".