Une nouveauté technologique voit le jour grâce à la recherche publique. Le système industriel la développe, l'exploite, la répand. Le citoyen angoisse. L'État le rassure. Ainsi va le totalitarisme progressiste. Deux émissions télévisées ont récemment distillé, sous couvert de débat démocratique, une propagande étatiste à même de garantir l'acceptabilité sociale à la poursuite du système. (1) Voilà une bonne occasion de rappeler aux altermondialistes, citoyennistes et autres néo-étatistes pourfendeurs du «néolibéralisme» que la création des États a présidé à l'apparition du capitalisme, et qu'ils continuent d'en garantir l'expansion, parfois sous la forme d'instances supra ou infra nationales telles que la Communauté européenne ou la Région wallonne.Rapport du Laboratoire de décryptage des impostures contemporainesL'État, condition sine qua nondu développement
Le rôle essentiel de l'Etat apparaît de façon scandaleusement flagrante dans les pays «en voie de développement», comme on les a baptisés afin de marquer à jamais leur destinée. Là-bas apparaît clairement la différence de richesse entre les élites étatiques que nous soutenons et la population à déposséder une bonne fois pour toutes en l'intégrant dans quelque chaîne de production industrielle. Les industries ont impérativement besoin de ce cadre autoritaire et répressif stable. Vue de chez nous, cette social-démocratisation forcée doit apparaître comme nécessaire et hautement souhaitable. La question du développement des biotechnologies n'échappe pas à cette règle propagandiste. C'est ce qui suinte d'un article du journal Le Soirprésenté sous la rubrique «Biotechnologie» traitant de l'existence à l'université de Leuven d'un centre de conservation de la banane, présenté comme préservation de la biodiversité. (2) L'idée qui se dégage de cet article admiratif, c'est que la biodiversité n'est pas un ensemble interactif en perpétuel mouvement, mais une somme finie d'éléments fixes, qu'il suffit donc de cryogéniser, comme si la nature pouvait se conserver sous forme d'échantillons et que l'écosystème pouvait par conséquent être exploité à discrétion puisque, suppose-t-on, on peut le recréer de toutes pièces à partir de cette base de données prétendument exhaustive. Mais l'essence propagandiste de cet article réside dans les dernières lignes, extraites de l'interview d'un jeune doctorant ougandais venu étudier les biotechnologies à la KUL (université catholique de Louvain) : bien que l'on sache que 78% des pays où la population souffre de la faim produisent des surplus, notre bon civilisé (c'est son État qui l'envoie se transformer en Prométhée de l'industrialisation et de la dépossession) conclut que «Les pays en développement devraient investir plus dans les biotechnologies afin de résoudre les problèmes autrement insolubles».
Dans les social-démocraties industrialisées, la dépossession étatique ayant depuis long temps occupé le terrain, sa présence semble moins artificielle. Autoroutes, aéroports, réseaux ferroviaires, zonings spécialement créés pour attirer les investisseurs, voies d'accès aux zonings commerciaux : chez nous, la construction et l'entretien des infrastructures nécessaires à l'épanouissement économique sont acquis.
La socialisation démocratique
Là où un effort de propagande plus important doit être fourni, c'est dans la capacité à convaincre les individus de participer activement à l'expansion du système. Et quel est l'un des domaines les plus prometteurs ? Les biotechnologies.
Ici, pas question de matage ou de formatage mais de formation ; ni traques ni matraques mais un matraquage propagandiste sournois apte à créer un contexte biotechnophile ; une musique d1ambiance futuriste imperceptible si l'on n'y prend garde ; une atmosphère bienveillante dégoulinante de confiance dans le Progrès. Ici, le rôle des institutions consiste à donner goût aux carrières scientifiques.
En Allemagne, un programme itinérant d'information relatif au génie génétique intitulé «Science Live Mobile» balaye l'espace public. En France, le «train du génome» (marque déposée), arrose les grandes villes françaises de sa propagande biotechnophile, ce projet d'Aventis étant subventionné par l'Institut Pasteur.
De nombreux programmes européens visent à susciter des vocations scientifiques. Un de ces programmes faisait l'objet d'un compte-rendu édifiant à tous les sens du terme, paru dans Le Soirdu 4 juin. L'article, intitulé «Les sciences ? Elles sont partout !», explicite ingénument deux grands caractères de nos sociétés industrialisées : d'un côté la contrainte technologique, présentée sous une forme inversée, c'est-à-dire comme un bien-être effectif et qui va de soi; de l'autre le rôle de l'État dans l'extension du système en ses tentacules technologiques, et plus particulièrement le lien qui existe entre la recherche scientifique et la prolifération de ces dispositifs technologiques qui constituent la contrainte totalitaire actuelle. «Les sciences et ses [sic] nombreuses applications sont partout dans notre vie quotidienne. Pour nous en convaincre, il suffit d'ouvrir les yeux. Que serait la vie sans téléphones mobiles, sans voitures, sans lecteurs CD, sans télévision, sans ordinateurs, sans les antibiotiques, les vitamines, les anesthésiques, la vaccination, sans chauffage, sans colle, sans code barre, sans détecteurs de métal, sans lentilles de contact, sans modems... ? [...] La plupart [des Européens] ne réalisent pas que les objets dont ils ne peuvent se passer ont nécessité des années de recherche fondamentale.» Le grand quotidien belge francophone, conscient de son rôle de socialisation des populations et de leur intégration à l'ordre politique et surtout économique, sait par ailleurs que l'habituation ne commence jamais trop tôt. Ainsi dans son édition des 14 et 15 août 2002 proposait-il dans le cadre de son «grand jeu de l'été», un «ActuaQuizz junior» s'intitulant de façon assez explicite «les sciences vous branchent-elles ?». Certes, les questions ne trahissent aucun parti pris. On jurerait même que certaines d'entre elles visent à faire naître dans les jeunes esprits quelque conscience environnementaliste. En vérité, les spécialisations scientifiques étant assez rébarbatives, il est nécessaire de les rendre attrayantes, de faire rêver d'écologie, d'observation amusante de la nature, de chouettes solutions scientifiques pour sauver l'humanité, etc. Combien de naïfs amateurs de têtards se sont ainsi retrouvés fonctionnaires du désastre, que ce soit à la source d'une nuisance, dans la recherche fondamentale publique qui sert de vivier à innovations pour l'industrie, ou au sein d'une instance de sécurisation et de tranquilisation, à savoir, dans quelque institution (régionale, nationale ou européenne) de légitimation de la poursuite du système !
Pas de Biotech sans États
L'histoire des OGM en Belgique illustre parfaitement le processus d'interdépendance qui lie les institutions «démocratiques» au développement technologique.
En 1983, c'est à l'université de Gand qu'une cellule de recherche en biotechnologie financée par la Région flamande et la recherche européenne met au point le premier végétal transgénique (il s'agissait d'un tabac) . (3) L'équipe est dirigée par un certain Marc Van Montagu qui s'empresse de créer sa petite start-up, PGS, et de la vendre avantageusement à Agrevo puis à l'agro-pharmaco-généticien franco-allemand Aventis. En 2001, cette dernière se fait phagocyter à son tour par l'ogre Bayer. (4) Récemment, suite à la polémique qui anime le pays depuis le début de l'année 2002, le Ministre wallon de l'Agriculture, Mr José Happart, suggérait, en guise de réponse aux inquiétudes des citoyens au sujet des «risques» de dissémination, que les vérifications expérimentales préalables soient effectuées par les universités. Ainsi l'historique des OGM en Belgique nous fournit-il un authentique cas d'école : sortis de ses universités, les végétaux transgéniques sont invités à y retourner.
Ce parcours illustre le processus général de développement du système.
L'État procure au capitalisme les moyens de se développer, mais dès que l'innovation techno-industrielle apparaît inacceptable, son développement se voit à nouveau encadré, «sécurisé» par l'État. Soit celui-ci lui fournit une caution scientifique au mépris de risques connus (comme avec l'amiante il y a 30 ans) ou potentiels (la transgenèse), soit il l'assortit de normes, de prescriptions, de mesures diverses et mouvantes qui n'interdisent nullement la poursuite mais qui bien au contraire entérinent l'innovation.
L'État forme à la fois les chercheurs qui mettent au point les innovations technologiques qui relanceront la machine économique, et les experts qui assortiront le désastre d'un cadre rassurant, de normes environnementales, sanitaires, sécuritaires, hygiénistes. Ces mesures ultérieures ne signifie pas que la situation soit rendue sûre ou salubre, mais qu'elle est rendue acceptable aux yeux de la population. La distribution d'iode aux riverains oculaires des centrales nucléaires ne diminue nullement leur potentiel de destruction inouï, mais cela rassure. La création d'une filière sans OGM n'arrête pas les OGM et les risques qu'ils comportent, mais donne aux citoyens l'illusion du choix, ladite filière ne signifiant en fait qu'une présence d'OGM inférieure à 1% ou 0,5%.
L'État forme donc à la fois le pyromane et le pompier. (5) Mais l'allégorie n'est pas tout à fait exacte. Un pompier a pour vocation d'éteindre l'incendie. Tandis que l'État n'a pas l'ambition d'arrêter une nouveauté technologique, même quand sa dangerosité est avérée.
Prenez par exemple l'amiante. Comme d'habitude, le révolutionnaire matériau continue sa carrière funeste dans les pays en voie de développement (il n'y pas de raison qu'ils ne jouissent pas à leur tour du développement, n'est-ce pas). Mais même dans nos contrées, elle est loin d'avoir disparu. De nombreux établissements scolaires, notamment, restent exposés aux risques. Comme toujours, la santé des privilégiés importe davantage que celle des autres. Ceci dit, le désamiantage de l'ancien Parlement européen comme le confinement de l'amiante du World Trade Center nous offrent de relever que les classes privilégiées se sont elles-mêmes exposées, un temps, aux nuisances du système qu'elles défendent, machine folle dont elles ne constituent que les rouages supérieurs, et haïssables en conséquence.
Le Progrès
En fait le problème du progrès techno-scientifique est assez simple. Si l'on voulait véritablement vérifier l'innocuité d'une nouveauté scientifique ou technologique avant de la diffuser à large échelle, l'expérience serait si longue et si coûteuse (certaines maladies ne se déclarant souvent que plusieurs décennies après exposition), qu'elle découragerait les investisseurs. Par bonheur, ceux-ci peuvent compter sur leur grand collaborateur depuis toujours : l'État. Souvenons-nous encore de la genèse du nucléaire. Le nucléaire ne pouvait être développé par des capitaux privés seuls, car les bénéfices ne tombaient pas avant de longues années de recherche. (Le nucléaire n'est d'ailleurs pas rentable du tout, comme le constatent les Allemands en découvrant le prix du démantèlement de leurs centrales). C'est donc l'État qui a généreusement étudié la question et développé cette formidable technologie qui nous garantit l'autonomie nationale dans la gloutonnerie énergétique, cet acquis sacré. Les assureurs, à qui on ne la fait pas, refusèrent évidemment d'assurer le nucléaire, comme ils refusent aujourd'hui d'assurer les OGM.
Ceux qui vantent certaines retombées bénéfiques du Progrès n'ont pas d'autre effet que de cautionner système et donc d'en assurer la pérennité. Car ces quelques avantages (philanthropiques, écologiques) sont résiduels. Ces menues retombées positives ne peuvent faire oublier ni la base néfaste sur laquelle s'est bâti le Progrès ni le fait indéniable que chaque innovation technologique (quand elle n'amène pas elle-même son lot de dégradations spécifiques) fait partie d'un tout (le Progrès) qui est, lui, globalement destructeur. Pour nous en convaincre, il suffit d'ouvrir les yeux.
L'inconscience a un prix
De son côté, le citoyen lambda, au lieu de s'interroger sur les conditions d'apparition de nouveautés technologiques à haut potentiel nocif et sur lesquelles il n'a aucun pouvoir de décision, préfère mendier protection auprès de l'Etat.
Prenons l'exemple de ce village de la région de Charleroi qui défraye la chronique depuis environ un an. Une proportion hallucinante d'une forme rare de leucémie affecte les riverains de l'ancienne décharge industrielle ? Les habitants de Tarcienne n'élargiront pas leur conscience critique à l'égard du système. Ils préfèrent s'en remettre aux experts patentés par l'État (ou la Région wallonne, ce qui ne change rien à la nature du problème).
Plusieurs raisons coexistent à ce renoncement.
D'abord, le citoyen lambda est plongé dans une ignorance crasse de tout autre mode de gestion de la société. Après plusieurs générations d'intégration béate à la société industrielle et de confiance aveugle accordée à la représentation démocratique, il a complètement oublié la saveur de l'autonomie réelle. Le pouvoir se garde évidemment d'attirer l'attention sur toute forme vivante de réappropriation et d'autogestion de l'existence. Silence radio sur la réorganisation socio-économique en Argentine, à moins qu'il s'agisse de relations catastrophistes de la situation (la pauvreté est en hausse en Argentine ; les écoliers de tel
quartier se nourrissent exclusivement d'herbe, etc.). Silence radio sur les conseils de quartier et de village en Kabylie (les Aarchs) mais démocratique interview des représentants des partis politiques de cette région (où le taux de participation aux dernières élections s'élevait à 2%) à côté de bribes rapportées de façon incohérente d'«émeutiers» kabyles et ayant pour fonction de donner l'illusion de partialité journalistique. (6) Silence radio sur le retour (forcé et planifié) de l'ensemble de la population cubaine, y compris les citadins, à une autonomie paysanne biologique.Il faut voir aussi que le refoulement opiniâtre de la lucidité observable chez la majorité de nos contemporains relève également de la survie car en effet, comment supporter de se voir entièrement investi dans un système qui est à revoir de fond en comble ? Le citoyen lambda refusant l'idée d'une remise en question de son niveau de nuisance se contentera de ce qu'on nomme généralement la fausse conscience. C'est-à-dire qu'il se satisfera de modifications superficielles ayant pour seul effet conséquent de soulager à moindre frais sa mauvaise conscience du dimanche et d'entériner son refus de renoncer radicalement à la société dans laquelle il se croit si confortablement intégré. Les sacs poubelle translucides bleus ou jaunes collectés par la Région bruxelloise à fin de recyclage symbolisent à merveille ce phénomène de rédemption : le consommateur ne produit pas moins de déchets et son existence reste ce qu'elle était; mais, désormais, cette pollution est déléguée au pouvoir, et sa pseudo conscience se trouve ainsi à la fois déléguée et assouvie : il voit ses déchets, mais emballés, et leur emballage témoigne de la prise en charge par le pouvoir. Cette participation au réformisme institutionnalisé le décharge de toute velléité de produire moins de déchets en organisant autrement les circuits de consommation et son mode d'existence. Après tout, c'est pour ça qu'il paie des impôts.
Le citoyen désire poursuivre une existence insouciante de consommateur de marchandises culturelles (gardez La Monnaie), de loisirs planifiés (suivez
zombie futé) et d'ersatz sans qualité (aux camps de consommation que notre civilisation de l'euphémisme préfère nommer grandes surfaces ou hypermarchés ou encore «chez» Delhaize dans une tentative désespérée d'humanisation verbale de ces multinationales labyrinthiques aseptisées). Cet irrésistible style d'existence (les Chinois ont déjà leur festival rock) génère malheureusement diverses dégradations sociales, psychologiques, affectives et environnementales. Cela ne fait rien. Pour conserver son hédonisme acheté et frelaté dans la plus grande insouciance, le citoyen s'en remet au système qui répond point par point à ses angoisses et ses sursauts de conscience partielle. La production industrielle ne lui offre-t-elle pas toute la gamme de camisoles chimiques lui assurant performance professionnelle (Red bull, cocaïne, Pepsi), psychologique, affective et sexuelle (Viagra aussi pour femelles) faisant oublier la débandade des conditions d'existence ? Mais le médicament baptisé Xenolac illustre, mieux que tout autre, ce prodigieux processus de fuite en avant par réaction endogène (où les réponses sont fournies par le système, et pour lui). En effet, la fonction de cette marchandise pharmaceutique consiste à inhiber l'enzyme responsable de la
dégradation des molécules de graisse. Ainsi, moyennant des selles plus grasses et plus lourdes que jamais, le surconsommateur fanatique peut poursuivre son alimentation anarchique et boulimique en toute inconscience.Connaissance par les gouffres
Nous avons vu quelques fragments de propagande spécifiquement liée aux biotechnologies. Il y a également, sur un plan plus général, un formatage intellectuel qui consiste à inculquer que la nature et le monde sont entièrement paramaîtrisables, c1est-à-dire décomposables en paramètres que l'on peut aisément contrôler. Cette vision instrumentaliste du monde fait de notre civilisation une civilisation du symptôme, du partiel, du compartimentage. Cette approche analytique autonomisée est vraisemblablement en adéquation avec la morale du caprice qui régit le contemporain atomisé qui passe d'une fonction professionnelle à l'autre, d'un loisir à l'autre sur le mode de la consommation frénétique et inconséquente. Partant, l'idée qu'une maladie génétique puisse être soignée par l'extraction ou la modification d1un seul gène semble dès lors parfaitement concevable.
La découverte, mi-août 2002, par quatre chercheurs anglo-saxons, de fonctions insoupçonnées de l'ARN, confirme l'imposture du réductionnisme de la recherche, et, partant l'absence totale de maîtrise des biotechnologies. Axel Kahn, promoteur très actif du génie génétique en France, prétend que cette découverte, qu'il qualifie de révolutionnaire, ouvre des possibilités inouïes. Ce qui est effectivement inouï, c'est l'ignorance sans fond dans laquelle la recherche se trouve plongée, en dépit de l'optimisme béat qu'elle affiche publicitairement. En effet, elle pensait avoir cerné les principaux mécanismes de formation des gènes et voilà qu'un élément, l'ARN, qu'on croyait inactif, a aussi son mot à dire dans la genèse. Chaque découverte dévoile en vérité un pan nouveau de l'ignorance de la recherche. Plus elle avance, plus elle ignore. Certes, certains segments de réactions génétiques paraissent stables, lorsqu'ils sont considérés isolés de toute évolution (mais à l'été 2001, des chercheurs gantois ont découvert une séquence d'ADN imprévue dans le soja transgénique de Monsanto) et peuvent donc être reproduits même sans comprendre le fonctionnement global de la réaction. Mais du fait de cette incompréhension essentielle, toute évolution ultérieure est imprévisible et le risque incommensurable. Lorsque les chercheurs admettront que le vivant n'est guère paramaîtrisable, qu'il est en évolution continue, si ce bon sens les atteint et qu'ils en tirent les conséquences, il leur faudrait alors stopper toute recherche dans ce domaine (car dans l'état actuel, tout ce qui peut être exploité, appliqué, l'est). D'où les investissements aveugles des firmes pharmaceutiques qui se moquent parfaitement du vivant et de sa compréhension : pensée cloisonnée, analytique, diagnostique, par symptôme. Pensée partielle et partiale, simple comme une équation du premier degré.
Le mythe de la recherche fondamentale
Au fait, ces chercheurs étaient-ils payés par le privé ? Non. Les quatre chercheurs anglo-saxons responsables de la découverte de la «désactivation» des gènes sont tous attachés à un «Institut» ou une «Université».
Cette découverte illustre une fois encore combien le système a donc besoin de recherche fondamentale ; autrement dit une recherche qui ait droit à l'erreur, qui ne soit pas tenue de réaliser des bénéfices immédiats.
La recherche fondamentale est celle que revendiquent les néo-étatistes de tous bords, rêvant encore de l'hypothétique âge d'or de la recherche à l'ancienne. Malheureusement, force est de constater que toute découverte profite toujours au système en place. Pierre et Marie Curie étaient sans doute aussi désintéressés et passionnés qu'Albert Einstein. Pourtant, c'est bel et bien grâce à leurs recherches empreintes d'idéaux moraux que fut rendu possible l'avènement du nucléaire, formidable épée de Damoclès pendue sur la tête de l'humanité. De plus, de nos jours, fini le hangar des Curie, laborieusement aménagé en laboratoire ! Les structures nécessaires à la recherche actuelle (songez à la génomique, au nucléaire) sont très coûteuses et nécessitent une forte centralisation de pouvoir et de capitaux. Les découvertes retournent évidemment à l'intéressé (l'armée, l'industrie ; remarque : l'armée est une industrie et l'industrie, c'est la guerre avec son lot de mobilisation, réquisition, expansion, destruction, etc.).
L'histoire a par ailleurs montré que l'accumulation capitalistique pouvait fort bien s'effectuer dans un cadre strictement étatique (souvenez-vous de
l'URSS). Présentement, le cas de Cuba constitue l'exception qui confirme la règle. Si le savoir étatique se trouve actuellement placé au service du retour à l'autonomie paysanne et écologique c'est parce que l'île se trouve doublement protégée malgré elledu monde industriel : par un blocus états-uniens d'une part, l'éclatement du bloc de l'Est de l'autre, qui la fournissait en céréales industrielles jusqu'en 1989.Le progrès technologique est matériellement lié à une forme d'organisation qui nécessite un certain degré de centralisation et de spécialisation, où les nécessités ne sont pas déterminées par l'individu, mais par un système hors de contrôle par nature.
Notes:
1. Arte, soirée thématique
sur le clonage et les OGM, diffusée le 9 octobre 2002 ; RTBF, "Ecran
témoin : Pour ou contre les OGM", le 18 novembre 2002.
2. Le Soir, 17 juillet
2002, p.14.
3. La première
bactérie transgénique avait été mise au point
dans une université états-unienne en 1972. Lors du débat
sur les OGM organisé par la RTBF, le seul intervenant qui ait mentionné
le rôle primordial qu'a joué la recherche publique dans le
domaine des biotechnologies, c'est le représentant de Monsanto.
Non pour critiquer le développement technologique, mais pour se
débarrasser d'une partie de la responsabilité que tous les
autres intervenants, y compris le présentateur, lui attribuaient.
Son rôle de bouc-émissaire apparaissait clairement : les mauvais
OGM guidés par le profit, c'était Monsanto et les multinationales.
La leçon n'était pas moins claire : pour de bons OGM, faisons
confiance à la recherche publique.
4. Le géant
allemand n'est pas inconnu dans la région gantoise puisque c'est
à Ypres qu'il expérimentait pour la première fois,
intégré dans un consortium national, le fameux gaz moutarde
surnommé ypérite en souvenir de la ville où il fut
employé pour la première fois. Bayer fut nazie pendant la
seconde Guerre Mondiale, gérée par d'anciens nazis après
celle-ci sous le nom générique de IG-Farbhen ; en matière
d'expérimentation grandeur nature, l'agro-pharmacologue s'est encore
illustré en Espagne dans les années 80 par l'empoisonnement
de plusieurs centaines d'Espagnols (lire à ce sujet : Jacques Philipponneau,
Relation
de l'empoisonnement perpétré en Espagne et camouflé
sous le nom de syndrome de l'huile toxique,Paris, L'Encyclopédie
des Nuisances, 1994). La SARL Matthias Rath (31, av. du Peuple belge, 59800
Lille, France) accuse les industries pharmaceutiques de «crime contre
l'humanité», leur reprochant notamment de ne s'en prendre
qu'aux symptômes sans souhaiter la guérison.
5. Dans le cadre de programmes
financés à 50% par le privé ; ce qui reviendrait en
fin de compte à financer la recherche privée à hauteur
de 50%.
6. Lire à ce sujet
J. SEMPRUN, Apologie pour l'insurrection
algérienne,Paris, L'Encyclopédie des nuisances, 2002.