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Syndicat Intercorporatif Anarchosyndicaliste de Caen
QUELQUES INFORMATIONS FRAÎCHES (mai 03)
SUR LES LUTTES EN ARGENTINE
Syndicat Intercorporatif Anarchosyndicaliste de Caen
BP 257 14013 Caen Cedex

 
Cet article émane du Syndicat Intercorporatif Anarchosyndicaliste de Caen (BP 257 14013 Caen Cedex). Une des personnes qui le compose s'est dernièrement rendue en Argentine et en Uruguay, durant 2 mois, pour «faire le tour» du mouvement anar dans ces 2 pays et pour rassembler quelques informations sur la situation sociale qu'ils traversent.

L'article qui suit va donc tenter de faire brièvement le point sur la situation des luttes en Argentine. Un peu plus tard, un article dressant un petit état des lieux du mouvement anarchiste argentin et uruguayen sera   également publié.

Bien des choses évoquées dans cette article sont traitées de manière très superficielle, par manque de temps et par ignorance. Les informations présentées offrent cependant l'intérêt d'être relativement fiables et récentes.

Ce texte va être diffusé dans la majeure partie du mouvement anar et radical français via internet. Il peut être librement publié, dans son intégralité ou seulement en partie. Nous vous demandons simplement d'en indiquer la source. Toutes critiques constructives ou apports d'informations complémentaires seront bienvenus.

Par ailleurs, le SIA de Caen a dernièrement organisé une collecte pour créer sur La Plata en Argentine une petite maison d'édition anarchiste. L'argent collecté a été remis au collectif Letra Libre à l'origine du projet, une petite partie, jugée excédentaire, a été remise à la bibliothèque populaire et libertaire José Ingenieros de Buenos Aires. Des informations précises sur la collecte et la remise de l'argent seront diffusées prochainement de manière séparée par notre petit groupe.

Bonne lecture.



APERÇU DES LUTTES ACTUELLES EN ARGENTINE

Comme annoncé dans la présentation, je ne vais pas me lancer dans un grand historique concernant la situation politique et sociale de l'Argentine. Je ne maîtrise pas assez le sujet et je n'ai pas le temps de me lancer dans des recherches. Pour celles et ceux que cela intéresse je signale au passage une bonne brochure sortie par les camarades communistes de conseil d'ÉCHANGES ET MOUVEMENT. Elle s'appelle «L'Argentine, de la paupérisation à la révolte. Une avancée vers l'autonomie.» (76 pages A5) et peut être commandée, contre 3 euros port compris, à l'adresse suivante : Échanges et mouvement, BP241, 75866 Paris,
cedex 18. Seul inconvénient, elle date d'il y a presque un an et les choses évoluent vite. Ils vont apparemment bientôt en ressortir une nouvelle pour faire le point.

Comme la plupart d'entre vous le savent l'Argentine a connu une assez grave explosion sociale en décembre 2001 (pillages, manifs énormes, une trentaine de morts suite à la répression et le gouvernement de De La Rua qui est renversé) suite à une grave et longue crise économique, sociale et politique. Le chômage et la pauvreté ont fortement et rapidement augmenté. La classe politique, très corrompue, est très discréditée. De cette explosion sociale sont nées les assemblées populaires de quartier. Les mouvements de chômeurs (les piqueteros),qui existaient dès le milieu des années 90, se sont multipliés et développés. La pratique du troc, qui elle aussi préexistait aux journées du 19 et 20 décembre 2001, s'est également beaucoup développée après. Des entreprises fermées ont été occupées et parfois remises en route sous «contrôle ouvrier». Tout cela est plus ou moins connu (c'est à dire aussi plus ou moins méconnu ou connu de manière déformée) et il en ressort souvent l'idée que l'Argentine connaît un fort mouvement populaire auto-organisé et en expansion.

Cette image correspond partiellement avec la réalité de l'Argentine entre décembre 2001 et grosso modo la fin de 2002. Mais il semble clair que ce n'est plus le cas aujourd'hui. L'heure est au reflux (et à la récupération) des luttes et il faut rompre avec une vision dépassée et optimiste de la situation.

De nombreux facteurs semblent jouer dans ce reflux:

Les entreprises occupées

Il y en a prés de 150 dans le pays en ce moment. Elles regrouperaient des milliers de travailleurs et travailleuses, certain(e)s parlent de 10 000.

La plupart sont apparemment des petites boites, des ateliers qui regroupent une ou quelques poignées de prolos. Ces boites ont été fermées par les patrons qui ont mis la clé sous la porte, souvent en laissant des arriérés de salaires impayés. Du coup, elles ont souvent été occupées au départ pour empêcher le déménagement ou la vente par le patron des quelques machines et stocks de matières premières qu'elles contenaient, avec l'espoir que cela faciliterait à terme le payement des arriérés de salaire.

Avec le temps, la crise et le manque de boulot, les tentatives de relance sous contrôle ouvrier se sont multipliées. Mais il ne faut pas se leurrer, si la plupart de ces entreprises ont fermé, c'est qu'elles n'étaient plus viables dans le cadre capitaliste : effondrement du marché, basse productivité, machines obsolètes... La relance sous contrôle ouvrier pose donc des tas de problèmes : les coûts de production sont élevés et souvent non compétitifs, les salaires tirés de la relance de l'activité sont souvent très bas, il faut donc chercher d'autres revenus en exerçant diverses activités en dehors de l'entreprise, parfois seule une partie des anciens salariés peut ou veut encore y bosser, le capital manque pour acheter les matières premières, pour payer les factures d'énergie... Certaines de ces boîtes ont cependant pu redémarrer et se maintenir à flots mais avec un personnel réduit, des aides financières municipales ou des accords directs avec des petits producteurs de certaines matières premières. Tout cela reste souvent assez précaire. De plus, quand la relance sous contrôle ouvrier réussit à démontrer une certaine viabilité économique, réussit à dégager quelques bénéfices, les anciens patrons ne tardent en général pas à porter plainte en justice pour obtenir l'évacuation des entreprises et récupérer «leurs» biens.

Plus qu'un réel poids économique, les entreprises occupées ont surtout un fort poids symbolique pour le mouvement social en tant qu'expérience d'«autogestion», en tant qu'exemples du fait que les travailleurs peuvent se passer des patrons pour produire et sauver leur source de travail. Le gouvernement ne s'y trompe pas et voit d'un très mauvais œil ces violations flagrantes du sacro-saint droit de propriété.

Les entreprises «phares» de ce mouvement sont la fabrique de céramique «Zanon» située à Neuquen (prés de 500 prolos à l'heure actuelle pour 800 environ au moment de la fermeture) et la fabrique textile «Brukman» à Buenos Aires (115-120 personnes, surtout des femmes). Elles sont toutes 2 visées par des ordres d'évacuation.

«Zanon» tient toujours et semble avoir constitué un réseau de solidarités locales, nationales et internationales important autour de son existence.

Quant à l'usine textile «Brukman», après 2 tentatives ratées en 2002, le pouvoir a réussi à l'évacuer par la force à l'aube du vendredi 18 Avril. Plus de 700 flics appartenant à diverses unités ont délogé par surprise les quelques ouvrières qui assuraient la garde de nuit. Contrairement aux autres tentatives d'évacuation, la réaction des habitants du quartier, des assemblées populaires (fort diminuées), des mouvements piqueterosn'a pas été massive. La solidarité spontanée et de grande ampleur qui avait fait reculer le gouvernement en 2002 ne s'est pas reproduite en 2003. Le 21 Avril, après plusieurs jours de rassemblements, de démarches juridiques et de négociations infructueuses, une manif a été appelée pour réoccuper «par tous les moyens» l'usine. Après avoir posé un ultimatum à la police pour qu'elle quitte les lieux, quelques ouvrières sont rentrés dans le périmètre de défense qui entourait l'usine. La police a alors chargé et a dispersé, à l'aide de nombreux tirs tendus de gaz et de balles en caoutchouc, violemment et rapidement les manifestants, causant quelques dizaines de
blessés et arrêtant prés de 200 personnes. Il semble que quelques cartouches de chevrotines en plomb aient aussi été tirées (des douilles ont été retrouvées) mais sans faire de blessés. Toute tentative de résistance a été assez rapidement neutralisée. Les affrontements ont été quasi inexistants du fait que les tirs de la police interdisaient toute approche de leur dispositif.

JE SUIS A CE PROPOS OBLIGE DE PRÉCISER QUE LE CHIFFRE DE 7000 PARTICIPANT(E)S (CHIFFRES PUBLIES SUR INDYMEDIA, A-INFOS, LE MONDE LIBERTAIRE, LE COMBAT SYNDICALISTE DE LA CNTF...) A CETTE MANIFESTATION DE SOUTIEN EST TOTALEMENT FANTAISISTE.

J'étais à cette manif et j'ai suffisamment d'expérience pour pouvoir estimer le nombre de gens qui participent à une manif petite ou moyenne. Le chiffre de 7000 personnes est, au mieux, une estimation délirante faite par une personne inexpérimentée, au pire (et je pense que c'est malheureusement le cas) un mensonge éhonté destiné à motiver les «troupes». Le lundi 21 en milieu d'après-midi, j'estime à environ 3000 le nombre de manifestant(e)s. A 17H30, heure de la fin de l'ultimatum et du début programmé des incidents, il ne devait plus rester que 2000 à 2500 personnes, un certain nombre de groupes modérés, de femmes, de personnes âgées ou a mobilité réduite ayant prudemment quitté les lieux. Por Favor,laissons la pratique du mensonge aux médias bourgeois...

A signaler également, le cas de l'usine «Sasetru», dans la banlieue de la capitale, une usine de production de pâtes alimentaires fermée depuis 20 ans mais dont les machines étaient encore susceptibles d'être utilisées. Elle a été occupée par une soixantaine de chômeurs et d'ancien(ne)s salarié(e)s de la boite qui pensaient nettoyer les machines et produire des nouilles pour tous les comedores(cantines populaires dans les quartiers pauvres souvent organisées par les
mouvements piqueteros)du grand Buenos Aires. Mais rapidement, avant que puisse s'effectuer une remise en marche, à la mi-mars, 700 flics ont réoccupé l'usine et viré tout le monde manu militari.

Pour conclure sur les usines occupées (dite aussi «récupérées»), il me semble important de préciser que les assemblées de ces entreprises sont parfois «encadrées» politiquement par certains partis trotskistes : le Polo Obrero(Pôle Ouvrier) à Sasetru et Zanon, le Parti des Travailleurs Socialistes à Brukman par exemple. Il est aussi important de préciser que les travailleurs de Zanon et Brukman demandent l'«étatisation sous contrôle ouvrier» de leurs entreprises. Il est probable que la demande d'«étatisation» soit liée à l'idéologie véhiculée par les organisations trotskistes avec en plus un aspect tactique dans cette position : l'État bourgeois évacuant par la force les entreprises occupées, le thème de la construction de l'État ouvrier peut ainsi être avancé  comme une «nécessité» liée à la lutte.

J'ignore aussi dans quelle mesure le fonctionnement des AG est réellement démocratique et si, par exemple, l'égalité salariale, la rotation des tâches productives sont pratiquées. Toute information fiable sur ces aspects est la bienvenue.


Les assemblées populaires

Comme cela a déjà été dit plus haut, les assemblées populaires (dite aussi barriales,de quartier ou vecinales,de voisins) ont fondu comme neige au soleil au fil du temps. Il faut également préciser que ce phénomène des assemblées est essentiellement apparu dans le grand Buenos Aires. On en trouve aussi quelques unes à La Plata, Cordoba et une poignée à Rosario, pour l'essentiel. Le phénomène a donc une extension géographiquement limitée, même s'il faut considérer le fait que ces assemblées sont implantées dans des zones où se concentre environ la moitié de la population du pays.

Il faut signaler aussi que leur base sociale était constitué majoritairement par la classe moyenne, traumatisée par la perte d'une partie de ses économies confiées aux banques, paupérisée par la hausse des prix, dégoûtée par la corruption de la classe politique, classe moyenne qui est en grande partie rentrée dans le rang.

Je n'ai pas assisté à des assemblées mais j'ai rencontré des gens qui en faisaient partie. Certaines assemblées tournent avec 10, 15, 20 participant(e)s régulières, d'autres avec 40, 50 ou 60 mais je n'ai pas entendu parler d'assemblées arrivant à réunir encore de manière régulière quelques centaines de personnes. En cas de coup dur, la capacité, occasionnelle, de mobilisation doit pouvoir augmenter sensiblement mais sans atteindre, de loin, celle du début 2002.

Il semble que de nombreuses assemblées aient cherché à s'inscrire dans leur milieu et dans la durée, à occuper des lieux vides (anciennes banques, cinémas, ateliers, cliniques désaffectées ...), à promouvoir les clubs de troc, la parution de petits journaux locaux alternatifs, des débats politiques, des petites bibliothèques, des ateliers de formation, de petites coopératives boulangères, quelques dispensaires, l'organisation de feriasartisanales où les gens du quartier échangent, vendent ou achètent nourriture cuisinée, bijoux, poteries, bibelots, vêtements fait-mains etc...

Ainsi même si leur affluence et leur influence a nettement diminué, les assemblées restent actives. Plusieurs évacuations de locaux occupés par des assemblées ont eu lieu ces derniers mois. La dernière en date durant mon voyage (il s'en est peut-être produit d'autres depuis)  fut, à la mi-mars, celle de l'assemblée de Lezama sud qui occupait une ancienne succursale de la banque Mayo. Une cinquantaine de flics en tenue anti-émeutes ont viré tôt le matin les quelques assembléistes qui se trouvaient dans le local occupé. Comme par hasard, dans ce lieu fonctionnait aussi le centre informatique d'Indymedia Argentine, site internet de contre-information bien connu.

Les assemblées échangent leurs informations de manière rapide et fluide via le réseau internet. Des délégués de tous le grand Buenos Aires se réunissent apparemment régulièrement. Un journal militant, plutôt bien foutu, intitulé «19/20» sert aussi apparemment plus ou moins de porte-voix officieux aux assemblées les plus «indépendantes» de la capitale depuis fin 2002.


Le(s) mouvement(s) piquetero(s)s






Ils regroupent les chômeurs des quartiers populaires, hommes ou femmes, jeunes ou vieux. Ils fonctionnent en général sur la base de l'assemblée. Leur arme favorite est la coupure de route avec barricades et piquets pour obtenir la satisfaction de leurs revendications (plus de plans, aides alimentaires, fournitures scolaires et chaussures pour la rentrée des classes, amélioration sanitaire du quartier, accès à l'eau potable et l'électricité, obtention de médicaments pour les petits dispensaires qu'ils cherchent à mettre en œuvre...).

Les premiers mouvements apparaissent au milieu des années 90 (Cutralco, General Mosconi...) et se répandent comme forme d'organisation et d'action dans tout le pays. Il y en a plein aujourd'hui, plus ou moins récents, plus ou moins auto-organisés, plus ou moins démocratiques. Certains sont directement liés à des organisations d'extrême-gauche et fonctionnent de manière assez verticale (centralisme démocratique oblige) : citons le CCC (Courant Classiste Combatif lié au Parti Communiste Révolutionnaire maoïste), le mouvement Teresa Rodriguez, le MTL (Mouvement Territorial de Libération, dont les couleurs sont le rouge et le noir mais qui est lié au Parti Communiste si je ne m'abuse), la FTC (Fédération des travailleurs Combatifs), le Pôle Ouvrier (lié au Parti Ouvrier), la Coordinadora por la Unidad de los BArrios(CUBA, ce qui indique assez bien sa source d'inspiration) etc... Signalons aussi le Mouvement pour l'Unité Populaire (MUP) qui semble fonctionner de manière plus horizontale tout en étant lié au groupe anarchiste AUCA... Il y a ensuite les mouvements piqueterosindépendants, nettement plus horizontaux comme l'UTD (Union des travailleurs sans emploi) dans la région de General Mosconi et les MTD (Mouvement de travailleurs sans emploi).

Les MTD sont tous autonomes et le fait qu'ils portent le même nom ne signifie pas qu'ils travaillent ensemble, même si leurs activités possèdent certaines similitudes. Certains MTD sont regroupés au sein de la Coordination Anibal Veron (MTD de Lanus, Solano, Almirante Brown entre autres). Il y a aussi des MTD à Varela, la Matanza, Allen... Ils sont en général partiellement inspiré et influencé par les expériences des zapatistes, du Mouvement des Sans Terres brésiliens et par les idées de Negri et Holloway, genre «nouvelle gauche autogestionnaire et extra-parlementaire», idées qui sont diffusées en Argentine entre autre par le collectif d'édition Situaciones.

Les mouvements piqueterosse sont considérablement développés dans la période qui a suivi les 19 et 20 décembre 2001. Ce développement est lié en bonne partie au fait que dans les mois qui ont suivi, grâce à de fortes mobilisations et pressions sur un gouvernement alors en partie aux abois, les mouvements piqueterosont obtenu la possibilité de gérer directement les plans d'aides type plans Trabajar, Jefes y jefas de hogar.Il y a apparemment environ 1.800.000 plans de ce genre distribués dans tous le pays et environ 8% de ces plans (aux alentours de 150 000 donc) seraient contrôlés directement par les organisations piqueteras.Cela signifie que les quelques heures de travail quotidien dues par les bénéficiaires de ces plans sont effectuées dans le cadre des projets productifs ou d'entraide (cantines populaires, jardins potagers, ateliers de métallerie ou de charpente, appui scolaire, bibliothèque, prévention sanitaire, élevages de volailles ou de lapins, ateliers artisanaux de fabrication de briques ou d'agglos...) des organisations piqueterasde tel ou tel quartier.

La nécessité a évidemment poussé beaucoup de gens (non politisés, non expérimentés) qui avaient besoin des 160 pesos des plans à s'affilier aux organisations piqueteras.Une partie de ces nouveaux arrivants se politisent peu à peu au sein du mouvement auxquels ils se sont rattachés, acquièrent une expérience d'organisation collective, de débat, d'action... mais il s'agit d'un processus lent et difficile qui nécessite un effort personnel et collectif permanent.

Il y a là évidemment une situation paradoxale pour les organisations piqueteras.Leur développement numérique est lié à un rapport de force qui a permis d'obtenir la gestion directe des plans et dans le même temps, avec l'évolution défavorable de ce rapport de force, ces organisations populaires subversives se retrouvent dans une situation de relative dépendance et vulnérabilité vis à vis de l'État vu que c'est lui qui donne ces plans...

Il est probable que l'État va chercher dans les mois qui viennent à réformer les plans d'aides et à en récupérer la gestion totale (ce qui ne veut pas dire qu'il en réduira le nombre), privant ainsi les organisations piqueterasnon seulement de leur principal moyen de développement numérique mais aussi d'une partie importante de leur participant(e)s actuel(le)s.

Cela toutes les organisations piqueterasen sont bien conscientes. Elles cherchent donc à multiplier la mise en place de projets de production (de biens ou de services) alternatifs, capable de se soutenir par eux mêmes, et à accroître la formation politico-pratique (via de multiples ateliers de formation, causeries, projections-débats, publications de textes...) de leurs membres afin de réduire le degré de dépendance et vulnérabilité de leurs organisations vis à vis de l'appareil d'État.

On a un peu l'impression d'une course de vitesse pour tenter de limiter les dégâts que produirait une réforme de la gestion des plans d'aide sociale... même si toutes les organisations piqueterassavent qu'elles vont rapidement se dégonfler numériquement si cette réforme se produit.

On peut toutefois considérer que la très difficile situation sociale des classes populaires, l'expérience politique et pratique accumulée, la logistique déjà construite leur permettra de survivre et même peut-être de recommencer à croître lentement au bout de quelques temps, une fois le choc encaissé... pour peu que la répression ne soit pas trop asphyxiante.

Cette hausse de la répression est elle aussi attendue par toutes les organisations piqueteras: répression qui peut prendre la forme de charges de police et de tirs mortels durant les manifs, d'arrestations ciblées, de harcèlement anonyme dans tel ou tel quartier, de dégradation des locaux, de sabotage des AG par infiltration d'éléments perturbateurs ou provocateurs à la solde de la police ou des clans politico-mafieux péronistes qui se partagent le pouvoir d'État (et qui contrôlent des réseaux d'hommes de mains, appelés punteros,dans tous les quartiers).

Il semble par ailleurs que plus de 70 responsables ou militant(e)s piqueterossoient à l´heure actuelle détenu(e)s pour diverses raisons dans tout le pays. Il est probable que les contacts entre organisations piqueterasvont se multiplier pour opposer un front commun à toute tentative d'accroître la répression. C'est d'autant plus nécessaire que ces mouvements se retrouvent assez isolés socialement après que la classe moyenne ait en bonne partie cessé, progressivement, de participer aux luttes et agitations qui avaient suivies l'explosion de Décembre 2001.


Les récentes élections présidentielles (participation obligatoire) se sont déroulées dans le calme et marquent un pas supplémentaire dans le processus de normalisation. La participation a été d'environ 80%, c'est-à-dire dans la moyenne. Les votes blancs ou nuls ont atteint environ 2,5% et les 5 partis de gauche et d'extrême-gauche qui s'étaient présentés ont ramassé moins de 5%. Carlos Menem (toujours ultra-corrompu, réac, libéral et répressif) a finalement abandonné dans l'entre 2 tours et c'est Nestor Kirchner, le dauphin de Duhalde, lui aussi issu du péronisme (parti justicialiste) qui du coup se retrouve à la présidence. Plus fin et présentable que Menem, il saura vraisemblablement jouer sur plusieurs tableaux à la fois pour circonscrire le mouvement social peu à peu.

Voilà, en gros, ce qu'a pu m'inspirer mon voyage et mes rencontres en Argentine. Le tableau que je viens de dresser n'est guère réjouissant. Il convient alors peut-être de dire, comme l'ont fait quelques argentin(e)s que j'ai rencontré, que l'existence d'un tel mouvement social était tout simplement impensable il y a seulement 2 ans...


Un article suivra prochainement sur l'état du mouvement anar en Argentine (là aussi, c'est pas très joyeux) et en Uruguay (où on sent certaines potentialités intéressantes).