Les présidentielles de 2002 s'annoncent comme un marché de dupes où les deux termes de l'alternance "proposée", Chirac ou Jospin, ne sont que les deux faces d'une même logique, tandis qu'en guise de troisième homme on ne sait qui l'emportera, du néofascite Le Pen ou du néoboulangiste Chevènement. C'est peu dire qu'il existe une profonde contradiction entre les aspirations à plus de justice sociale, de liberté, de démocratie, exprimées ces dernières années par les mouvements sociaux, et les politiques gouvernementales, les politiques passées comme celle qui suivra les élections de 2002, quelle qu'en soit l'issue.
Un nombre important de citoyens vont s'abstenir, voter nul ou blanc, confirmant une nouvelle fois un rejet massif des institutions dites "représentatives" et des politiques menées depuis des décennies par tous les gouvernements, de gauche comme de droite, politiques menées au profit des plus puissants, au profit des classes possédantes et dirigeantes. La question que nous voulons poser à l'aide de cette lettre ouverte est la suivante : Comment permettre une expression publique à ce large "Front du refus de vote", en portant un contenu positif, un contenu politique au sens le plus noble du terme, un message de lutte et de transformation sociale ?
En effet nous ne voyons aucun espace institutionnel ni aucune candidature susceptible d'exprimer significativement les aspirations portées par les mouvements sociaux, et les contestations du nouvel ordre mondial, libéral, capitaliste et guerrier. Ce n'est évidement pas le cas des candidats de droite, ni des odieux rivaux de l'extrême droite. Mais ce n'est pas non plus le cas de la gauche gouvernementale. Cette gauche ne souffre pas, à proprement parler, d'un "déficit de projet". Elle a bien un projet... mais
il est inavouable. C'est celui de se maintenir au pouvoir en continuant sa gestion du capitalisme. Bilan positif, si l'on se place du point de vue des profits. Bilan désastreux pour les travailleurs, les précaires et les chômeurs, les jeunes, les femmes, les immigrés. Désastreux aussi en terme de santé publique et d'environnement (OGM, nucléaire, risques industriels...). Désastreux du point des vue des libertés, tandis que les militants des mouvements sociaux sont de plus en plus systématiquement criminalisés, tandis que s'imposent des politiques de plus en plus répressives dirigées notamment contre les couches les plus pauvres et les plus exploitées de la société. Bilan désastreux également en ceci que le gouvernement s'inscrit dans le sillage libéral de l'Union européenne et qu'il se soumet aux exigences du FMI, de la Banque mondiale, de l'OMC, et finalement de l'Empire américain.
Le Parti socialiste domine la "gauche plurielle", mais ni le Parti Communiste ni les Verts ne s'affirment en rupture avec cette politique, que finalement ils soutiennent et cautionnent. Chevènement cumule les travers de la droite et ceux de la gauche gestionnaire, et présente de graves dangers de dérives nationalistes, populistes, autoritaires. Quant à la seule des candidatures d'extrême-gauche vraiment "significative" sur le terrain électoral, celle d'Arlette Laguiller, elle permettra sans doute l'expression d'une partie du mécontentement populaire, mais ce sera finalement au profit d'un bolchevisme obtus, liberticide, et souvent réactionnaire en ce qui concerne les modes de vie (qu'en est-il des positions homophobes de Lutte Ouvrière ?). Un bolchevisme pour qui les bons prolétaires et les bons mouvements sociaux sont ceux qui se soumettent au "Parti révolutionnaire" et à sa direction nécessairement éclairée...
En conséquence les militant(e)s d'Alternative libertaire se sont prononcé(e)s pour l'Abstention. Au regard de la situation politique présente, et non pas par on ne sait quel réflexe "anarcho-pavlovien", puisque l'AL, tout en portant une critique radicale des institutions étatiques, admet la possibilité de ne pas toujours s'abstenir, et même de voter dans certaines circonstances, notamment lorsque l'extrême-droite risque d'occuper des positions de pouvoir.
Nous concevons parfaitement que le "refus de vote" puisse aussi s'exprimer par d'autres voies, le vote nul ou blanc par exemple... Ce que nous proposons c'est d'initier une campagne commune durant les Présidentielles, permettant à de larges secteurs de la population d'exprimer politiquement leur révolte. Campagne qui dresserait le bilan critique des gauches et des droites gestionnaires. Campagne également dirigée contre l'extrême-droite, qui entend profiter des présidentielles pour relever son mufle hideux. Contre le MEDEF, qui veut lui aussi mener une campagne politique "extraparlementaire", mais pour radicaliser encore plus les politiques gouvernementales dans la direction de son propre projet de société, antidémocratique et inégalitaire. Nous proposons une campagne commune qui oppose aux manipulations démagogiques autour du thème de l'insécurité" la dénonciation des véritables causes de l'insécurité sociale. Une campagne contre la pénalisation de la pauvreté et la criminalisation des mouvements sociaux. Et pour des Droits nouveaux, pour l'abrogation de toutes les lois anti-immigrés et de double-peine, la régularisation de tous les sans-papier, et le Droit inaliénable, pour toutes et tous, de circuler et de s'installer librement. Une campagne qui mette à nouveau en pleine lumière les exigences
des "sans" : sans ou mal logés, chômeurs et précaires, sans papiers, sans revenu... sans pouvoir. Une campagne nationale d'opinion,ouvrant le débat autour d'alternatives de société, pour une redistribution massive des richesses, une démocratie autogestionnaire, une autre société, un autre monde.
Cette campagne commune pourrait se trouver un mot d'ordre identifiant, tel que "Refus de vote", "ça suffit", ou tout autre. Elle serait portée par un collectif de "citoyens militants" plutôt que par des organisations déjà constituées, et serait librement déclinable localement. Nous ne voulons pas la "prédéterminer" plus en détail, mais nous invitons toutes celles et ceux que l'idée séduit à nous contacter le plus vite possible, afin que se réunisse dans les plus brefs délais une première Assemblée...
Alternative libertaire
13 février 2002