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Courant Alternatif
L'agriculture
un enjeu majeur de notre époque

Edito de Courant Alternatif hors-série n°7, 2e trimestre 2002

A commander à OCL/Egregore, BP 1213, 51058 Reims cedex
32 pages, 3,8 €. Cheque à l'ordre de "La Galere"

oclibertaire@hotmail.com
http://oclibertaire.free.fr/


Enjeu majeur de notre temps ? Cela est indéniable si on se rappelle quelques données de base. Il y a sur notre planète presque 1,4 milliard d'actifs agricoles c'est-à-dire d'hommes et de femmes qui ont comme activité principale l'agriculture, que ce soit pour se nourrir directement ou pour commercialiser une partie plus ou moins importante de leurs productions. C'est donc, et de très loin, le métier ou l'état le plus répandu. Qu'ils soient tout ou en partie intégrés dans les circuits de distribution, qu'ils vivent en autarcie plus ou moins complète, ils subissent à des degrés divers le mode de production dominant sur la planète, le capitalisme. Par le biais du marché, par les systèmes coloniaux, néo-coloniaux, par la domination la plus brutale de propriétaires fonciers, de dictateurs en tous genres, mais aussi par les répercussions que ce mode de production a sur l'environnement et sur les systèmes politiques. Mais, nous répond-on souvent, lorsqu'on avance ces données, agriculteurs et paysans, paysannes et agricultrices sont en diminution constante. Certes l'activité salariale, industrielle, de service, augmente au détriment de l'agriculture. Mais plus lentement qu'on ne le pense souvent. De plus, en valeur absolue, la population mondiale croissant sans cesse, le nombre de paysans augmente, en fait ! On entend souvent également dire que le terme paysan ou agriculteur recoupe des réalités qui n'ont rien à voir ensemble. C'est vrai, mais dans quelle proportion ? 1,3 milliard de paysannes et de paysans pratiquent la culture manuelle et attelée, 28 millions seulement sont mécanisés et armés ainsi pour l'exportation. Là est bien le premier clivage. Ensuite, et seulement ensuite, on peut affiner les analyses et voir les différences dans chaque catégorie. Ainsi, et pour revenir à la France, on pourra dénoncer le fait que, par exemple, sur les 75 000 exploitations françaises céréalières 13 000 Ñ les plus grosses Ñ on reçu en moyenne et chaque année entre 1992 et 1999, 215 856 francs d'aides directes par actif. Cela décrit parfaitement les énormes disparités qui font qu'en France il n'y a pas UNE paysannerie mais DES paysanneries aux intérêts antagonistes. Mais il faut aussi savoir que ces 215 856 francs représentent 100 fois le revenu annuel d'un paysan somalien ! (chiffres fournis par la Confédération paysanne). En France, 80 % de la subvention publique accordée par la PAC aux agriculteurs (72 milliards en 2000) est reçue par 20 % des plus gros et gras !

Enjeu majeur de notre temps car autant le capitalisme s'est construit grâce au réservoir humain que constituait la paysannerie, autant tout projet de société communiste libertaire ne pourra se développer et exister que par une reconquête de l'espace, par une activité agricole nourricière et de proximité. Éradiquer la famine dans le monde ne passe pas par un développement de l'agroalimentaire, par une industrialisation et une mécanisation sans retenue de l'agriculture, par la recherche génétique ou autres monstruosités. Ce qui passe par là c'est la loi du profit pour les uns et de l'esclavage pour les autres. L'éradication de la famine passe avant tout par une agriculture de proximité, non industrielle. Dans les pays du Sud comme dans ceux du Nord, les petites exploitations sont les plus «rentables» dès lors qu'elles ne sont pas pillées, c'est-à-dire qu'une plus-value ne soit plus extraite de leur travail que leur environnement n'est pas détruit et qu'on ne les condamne pas à la monoculture.

Dans les pays dits « développés », le vieux mot d'ordre « la terre à ceux qui la travaillent » est en grande partie dépassée, du moins si on s'attache à la propriété juridique de la terre. Car posséder la terre n'est une richesse que si on la vend, c'est-à-dire qu'on se débarrasse de son outil de travail pour en faire un objet de spéculation. Le revenu de l'agriculteur français n'est pas lié à la possession de la terre : les grands céréaliers en louent une grande partie et sont pourtant parmi les plus riches ! Un jeune qui s'installe actuellement aurait plus d'avantages à louer les terres qu'à s'endetter pour en devenir propriétaire... à condition, bien entendu, d'avoir un bail de carrière c'est-à-dire d'avoir la garantie de pouvoir y rester jusqu'à la retraite. Mais pour les pouvoirs publics, pour les banques, pour les techniciens agricoles, une installation n'a de sens que si elle permet d'en extraire un maximum de plus-value pour eux-mêmes (par pour les jeunes qui s'installent) : prêts pour payer les terres, les semences, les engrais, les machines... Sinon cela n'a pas de sens pour eux !

La question agricole se doit donc d'être au centre des débats pour qui veut transformer le monde et abattre le capitalisme. Une question qui n'appartient pas qu'aux agriculteurs et aux agricultrices dans la mesure ou, de manière absolument centrale, leur activité est la plus représentative d'une production socialement utile (ou du moins devrait l'être). À moins de rêver à un monde dans lequel la nourriture serait assurée par l'industrie chimique et où une partie du territoire serait réservée à des fonctions récréatives pour les élites et où le reste serait plus ou moins désertifié et réservé à faire « vivre » les plus pauvres, les « exclus ».