OCL-L'illusion d'un municipalisme libertaire (Janvier 2001)

Organisation Communiste Libertaire (OCL)
LÕillusion dÕun municipalisme libertaire

A lÕapproche des élections municipales on voit refleurir, dans une partie du microcosme libertaire (en particulier sur Lyon) pourtant opposé à toute délégation de pouvoir, le débat sur une éventuelle participation à ce type dÕélections locales. Il ne sÕagit pas seulement de voter mais de se présenter avec évidemment un projet, à ce type dÕélections qui seraient particulières en ce sens que se seraient les seules élections proches de la population, pouvant entraîner une certaine mobilisation citoyenne (le mot est prononcé !) sur une réalité palpable par le commun des mortels résidant dans un lieu donné. Ce nÕest pas nouveau.

Par contre ce quÕil lÕest, cÕest que cette démarche sÕappuie aujourdÕhui sur un théoricien américain, Murray BOOKCHIN, lequel prône un « municipalisme libertaire » qui a au moins le mérite de poser le problème dÕun changement de société.


Un phénomène ancien

Ce processus dÕattirance par des libertaires pour les élections locales sÔest toujours expliqué de diverses manières :
Ñ Certains militants se demandent, de par leur pratique dans leur village, leur quartier, leur ville, si les élections municipales ne seraient pas une occasion de concrétiser leur implantation locale afin dÕaller plus loin dans leur projet de société libertaire en mobilisant la population avec laquelle ils luttent quotidiennement afin de constituer de réels contre pouvoirs aux institutions. Reconnaissons que dans la période actuelle, malgré les derniers mouvements sociaux dÕampleur nationale (1995, Mouvement des chômeurs et précairesÉ), ces implantations locales se font plus que rares !
Ñ DÕautres, et parfois (seulement !) les mêmes, en ont marre de se cantonner au seul terrain protestataire activiste et déclamatoire de bonnes intentions. Ils veulent passer à autre chose, peser politiquement disent-ils, en étant porteurs dÕune alternative locale et décident dÕoser mettre le doigt dans lÕengrenage de la démocratie représentative en espérant se faire ainsi enfin entendre. A noter que cette démarche est dÕautant plus présente dans les périodes de recul de «lÕutopie révolutionnaire» ce qui est actuellement le cas depuis déjà au moins une trentaine dÕannées.
Ñ DÕautres veulent tourner en dérision cette mascarade électorale à moindres frais... Et cÕest de loin les plus sympathiques.

A noter que dÕautres militants libertaires ont pu sÕinvestir dans une démarche clairement politicienne, cÕest à dire dans le cadre clairement défini de la démocratie parlementaire. Un communiste libertaire illustre ? Daniel GUÉRIN ? nÕétait pas opposé à ce type de participation électorale (à la fin des années 50, des communistes libertaires se présenteront devant le peuple-électeur !). DÕautres ont été amenés à participer, dans une période révolutionnaire (Espagne 36), à un gouvernement républicain sÕopposant au fascisme, participation qui a montré clairement ses conséquences inéluctables anti-révo-lutionnaires par rapport au mouvement réel porteur dÕun autre type de société (mai 37 à Barcelone) qui fut dÕailleurs massacré avec la caution anarchiste apportée au pouvoir.

AujourdÕhui, nous sommes dans une autre période et pour certains de ses militants, lÕanarchisme serait à dépoussiérer, à adapter à notre société actuelle afin quÕil ait un avenirÉ car après la déroute du communisme étatiste totalitaire symbolisé par la chute du mur de Berlin en 1989, il y avait un espace à prendre. Cet espace aurait rapidement été occupé par les partis Verts qui se sont «malheureusement» (mais il y a des malheurs complètement explicables), soi-disant à lÕinsu de leur plein gré, intégrés au paysage traditionnel politicien de la démocratie parlementaire. Cet espace serait donc à reconquérirÉ. Mais comment ?

QuÕallons nous faire dans cette galère ?

Le pouvoir municipal, le maire, ses adjoints et son conseil, constituent la première marche de lÕédifice organique de lÕÉtat. En France, cÕest la structure de base qui a permis à lÕEtat nation dÕasseoir et dÕétendre son pouvoir dans les moindres recoins de son territoire. La «mairie» nÕa pas pour seule fonction dÕétablir un budget concernant le quotidien de la commune, ses projets dÕaménagement de son territoire, ses projets à caractère social, économique, culturelÉ Cela a toujours été le lieu de recensement de la population pour lÕEtat qui lui a toujours servi et lui sert encore pour dÕéventuelles mobilisations à vocations militaires ou civiles.

La «mairie» a une fonction de contrôle social important, indispensable à lÕEtat et cÕest ainsi, pour ne prendre quÕun exemple, que nombre de secrétaires de mairies servent (et dans certains cas sont même appointés pour) dÕindicateurs de gendarmerie ou de policeÉ Ce contrôle social via la municipalité revêt bien dÕautres aspects concernant tous les services de lÕEtat quÕils soient donneurs éventuels de subsides (comme la CAF) ou une fonction de contrôle des va et vient des populations (immigration, «gens du voyage», marginaux). Cette fonction de contrôle social est dÕailleurs dÕautant plus efficace que lÕentité communale est réduite ; là y règne une police de proximité : la gendarmerie (cÕest à dire des militaires), qui nÕa pas son pareil dans les grandes zones urbaines.

Le Conseil municipal peut fonctionner formellement comme il le veut en respectant le fait quÕil doive se réunir au moins trois fois par an. Il peut, pourquoi pas et cela sÕest déjà fait, organiser des assemblées générales de ses citoyens, voire des assemblées par quartier ; fonctionner, pourquoi pas mais là cÕest beaucoup plus rare, suivant des principes proches de la « démocratie directe ». Et alors ! Chaque délibération part à la Préfecture pour un contrôle et si des décisions communales allant dans le sens opposé de lÕEtat sont prises, la Préfecture a le pouvoir de les annuler, de les différer (la Préfecture peut refuser un budget municipal). NÕoublions pas non plus quÕun simple citoyen, donc en particulier un notable-citoyen bien informé, peut saisir le Conseil dÕEtat afin dÕannuler une décision du conseil municipal non conforme aux lois de la République.

Quand par exemple, et cela arrive très souvent, un Maire refuse dÕorganiser dans sa commune des élections régionales, nationales, la Préfecture tente toujours de les organiser à sa place et le Maire est sanctionné par une mise à pied de plusieurs mois. Quand cela va trop loin, le Maire et son conseil peuvent être, par LÕEtat, tout simplement démissionnés de force, et si lors de nouvelles élections municipales personne ne se présenteÉ et bien la commune est mise sous tutelle et est gérée par des fonctionnaires de la Préfecture.

Maintenant, concernant toutes les infrastructures dépendantes de lÕEtat (routes nationales, autoroutes,TGV...), lÕavis dÕun conseil municipal nÕest que purement consultatif. Il en va de même pour lÕimplantation de centrales nucléaires, de sites dÕenfouissement de déchets nucléairesÉ Dans ce cas, bien sûr, pour asseoir ce type de projet sans que la population ne mobilise contre, il est important pour lÕEtat dÕavoir dans sa poche les élus locaux. Pour ce faire, il les achète dÕune manière ou dÕune autre. SÕil nÕy arrive pas, il a les moyens institutionnels de sÕen passer. Mais les élus ont localement dans notre démocratie représentative (qui est bien imprégnée dans les esprits des électeurs même si une certaine crise se développe - voir plus loin), un certain pouvoir sur leur électorat, dÕautant plus fort quÕil est de proximité. Tous ceux et toutes celles qui ont participé activement à des luttes locales savent à quel point les élus peuvent être les éléments déterminants dont nous nous passerions bien dans maintes situations! DÕailleurs, lÕun des premiers combats essentiels à mener dans une lutte locale est de faire prendre conscience aux gens avec qui on lutte quÕon peut se passer des élus, qui ne sont que les représentants de base de lÕEtat. SÕils entrent réellement dans une lutte fondamentale, ils doivent démissionner car ils ne sont que les fantassins de lÕEtat. Il arrive que certains élus en prennent conscience et de facto démissionnent !

On ne doit pas oublier non plus que les municipalités sont progressivement devenues, depuis un siècle, des entreprises avec tout ce que cela implique (recherche de la rentabilité, pouvoir réel des technocrates dont dépendent totalement les élus, hiérarchie, clientélismeÉ). DÕailleurs, dans certaines villes moyennes, la «municipalité» est lÕune des entreprises de la ville ayant le plus de salariés ; mais, libéralisme oblige, certaines dégraissent au profit de la sous-traitance afin de faire baisser les coûts salariaux pour tout ce qui concerne le quotidien, cÕest à dire pour toutes les tâches dÕentretien et de maintenance. Dans les villes, les élus ont effectivement le pouvoir de décision mais en fait, ils ne sont que les employeurs dÕune entreprise permanente où les cadres supérieurs (les technocrates, les bureaucrates) sont bien les seuls à maîtriser certains dossiers sensibles.

En résumé, quand un «citoyen» sÕadresse à sa mairie pour X raisons, il est et il sera de plus en plus considéré comme un client, comme à la Poste ou à la SNCF !

Y-a-t-il une crise municipale,
voire une crise de la démocratie représentative ?

Je ne vais pas traiter ici, dans le fond, le problème de la montée de lÕabsentéisme électoral qui touche toutes les anciennes démocraties représentatives si ce nÕest de rappeler que cette montée ne peut sÕexpliquer que par une défiance grandissante des électeurs (qui sont, en France, tout de même électeurs de leur plein gré car ils se sont inscrits volontairement sur les listes électorales et ont le pouvoir à tout moment de se faire rayer de ces listes contrairement à dÕautres Etats, comme la Belgique, où lÕinscription sur les listes électorales et le vote sont obligatoires) envers la classe politique censée les représenter. Cela mÕapparaît comme une crise de représentation, mais nous sommes encore loin dÕune crise remettant en cause les fondements même de la démocratie représentative. LÕélecteur «lambda», aujourdÕhui écoeuré par la classe politique, peut très bien demain retourner aux urnes pour un monsieur ou une madame «propre». Sans un mouvement social dÕampleur, je ne vois pas comment il pourrait être entraîné dans le tourbillon dÕun autre type de démocratie, où il serait un des acteurs remettant fondamentalement en cause ce quÕest devenu la politique depuis lÕavènement des Etats Nations. A noter tout de même que les élections municipales sont celles qui mobilisent traditionnellement le plus les électeurs surtout en dehors des grandes villes et cela dÕailleurs devraient encore se vérifier en mars 2001.

Concernant les élections municipales, notre démocratie représentative a émis des craintes qui dépassent ce phénomène de lÕabsentéisme : Y aura-t-il assez de candidats pour pourvoir tous les sièges de Maire dans les communes françaises ?

Si au niveau des cantonales, législatives, régionales, européennes, présidentielles, le nombre de candidats est en progression constante, il nÕen va pas de même au niveau du poste de Maire. Dans ce système de délégation de pouvoir, le Maire est deloin le plus exposé aux sollicitudes de ses électeurs. CÕest lÕélu de base qui doit payer de sa personne sur des terrains touchant directement à la vie publique ou privée de ces concitoyens. Dans une société de plus en plus déstructurée, individualisée, É il peut être sollicité jour et nuit par des conflits de voisinage, familiauxÉ sa traditionnelle position de notable nÕest plus ce quÕelle était sans compter que ses administrés nÕhésitent plus à le traduire en justice en cas de grave pépin pouvant mettre en cause la municipalité. Cette crise nÕest pas sans rappeler celle qui touche le corps enseignant, en particulier les instits.
 

Cette crise touche la base de lÕEtat Nation. Elle effraie ponctuellement la classe politique qui a obtenu depuis sa création sa légitimité grâce à ce pouvoir local. Pour devenir député, ministre, à moins dÕêtre un technocrate dans un domaine essentiel (santé, économie, recherche scientifiqueÉ), il nÕy avait pas dÕautres solutions que de passer par le statut de maire dÕune grande ville, dÕune ville moyenne ou tout simplement dÕun bourg, première marche obligée dÕune carrière politique.

Mais, tout laisse à penser que dans cette période de refonte des échelons hiérarchiques de la démocratie représentative dans le cadre supra-national de lÕEurope, la classe politique saura trouver des remèdes juridiques (limitant la responsabilité juridique des maires), financiers (augmentation des indemnités), politiques en intégrant en son sein les bonnes volontés réformatrices (faire participer les associations à leur gestion), structurelles en diminuant à terme le nombre dÕélus locaux de proximité dans le cadre de lÕintercommunalité.

Dans un futur très proche, la commune va disparaître comme entité de base. Ce sera «le pays» en zone rurale, «les communautés dÕagglomération» en zone urbaine. Tous les projets élaborés depuis 1980 sous le label de la «décentralisation» vont dans le même sens. LÕEurope a besoin dÕune autre structuration : «LÕagglomération» ou «le pays» à la base, puis la région comme structure intermédiaire, en concurrence les unes par rapport aux autres. En France, à terme, les départements et les communes traditionnelles ne seront plus que des structures en voie dÕextinction, réduites à leurs plus simples fonctions administratives, qui ne nécessiteront peut-être même plus dÕélus spécifiques.

La démocratie participative

Le concept de la démocratie participative fut porté en France dans les années 60 par le gaullisme qui avait le souci de rechercher constamment une certaine symbiose entre le pouvoir dÕEtat et les électeurs.

Contrairement à ce qui est dit très souvent la démocratie participative nÕest pas une réponse visant à limiter lÕabsentéisme, elle est dÕailleurs apparue bien avant la montée de lÕabsentéisme électoral et elle ne sÕadresse pas à la fraction de la population qui est amenée à sÕabstenir ; elle sÕadresse justement aux électeurs/électrices qui votent mais qui par ailleurs participent à la vie locale en étant responsables dÕassociations à but non lucratif dans des domaines les plus variés. Ces associations sont très intéressées par le pouvoir local pour des raisons matérielles et financières. Elles ont besoin de subventions si modiques soient-elles, de salles, de locaux permanents. Ses responsables sont généralement des personnes ayant ou se donnant du temps disponible.

De plus elles connaissent beaucoup dÕautres personnes, elles brassent énormément dÕinformations locales dans leur domaine et peuvent être porteuses de revendications réalisables au niveau municipal. Elles sont indispensables à LÕEtat Nation et pour tous ceux et toutes celles qui veulent conquérir ce pouvoir représentatif à sa base. CÕest ainsi que les responsables associatifs reçoivent du courrier des édiles dont la fréquence augmente en période électorale, sont sollicités pour donner leur avis sur tel ou tel sujet É

La classe politique a tout intérêt à faire participer ces personnes-relais afin quÕelles donnent leur avis. Cela lui permet de prendre le pouls de ses sujets/électeurs, de leur piquer éventuellement des idées pour ses programmes électoraux, de recruter de futurs élus de base pour sa chapelle et aussi dÕavoir des interlocuteurs représentatifs qui dans leur association spécifique reproduisent très bien la délégation de pouvoir. CÕest ce quÕon appelle sÕimplanter!

Ce type de démocratie participative est aujourdÕhui prônée par quasiment toute la classe politique, de la droite à lÕextrême gauche (LCR car Lutte ouvrière reste sur les schémas traditionnels du centralisme démocratique) et il suffit de regarder le contenu formel de toutes leurs propositions pour sÕapercevoir que la participation quÕils sollicitent des électeurs est strictement du même tonneau.

Cette démocratie participative a des fonctions précises : garder ou conquérir un pouvoir local et perpétuer le système de délégation de pouvoir.

Mais il y a un autre type de démocratie participative, celui qui émane non pas du pouvoir mais des gens regroupés le plus souvent dans des associations les plus diverses qui revendiquent, luttent pour ou contre telle ou telle chose. Là, nous sommes dans une situation de lutte, donc différente de la précédente. Ce type est dÕailleurs antérieur au précédent, on peut même affirmer quÕil a contribué largement à donner naissance à la démocratie participative pratiquée aujourdÕhui par la classe politique. Dans lÕaprès 68, on utilisait un autre vocabulaire : «LÕautogestion» ! Il y a eu des tas de «mairies frappées dÕautogestion» (1) où des associations dÕhabitants ont gagné des réalisations concernant lÕurbanisme, lÕaménagement de la cité en faisant céder le pouvoir ou en participant à celui-ci dans les municipalités concernées. Ces mouvements ont eu (et peuvent avoir encore ?) des aspects intéressants dans les formes de lutte collective (certains nÕhésitant pas de parler de démocratie directe) mais aussi dans leurs réalisations concrètes. CÕest du réformisme, du vrai, qui a son utilité so-ciale. A cette époque, certains rêvaient que cette «autogestion» se généralise à tous les aspects de la société faisant ainsi disparaître le capitalisme. CÕétait du rêve car ces formes autogestionnaires ne sÕattaquaient pas aux fondements même du capitalisme, et comme tout réformisme, permettaient à celui-ci de sÕadapter et de se modifier pour mieux perdurer. Le problème nÕest pas de savoir si nous devons faire ou non du réformisme, à un niveau ou un autre nous en faisons tous, mais dÕanalyser :
? Ce qui peut être porteur de rupture avec la domination au sens large comme ce qui peut être intégrateur.
? Pourquoi on gagne sur telle ou telle revendication et pourquoi on perd sur telle autre.

Dans le cas de la démocratie participative des années 70, ces pratiques « autogestionnaires » existaient déjà parce que la gauche était exclue du pouvoir central aux mains du gaullisme ou de la droite (de 58 à 81). Quand en 1981, MITTERRAND , le PS et le PC obtiennent enfin les rennes de lÕEtat, ils se font élire entre autre grâce à tout ce mouvement associatifÉ. Et ce mouvement va lui donner une partie de ses futurs élus de base et va rapidement quasiment disparaître car il sÕest institutionnalisé. CÕétait logique, dÕautant plus quÕil était porté par des nouvelles classes moyennes exclues à cette époque du pouvoir et qui finalement y aspiraient profondément.

LÕintégration est la plus grande force du système capitaliste et de lÕune de ces formes de gestion (car la dictature en est une autreÉ) : la démocratie représentative.

Le théoricien américain Murray BOOKCHIN veut répondre à ce problème qui a fait sombrer ce que beaucoup ont appelé la Nouvelle gauche dans les années 70 en donnant au départ à un mouvement de « municipalisme libertaire » un but global dÕune nouvelle société, but dont il ne faudrait jamais sÕécarter...

Un bref aperçu du « municipalisme libertaire » de BOOKCHIN

Cela fait partie dÕun tout, cÕest à dire dÕun nouveau projet de société. Ce projet part dÕun constat : La crise écologique limite de façon dramatique les choix que nous pouvons faire pour notre propre avenir :
Ñ renverser lÕordre établi pour réaliser une société écologique et libertaire abolissant la domination de lÕhomme sur lÕhomme et de lÕhumanité sur la nature.
Ñ ou régresser en tant quÕespèce.

BOOKCHIN est connu pour avoir donné un contenu au concept de «lÕécologie sociale». Il a développé des critiques fondamentales concernant lÕécocapitalisme, lÕintégration des partis Verts aux institutions des Etats Nation, le mysticisme dÕun certain mouvement écologiste (les fondamentalistes) qui fait de lÕécologie une religion. Pour lui, une société écologique ne pourra être que non hiérarchisée, donc sans classes, ni Etat. Pour cela, il faut revenir aux fondements de lÕanarchisme. Le but est bien défini comme étant le renversement du capitalisme et son remplacement par une nouvelle société écologique fondée sur des relations non hiérarchiques. Sa dénonciation de la hiérarchie est globale et revêt toutes les formes de domination (sociale, patriarcale, culturelleÉ).

Pour arriver à ce type de société, BOOKCHIN ne croit plus à lÕinsurrection prolétarienne ni même à toute confrontation armée Ñ même faiblement Ñ avec un Etat nation moderne qui a tous les moyens dÕécraser tout mouvement porteur dÕun tel projet de société. Pour ce faire, il ne reste plus quÕà passer par un processus très lent reposant sur une éducation politique se développant à travers une participation politique construite autour de lÕétablissement de contre-institutions sÕopposant au pouvoir de lÕEtat nation. Son cadre dÕaction concret ne peut être que la commune, la municipalité. Pour lui, lÕorganisation des hommes au sein de cités dans certaines sociétés antérieures au capitalisme (dans des villes de Mésopotamie, dans la Grèce antique, dans les bourgs médiévaux, É), malgré leurs nombreuses imperfections, ne se résumait pas à des techniques de gestion de la société mais était un véritable mode de vie suivant des principes éthiques et rationnels conformes à certains idéaux de justice et de bien-être. Cette amorce dÕune réelle citoyenneté fut par la suite détruite par lÕavènement des Etats nations où la gestion des affaires publiques est devenue le domaine exclusif des politiciens et des bureaucrates. Il prône donc une politique, en dehors de lÕEtat et des partis, dont la cellule véritable serait la commune, soit dans son ensemble si elle est à lÕéchelle humaine, soit à travers ses différents quartiers. CÕest à travers la commune que les gens peuvent se transformer eux-mêmes en devenant un corps politique novateur créant une véritable vie civique vitale. Bien sûr, la forme dÕorganisation non hiérarchique, la démocratie directe, est décrite avec ses coordinations dÕassemblées populaires à travers des délégués pourvus dÕun mandat impératif, soumis à rotation, révocables à tout moment. Cette conception municipaliste repose sur la conviction que chaque citoyen doit être considéré comme compétent pour participer directement aux affaires et devrait être encouragé pour le faire. Quant à lÕéconomie, BOOKCHIN propose une municipalisation de la propriété des moyens de production opposée aux traditionnelles privatisations ou nationalisations pour en arriver à une approche différente de lÕéconomie. La fameuse maxime « de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins » se trouverait institutionnalisée comme une dimension de la sphère publique.

CÕest un résumé très succinct dÕun des textes de BOOKCHIN extraits de «From Urbanization to Cities», traduit par Jean VOGEL pour la revue Articulations,publié par Alternative Libertaire belge dans son numéro dÕété 2000, par la revue Silenceen octobre 2000É ; cÕest apparemment le texte référence des partisans actuels du municipalisme libertaire.

Mais BOOKCHIN a depuis semble-t-il évolué en proposant, dès aujourdÕhui, une participation libertaire à la vie et à la gestion municipale. Il propose même dÕutiliser les élections municipales pour en faire un moment dÕéducation populaire (alors quÕil disait auparavant le contraire), de constituer des assemblées populaires et de se présenter à des postes électifs afin que naissent des municipalités libertaires où règnerait évidemment la démocratie directe. Toute dérive serait évitée par un programme clair dont lÕobjectif final serait la destruction de lÕEtat !

Quelques objections de fond

BOOKCHIN critique très bien lÕEtat nation, les partis politiques qui ne sont que des répliques de lÕEtat, la démocratie représentative. Ce qui choque cÕest quÕil réduit cette démocratie représentative à son seul aspect parlementaire. Cela signifie-t-il quÕaux USA les municipalités auraient une marge dÕautonomie vis à vis de lÕEtat quÕelles nÕont pas en France, en Europe, telle que des libertaires puissent sÕen servir comme dÕun levier afin de balayer lÕEtat et le capitalisme ? On peut en douter !

Ensuite, ce qui est étonnant cÕest cette démarche menant à une société nouvelle faite de petits pas (très formels dÕailleurs) se déroule sans affrontements avec les tenants du régime parlementaire, comme si tout pouvait se passer en douceur, sans révolution (mot que BOOKCHIN a banni de son répertoire). Ce nÕest pas très sérieux, on nage en plein idyllisme, un peu à la mode Proudhon, voici 150 ans, avec la multiplication de ses coopératives qui allaient étouffer le capitalisme naissant. Le plus drôle cÕest quand il veut donner des exemples prouvant que son projet de société est réalisable, il cite « la Commune de Paris », « la Révolution en Espagne en 1936 »... des évènements où, cÕest le moins que lÕon puisse dire, les affrontements armés étaient omniprésents et avaient impliqué une réorganisation collectiviste de la société. Non, il est impensable quÕun changement radical de société se fasse sans un certain degré de violence, sans une «lutte armée» incluant toute une panoplie de méthodes de lutte comme la désobéissance civile, le sabotage, lÕattentat cibléÉ même si lÕune des priorités de ce mouvement révolutionnaire sera dÕéviter toute dérive militariste car la fin ne justifie pas nÕimporte
quel moyen.

Maintenant, en remettant en cause la centralité des rapports de classe dans la société, il en vient à ignorer la lutte des classes dans tout son processus révolutionnaire. LÕexpérience de la démocratie participative à Porto Alegre au Brésil à lÕinitiative et sous la direction politique du Parti des travailleurs (qui comprend, entre autres, des trotskistes) nous le montre bien. Comme le prouve un très bon article de Paul BIONO (2) : Quelle classe sociale a les moyens de participer à une telle expérience de démocratie participative dans la société actuelle en lÕabsence de mouvements sociaux globaux remettant en cause tout le système ? Les classes moyennes en recherche dÕun pouvoir sur leur vie quotidienne ! Que cette expérience soit menée par des trotskistes nÕy change rien. Le système de domination a bien rodé, depuis plus dÕun siècle, toute une panoplie lui permettant dÕintégrer socialement, économiquement, politiquement, la majeure partie de cette classe intermédiaire (tout du moins dans nos sociétés occidentales) comme il lÕa fait pour le syndicalisme.

Parions quÕun tel mouvement « municipalisme libertaire », sÕil naissait, éclaterait rapidement et que des franges de celui-ci sÕintègreraient dans le paysage politicien lui redonnant éventuellement un nouveau souffle «participatif». Si les Verts (allemands et autres) se sont rapidement intégrés, ce nÕest pas seulement à cause de leur projet de société, mais cÕest aussi à cause des moyens institutionnels utilisés (la démocratie représentative, pas seulement parlementaire), leur absence de contenu de classe, leur absence dÕappréhension et de prise en compte de toutes les facettes de la domination.

Ce qui est absent dans les théories de BOOKCHIN cÕest bien la notion fondamentale de mouvement et sans mouvement les gens ne peuvent que reproduire très majoritairement lÕidéologie dominante ; seule une infime minorité qui a acquis une certaine contre-culture grâce à son éducation, ses rencontres, ses échanges dans des mouvements sociaux antérieurs auxquels elle a participé, Ñ peut être porteuse de projets allant à contre-sens de la domination. Mais il ne faut jamais oublier que cette infime minorité est la plus exposée à lÕintégration, sous une forme ou sur une autre, par le système dominant.

Le problème cÕest que ce type de mouvement ne se décrète pas, il nÕest pas non plus imprévisible si ce nÕest pour les politiciens et idéologues car il est une réponse logique à un certain nombre de facteurs convergents dans une période donnée. Je ne mythifie pas le « mouvement social », tout ce que je sais cÕest que ce nÕest pas lÕaddition de militants associatifs, politiques, intervenant sur le chômage, le logement, lÕimmigration, les droits, la mal-bouffe, É Il ne faut pas nier leurs éventuelles influences positives comme les éventuels freins dont ils seraient et sont bien trop souvent porteurs.

Un processus révolutionnaire ne pourra véritablement sÕenclencher lorsquÕune importante mino-rité agissante n'aura rien à perdre et surtout tout à y gagner ! Que les pessimistes rentrent chez eux car cela cÕest déjà produit dans lÕHistoire humaine et cela se reproduira nécessairement demain ou après-demain, ici ou ailleurs, en espérant que le « ailleurs » sera aussi le « ici », et réciproquement, car nous ne pouvons plus raisonner en dehors de lÕéchelle planétaire.

Et aujourdÕhui, que fait-on ?

Il ne sÕagit pas dÕattendre quÕun réel mouvement social porteur dÕun nouveau projet de société (qui ne soit pas une autre version du capitalisme) veuille bien sÕenclencher. DÕailleurs ceux qui se contentent dÕattendre ne voient généralement rien venirÉ même quand çà vient !

Il ne sÕagit pas non plus de réciter des schémas pré-établis, prêts à porter fussent-t-ils libertaires. LÕHistoire peut bégayer, elle peut aussi sÕemballer. La seule chose dont nous sommes sûrs cÕest quÕen certaines périodes des mouvements tendent vers lÕauto organisation non pas par idéologie mais par nécessité, par efficacité au regard du contenu rupturiste dont ils sont porteurs.

Se pose donc le problème de lÕintervention des minorités agissantes qui peuvent avoir une réelle influence positive ou négative (tout dépend de quel point de vue on se place) sur certains mouvements sociaux quand ceux-ci se manifestent. Il y a toujours eu et il y aura toujours deux grandes tendances :

Ñ Celle qui ne conçoit pas autre chose que de se servir des institutions existantes. Cela peut passer par la recherche dÕune prise de pouvoir dÕune structure
politique qui va du plus bas de lÕéchelle de la démocratie représentative au sommet (hier et au-jourdÕhui de lÕEtat nation, demain de toute structure
supra-nationale). Mais cÕest aussi la recherche dÕune prise de pouvoir dans toutes les structures syndicales, associativesÉ qui respectent le cadre façonné par le système dans ses fonctions dÕintégration et de récupération. Les moyens de cette pratique allaient traditionnellement de lÕentrisme institutionnel plus ou moins caché, à la prise autoritaire dÕun pouvoir structurel. Maintenant avec la crise du militantisme politique ou syndical et plus globalement la progression de la dépolitisation, un militant dynamique, quelque soit son étiquette, peut acquérir, sÕil le désire, de « hautes » fonctions représentatives au niveau politique, syndical ou associatif...

Ñ Celle qui considère que les institutions existantes sont à combattre et que si nous sommes amenés à participer à lÕune dÕentre elle ce ne sera pas pour y prendre un quelconque pouvoirÉ ni surtout pour se faire des illusions sur lÕéventualité de la transformation de cette institution en une arme contre le système qui lÕa créée. Cette tendance peut être amenée à créer des «alternatives» qui peuvent dÕailleurs se transformer, dans le temps, en de nouvelles institutions du système. Nous ne devons jamais oublier quÕune «alternative» peut être simplement une bulle de liberté pour quelques personnes privilégiées dans un domaine et un lieu donnésÉ En fait les seules alternatives qui doivent retenir notre attention sont celles qui sont amenées directement à être, aujourdÕhui ou demain, des outils sur un terrain de lutte, à entrer en conflit avec lÕinstitutionnel.

En fait à lÕOCL nous avons toujours été dans cette deuxième tendance mais il y a toujours eu des militant-e-s se réclamant de lÕanarchisme dans les deux tendances, de 36 en Espagne aux derniers mouvement sociaux (même si lÕampleur nÕest pas la mêmeÉ). Il nous est arrivé bien des fois dÕêtre dans un autre camp que celui dÕautres communistes libertaires qui avaient choisi lÕinstitutionnel contre lÕautonomie dÕun mouvement.

Maintenant, nous devons nous méfier de ceux et celles qui jettent aux orties ce quÕils ont jadis adoré. En effet, dans le municipalisme libertaire le lieu dÕhabitation est considéré comme étant le lieu exclusif dÕune pratique pouvant amener une autre société avec justifications historiques citoyennes à lÕappui ; les autres lieux dont celui du salariat, de lÕexploitation capitaliste, nÕexistent plus ! Etrange pour un contenu anticapitaliste, à moins que la forme, la démocratie participative anti-chambre de la démocratie directe, ne devienne un but en soi. Et je ne vois pas là-dedans le contenu dÕun nouveau projet de société pourtant esquissé par BOOKCHIN dans dÕautres parties de ses écrits. Il me semble que les partisans du municipalisme libertaire dans le cadre de notre société actuelle soient bien pâles, et un noir et rouge pâle cela donne quoi ?

Alors que peut-on faire en dehors de tout mouvement social ? Des tas de choses et surtout pas se présenter à une quelconque élection de leur démocratie. On peut lire, analyser, rencontrer des gens qui luttent ici ou ailleurs, échanger, participer à de réelles alternatives, bouger, se solidariser, lutter au quotidienÉ en dÕautres mots : se politiser dans le réel.




Denis, OCL Reims, janvier 2001

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Tél. / fax : 03 88 32 37 52
Minitel : 3614 chez*ocl

1. « Mairies frappées dÕautogestion », Christophe WARGNY, Débattre, n°10.
2. « Le cas de Porto Allegre au Brésil », Paul BIONO, hors série du Monde Libertaire n° 14, printemps 2000
BIBLIOGRAPHIE
1 ¥ Le cas de Porto Allegre au Brésil,Paul Biono. Hors-série du Monde Libertairen° 14, printemps 2000 ; repris par Alternative LibertaireBelge n° 230, été 2000, puis par Silenceen novembre 2000.
2 ¥ Ont publié un dossier sur le « municipalisme libertaire » :
? Alternative Libertaire belge, été 2000, 20 FF, B.P. 103, 1050 Ixelles 1, Bruxelles ;
? La Griffe, no 16, 15 FF, 5 rue Sébas-tien Gryphe, 69007 Lyon ;
? Silence no 263, novembre 2000.
3 ¥Vous pourrez lire :
? Un nouvel article qui devrait paraître dans le prochain numéro de la Griffe intitulé : « Non, le municipalisme libertaire nÕest pas lÕavenir de lÕanarchie ! » ;
? « Mairies frappées dÕautogestion » de C. Wargny (1978) paru dans la revue « Débattre » dÕAlternative Libertairefrançaise, n°10, printemps 2000, 25 FF, B.P. 177, 75967 Paris cedex 20.
4 ¥En ce qui concerne Bookchin :
? Contacter lÕAtelier de Création Libertaire, B.P. 1186, 69202 Lyon cedex 01, qui a édité Une société à refaire en 1992 et qui doit rééditer Pour un municipalisme libertaire ;
? Les écrits de Bookchin sont diffusés par : lÕInsti-tute for Social Ecology, P.O. Box 89 Plainfield, Vermont 05667 USA. E-mail : ise@igc.org