Freddy Gomez | Variations sur une protestation avortée | Le Monde libertaire,HS n° 23 (été 2003) |
CNT-AIT | Les ficelles de la République | Edito du Combat Syndicaliste |
TEMPS CRITIQUES | Contre le Capital: Assaut ! | Temps Critiques — (Juin 2003) |
ÉCHANGES ET MOUVEMENT | Que dire d'un mouvement multiforme ? | Échanges et Mouvement |
TEMPS CRITIQUES | Qualifier la grève pour catalyser les luttes | Temps critiques — (juillet 2003) |
S.I.A. de Caen | Une défaite prévisible... | Solidarité, juin 2003 |
Christophe Bitaud | Chronique d'une trahison annoncée | L'Anarcho-Syndicaliste n°86 —Sept.2003 |
Pierre | Un aspect de l'offensive capitaliste | Le Monde libertaire HS n°23, été 2003 |
Collectif anarcho-syndicaliste «La Sociale» | Retour sur le mouvement | LMSL, Octobre 2003 |
Virginie Benito | LA CGT et les grèves | Le Monde libertaire(13/19 nov. 2003) |
Ramon | Encore une louche ! | LMSL, novembre 2003 |
Sam (CNT Education) | Tirer les leçons de l'échec de juin pour gagner | LMSL, septembre 2003 |
Camille et Christophe (OCL Reims) | A propos de la grève générale | Courant alternatif n° 134 - décembre 2003 |
Sam (CNT Education) | Quelle démocratie pour quel syndicalisme ? | LMSL,décembre 2003 |
CNT-AIT | Jésuitisme syndical suivi de
Les inc'oyables et les Me'veilleux |
Actualité de l'anarcho-syndicalisme |
«Tous ensemble, tous ensemble...»«Qui se met en chemin et se trompe de route ne va pas où il veut, mais où le conduit la route.»
Errico Malatesta
On aura tout vu et tout entendu en ce printemps : la sereine inconsistance d'un Thibault occcuper les écrans de contrôle social d'un quelconque «20-heures» en brandissant d'inaudibles menaces de grève reconductible ; les rodomontades obligées d'un Blondel jouant sans conviction et sans rire sa partition lamberto-keynésienne ; la pitoyable prestation d'un Chérèque faisant de son prompt ralliement à la contre-réforme des retraites la preuve ontologique du sauvetage du système par répartition ; les bredouillages d'Aschieri, soutenant du bout de la langue ses ouailles en les mettant en garde contre le boycottage des sacro-saints examens ; les sempiternels usagers de leur triste survie se prendre pour d'héroïques otages ; les menteurs du social-libéralisme à la rose se rappeler à leurs électeurs de gauche ; les chiens de garde appointés du PPA (Parti de la presse et de l'argent) lécher la main de leurs maitres ; les héroïques grévistes d'un jour s'imaginer que la grève conduirait à la victoire finale ; Besancenot défiler déguisé en facteur de base ; l'extrême gauche du capital clamer ses dernières certitudes ; de pacifiques anars se faire tabasser par quelques barbares du SO de la CGT. On aura tout vu et tout entendu, et de ce vacarme il restera d'abord ceci : la principale leçon de cet équivoque printemps, c'est qu'un mouvement social s'est trouvé méthodiquement conduit dans une impasse, et d'abord par des organisations syndicales transformées en tour-opérateurs de la contestation canalisée. De cortège en cortège, l'apparence du mouvement chassait le mouvement réél et les «damnés de la terre» usaient leurs semelles en serrant leurs poings. En somme, la manif ouvrait la rue, mais bouchait la perspective. Il suffisait d'attendre la suivante. Jusqu'à épuisement... Nous y sommes.Pour être dans la ligne, il faudrait s'arrêter là, mais ce serait bien sûr trop simple. On pourrait, en effet, jouer les affranchis en plaçant l'épisode qui nous occupe en queue d'une longue série de trahisons bureaucratiques, la énième et la dernière en date, et se contenter de l'explication. En somme, c'était couru, parce que c'est toujours comme ça. L'avantage de l'assertion est certain : quand l'histoire se répète, les mêmes causes produisent les mêmes effets et, éternellement, la base — par définition, innocente — est victime de ses chefs. Admettons-le, pour être encore dans la ligne, même s'il n'est pas interdit de penser que la base, les bases plutôt ont souvent les dirigeants qu'elles méritent, et que cette dichotomie réductrice ne permet pas de comprendre une réalité autrement plus complexe, et probablement plus sombre.
À l'heure du bilan, on lit ici ou là que la CGT — entendons par là le premier cercle de son appareil — aurait refusé le combat frontal parce qu'elle aurait admis que, faute de pouvoir le contrôler, la défaite sur les retraites était préférable au risque de la généralisation d'un conflit social aux conséquences imprévisibles pour elle. Il fait peu de doute que, fantasme du débordement aidant, un tel calcul ait pesé dans la mise en place par la centrale de Thibault de ce dispositif de grève non-grève noyée dans la répétition de longues marches ponctuant davantage les progressives étapes de son extinction que les points forts d'un conflit réellement absent. Il n'en demeure pas moins que sa base — la seule qui comptait au demeurant, la seule qui faisait nombre aussi, si l'on excepte les personnels de l'éducation — s'y plia sans enthousiasme, mais sans trop rechigner, consciente au fond que la force de l'habitude suppléerait sans gloire à la capacité mobilisatrice de la lutte syndicale d'un jadis aboli. Elle aura marché pour la victoire jusqu'à la déroute finale.
Car le fait est là, incontournable: hormis quelques escarmouches, la base — entendons par là la base militante et non la consentante multitude —, cette base qu'un certain gauchisme (y compris libertaire) continue de déréaliser pour mieux la mythifier, n'a finalement opposé à ce nouvel épisade d'un massacre social planifié en haut lieu que ce qu'elle a pu trouver dans son pauvre havresac d'arpenteuse de bitume, quelques illusions de résistance et quelques poussières de radicalité. D'ici on ne lui jettera pas la pierre. Se battre est devenu si problématique que le moindre sursaut est désormais héroïque. «Aujourd'hui dans la rue, demain on continue» n'était en somme que l'expression d'un impossible désir.
I1 y a en France deux salariats : un «salariat à droit de grève» et un «salariat sans droit de grève». Le premier, affaibli mais encore vaillant, se regroupe autour des derniers bastions d'un secteur public d'abord mobilisé pour la légitime défense de ses acquis. Son «privilège» essentiel, assurément archaique pour nos modernes adorateurs de la dérégulation, c'est de pouvoir peser encore dans le rapport de forces. Le second salariat, morcelé, individualisé, flexibilisé, précarisé, sous-syndicalisé, a perdu, lui, jusqu'au droit de se battre. S'il fait grève, désormais, c'est non en s'abstenant de travailler, mais en se gardant de trop râler contre un train qu'on attend, « par procuration», comme disent les gazettes, c'est-à-dire virtuellement, par public interposé, traînant les pieds mais humant, parfois même avec bonheur, un air chargé de revanche sociale. L'hiver 95 révéla ce paradoxe : plus la grève durait, plus ses «otages» en redemandaient. Sept ans plus tard, la leçon fut tirée. Méthodique, Fillon tapa où il fallait et se garda bien, contrairement à Juppé, de se payer d'abord les régimes spéciaux. On attendra. Et le piège fonctionna, sinon pleinement, du moins suffisamment pour que, abandonné à son triste sort, le «salariat sans droit de grève» n'eût pas même, cette fois-ci, l'illusion d'exister comme partenaire passif d'un mouvement d'ensemble. Le «salariat à droit de grève» ne le porta que sporadiquement, ce mouvement, malgré le bel entêtement de certains de ses acteurs, minoritaires avec constance.
Réduites à gesticuler pour faire accroire qu'elles s'opposeraient avec toute la détermination nécessaire à la contre-réforme sur les retraites, les bureaucraties syndicales cherchèrent obstinément, et ce dès le début de ce pseudo-conflit, une porte de sortie. Il fut un temps où on la leur aurait offerte sans barguigner, à charge pour elles de «suspendre» le mouvement en convainquant ses protagonistes que la partie était terminée et qu'il fallait retourner au chagrin. Le problème c'est que, cette fois-ci, il n'y avait pas grand-chose à suspendre, hormis le simulacre d'une bataille sociale non menée. Confortablement élu il y un an — et d'abord par ceux-là mêmes qui, an après, exigeaient sa clémence —, l'«antifasciste» et «anti-impérialiste» Chirac pouvait la jouer ferme et, par ministre interposé, leur donner l'estocade au nom des intérêts supérieurs de la nation et du marché universel. Le déshonneur se paye longtemps et à crédit.
Parler, dans ce contexte, de « trahison », c'est sans doute prendre le risque de se tromper d'époque, car, pour trahir un mouvement social, il faut d'abord le mettre en branle et l'amplifier. On ne trahit pas ce qui n'existe qu'à l'état de théâtre ou d'abstraction. S'il est une leçon à tirer de ce printemps, c'est bien celle-là : la trahison suppose la capacité de paralysie, et c'est précisément elle qui a manqué, contrairement à décembre 1995, non tant parce que les bureaucraties syndicales l'ont refusée, mais parce qu'elles ont été incapables de l'organiser. Le pragmatisme de la CGT indique d'abord cela. On est en droit de penser qu'elle eût préféré pouvoir l'organiser, cette mythique grève générale pour mieux trahir à son heure, mais elle en est désormais incapable. Et elle le sait. Dorénavant, elle ne fait pas mieux que les randonneurs «altermondialistes». Comme eux, elle conglomére des foules. Quant au reste, elle n'a plus qu'une très faible prise sur un champ social remarquablement dévasté.
Reste à tenter de comprendre ce qui s'est joué sur la scène de ce paradoxal printemps et d'en déceler quelques signes apparemment prometteurs. Quiconque a battu le pavé en ces jours de rituel social a pu sentir, par exemple, la charge de rancœur qui montait des cortèges, cette sourde envie d'en découdre qui chargeait l'air, une évidente combativité. Non qu'il faille, là encore, mythifier une base — encore très largement contrôlée par ses appareils et confiante en leurs capacités —, mais simplement constater qu'un authentique désir de résistance l'habitait. Cette résistance, les personnels de l'éducation nationale l'incarnèrent davantage et beaucoup moins symboliquement que d'autres. Les formes organisationnelles qu'ils donnèrent à leur mouvement, la dynamique qui le caractérisa, la volonté que manifestèrent les grévistes de l'élargir en sortant du cadre purement corporatif furent autant d'éléments d'une prise de conscience des enjeux réels du combat. Porté essentiellement par de jeunes profs dont c'était souvent le premier conflit sérieux, il sut, dans un premier temps, se passer des structures syndicales, puis s'en défier quand elles se mirent en branle, même si, in fine, il céda une fois de plus à cette illusion tenace qui veut que la base se batte et que les bureaucrates négocient. Avec les pitoyables résultats qu'on sait. Avec la rage au ventre quand la division règne et qu'elle annonce la fin de partie.
Au fond, tout porte à croire que ce printemps 2003 laissera une autre trace dans la longue mémoire des défaites ouvrières. I1 aura prouvé en tout cas que le syndicalisme réformiste — dont la légitimité reposait pour une large part sur sa capacité de mobilisation n'avait plus les moyens de ses ambitions. La seule perspective qui s'ouvre désormais à lui c'est, à l'exemple de la CFDT, de pousser sa mutation jusqu'à devenir un simple supplétif du système d'exploitation pour préserver au moins les intérêts particuliers de sa bureaucratie. Cette faillite n'ouvre pas mécaniquement l'espace, comme on pourrait le penser, à un syndicalisme clairement revendicatif, type SUD, ou résolument d'action directe, style CNT. Si, selon leurs forces, l'une et l'autre de ces organisations ont eu leur place dans le mouvement, elles n'ont à aucun moment pesé de fait sur le rapport de forces, se situant soit en position de suivisme critique par rapport aux syndicats traditionnels, soit en position purement incantatoire de mouche du coche. Derrière l'obligation d'optimisme qu'elles manifestèrent avec constance et naïveté tout au long de ce conflit se cache la confortable certitude véhiculée par un répétitif et très daté discours gauchiste : radicaliser les luttes et faire en sorte qu'on ne les trahisse point. Tant bien que mal, ce discours fonctionnait du temps que les citadelles ouvrières se mettaient en branle au signal convenu par les appareils.
Aujourd'hui que le «salarié sans droit de grève», tétanisé par le chômage et autodévalué, n'est capable, au mieux, que d'attendre que les autres se battent pour lui et que le «salarié à droit de grève» n'aspire qu'à défendre ses acquis, il tourne définitivement à vide. Car il s'obstine à croire en un prolétaire modèle, intégrable à son bréviaire et prêt à se battre, quand, depuis longtemps déjà, celui-ci s'est transmué en «usager» — des services publics ou des grèves — et que, le plus souvent, il se vit en «otage», non de sa propre exploitation, mais des perturbateurs qui dérèglent les horloges de sa survie. Cet esclave moderne, victime consentante ou passive, aucune organisation syndicale ne le trahira jamais, dès lors qu'il n'a même plus l'idée de résister à son malheur.
L'autre et dernière leçon de ce printemps, il serait peut-être bon de se l'appliquer ad horninem et d'admettre, ici, dans les colonnes du même Monde libertaire qui a vibré d'appels à une impossible grève générale, qu'aucune envolée lyrique ne brisera jamais la dure réalité des faits. Car ce n'est sûrement pas sur le terrain de la surenchère sans risque que la voix libertaire aura quelque chance de porter, un jour. Pour elle, il n'est que deux chemins possibles : celui de l'euphorie ou celui de la lucidité. Le premier est plus commode, c'est certain. Il cultive nos légitimes nostalgies et accable les autres de toutes les trahisons passées et à venir, sans s'interroger sur nos propres manquements. Le second, lui, est plus ardu. Il suppose de s'interroger sur le monde tel qu'il est devenu, de le rendre intelligible et d'en tirer quelques conclusions provisoires. Il en est une, désormais : cette grève introuvable que nous venons de vivre — et dont les derniers adeptes esseulés paieront au prix fort les pots cassés — indique, peut-être au-delà du nécessaire, qu'aucune protestation n'est en mesure de se passer aujourd'hui de la claire conscience de ce qu'elle veut et peut atteindre. Sur ce terrain, et celui-là seul, les anarchistes ont probablement un rôle à jouer, à condition de ne pas céder à la facilité, à la démagogie et au mythe. Cette triste époque ne permet plus les subterfuges. Il faudrait enfin l'admettre, car nous n'en sommes qu'au début. Non de la lutte finale, mais d'une catastrophe programmée.
Ce texte s'adresse avant tout aux stratèges de la défaite, aux spécialistes de l'abandon comme aux doux rêveurs de l'autogestion pacifiste. Lorsque la rue se peuple de banderoles syndicales, les voilà tout en joie, parlant de futurs enchantés demain-matin-dès-l'aube promis et de révolution de velours, le pouvoir rendant les armes et la caisse au moindre grincement de dents du prolétaire, c'est bien connu.Mais au moindre bruissement de négociation ou de danses de Grenelle syndicales, les voilà qui pleurent l'espoir envolé et la révolution perdue dans les couloirs télévisés des assemblées. «Faisons la grève avant les exam» recommandait l'étudiant si FIDEL, soucieux de ses lendemains de cadre au soleil éternel du libéralisme et de ses vacances. A croire que la sociale est affaire d'emploi du temps, de météo ou de slogan mobilisateur.
Certes, les manifs populaires et multicolores valent mille fois le silence et la grisaille du quotidien, mais on est loin de la révolte.
La révolte, elle commence tout juste lorsque la manif dérape ou s'entête, quand les organisations syndicales nous disent de rentrer nous coucher parce que l'on bosse le lendemain et que quelques-uns leur répondent que demain c'est repos, c'est regrève. et que les autres, tous les autres applaudissent. Au fond, au risque jouissif de décourager à jamais les chantres de l'abandon, les manifs du moment ne sont qu'un des outils de gestion de la paix sociale. Après les manifs syndicales, il y a les négociations avec spectacle, poing sur la table et jeux de chaise musicale. Si cela ne suffit pas, il y a la consultation populaire, le débat des élites sur le fond, le référendum, le changement de gouvernement, les élections législatives ou présidentielles s'il le faut. On pourrait les appeler les ficelles de la république. Après, si vraiment tout cela ne suffisait pas, il y a la force avec toutes les variantes que l'on connaît, de la provocation à l'occupation et la répression militaire. La république ne manque pas d'instruments de manipulation pour renvoyer les petits au boulot et les grands aux assemblées.
Lorsque l'on repose les pieds sur terre et que l'on ne se rêve pas en Bakounine de fanfare (Bakounine ! Au fait, combien d'années de zonzon ?), on vit ces manifs comme des brèches, comme des instants privilégiés où les gens, décadenacés du boulot et du quotidien marchand, ouvrent leurs oreilles et leur parole, redeviennent davantage solidaires, inventifs, critiques, partageurs. Ce sont des moments où nos idées pour un monde fraternel peuvent être entendues et partagées. Ce sont aussi des moments où nos pratiques de l'action directe et de la démocratie directe peuvent être mises à l'épreuve.
Mais attention, pas de mistoufle, pas d'arnaque. Ce que l'on a à dire et à faire concerne bien une critique globale et un changement radical de société et l'instauration d'un monde sans classe ni privilège.
Pour nous, le seul succès qui vaille serait l'abolition des retraites, du salariat, de l'Etat, des églises et l'émergence d'une organisation autogestionnaire, sans centralisme ni hiérarchie des tâches ou des fonctions.
Dans ces manifs, nous avons toute notre place, mais pas pour mendier une retraite moins miséreuse ou un maigre salaire à vie. Non, nous ce que l'on veut, c'est une vraie vie, sans salaire ni retraite, sans profit ni misère, avec du temps pour des tâches collectives, mais surtout toute la vie pour apprendre à vivre. Au final, dans ces manifs encadrées et gérées par le pouvoir syndical et policier, notre tâche est surtout de semer la rage et de rendre l'espérance. Eux s'en désolent, nous on la sème.
Comme Jospin répondant au mouvement des chômeurs de fin 1997 début 1998 en disant que la société doit être fondée sur le travail et non pas sur l'assistance [1], Raffarin, Fillon et le MEDEF nous disent aujourd'hui qu'il faudra travailler plus puisque nous vivons plus longtemps. Comment dire plus abruptement que le système de retraite n'est viable que tant que les individus n'en profitent pas ou peu longtemps ? Et effectivement, le système mis en place à l'orée des «Trente Glorieuses» fonctionnait sur un parfait cynisme : en dehors de la fonction publique et de ses régimes spéciaux, la retraite à 65 ans s'appliquait à des ouvriers (40 à 50% de la population active à l'époque) dont la durée de vie moyenne s'arrêtait aux alentours de 60 ans ! Pour beaucoup, «la mort au travail» était le seul mérite ouvrant paradoxalement au droit à la retraite [2]. La retraite devait se mériter par toute la peine du monde, même si la lutte séculaire pour l'abaissement du temps de travail pouvait aussi conduire à l'abaissement de l'âge de la retraite (passage à 60 ans en 1981). Mais aujourd'hui, dans le cadre de notre société vieillissante et hédoniste, la retraite apparaît comme la chance d'une nouvelle vie et non plus comme une récompense pour service rendu. La retraite désigne alors l'espoir d'une vie au-delà du travail dit socialement nécessaire et défendre la retraite revient à affirmer que le sens de notre existence ne se réduit pas à ce travail : nous voulons justement la retraite pour ne pas crever [3] au boulot. C'est un peu comme si la critique prolétarienne du travail amorcée dans les grandes luttes de la fin des années 60-70 mais déclinante à partir de la restructuration des rapports sociaux de la fin des années 70-début 80, s'était repliée sur la défense des retraites ; comme si le temps de la retraite permettait de prendre de la distance critique — et donc de combattre, mais combattre par défaut puisqu'on est devenu «inactif» — vis à vis cette activité professionnelle que le capital a attaquée non seulement en liquidant des masses de force de travail mais aussi en épuisant la centralité du travail.Dès lors, que nous dit le nouveau projet de réforme des retraites ? Qu'il faudra travailler plus longtemps ou alors accepter une diminution des pensions ou même, dans une version plus radicale : travailler davantage pour une retraite moindre. Dans tous les cas, il s'agit de prendre acte que le Progrès n'engendre plus forcément le progrès social [4]. Ce qui est masqué par ce discours, c'est la crise du travail et le discours du capital qui énonce que le travail est toujours au centre de la société alors que dans la pratique il le détruit de plus en plus. C'est en effet le même MEDEF qui pousse à la radicalisation de la réforme et qui exige à la fois le passage aux 40 annuités de cotisation et le développement effréné des systèmes de pré-retraite dans le secteur privé. Dans certaines branches, de grosses entreprises envisagent d'abaisser jusqu'à 50 ans [5] l'âge de départ de leur personnel, non seulement parce qu'elles ne veulent plus de la vieille force de travail, mais parce que celle-ci est partout surnuméraire. Tous les partants ne seront pas remplacés et le dégraissage se fera ainsi en douceur. Quand nous disons surnuméraire, c'est bien entendu par rapport aux nécessités de la valorisation qu'il faut le comprendre. Contrairement à ce que pensent Attac et tous les tenants du social contre l'économie, le capital n'a pas vocation à la philanthropie et quand il accorde des avantages, c'est toujours dans le cadre d'un certain rapport de force et devant la nécessité de reproduire les rapports sociaux qui l'engendrent. Si aujourd'hui, le rapport de force est si défavorable aux travailleurs salariés [6], ce n'est pas parce qu'une offensive des méchants néo-libéraux aurait été lancée contre eux depuis l'ère Thatcher-Reagan, mais parce qu'ils ne sont plus au centre du procès de valorisation. Si à certains moments (1979 et début des années 80) et en certains endroits (mines anglaises, sidérurgie française) cela a pu prendre l'allure du combat de classes, c'est qu'il s'agissait encore de réduire les dernières poches de résistance liées à l'ancien antagonisme de classe dans le procès de production.
La production de «richesses» dépend de moins en moins d'un travail vivant de plus en plus remplacé par le travail passé (le capital fixe : les machines, et les flux informationnels) et la valorisation se réalise toujours plus en dehors de la stricte sphère productive. C'est d'ailleurs pour cette raison que des voix s'élèvent parfois pour faire cotiser les machines quand elles remplacent le travail vivant. Ce n'est toutefois pas une solution capitaliste puisque cela reviendrait à limiter le processus de substitution capital/travail qui est à la base des gains de productivité. Une telle perspective nécessiterait au minimum une stabilisation du cycle actuel de croissance dans le sens d'un accroissement de la taille des marchés, limitant la guerre économique pour les parts de marché. Or nous sommes plutôt dans une phase déflationniste qui produit l'effet inverse.
Le travail a donc surtout, aujourd'hui, une valeur idéologique et disciplinaire : les métiers sont détruits et les emplois se multiplient quand même ! Si on entend par «travail humainement nécessaire», cette partie de l'activité humaine, évidemment coordonnée, qui permet la vie de l'espèce et son bien être, une fois un certain seuil technique atteint, celle-ci n'occupe plus qu'une partie assez limitée du travail effectif des individus, alors qu'on impose toujours plus de nouveaux types d'emplois au rôle principalement bureaucratique ou social ou directement répressif.
Alors qu'il existe déjà, au moins dans les pays dominants, tous les présupposés matériels et intellectuels pour une vie riche et agréable, le Pouvoir cherche à maintenir l'idéologie de la rareté et donc celle du travail [7] pendant que le capital s'évertue à créer de nouveaux besoins et à les transformer en produits, en emplois. Bien malin alors qui peut déterminer quel travail est vraiment encore nécessaire et il devient donc très facile de créer et détruire des emplois qui n'ont d'autres finalités que de permettre la reproduction des rapports sociaux par le traitement social du chômage et de «l'insécurité». On en a un exemple concret avec les «emplois-jeunes» qui ont partout été dénoncés à leur mise en place comme de faux emplois et qui sont aujourd'hui défendus par ceux-là même qui les critiquaient maintenant que l'État veut les supprimer. Il est impossible de sortir de ce genre de dilemme et donc d'une défense de principe de catégories artificiellement créées sans poser globalement la question du travail et donc du sens des activités humaines.
A la production pour la production de la phase progressiste du capitalisme (c'est le travail ou plus exactement la force de travail qui produit la richesse) a succédé la reproduction pour la reproduction dans laquelle c'est le sens même de l'activité qui se perd (c'est la richesse à qui on demande de produire des emplois comme le laisse entendre la ritournelle sur «l'entreprise citoyenne»). Alors à quoi rime ce théâtre de marionnettes où s'affichent gouvernement et syndicats discutant avec animation, mais méthode, pour savoir si 37,5 années sont suffisantes ou bien si, finalement, il en faut au moins 40 et à terme 42, alors que tous disent être d'accord sur la nécessité d'une réforme... dans ce cadre absurde d'un travail imposé au contenu de plus en plus flou, évanescent, voire insensé ?
Tous sont d'accord pour faire des efforts, à condition de les partager, tous sont d'accord pour assainir une économie «malade» alors qu'il est évident que la maladie est dans le système capitaliste lui-même. Comme à l'époque de Juppé et de la réforme de la Sécurité Sociale en 1995, comme en 2000 avec le dangereux provocateur Allègre, on nous ressort que c'est un problème de communication, que certains syndicats se disent choqués par la méthode, par les erreurs de Ferry car enfin, il y a manière et manière. On demande de vraies négociations alors que la «nécessité» de la réforme oblitère toute négociation en la transformant en de sinistres comptes d'apothicaires quant aux conditions de notre survie. Pour ne prendre qu'un exemple, quand les syndicats et le gouvernement discutent à perte de vue pour savoir si on ne pourrait pas faire un petit quelque chose pour ceux qui ont un travail dur et qui ont commencé à travailler à 14 ou 16 ans, on ne peut mieux exprimer combien l'extorsion de sueur et d'intelligence a peu servi à l'édification d'un progrès social dont on nous a pourtant rebattu les oreilles.
Il s'agit d'affirmer notre existence plutôt que leur retraite en échange de toute une vie au travail et pour le capital. Et de l'affirmer maintenant, à un moment où la crise du travail induit une altération du modèle classique du salariat tel qu'on l'a connu dans les deux premiers tiers du XXe siècle ; un salariat qui universalisait une certaine condition sociale et unifiait, malgré les différences, la plus grande partie des travailleurs (cf. l'image de la «forteresse ouvrière»). En effet, aujourd'hui, il n'est plus que la structure externe d'un rapport social qui a tendance à perdre sa substance. Les «plans sociaux» succèdent aux «plans sociaux», mais le capital ne sait pas comment occuper ses chômeurs et rêve de transformer les RMistes en RMastes! Il produit des individus dépossédés de tout, c'est-à-dire même de l'espoir d'un travail et donc d'une retraite. Contre ce processus, il s'agit donc d'affirmer une vie humaine qui n'est pas réductible à une identification : au service public ou à une professionnalité comme ce fut encore affirmé par les mouvements de 1986 et de 1995 (mais ce fut aussi leur limite), ce qui ne veut pas dire que cette vie est désincarnée. Elle est bien inscrite dans des rapports sociaux même si elle n'est plus organisée uniquement à partir du travail mais aussi dans des activités dont certaines échappent, encore, non seulement à la marchandisation des activités, mais aussi à l'inscription dans les structures du système de reproduction capitaliste : réseaux d'entraide, associations non subventionnées, «lieux de vie» et d'alternatives diverses. Il ne s'agit pas de les mythifier, mais de reconnaître leur existence et rôle dans la désintégration des rapports sociaux capitalisés.
C'est paradoxalement ce que semble soulever l'appel à la grève générale qui, cette fois, dépasse le cercle étroit des spécialistes et propriétaires du slogan. Plus que la défense de quelque chose, par exemple du service public, il manifeste la nécessité d'un blocage général parce que la situation serait encore plus grave qu'en 1995. Et quand on parle de blocage, il ne s'agit pas seulement d'une référence au blocage de la production (plus personne n'y croît vraiment comme arme absolue et encore moins comme possibilité, et surtout pas les travailleurs «à la production» qui sont bien placés pour voir comment celle-ci s'est transformée et en quoi elle leur échappe encore plus), mais d'un blocage dans lequel chacun à sa place pourrait avoir un rôle, comme parent, comme salarié, comme consommateur, comme retraité, etc. Il ne fait pas de doute que certains mouvements de ces dernières années : unité parents-enseignants-élèves dans les luttes scolaires depuis 1998, lutte contre les OGM et la «malbouffe» et enfin mouvement anti-globalisation, ont joué un rôle dans l'idée que cela ne pouvait plus continuer ainsi, mais cela reste au niveau de l'idée et se situe en dehors de toute perspective aussi bien pratique que théorique et politique. Ainsi, on n'a pas entendu, dans les manifestations actuelles, d'appel à convergence avec l'anti-G8 d'Evian, même à Lyon où pourtant se réunissait un des principaux collectifs «altermondialisation» [8].
Pour que la grève générale ne soit pas qu'un simple slogan ou une soupape de sécurité ponctuelle, il faut créer les conditions d'une lutte contre la logique même de ce système ; une lutte qui mette en question tous ses rapports constitutifs : travail/revenu, capital/travail, travail/activité, social/politique, articulation local/national/mondial, rapport à la nature [9].
Le mouvement n'en est pas encore là. Comme en 1995 il critique la domination du «tout économique», mais visiblement, ce n'est plus que le fait de la base, la direction de la CGT ayant rejoint pratiquement la position sur la nécessité de la réforme [10]. Quant au niveau politique il affleure par la bande. En effet, la particularité des élections de 2002 fait que si le pouvoir de Chirac garde une certaine légitimité, encore renforcée par sa position sur l'Irak, son gouvernement n'en a aucune car il paraît avoir volé la victoire à son chef. D'où la passe d'armes entre manifestants scandant «le pouvoir est dans la rue» et le Premier ministre venant rappeler que justement non, le pouvoir n'était pas dans la rue, mais au parlement. Ce fait ne peut que désinhiber le mouvement et l'inciter à ne pas rester sur la défensive, à exiger au moins, de manière non négociable, le retour aux 37,5 annuités pour tous.
Mais tout cela reste gros de fausse conscience, même par rapport au mouvement de 1995 qui exprimait un rapport contradictoire à l'État, celui-ci étant à la fois garant du service public et incapable de maintenir sa mission. Or, à travers sa position contre la décentralisation, le mouvement actuel se montre encore plus dépendant de l'État. Ressentant la régionalisation comme une crise de l'État-nation républicain, le mouvement, surtout enseignant, se bloque sur des symboles [11] qui ne sont déjà plus des représentations adéquates d'une école qui n'est pas celle des années 60/70, celle du passage de l'école de classe à l'école de masse. Est-il pertinent d'avancer que la décentralisation contiendrait un risque d'accroissement de l'inégalité sociale entre d'un côté une dévalorisation de l'enseignement ouvrant vers une école à deux vitesses avec un secteur public sacrifié où sévirait la garderie et de l'autre, le fait que par la régionalisation l'école s'adapterait à l'entreprise ? Cette hypothèse n'est pas recevable, ni d'un point de vue gestionnaire (la première décentralisation des années 80, déjà critiquée sur cette base avec la remise aux départements et régions de l'équipement et de l'entretien des collèges et lycées n'aurait pas en elle-même accrue les inégalités) [12] ; ni d'un point de vue politique : l'école reste un enjeu politique, même pour un État-nation en crise ; ni d'un point de vue économique : comme nous l'avons dit plus haut, il n'y a plus rien à adapter à l'entreprise quand la force de travail est de plus en plus inessentielle et que les qualifications individuelles s'effacent devant une demande de qualification sociale qui ne nécessite qu'un petit peu de «culture commune» [13] et une formation sur le tas en deux jours. S'il se met bien en place une certaine professionnalisation des cursus et des diplômes, c'est bien plus d'une adaptation au consumérisme d'une partie des étudiants dont il s'agit que d'une adaptation productiviste au marché de l'emploi. Les formations hyper-spécialisées qui s'y développent sont autant de trappes à chômage à moyen terme. Plus que d'une soumission au joug des patrons, qui demandent toujours tout et son contraire, on a affaire ici à une dévalorisation des formations quand leur contenu et leur étendue se rétrécissent comme peau de chagrin.
Alors même que la crise de la politique vide l'État de tout contenu stratégique face à une Europe des régions, ce rattachement à l'État-Providence (dans tous les sens du terme) empêche le mouvement de trouver son autonomie politique alors qu'il démontre pourtant une assez grande capacité d'auto-organisation [14]. C'est comme si le mouvement était paralysé devant la dynamique du capital, l'autonomisation des institutions. Il se produit alors un double mouvement inverse : alors que le capital se répand sur les chemins de l'autonomie (ancienne revendication des étudiants en 68), le mouvement se rétracte sur l'État en tant que pouvoir central, sur ce qu'il croît être encore le garant du compromis social et de la démocratie.
La conséquence, c'est que le système peut être bloqué... sans qu'il soit fondamentalement remis en cause. Le blocage n'est alors plus que théorique quand, par exemple, les enseignants se lancent dans les atermoiements habituels sur la question des examens et que les cheminots reculent leur entrée dans la grève reconductible à l'après pont de l'Ascension. Il ne s'agit toutefois pas de prôner un immédiatisme démagogique comme on le voit fleurir actuellement sur le net avec des propositions de mettre 20/20 à tous les candidats et de laisser passer tous les élèves dans la classe supérieure. Ce serait mettre la charrue avant les bœufs et imaginer radicaliser des moyens de lutte dans un mouvement dont les buts restent pour l'instant peu radicaux. Mais un mouvement qui cherche sa radicalité peut commencer à la trouver, par exemple, en boycottant les examens et les concours comme le font les étudiants et certains enseignants de Perpignan, de Toulouse et de Nice. S'ils sont conséquents et que le mouvement s'amplifie et s'approfondit, ils ne peuvent que se poser la question du bien fondé même des examens et des concours. Il ne s'agira alors plus de défendre l'égalité formelle des scolarisés, ni que les petites facs résistent aux grosses, mais de remettre en cause tout un système.
La seule stratégie qui peut dépasser les divergences d'intérêt immédiat, c'est celle qui permet de développer un mouvement qui, en s'approfondissant, montre à tous que cela vaut le coup de s'y mouiller après n'avoir fait que s'y plonger ou le regarder avec sympathie. C'est aussi comme cela qu'on peut éviter le piège de la gestion au cas par cas mise en place par l'État. Celle-ci vise à découper en tranche les salariés du public. Elle isole tout d'abord la fonction publique des entreprises publiques à statut spécial, puis elle isole les enseignants, les plus nombreux, du reste des fonctionnaires en les faisant se précipiter sur le chiffon rouge de la décentralisation. Il suffit alors de céder là-dessus pour espérer faire passer l'essentiel, c'est-à-dire la réforme des retraites puisque la catégorie momentanément en pointe de la lutte devrait ainsi rentrer dans le rang et la menace d'un boycott des examens s'évanouir. C'est le scénario prévu, mais ce qui se passera réellement dépend de nous tous.
Quand le mouvement est suffisamment global et fort, plus personne ne parle de prise d'otages et de conscience professionnelle! Pour cela, il faut effectivement aller à l'épreuve de force, mais pas pour défendre ce qui existe : ce n'est pas parce qu'on est contre leur décentralisation qu'on doit être pour «notre» centralisation, ce n'est pas parce que l'on est contre leur 40 ans que l'on est pour «nos» 37,5... et des millions de chômeurs...
[1] En réponse à la revendication d'un revenu garanti avancée par certaines organisations de chômeurs.[2] C'est d'ailleurs par conscience de cette entourloupe que la mise en place des assurances sociales qui précédèrent le système de Sécurité Sociale rencontra une sourde méfiance de la part de la classe ouvrière avant que les syndicats ne s'y rallient.
[3] Ce terme est à prendre au sens large et ne réfère pas uniquement aux accidents du travail et maladies professionnelles dûment répertoriées.
[4] Malgré le cynisme dont nous avons parlé plus haut, c'est ce que présupposait le compromis de classes passé pendant la période des «Trente glorieuses» et ce qui a été appelé le «mode de régulation fordiste» de la contradiction capital/travail.
[5] Hewlett-Packard France vient de l'accorder à 53 ans à des conditions exceptionnellement bonnes et de nombreuses grandes entreprises de l'informatique et de la banque ou des assurances souhaitent étendre cette pratique.
[6] Si nous ne nous référons plus à la «classe du travail», c'est qu'elle a perdu à la fois sa dimension objective de classe productive (désormais tout est productif pour le capital) et sa dimension subjective de classe porteuse de conscience antagonique. Cette évolution apparaît, entre autres, dans le fait que le salarié du secteur public longtemps considéré comme un représentant des classes moyennes ou plus prosaïquement comme un nanti, représente, en fait, l'une des dernières figures du salarié de type fordiste avec ceux des très grandes entreprises privées; c'est-à-dire des salariés qui bénéficiaient d'un statut et de droits garantis dans le cadre de l'intégration de la classe du travail dans la société du capital, dans une phase où la force de travail n'était pas encore devenue inessentielle à la valorisation. C'est à ce titre qu'il cherche à maintenir, si ce n'est le fil rouge de la guerre de classe, du moins celui de la défense des acquis de la lutte des classes. Il est donc secondaire et même faux d'insister sur le caractère inter-classiste du mouvement actuel ou de chercher à opposer des fonctionnaires aux ouvriers productifs comme si les premiers ne faisaient que profiter des luttes passées et que jouir de la production actuelle de richesse réalisée par les seconds.
[7] Le travail n'est évidemment pas qu'une idéologie, mais en dehors du fait qu'il peut parfois apparaître comme une «malédiction», nous préférons mettre l'accent sur le fait qu'il est une contradiction, celle d'une activité humaine qui s'est exprimée historiquement sous la forme : 1) d'une séparation entre l'activité travail et le reste des activités, avec tout ce qui en découle du point de vue de l'organisation des rapports sociaux (séparation travail/temps libre, séparation vie active/retraite) ; une division du travail grosse de la domination de groupes puis de classes sur d'autres ; une forme d'exploitation spécifique à chaque phase historique (esclavage, servage, salariat).
[8] Toutefois, à la dernière AG de mai à la Bourse du travail de Lyon, il y a eu des propositions pour aller collectivement, entre grévistes... et à prix gréviste, rejoindre les manifestants anti-G. Tout récemment, à l'initiative des directions des organisations syndicales et des associations, la jonction avec le mouvement contre la réforme des retraites a été débattue dans les AG des villages anti-G d'Annemasse. Il est globalement apparu que cette jonction n'était pas véritablement ressentie comme décisive par les participants au motif que les objectifs de cette lutte ne seraient pas assez «généraux», ne concerneraient pas tous les problèmes de «l'humanité». Mais sans percevoir que cette exigence d'universalité tourne bien court lorsque beaucoup des «altermondialistes» acceptent finalement l'essentiel de la capitalisation du monde sauf... lorsqu'elle est conduite par le «néo-libéralisme» !...
[9] Cela doit permettre d'éviter aussi bien les «solutions» partielles (le revenu garanti ou d'existence) que les attaques radicales mal centrées («La retraite on s'en fout, ce qu'on veut c'est ne plus bosser du tout»)
[10] La CGT, peut être pour céder à la mode de l'équité, sûrement par souci de ne pas heurter ses gros bataillons du privé, est d'accord sur un allongement des cotisations du public aux 40 ans... à condition que les retraites soient revalorisées. Décidément l'idéologie du travail est quelque chose de bien partagée ! Quant au jeune premier du mouvement cheminot de 1995, B. Thibault, il fréquente aujourd'hui les coulisses du congrès du PS, signifiant par-là à quel point son syndicat est prisonnier de sa nouvelle stratégie de recentrage : pour se distinguer de la CFDT, il ne peut que pousser à la grève, même si c'est du bout des lèvres, dans des secteurs essentiels à la reproduction comme La Poste ou la SNCF; mais pour remplacer une CFDT déconsidérée comme interlocuteur privilégié de l'État et du patronat, il ne peut réellement envisager d'aller au bout de l'épreuve de force.
[11] Le ministère de l'Éducation Nationale devenant ministère de l'Éducation semble être la guêpe qui a piqué certains enseignants. Au début de son septennat, Giscard d'Estaing avait déjà réalisé l'opération, sans réaction à l'époque.
[12] Cf. l'article de Cl. Thélot dans Le Mondedu 28/05/03.
[13] A ce sujet, le modèle est américain. Aux USA, le capital ne produit plus ni sa force de travail de base (il la jette en prison), ni son élite qu'il fait venir de l'étranger sans être obligé d'en assumer le coût de formation. Ce système, parfaitement cynique, n'est pour le moment pas exportable en France tant que l'enjeu de l'école, comme d'ailleurs celui de tout le secteur de la reproduction (santé, transports, communications) y reste politique.
[14] C'est net dans l'éducation où, le mouvement, fort de son expérience des luttes de Seine St Denis en 1998 et contre Allègre en 2000, court-circuite quelque peu les syndicats par les réseaux de coordination et d'information qui débattent en A.G. et sur internet des modalités de la lutte.
On pourrait donner de ce qui se passe en France des explications si générales qu'elles en deviendraient de banales évidences. On peut être tenté de faire des comparaisons entre les affrontements d'aujourd'hui et d'autres d'un passé récent à l'échelle nationale par exemple 1968 et 1995. Dans l'immédiat, nous ne donnerons que plusieurs textes distincts : l'article plus général qui suit, un témoignage direct des grèves dans l'enseignement, un autre témoignage d'une des manifestations parisiennes et une lecture critique d'un appel d'une coordination nationale placardée lors de cette manifestation.REPLACER LE MOUVEMENT DANS LE CADRE ÉCONOMIQUE ET POLITIQUE GÉNÉRAL Tout d'abord dans le cadre de la situation économique mondiale du capital. Pas besoin de statistiques et de grands développements pour dire que le capitalisme est en crise avec des répercussions dans tous les domaines. Pour ne parler que de la France en voie d'intégration dans l'Europe, cette crise s'exprime par des impératifs de restructurations avec des conséquences sur les conditions générales de travail. Comme dans tous les autres Etats, la diminution de la production signifie une diminution de la plus-value extorquée sur le travail par le capital, donc de la part de cette plus-value redistribuée aux travailleurs et prélevée par l'Etat pour ses dépenses de fonctionnement et pour l'articulation social - répression destinée au maintien de la paix sociale. Le résultat global est une pression de plus en plus forte pour réduire cette part de plus-value échappant au capital. C'est à dire une attaque sur les salaires et avantages sociaux, à un moment où les conséquences de la crise accroissent la demande de l'aide sociale sous toutes ses formes et l'exigence de répression pour contenir la pression sociale. En termes beaucoup plus directs : le capital a besoin de fric pour faire face à la crise et tenter de conserver ses profits et il n'y a qu'une seule source : les travailleurs quels qu'ils soient, au travail, au chômage ou à la retraite ou futurs dans le conditionnement scolaire.
LES CONFLITS SOCIAUX ET LA POLITIQUECe que l'on trouve fréquemment, c'est la référence aux grèves de l'automne 1995. Comme alors, sur un fond de restructurations économiques et sociales, on se trouve devant tout un ensemble de luttes localisées et diverses. Mais, jusqu'à maintenant, on ne se trouve pas, comme en mai 1968, devant un mouvement généralisé touchant toutes les structures du système et une tentative de remise en cause de l'organisation sociale bien que la multiplicité des initiatives locales fasse penser à une lame de fond d'une toute autre nature. Tout comme en 1995, un gouvernement conservateur s'attaque à un problème global touchant les garanties sociales notamment celles concernant certaines catégories de travailleurs, ceux des services publics et parapublics. En 1995, le déclencheur de la grève fut une attaque frontale visant à la suppression de ces régimes spéciaux , leur alignement sur le régime général de sécurité sociale notamment quant à l'âge de départ en retraite. Cette spécificité devait limiter le mouvement malgré la force de son extension et ses tendances autonomes : tous les efforts pour l'étendre au secteur privé qui n'était pas directement concerné échouèrent. Les grévistes affirmèrent qu'ils faisaient la «grève par procuration» pour l'ensemble des travailleurs ce qui fut rapidement contredit par une reprise du travail, fortement appuyée par les syndicats alors quelque peu dépassés, lorsque le gouvernement abandonna son projet par crainte d'une telle extension. Une des raisons de cette non-extension au secteur privé était que les travailleurs de ce secteur économique le plus important n'étaient pas concernés par cette mesure; au contraire ils avaient été touchés, quelques années auparavant, par le passage à 40 années du temps de cotisation requis pour toucher une retraite pleine et entière. Sans que cela déclenche une réaction des centrales syndicales ou de mouvement de base.
En 1995, le retrait des mesures gouvernementales et la fin du conflit ne réglaient pas pour autant l'échec politique. Il y a une règle politique constante qu'un gouvernement qui, par quelque tentative pourtant requise par le capital, provoque un conflit majeur perturbant sérieusement le fonctionnement de l'économie capitaliste, doive en quelque sorte le payer politiquement : le conflit social, quelle qu'en soit l'issue, est apaisé, en quelque sorte transféré, sur une «solution» politique bien sûr transitoire. De Gaulle avait payé en avril 1969 l'échec politique que représentait mai 1968 bien que bénéficiant alors d'une majorité largement suffisante pour gouverner. Les contrecoups de l'échec social de l'automne 1995 se concrétiseront par l'élection au printemps de 1997, après une dissolution supposée laver l'affront social, d'une majorité de gauche social démocrate. Bel exemple d'un mouvement social dévié sur un geste politique supposé résoudre les problèmes ayant sous-tendu l'affrontement social. La tâche qui attendait ce gouvernement «de gauche» était de faire passer les réformes nécessaires au capital en France ; il pouvait jouer pour cela d'un capital d'une confiance — toute relative — que des travailleurs pouvaient — encore — accorder à un tel changement politique.
LA GAUCHE PRÉPARE LE TERRAIN POUR LA DROITE
La continuité capitaliste sous l'alternance gouvernementale
C'est devenu un lieu commun de dire que la gauche social - démocrate n'a pas, au cours de ces cinq années au pouvoir , tenté de s'attaquer aux problèmes que lui avait légués le gouvernement " de droite " c'est à dire aux réformes exigées par le capital notamment au problème des retraites. On oublie en général qu'il a parfaitement rempli sa tâche de gestionnaire du système en ce qui concerne la paix sociale et la hausse de la productivité du travail, une arme essentielle dans la compétition capitaliste internationale. Dans cette période de cinq années, des résultats essentiels ont été atteints au détriment des travailleurs :
L'ensemble a ainsi créé les conditions propres à une autre avancée vers des réformes plus radicales, celles-là mêmes retardées par crainte d'un mouvement social. Mais en même temps, elles ont aussi créé un mécontentement diffus, un malaise d'autant plus profond qu'il ne pouvait se concrétiser que difficilement dans des luttes ouvertes et que crise et restructurations développaient une inquiétude croissante sur le futur soulignant l'impuissance des politiques face à l'inexorable évolution de l'économique.
- Sous l'étiquette fallacieuse de la réduction du temps de travail avec les «35 heures», les entreprises en France ont gagné une flexibilité totale tu travail et un blocage des salaires avec en prime des subventions déguisées.(politique entamée par la droite avec la loi de Robien exonérant pour sept ans les cotisations sociales dues pour chaque salarié et poursuivie par la loi Aubry qui baisse pour 5 ans les cotisations des salariés embauchés au titre de la RTT). Une conséquence non moins importante de la mise en application de cette législation a été un transfert de la fixation des relations de travail d'un niveau global ( Etat ou conventions de branches d'industrie) au niveau local de l'entreprise ou même de chaque usine d'un même trust, c'est à dire l'abolition d'une égalité territoriale unificatrice vers une localisation différenciatrice porteuse de divisions et de faiblesses. .C'est dans ces conditions que le capital en France peut se targuer d'avoir la productivité horaire par travailleur la plus élevée des pays industrialisés. Il pourrait aussi se targuer d'avoir profondément bouleversé les conditions de travail et de vie des travailleurs, accroissant ainsi leur «individualisation» et la parcellisation des luttes.
- Cette transformation des conditions de travail et de vie s'est accompagnée d'une restructuration industrielle, pour partie engendrée par des privatisations du secteur public, les licenciements en résultant étant favorisés par l'allégement des contrôles étatiques et une réforme de l'indemnisation du chômage. Les licenciements furent masqués par d'importantes embauches précaires notamment de jeunes.
- Cette forme spécifique de précarisation n'était qu'un des aspects d'un précarisation générale touchant l'ensemble de l'économie, en partie conséquence de la mise en concurrence sans frontières de la force de travail, de la flexibilité du travail et du concassage du temps de travail, en partie par l'embauche dans nombre de services publics de travailleurs hors statut garanti. Et pour une autre partie la conséquence d'accords internationaux (par exemple entrée de la Chine dans l'OMC) ou d'abandon d'accords protecteurs des industries nationales ( par exemple la fin de l'accord multifibre couvrant la production textile)
- Dans tous les domaines des garanties sociales ou des statuts préservés, la pratique développée au cours de ces années, consista, pour éviter des explosions sociales globales, de parcelliser à l'extrême en procédant à des réformes ponctuelles par catégories limitées. Une partie de ces réformes «parcellisantes» et qui va se trouver au centre du conflit dans l'Education Nationale touche la «régionalisation» c'est à dire le transfert de services dépendant de l'État central vers les collectivités locales. Cette réforme des structures de l'État, amorcée par le gouvernement social démocrate dès 1981 a été poursuivie par la droite puis de nouveau par la gauche : à proprement parler, il ne s'agit nullement d'un changement de patron mais d'un changement de collectivité publique conçu comme devant apporter une meilleure productivité et, du moins pour les entrants, à un changement de statut moins avantageux qu'auparavant et à une rationalisation du travail.
Dans le même temps, les réformes longtemps retardées devenaient d'autant plus urgentes qu'elles se posaient non plus au niveau national mais au niveau européen et que la crise économique mondiale contraignait à ne plus différer leur réalisation ; elles pouvaient se définir suivant trois axes :
- Le corollaire de la liberté de circulation des travailleurs dans une harmonisation par le bas des systèmes de protection sociale et la suppression des particularismes nationaux.
- La suppression des entraves à la constitution d'un libre marché européen avec pour corollaire le réduction de la plus grande partie des secteurs publics et leur privatisation
- L'harmonisation des structures politiques des Etats par la constitution de régions équilibrées dotées de pouvoirs plus conséquents transférés des Etats centralisés dont les fonctions se trouvaient diminuées d'autant.
LA CRISE DES MÉDIATIONS POLITIQUES ET SYNDICALES
MASQUÉE PAR LES DÉBOIRES DE L'ÉLECTORALISMEIl semble que le gouvernement conservateur se soit quelque peu mépris sur la crise politique dévoilée lors des élections du printemps 2002. Il pouvait ainsi croire qu'ayant une majorité sans partage dans tous les échelons du pouvoir, il lui devenait possible de se lancer hardiment dans l'ensemble des réformes différées et dont l'urgence lui était imposée. Les références des remous politiques fascisme-antifascisme avaient totalement masqué la réalité du conflit social posé notamment dès 1995. La tentative de médiation politique de ce conflit, que les élections de 1997 avaient exprimé avait échoué. Au contraire le développement de ce mécontentement latent s'exprimait dans les péripéties électorales de ce printemps 2002 ; elles s'affirmèrent en un rejet de la médiation politique tel que l'abstention les votes de rejet atteignaient près des 2/3 de l'électorat. On peut se demander si les manifestations de masse pour barrer la route au Front National n'étaient pas plus l'expression de ce refus de toute médiation politique et ne préfiguraient pas d'une certaine façon la situation présente. Elles privilégiaient l'affrontement direct, «la loi de la rue» comme le disent si bien les ministres d'aujourd'hui. Mais, ce n'était pas une lame de fond car tous les organes de pouvoir avaient appris depuis les deux décennies écoulées, à la mesure des tentatives d'action directe découlant de ce refus des médiations.
LA PERSISTANCE D'UN COURANT AUTONOME La désaffection à l'égard des syndicats ne date pas d'aujourd'hui. Ellecorrespond, dans le domaine des relations de production, au rejet des médiations politiques. Elle s'exprime par le peu d'adhérents et la carence de militants et est masquée alors par le fait que les protections légales (et le financement institutionnel) leur permet d'assumer encore, bien qu'avec difficulté, leur fonction de médiation dans les rapports de production et d'intervenir dans des conflits sociaux. Plus que les politiques, ils se trouvent concrètement en face de mouvements de lutte qui tendent à nier en fait leur existence même et les contraint de prendre des positions qui dévoilent leur fonction sociale réelle :
Il entrait dans les stratégies gouvernementales de tenter de profiter à la fois de ce qu'il pensait être un consensus politique, d'un certain contrôle syndical sur de possibles luttes et d'un appareil répressif renforcé. D'où la tentation d'imposer, aux dépens des travailleurs, les réformes qu'exigeaient pour la pérennité du capital, à la fois la construction européenne et la crise économique. On peut épiloguer sur le fait que, pressé par le temps autant que par l'évolution rapide de la crise économique, il ait entrepris en même temps tout un ensemble d'attaques dans différents domaines. Il accumulait ainsi pour certaines couches sociales plusieurs bouleversements dans les conditions de travail. Par exemple dans tout le système éducatif français, il imposait à la fois la réforme des retraites, un changement de statut avec le transfert du personnel non enseignant de l'Etat aux régions et une réduction drastique des effectifs.
- On peut dire qu'en dépit de la confusion d'un mouvement coincé entre les surenchères syndicales intéressées, les manoeuvres tant du pouvoir que des centrales reconnues, on se trouve en présence d'une grève sauvage qui cherche à trouver ses propres critères d'action et d'organisation. Il s'agit de manifestations d'un courant d'autonomie dans les luttes qui remonte dans le temps même avant 1968 ( fin des grèves presse bouton). Dans la période récente, il s'est exprimé à la fin des années 1980 par la création des coordinations dont les plus importantes apparurent dans les chemins de fer (1986-87) et chez les infirmières (1988-89). Violemment combattue par les syndicats et en partie émasculée par la création de syndicats non - reconnus se voulant plus combatifs ( SUD, UNSA, CNT), cette tendance réapparut dans les grèves de 1995-96 sous la forme de la démocratie directe dans les assemblées de grèves ouvertes à tous, rompant en quelque sorte avec les limites du strict professionnalisme des coordinations. Mais là aussi les limites de la démocratie formelle sont vite apparues dans les possibilités de manipulation des syndicats qui, s'ils reconnaissaient par force cette démocratie de base gardaient la haute main sur les pourparlers avec les pouvoirs et sur l'organisation des manifestations centrales. Aussi bien les travailleurs concernés que les syndicats et les gouvernements tirèrent les leçons de ces tentatives avortées. Récemment, on a vu apparaître dans les luttes d'autres organisations de base regroupant à la fois des travailleurs en lutte et d'autres militants et qui , pour se différencier des formes d' organisation antérieures avortées, ont pris un autre nom " les collectifs ", auxquels on peut d'ailleurs prédire les mêmes avatars que les formes antérieures devenues obsolètes.
- Il était habituel dans les pratiques syndicales de recourir, dans des circonstances précises et toujours sous contrôle strict de telle ou telle centrale, à certaines formes de violence sociale. Cela permettait de débrancher les tentations d'une violence de base lorsque la lutte maintenue dans ses cadres légaux se trouvait dans une impasse. Dans les années écoulées, une violence sociale a surgi sur les lieux mêmes de travail souvent hors des structures syndicales. Elle recoupait en quelque sorte la violence récurrente des «banlieues» en lui donnant un caractère beaucoup plus précis de violence de classe. Cellatex, en février 2000, avait inauguré en quelque sorte cette nouvelle voie de l'autonomie. Non seulement ces actions ont dû faire face à une répression directe mais aussi à des manoeuvres dilatoires les vidant de leur contenu subversif... Avec les nouvelles lois sur la sécurité, l'épée de Damoclès d'une répression directe se trouve suspendue sur la tête non seulement des jeunes des banlieues mais aussi sur toute forme d'action autonome «troublant l'ordre public». Même ponctuelles, ces formes de lutte ne se sont pas éteintes et tout récemment encore des travailleurs y ont eu recours soit sous forme de menaces, soit en passant à l'action directe.
Il est possible aussi que, fort de la «popularité» gagnée dans l'affirmation de positions anti-US dans le conflit irakien , dans le prolongement de ce prétendu consensus , le gouvernement ait cru qu'un passage en force était possible. Quoi qu'il en soit, disposant d'une majorité conservatrice rêvant d'en découdre, le capital et ses séides, pouvait voir dans les faits une ouverture pour surmonter un rapport de forces dont il était malgré ses oeillères assez conscient.
UN POUVOIR TROP SÛR DE LUI Il est difficile de dire, au stade actuel, du développement de la lutte vers quelle voie s'orienteront les affrontements dont l'ampleur réside à la fois dans leur persistance et dans leur extension à l'ensemble de la France. Les axes d'intervention du gouvernement rencontrent des résistances diverses, qui , nous venons de le souligner , dans certains secteurs comme l'éducation, cumulent les bouleversements imposés. Rappelons ces axes «réformateurs» :
Cela fait des mois que certains secteurs spécifiques, touchés par les premières mesures de " restructuration " et de " réduction des dépenses de l'Etat ", sont engagés dans des luttes apparemment marginales mais persistantes. Ces lutes sont souvent spécifiques à l'appel de collectifs locaux, régionaux ou nationaux surgis de la lutte elle-même : les intermittents du spectacle contre la réforme du système d'indemnisation du chômage, les archéologues contre une réduction des crédits entraînant de nombreux licenciements et une privatisation des fouilles archéologiques, les personnels subalternes précaires de l'Education Nationale ( emplois jeunes, surveillants, etc...) dont les emplois sont purement et simplement supprimés ou considérablement réduits avec la création de postes d'assistants. Ces mouvements, bien que marginaux, préfigurent en quelque sorte ce qui se développe depuis plusieurs mois, particulièrement dans l'enseignement. Elles tentent de tisser des liens, des ramifications vers d'autres secteurs du public, même du privé, de l'ensemble de la population. Il n'est guère possible d'en tracer l'ampleur et les caractères à commencer par le manque d'informations précises.
- Les retraites, sous le prétexte d'un déséquilibre qui pourrait se produire dans dix années ( hypothétique car se référant à une situation économique inconnue et démographique plus pi moins prévisible avec la libre circulation des personnes dans l'UE élargie),parvenir à une réduction des charges étatiques et patronales. Le but: les prélèvements sur le PIB à une moyenne européenne et orienter vers la constitution d'un système privé de retraite, le tout dans l'intérêt du capital dont les charges seraient réduites qui aurait l'assurance de trouver un financement via les fonds de pension. Les plus atteints par cette " harmonisation " seraient les travailleurs de tout le secteur public et parapublic qui bénéficient de systèmes de retraite plus avantageux que le secteur privé, ce dernier secteur étant aussi atteint mais à un degré moindre bien qu'il compte ceux dont la retraite est minimale.
- Les transferts de charge de l'Etat vers les collectivités locales, à commencer régionales ; nous avons déjà souligné l'importance politique de ces mesures dans le cadre de la construction européenne.
- La réduction de tout le secteur public dont la régionalisation n'est qu'un des aspects. Elle implique à la fois la privatisation d'importants secteurs des "services publics " ( y compris éventuellement l'enseignement) et des coupes sombres dans les effectifs des services existants ( avec l'utilisation des départs en retraite massifs dans les dix années à venir des enfants du baby-boom de l'immédiat après-guerre)
- Une réforme profonde du système universitaire pour l'adapter aussi aux normes européennes. Elle impliquerait une rationalisation , une mise en compétition des établissements scolaires à tous niveaux et un renforcement de leur liens avec le patronat pour que les formations répondent mieux aux besoins des entreprises.
Cette ampleur ne réside pas dans l'importance des manifestations de rue récurrentes dans toute la France (sur lesquelles les syndicats tentent de garder la haute main) bien qu'elle soit plus évidente dans certains départements ou régions, inégale selon les secteurs de l'éducation et géographiquement. Elle réside essentiellement dans une auto-organisation au plan local qui ne dépasse pas généralement cette limitation . Les actions peuvent aussi associer d'autres secteurs d'activité publique ou privée, mais là aussi, d'une manière très dispersée et dont il est impossible de dire la dimension et le caractère. Leur signification est pourtant telle qu'on peut considérer quelle reflète les tendance profondes de l'ensemble du combat social.
LES SYNDICATS N'EXISTENT QUE POUR IMPOSER À LA FORCE DE TRAVAIL
LES IMPÉRATIFS DU CAPITALLes syndicats, quels qu'ils soient mais avec différents objectifs selon leur position dans l'appareil d'encadrement de la force de travail , ont pris le train en marche. Leur rôle , pour les syndicats représentatifs apparaît double. D'un côté faire contre mauvaise fortune bon cour en proclamant leur solidarité avec les mouvements construits en dehors d'eux et leur foi dans la démocratie de base; leur participation fait qu'ils essaient de les torpiller en utilisant ces mêmes pratiques démocratiques et en utilisant leur position de " coordinateur patentés ". Ils tentent en même temps de prévenir toute velléité de coordination hors de leur contrôle. On peut voir de tout évidence leur rôle pour émasculer le mouvement dans le calendrier de manifestations diverses catégorielles évitant ainsi toute action unitaire ou dans les contre-feux de manifestations nationales répétées ou de "journées de lutte" font croire à une montée en puissance mais qui renvoient à des lendemains sans perspective qui déchantent. On peut voir leur rôle dans ces entrevues ouvertes ou secrètes qui continuent avec le gouvernement et qui offrent le spectacle de déclarations tonitruantes de rupture alors qu'ils tissent dans le silence des cabinets ministériels les " concessions du pouvoir " qui permettront de diviser à la fois les problèmes et ceux qui luttent. C'est à le risque le plus important de dislocation du mouvement qui permettrait au gouvernement de ne pas perdre la face et d'éviter les conséquences politiques d'un retrait pur et simple des mesures les plus importantes, de maintenir certaines des réformes qui ne rencontreraient plus qu'une opposition divisée et affaiblie. Les syndicats pourraient alors revendiquer une victoire à la Phyrrus car ils auraient cédé sur une partie de l'essentiel et reporté à plus tard l'autre partie, et, ayant pleinement assumé leur fonction, obtenu sans aucun doute de la part du pouvoir des garanties quant à leur position dans le système ( c'est certainement l' explication de la "trahison" de la CFDT)
COMMENT LE MOUVEMENT AUTONOME CHERCHE SA VOIE AUJOURD'HUI ? Pour nous , l'aspect le plus important du mouvement actuel est qu'il s'inscrit dans le courant d'autonomie que nous avons décrit ci-dessus. Pour pouvoir dégager les expressions de cette autonomie dans les formes d'organisation et d'action, il doit lutter inévitablement, constamment et durement, contre toutes les forces de répression toujours présentes. Il est inutile de crier à la trahison des syndicats ou de vilipender leurs manoeuvres et manipulations : ce faisant , ils sont parfaitement dans le rôle qu'ils se sont donnés et que le capital attend d'eux ( ils y gagnent leur crédibilité auprès des pouvoirs qui peuvent même leur décerner des satisfecit pour leur "sens des responsabilités" . Il n'y a rien d'autre à en attendre. C'est ce qui rend particulièrement vain les appels ( émanant des groupes gauchistes ou autres que nous analysons par ailleurs) à " faire pression " sur les syndicats pour qu'ils fassent ceci ou cela. Outre que ces appels accréditent un rôle possible des syndicats qu'ils n'assumeront jamais, leur fonction est précisément de barrer la route à toute possibilité des travailleurs en lutte de lutter pour eux-mêmes et par eux-mêmes, d'agir et de s'organiser en ce sens.
UN TÉMOIGNAGE SUR LES GRÈVES
DANS L'ÉDUCATION NATIONALE de 2003
DANS UN DÉPARTEMENTQuelques informations à partir des derniers jours et des dernières actions.Pour simplifier la présentation je décrirai ce que je vis dans le Vaucluse. Ce n'est pour le moment qu'un bref aperçu de quelques aspects importants de ce mouvement.
Les raisons du mouvement
Ce n'est qu'au bout de plusieurs semaines de grève que les medias nationaux se sont fait l'écho des raisons premières de mobilisation dans l'éducation nationale, avant on ne parlait que de la réforme des retraites. Si les deux sont liés, il faut quand même expliquer ce que représentera réellement la réforme de décentralisation de l'Education Nationale.
Essentiellement, ce sera une dégradation des conditions de travail des personnels concernés par ces mesures à la rentrée prochaine et le début de l'ouverture à la privatisation de l'éducation nationale, par des voies détournées. Privatisation qui signifie à terme contractualisation, flexibilité des personnels de l'éducation, donc encore dégradation des conditions de travail et accentuation des inégalités suivant les régions.
Cette réforme se traduit dès l'an prochain par :
Beaucoup de jeunes professeurs (et de moins jeunes) découvrent le jeu du libéralisme international et se familiarisent avec la lecture des textes de l'OMC, de l'ERT et de l'AGCS, textes qui prônent la destruction des services publics dans le monde. Ces textes décrivent avec cynisme comment les dirigeants des pays doivent s'y prendre pour détruire ces services et laisser sur le tapis une partie de la jeunesse qui n'a pas besoin de formation ni de culture approfondie. Ils se radicalisent rapidement au cours de la lutte et se rendent compte que cette lutte n'est rien d'autre qu'une lutte contre le capitalisme et contre tous les aspects de la société qui en découlent.
- Suppression du statut de surveillant et disparition de 5600 postes dès l'an prochain (ceux qui sont en fin de droit). Les Aides éducateurs sont supprimés : départ de 20000 d'entre eux à la rentrée prochaine. L'ensemble (25 600 suppressions) est remplacé par 16 000 " assistants d'éducation " , au statut précaire, moins payés que les surveillants, et pouvant être appelés à d'autres tâches que dans les établissements scolaires.
- Les personnels techniciens, ouvriers et de services (TOS) passent à la fonction publique territoriale, c'est-à-dire qu'ils effectueront des tâches à la fois dans les établissements scolaires et en dehors : ils deviendront corvéables à merci.
- Les conseillères d'orientation, les assistantes sociales, les médecins scolaires passent à la fonction publique territoriale. Ils ne seront donc plus rattachés à un établissement, mais effectueront d'autres tâches en plus. Leur aide dans les équipes enseignantes sera très réduite au vu de leur surcharge de travail probable.
- Les crèches, payantes, se voient changer de nom et sont baptisées "centres d'accueil de la petite enfance ", annonçant la disparition des sections d'école maternelle (déjà prévue dans la région du Havre)
- Augmentation de l'autonomie des établissements scolaires et universitaires avec régionalisation du financement et entrée des entreprises dans l'élaboration des projets de ces établissements.
Les réalités du mouvement
C'est la première fois qu'un mouvement d'une telle ampleur, d'une telle durée se produit dans l'Education nationale depuis 1968. Tous (ou presque) les établissements primaires et secondaires sont entrés en grève reconductible, dans toutes les académies de France.
Le début
Tout a commencé, le 18 mars, dans l'académie de Bordeaux, car cette académie a été choisie comme académie pilote pour l'application de la réforme, avec comme premières conséquences, des suppressions de postes, des suppressions d'heures , de places pour les élèves dans certains lycées et blocage des mouvements de mutations dans certaines matières et création de 12 lycées pilotes pour l'application de la réforme.
"les lycées pilotes d'expérimentation de la loi organique de financement permettent de voir ce que sera l'école de demain. Le schéma est inspiré du fonctionnement des lycées agricoles. Introduction de représentants des chambres consulaires et des entreprises dans les conseils d'administration, extension des pouvoirs de l'établissement en matière de gestion des personnels, mais aussi sur le recrutement et la pédagogie. Ces établissements recevront une dotation emploi, ces emplois seront " étiquetés" et " profilés " par le nouveau conseil d'administration présidé par une personnalité extérieure à l'établissement. Le chef d'établissement sera chargé du recrutement des personnels répondant au profil des emplois. Le CA déterminera la pédagogie enseignée, le nombre d'ATOS, de profs ;;; auxquels servira la dotation. "
Peu de temps après La Réunion est entrée en grève reconductible massivement( 80% de grévistes en continu) ainsi que la région parisienne, surtout le 93.
L'extension
Le mouvement s'étend dans les autres départements au fur et à mesure que les académies rentrent des vacances de Pâques.
Des assemblées générales se tiennent quotidiennement dans les établissements pour reconduire la grève chaque jour et décider des actions locales, puis des assemblées de secteurs et des assemblées départementales.
Les collèges et les écoles primaires en grève font le tour des établissements qui ne sont pas encore dans le mouvement. Il y a une assemblée de secteur par semaine plus une assemblée départementale. Des réunions d'explication du mouvement ont lieu avec les parents, dans les villages, partout. Des piques niques, des fêtes, chaque inauguration ou réunion officielle est l'occasion de se faire entendre en fanfare, en invitant si possible les médias. Chaque gréviste est actif.
C'est une grève qui vient de la base, et qui s'est étendue rapidement.
Dans certains établissements, les parents occupent l'école ou le collège.
Après plusieurs semaines de grève, devant le blocage de la situation, les personnels de l'éducation nationale sont de plus en plus nombreux à ne voir l'issue du conflit que dans une grève générale. Et ce n'est pas l'influence de FO, qui bien sûr a lancé ce mot d'ordre rapidement, mais qui est très minoritaire. S'il a été repris, c'est qu'il correspondait à la nécessité du moment.
Des équipes de grévistes sont allées dans les différentes entreprises de leur région pour établir des contacts et discuter d'une généralisation du mouvement. Des réunions communes ont eu lieu partout.
L'organisation
L'autonomie du mouvement est à l'image de la colère immense de l'ensemble des personnels de l'éducation.
Les syndicats (FSU , UNSA,FO,CFDT, SUD) organisent les assemblées générales de secteurs, mais surtout les assemblées départementales. Une intersyndicale s'est tout de suite mise en place dans les différents départements, pour contrôler et freiner le mouvement.
Dans les départements où une coordination s'est tout de suite mise en place, les syndicats y étaient présents au même titre que les autres participants.
Dans d'autres départements comme le Vaucluse dont je vais parler, l'intersyndicale appelait à des AG départementales après chaque grande manifestation hebdomadaire.(entre 300 et 400 participants). Ils trônaient à la tribune devant la salle, s'attribuaient mutuellement des félicitations pour l'ampleur du mouvement puis faisaient voter une motion (en général présentée par FO) d'appel à l'extension, puis à la grève générale, motion qu'il fallait souvent rediscuter et modifier. Une heure était ainsi passée pour " occuper " le temps. La parole était ensuite donnée aux différents intervenants de la salle.
Aucun ordre du jour, aucun président de séance. Les actions proposées par la salle ne sont pas soumises au vote de l'AG. Des protestations de plus en plus nombreuses venant des collèges les plus mobilisés contre l'inertie et le blocage des syndicats se font entendre.
Je propose un fonctionnement différent et " démocratique " avec ordre du jour établi par l'assemblée, un président de séance et un tour de parole en fonction de l'ordre du jour où les syndicats parleraient au même titre que les présents dans l'AG. Ils deviennent très hargneux.
Au même moment, en haut de l'amphi où se tenait l'AG tout un collège en grève, déguisés en indiens et avec leurs tambours crient " on veut des actions, on en a marre des manifestations qui tournent en rond ". La responsable FO crie à la collusion, au coup monté, elle est folle de rage.
A partir de ce jour, à l'initiative d'un autre collège massivement en grève, un regroupement en dehors des syndicats s'organise. Il rassemble entre 20 et 30 établissements sur Avignon et Nord Vaucluse et se baptise " collectif Vaucluse des personnels de l'E.N. "
Ce collectif se réunit plusieurs fois par semaine et organise des actions indépendamment des syndicats. Aucun syndicat n'est présent en tant que tel. Il y a bien sûr des syndiqués, qui en ont marre de l'attitude des syndicats, et une majorité de non syndiqués. Beaucoup de jeunes, c'est la majorité. La tonalité, c'est " on sait quel est le rôle des syndicats, qu'ils ont toujours été contre l'expression de ceux qu'ils ne contrôlent pas ". Mais on ne veut pas perdre de temps à des critiques que tout le monde partage concrètement ou conceptuellement. Ce n'est de toute évidence pas un discours de quelque organisation trotskyste ou similaire.
De plus, il est exprimé clairement que " nous ne voulons ni construire un nouveau syndicat, ni une organisation permanente. La durée de ce collectif sera celle du mouvement et on est appelés à disparaître quand le mouvement s'arrêtera ". Je n'invente rien.
Les AG se déroulent dans le respect de la parole de chacun et dans un calme étonnant.
Il y a en moyenne 60 à 70 présents régulièrement.
Devant le blocage du gouvernement, devant l'inutilité reconnue des manifestations, des actions plus percutantes sont organisées par ce collectif. Ces actions qui vont jusqu'à bloquer les portes des lycées ou de l'université pour empêcher le passage des examens sont bien évidemment dénoncées par les syndicats. (Il faut faire une place à part à SUD syndicat minoritaire qui est dès le début pour le mouvement des assemblées et des coordinations)
Ce collectif a organisé le blocage du lycée Mistral à Avignon, le jour des épreuves de philo de bac, et toute la matinée du 12 juin, France Info annonçait que c'était le seul lycée en France à être bloqué par 200 personnels grévistes ( en réalité il y en a eu au moins trois autres : Roanne, Belfort et Toulouse).
Comme les CRS sont ensuite arrivés, les épreuves ont pu se dérouler "normalement " avec quelque retard.
UN JEUNE PARLE DE CE QU'IL A VU
ET DE SES REACTIONS LORS DE LA MANIFESTATION
Place de la Concorde, un mardi soir en république Ils ont osé gazer et charger des manifestants, jeunes et vieux, ce soir. , en toute légalité et égalité.La disposition des CRS était la suivante : grillage, canons à eau et forte présence des CRS bloquant l'entrée du pont, un gros paquet à droite, et quelques uns sur la gauche. Belle image de la démocratie, puisque dans le même plan on a une horde de flics derrière leur grillage et au fond l'Assemblée Nationale .où siègent à ce moment les députés.
Vers 18h30, des milliers de manifestants s'amassent sans violence devant les CRS. Slogans : "Raffarin démission, Chirac en prison"; Une deux bouteilles en plastique volent du côté des CRS. Deux cars (vides)du coté gauche se mettent en position pour bloquer la sortie vers la gauche. Quelques minutes après, les premiers gaz lacrymo sont jetés. Le vent est favorable aux CRS, les premiers gaz sont pas balancés dans la foule, juste posés devant. Les CRS commencent alors à bloquer les issues sur les quais, ne laissant plus passer personne.
Cependant le service d'ordre de la CGT, qui s'est interposé entre les manifestants et les CRS fait tout pour contenir les manifestants. Ils essayent de calmer les manifestants qui s'énervent contre les CRS et empêchent un petit groupe de dépaver la place. Certains (CNT, Education, SUD...etc.) commencent à s'énerver contre le service d'ordre de la CGT et en viennent quasi aux mains. Le service d'ordre CGT (trois rangées de gros bras) quitte la place devant les flics à 19 heures précises en déclarant à ceux qui les injurient : "Démerdez-vous avec les flics ". En fait, ils vont ailleurs se repositionner selon les ordres d'en haut...
Au fur et à mesure, les CRS prennent de moins en moins de précautions. Les gaz sont même tirés horizontalement en direction de la foule. Les salves sont généralement constituées d'une dizaine de lacrymo. Grâce au vent, les gaz se dispersent rapidement (en quelques minutes). Un bravo aux manifestants qui malgré tout continuent à s'amasser après chaque salve devant le cordon, avec des slogans des moins violents (Tous ensemble, Grève Générale, etc.)
Du coté manifestant, la manifestation est loin d'être terminée (contrairement à ce qu'annonçait la radio). Les cheminots et RATP arriveront qu'après 20h sur les lieux. Cependant le service d'ordre de la CGT qui s'est déplacé et celui de la CFDT (entre autres) empêchent les derniers manifestants d'accéder à la place et organisent un cordon pour les faire bifurquer dans une rue sur le côté de la rue de Rivoli . Vers 19h30, la place est totalement enfumée (une quarantaine de lacrymo en même temps), malgré tout, les manifestants continuent d'affluer. Nous sommes plus de 5 à 10 000 à être présents et à vouloir rester sur place ( certains diront " même la nuit s'il faut "), mais il ne pourront rester longtemps sur la place ( c'est fixé en haut lieu)(une enseignante se retrouvera couverte de bleus par l'action musclé du service d'ordre syndical auquel elle ne voulait pas obtempérer); Enervement du coté du cordon CRS de gauche : un manifestant âgé est en train de les insulter; ils ne laissent toujours passer personne. Vers 20h, les lacrymos semblent se calmer, on se dit que ça coïncide avec le début du JT. Peut-être pas à 20h20, ça repart de plus belle.(lacrymos et canon à eau). Les yeux et le nez piquent terriblement, certains vomissent. Excédés et désabusés, certains vocifèrent "il est beau le dialogue social ! " On a beau chercher, pas de médias. Il faut dire que les manifestants ont plus que marre de leur désinformation. Tout au long de la journée ils ont eu droit à des "Libérez l'information". Une moto RTL qui essayait de se frayer un chemin dans la manif s'est fait prendre à parti, un camarade lui a cassé son antenne. et sa radio-portable Donc pas de médias avec nous... c'est normal ils sont tous avec les CRS
Bref poursuivons. Vers 20h30, ça y est, ça charge. On est tous refoulés rue Royale. Il y a des blessés, certains camarades sont en sang. Il paraît qu'un manifestant a reçu un lacrymo dans la tête. Quelques manifestants traînés au sol sont frappés. Puis nouvelle charge quelques minutes après un canon à eau qui fonce sur nous. Tout le monde se regroupe vers la Madeleine.
Nouvelle charge, on descend le boulevard qui mène vers l'Opéra Garnier. On est encore 4000 à 5000 pas du tout décidés à se disperser, puis charge brutale des CRS avec leur canon à eau qui avance aussi vite que l'on court. C'est sauve qui peut Quelques passants attablés aux terrasses des restaurants plongent se réfugier à l'intérieur; d'autres sont copieusement arrosés. Tout le monde court dans tous les coins.
Certains prennent une rue à droite, pour la plupart on débouche au milieu de la circulation sur la place devant l'Opéra Bon nombre (quelques centaines peut-être ?) seréfugie dans l'Opéra. D'autres continuent tout droit et renversent des poubelles sur la rue afin de faire des barricades enflammées pour retarder ma meute des flics qui nous pourchassent. Certains se dispersent d'autres retournent vers l'Opéra où plus de 60 manifestants sont sauvagement arrêtés; d'autres sortiront libres sans qu'on sache le sens d'une telle discrimination ; pas question que tous sortent.
Résumons : les CRS ont gazé ce soir des personnes qui étaient tout sauf des casseurs. Et pas quelques centaines, mais quelques milliers.certainement. Ils ne laissaient pas partir les manifestants de sur la place. J'ai vu personnellement plus de 5 arrestations. Je sais pas combien en tout. iEt j'ai vu clairement les CRS balancer des lacrymos en se foutant bien de l'endroit où elles tombaient. Et tout ça sans aucune provoc de la part des manifestants.. Elle est belle la démocratie. Et les médias dans tout cela les médias continuent à parler des casseurs, d'une petite centaine d'anarchistes, de minimiser le nombre de manifestants et à tout faire pour rendre impopulaire le mouvement.Autant dire qu'ils furent aidés en cela par ce qui avait dû être convenu avec les syndicats avant la manifestation.
La violence était uniquement le fait des flics. A croire qu'ils ont consciemment décidés de faire dégénérer les choses. Pour l'instant le mouvement reste calme (j'ai juste vu une voiture qui a été cassée sans raison en toute fin de soirée), mais ça ne va peut-être pas durer..Apparemment ces actions violentes ont été concertées au plus haut sommet afin de durcir la répression ( je pense par exemple à Metz ; où les flics ont également chargé les manifestants sans raison). Je ne sais pas quel est leur intérêt mais en tout cas n'ayons pas peur de tels agissements qui ne font que renforcer notre colère et notre mobilisation.
QUELQUES NOTES EN MARGE DE CE RECIT
Extraits d'un tract CGT (Postaux de Paris):"... c'est cela qui fait peur au pouvoir. Comment expliquer autrement la violente répression policière du 10 juin lors de laquelle de paisibles manifestants furent sauvagement matraqués? Le cycle provocation/répression est un système rôdé. Rappelons-nous, par exemple, que dans le passé (notamment lors de la manifestation sur le sidérurgie en 1979) on a déjà vu des casseurs portant sur le blouson de faux badges syndicaux mais de vraies cartes de police dans la poche...."(12/6/2003)
Extraits du Monde (12/6/2003")"... plusieurs responsables syndicaux ont été conviés au ministère de l'intérieur dans la nuit du lundi au mardi..." et question d'un lecteur du journal"...Quel sorte de gentleman's agreement ont conclu les différents interlocuteurs...Que se trame-t-il dans les coulisses?...(Le Monde 18/6/2003)
QUELQUES REFLEXIONS SUR UNE COORDINATION NATIONALE DES ETABLISSEMENTS ET DES ECOLES EN LUTTE Lors de la manifestation du 10 juin, il nous a été possible de voir affiché tout au long du parcours un "Appel aux Confédérations, aux Fédérations et aux Syndicats. Ces appels étaient signés, sans autre mention, "Coordination des établissements et des écoles en lutte". Nous avons été aussi été intrigués de voir que nombre de ces affiches étaient déchirées, selon toute vraisemblance par ceux qui voyaient d'un drôle d'oeil le développement d'organismes de lutte organisés par les travailleurs eux-mêmes.
A première vue, le texte de cet appel pouvait paraître recouper l'ensemble du mouvement de base chez les enseignants qui, dans certaines régions avait constitué de telles coordination ou collectifs pour que les travailleurs impliqués puissent décider eux-mêmes de la forme de leur lutte et des moyens d'action. Nous avions eu également des échos, comme en témoigne le récit ci-dessus, des méthodes utilisées par les "grands" syndicats "reconnus" pour court-circuiter ces organisations de base, leur ôter tout efficacité, en quelque sorte les détruire, sinon en faire des appendices des syndicats totalement soumis à leurs mots d'ordre, à leurs politiques qui de tout évidence ne coïncident pas avec ceux de la base.
Les échos de ces conflits au sujet de l'orientation du mouvement de lutte nous ont fait réfléchir plus avant au contenu de cet appel. Il n'est pas nécessaire de reproduire tout le texte de cette affiche pour comprendre ce qui est en cause, sans pouvoir attribuer une telle orientation à une manipulation politique ou syndicale ou bien à un un manque d'expérience ou de réflexion politique de la part des acteurs dans cette coordination. Citons seulement les passages qui nous paraissent les plus significatifs:
"...C'est au moment où les travailleurs sont mobilisés à un niveau jamais atteint depuis longtemps et où le pouvoir est en difficulté, que les syndicats doivent prendre l'initiative de façon décisive, par un appel sans ambiguïté à la grève générale interprofessionnelle reconductible...." (passage imprimé en rouge pour qu'il soit lu et retenu avant tout)
"...La Coordination nationale... appelle solennellement les confédérations, fédérations, syndicats, à lancer , à partir du 10 juin, une mobilisation de tous les salariés qui prenne la forme d'une grève générale..." Suit une énumération des projets (retraite, décentralisation) qui doivent être retirés purement et simplement. "Ces retraits et abrogations constituent des préalables indispensables à toute réelle négociation..."
Suit tout un ensemble de recommandations dont la plus intéressante est que les organisations ainsi sollicitées: "...s'engagent à ne rien signer qui ne soit pas préalablement soumis au personnel gréviste réunis en AG , à tous les niveaux...".
La fin est un appel à la "responsabilité" des organisations visées, les culpabilisant en quelque sorte d'avance si elles n'obtempéraient pas à cet appel.
Peu importe de savoir comment un tel appel a pu être élaboré et par qui. La principale question ainsi posée est de savoir quel sens a un tel appel aux syndicats et si ceux-ci sont capables d'y répondre.
Pour trouver la réponse à cette question, on peut regarder quelles furent les réponses des syndicats lors des grands mouvement de mobilisation des travailleurs ( 1936, 1945-47, 1968, 1995): ils firent alors tout ce qui était en leur pouvoir, non pour donner plus d'ampleur au mouvement pour une transformation de la société mais pour stopper le mouvement et ainsi renforcer le capitalisme.
Pour trouver une réponse, on peut se demander simplement pourquoi existe une coordination alors que les syndicats sont là, théoriquement, pour organiser un mouvement de lutte et impulser sa dynamique. La coordination n'existe précisément parce qu'ils ne le font pas et qu'ils oeuvrent pour d'autres buts que laisser les travailleurs en lutte décider eux-mêmes de leur lutte.
Alors, pourquoi la coordination en appelle aux syndicats, abdiquant en quelque sorte son propre rôle et sa propre existence d'émanation des travailleurs en lutte. Si un appel devait être lancé ainsi au cours d'une manifestation ce serait d'appeler précisément les travailleurs à s'organiser eux-mêmes, à surmonter toutes leurs divisions, à créer eux-mêmes leurs propres organisations de lutte,à les coordonner en fixant les règles de ces coordinations et les but de la lutte, à décider de tout eux-mêmes.
En appeler aux syndicats, au lieu de s'adresser à l'ensemble des travailleurs, c'est faire rentrer dans le cadre légal les créations existantes des travailleurs en lutte, un cadre légal auquel elles échappaient par leur existence même. Pourquoi ?
La réponse peut être donnée par le report des débats qui se sont déroulés au sein de cette coordination nationale à la fin mai. et qui touchent l'intervention du groupe Lutte Ouvrière sur une question en apparence secondaire d'organisation des débats. Les militants de Lutte Ouvrière, par une présence massive aux assemblées de cette coordination ont fait échouer une proposition visant à requérir de chaque participant d'être mandaté par une assemblée de base précise locale, et réussi à faire adopter ( facile car ils étaient majoritaire) un vote à main levée des seuls présents ( qui pouvaient venir de partout et ne représenter qu'eux-mêmes, ces assemblées étant ouvertes). De même, auparavant, la même majorité avait faire repousser une proposition de transformer la coordination enseignante en une coordination interprofessionnelle.
On comprend mieux, connaissant ces faits, le sens de l'appel que nous évoquons ici. Pour les groupes politiques, qui souvent occupent ou tentent d'occuper des positions dans les hiérarchies syndicales et leurs délégations de base en vue d'un élargissement de leur base politique, l'essentiel est précisément de renforcer leur présence dans les syndicats. Donc, le mouvement de base doit être orienté et canalisé vers les syndicats. Pour la plupart des groupes politiques, petits et grands, pour la plupart des syndicats, petits ou grands, les créations de la base doivent à tout prix être colonisés (parce qu'elles sapent leur raison d'être) et transformées en annexes de l'organisation oeuvrant pour ses visées politiques ( un vieux problème historique autant qu'actuel)
Tout mouvement autonome trouve ainsi devant lui des opposants parfois inattendus, d'autant plus dangereux qu'ils emploient un langage radical, critique des directions syndicales mais n'oeuvrant nullement pour donner force entière aux organismes de lutte créés par les travailleurs eux-mêmes.. C'est inévitable et cela ne peut être surmonté que si le mouvement est assez puissant pour réduire à néant ces tentatives d'appropriation. On peut penser que si de telles tentatives réussissent , comme cela paraît être le cas pour cette coordination, et sans doute aussi pour d'autres organismes de base, c'est parce que le mouvement n'est pas assez fort, généralisé et conscient de ses perspectives pour déjouer ces manipulations et imposer ce que requiert ses propres intérêts.
Nous répétons que notre intention avec ces textes est de recueillir des conseils, des critiques et des informations sur tout ce que chacun a pu vivre au cours de ces derniers mois en vue d'en faire une brochure. Notamment dans les tentatives de donner forme et contenu au mouvement d'autonomie de la lutte . Et, en particulier, dans les difficultés qu'ils ont pu rencontrer de la part de tous ceux ( pas toujours ceux auxquels on pense d'abord) qui tentèrent de manipuler et de détruitre les expressions de cette autonomie qui constitue, pensent-ils (et ils ont raison), une menace pour leur existence même en tant qu'organes de gestion du capitalisme et de maintien de l'ordre social garantie de cette existence même.
Temps critiques - Supplément N°13 (gratuit)
Temps critiques
Qualifier la grève pour catalyser les luttes
BP 2005
34024 Montpellier cedex 01
http://membres.lycos.fr/tempscritiques
Il faut revenir sur le caractère indirect de la critique du travail que représente la lutte sur les retraites. La critique ne peut être du même ordre que celle de la fin des années 60-début 80, quand il n'y avait pas encore véritablement de problème de chômage [1].Contrairement à tout ce qui s'est dit au niveau médiatique et politicard sur le caractère corporatif du mouvement, on y trouve bien des ferments de dépassement de la notion d'intérêt. Ce serait une erreur de ne concevoir l'entrée dans la grève des travailleurs des transports comme relevant essentiellement de leur intérêt bien compris en tant que salariés qui seraient prochainement visés par des mesures identiques [2]. Ce mouvement constitue comme la trace d'un fil historique des luttes de classes qui s'est rompu à la fin des années 70-début des années 80 (défaite du mouvement italien, répression des grandes grèves des mineurs et de la sidérurgie en G-B et France d'un côté; restructuration du capital et intensification de l'individualisation de l'autre). Cette trace court depuis les mouvements de 1986 et surtout du «Tous ensemble» de 1995. Dans ces trois cas (1986, 1995, 2003), les cheminots s'y retrouvent impliqués avec de nouvelles catégories de salariés sans tradition de luttes ou avec des traditions forts différentes. Ce sont les cheminots qui alors perpétuent cette mémoire des luttes. Comme ils le disent souvent, ils se sentent investis d'une responsabilité.
Si la lutte apparaît parfois comme une lutte pour la lutte [3], c'est parce qu'il n'y a plus d'affirmation possible ni de la classe du travail ni du travail lui-même. Les grèves desesperadosde Cellatex et d'ailleurs l'avait déjà manifesté : ce n'est plus que dans la lutte que les salariés, réduits à des catégories sociologiques dévalorisées, peuvent trouver une unité sans, pour le moment en tout cas, tenir le rôle de l'ancien sujet historique de la révolution.
Cette dimension d'une visée révolutionnaire par défaut apparaît aussi dans l'incapacité du mouvement à exprimer une rupture avec toute politique de réforme, alors même que la plupart de ses protagonistes pensent que l'actuelle «réforme Fillon» n'est pas fiable. La marge de manœuvre n'est alors plus qu'entre les 40 ans d'annuités plus ou moins acceptés par les grands syndicats et le statu quodes 37,5 annuités qui devraient pouvoir être financées par d'autres moyens (en taxant le capital et les profits etc [4]). Or du point de vue économique, il n'y a pas de solution. Tous les experts se renvoient réformes et contre-réformes sans avoir trop de mal à démontrer l'inanité des unes par rapport aux autres. Cela s'est ressenti aussi parmi les manifestants, dans l'ambiguïté de la coexistence entre deux slogans : l'un sur les 37,5 annuités pour tous, ce qui est une acceptation de l'ancien système et l'autre sur le retrait pur et simple de la réforme qui présente l'avantage de ne pas se prononcer par rapport à une quelconque «nécessité économique».
C'est que l'heure n'est plus au réformisme c'est-à-dire à un véritable projet d'ensemble, à moyen ou long terme, qui permette un changement social au sein d'un système qui reste capitaliste (c'est le sens de toute restructuration réussie des rapports sociaux, de tout mode de régulation institutionnel[5]). Ce qu'on nous sert maintenant, ce sont des réformes sans réformisme ni réformateurs. Mais il faut aussi constater que l'heure n'est pas non plus à la révolution.
C'est pour cela qu'une critique des syndicats, si elle est nécessaire, ne s'avère pas suffisante. Nous savons que depuis la fin du syndicalisme révolutionnaire, c'est-à-dire depuis la guerre de 1914 (depuis 1937 en Espagne) avec la mise en place d'une domination capitaliste et non plus seulement bourgeoise, le syndicat n'est plus que le défenseur de la valeur de la force de travail au sein du capital, mais il reste ce représentant malgré tout. Il ne sert donc à rien de clamer depuis des décennies que les syndicats trahissent ou qu'ils remplissent trop bien leur rôle d'intégration de la classe du travail au sein du capital. Nous savons très bien que le nombre de cartes syndicales déchirées par dégoût au cours d'un conflit et le nombre de cartes reprises dans le cours quotidien de l'exploitation s'équilibrent à peu près, même si cela ne recouvre pas les mêmes personnes. De plus, le processus de désyndicalisation que nous connaissons n'est pas dû à une distorsion entre ces deux données mais à une profonde transformation des rapports sociaux et des rapports de force. Les syndicats ont suivi cette évolution et la CFDT est par exemple passée du gauchisme de terrain dans les années 60-70 à la cogestion et au syndicalisme de lobbying à partir des années 80. Que dire aussi de la CGT qui, d'un côté amorce un recentrage mais qui, d'un autre, dans la région parisienne par exemple, se livre à des appels du pied auprès de militants de Lutte Ouvrière qu'elle avait elle-même précédemment exclus ? A la recherche de militants perdus, elle est maintenant prête à accepter et utiliser leur activisme tant que la direction de LO ne se distingue pas ouvertement de celle de la CGT sur le conflit en cours [6]; à accepter aussi la démocratie des AG et enfin à accepter la présence de coordinations aux côtés de l'intersyndicale comme ce fut le cas à Paris et Marseille, du moins tant que celles-ci ne débouchent que sur un appel désespéré de «la base» en direction de la CGT, pour la grève générale. La CGT et les syndicats en général découvrent que «l'autonomie» peut avoir du bon... tant qu'elle reste formelle et se situe dans le cadre des revendications syndicales [7].
Du «Tous ensemble» à la grève généraleAvec la décomposition des classes et l'inessentialisation [8] de l'ancienne force de travail dans la valorisation, il n'y a plus d'unité des travailleurs en dehors de la lutte (c'est une des causes de la désyndicalisation). Ce qui a donné au mouvement de 95 comme à celui que nous venons de vivre sa dimension unitaire, c'est que dans les deux cas il part des travailleurs de la «reproduction» (reproduction du capital au sens productif pour ce qui est des secteurs des transports et des communications ; reproduction des rapports sociaux pour les enseignants, le secteur de la santé, les travailleurs sociaux, etc.) Sous des allures corporatistes que les médias ne manquent pas de mettre en évidence, ce mouvement a cherché à exprimer une unité subjective alors que l'unité objective fait défaut. C'est cette unité subjective que représente bien le «Tous ensemble». Il n'exprime pas le caractère interclassiste du mouvement, mais le dépassement de la problématique classiste. Toutefois, dans le capitalisme, tout dépassement qui reste partiel est englobé dans la dynamique du capital. C'est ce qu'on a pu voir avec l'apparition puis le développement du «citoyennisme», forme abâtardie et politicarde du «tous ensemble» qui a d'autant plus de facilité à s'exprimer que le mouvement reste majoritairement cantonné aux secteurs public et para-public.
Comment dès lors expliquer le passage du «tous ensemble» de 1995 à «grève générale» de 2003 alors que la décomposition des classes s'est encore accentuée et que le citoyennisme a prospéré et que sont même venus se greffer sur lui d'autres formes de contestation a-classiste à tendance radicale depuis Seattle et Gênes ? Certains vont mettre en avant que les restructurations actuelles nous ramènent aux conditions des débuts de la révolution industrielle et donc aux conditions originelles de la lutte des classes, mais cela serait vrai si c'était justement les secteurs représentatifs de ces conditions qui se trouvaient au devant de la scène. Or, malgré une certaine force du mouvement des chômeurs en 98, il n'en est rien. On peut même s'étonner de l'absence d'intervention de cette composante alors que pourtant, comme nous le disons dans notre premier texte sur le mouvement de mai-juin 2033 [9], le mouvement posait bien en creux la question du travail et sa critique.
En 1995, le «tous ensemble» se situait plutôt face à l'État dans la défense des missions de service public et contre le démantèlement de l'État-providence. Le sens du «tous ensemble» était alors celui de la société contre l'État avec la limite qu'il n'est plus possible justement d'opposer une société civile à l'État comme le faisait par exemple Marx quand il parlait d'une situation de crise qui fait que l'État est amené à ne plus représenter la société civile, mais seulement les intérêts capitalistes. Or l'État n'est plus un simple élément de la superstructure du capitalisme et il n'est plus non plus un extérieur à nous [10]. Le mouvement de mai-juin 2003 se situe davantage en référence au capital lui-même (retraites, temps de travail, critique du travail) dont l'État ne serait qu'une médiation. La revendication de la grève générale marque cette inflexion. Est-ce pour autant plus clair ? Il y a bien un lien entre les deux mouvements : les retraites étaient déjà présentes dans le mouvement de 95 à travers la lutte des cheminots ; et le projet de décentralisation d'aujourd'hui perpétue, même à travers une fausse conscience, la question des services publics, de l'égalité et finalement celle d'une alternative à la société existante. Ainsi, on a pu voir de nombreuses banderoles ou slogans faisant explicitement le lien entre les deux mouvements : «Tous ensemble, tous ensemble, grève générale».
Pourquoi la CGT a-t-elle eu beau jeu de montrer que la grève générale ne sortait pas d'une pochette-surprise ? En dehors de la volonté politique de
s'y opposer [11] (il n'y a pas d'alternative politique disait Thibault), la CGT a eu une appréhension raisonnée d'un rapport de force originel défavorable. Si la grève est partout, en dehors des «temps forts» elle est très minoritaire, sauf dans certains secteurs de l'enseignement. Dans cette configuration, il y a deux choix possibles, soit ne pas se soucier de l'opinion publique et bloquer là où cela fait mal au risque de l'impopularité, soit essayer de devenir majoritaire non pas dans les secteurs de la lutte, mais dans l'opinion. La CGT a bien sûr choisi cette seconde option. Les positions de FO et de la CNT par rapport à la grève générale sont mieux cernables dans la mesure ou pour FO, la grève générale ce n'est que la grève interprofessionnelle et la priorité donnée à l'action par le haut dans laquelle sa représentativité est surévaluée, alors que pour la CNT cet objectif renvoie à l'utopie d'une unité de classe à la base qui n'existe plus. Mais dans tous les cas, les syndicats et cela vaut aussi pour SUD et la CNT sont mal placés pour appréhender un mouvement qui contrairement à celui de 95, porte la critique du travail alors qu'ils le défendent [12] tous d'une façon ou d'une autre.On peut penser aussi que la grève générale a fonctionné comme un mythe politique dans une situation où elle est pourtant devenue anachronique : 1) parce qu'elle représentait l'arme des producteurs de la valeur alors que cette grève est essentiellement, comme en 95 d'ailleurs, celle des «reproducteurs» ; 2) parce qu'elle figurait l'unité subjective d'une classe objectivement constituée alors qu'il n'y a plus de classes «en soi» au sens de Marx, mais des catégories sociologiques ou/et des statuts qui s'opposent. La haine anti-fonctionnaire semble aujourd'hui beaucoup plus forte qu'en 95 et explique peut être le fait que la «grève par procuration» du privé constatée dans le précédent conflit ait été moins présente cette fois ci. Dans ces conditions, comment généraliser la grève ?
L'évolution des salariés de l'Éducation nationale est à cet égard frappante.
Il ne s'agit pas de savoir s'ils sont productifs ou non, s'ils font partie de la classe moyenne ou du prolétariat, mais de noter les transformations aussi bien de l'institution scolaire que des enseignants eux-mêmes. Il y a une crise récurrente de l'institution qui se manifeste spectaculairement par une succession de réformes jamais vraiment abouties, une dévalorisation du métier et de ses conditions d'exercice alors même que l'origine sociale des enseignants est aujourd'hui moins populaire qu'il y a 30 ou 50 ans. Le choc est donc grand et il est particulièrement ressenti aux deux extrêmes de la pyramide des âges du personnel de l'Éducation nationale, même si c'est plutôt chez les jeunes que l'on retrouve un positionnement qui les fait être des salariés avant d'être des enseignants. Les luttes enseignantes perdent alors leur caractère traditionnel de lutte spécifique sur l'école ou de force d'appoint pour la gauche politique et elles peuvent s'intégrer pleinement au mouvement d'ensemble. C'est aussi sur cette nouvelle base que des enseignants développent des actions moins traditionnelles et que le tabou d'une action sur le bac a pu être un moment levé. La limite reste pourtant que la radicalisation des moyens de lutte ne conduit à aucune radicalisation des contenus. Par exemple, empêcher le bac ne conduit pas à le critiquer, reconnaître publiquement que l'école est en crise et qu'elle ne fonctionne plus que parce que ses salariés jouent les pompiers de service, est une réflexion qui reste de l'ordre de la discussion privée. Ce qui en dernier ressort annule la radicalisation des moyens : si les profs sont pour le maintien du bac et des formes d'évaluations actuelles, ils ne l'empêcheront pas. Et c'est bien ce qui s'est produit.
Dans les débats des assemblées d'enseignants grévistes, l'objectif du boycott du baccalauréat et des autres examens nationaux ne fut pas vraiment débattu. Même lorsqu'on ne suivait pas les injonctions des syndicats («soyons responsables») et lorsqu'on se voyait assez fort pour affronter les menaces gouvernementales et l'opprobre de nombreux parents d'élèves, les implications politiques de cette lutte ne furent que rarement analysées. Or, il y avait bien là matière pour faire passer le mouvement à un stade supérieur d'intervention [13]. La lutte contre la dévalorisation des retraites ne pouvait que s'amplifier en contestant un examen qui n'est conservé que pour sa fonction de «pacte social démo-républicain», alors que les notes et les évaluations qu'il comporte sont toutes orientées vers une sélection des «compétences» individuelles capitalisables par le système.
Mouvement social et position politique Marx, dans Misère de la philosophie— sa réponse au pamphlet de Proudhon Philosophie de la misère— fait remarquer : «Ne dites pas que le mouvement social exclut le mouvement politique. Il n'y a jamais de mouvement politique qui ne soit social en même temps». Mais de cette phrase il n'infère pas que le mouvement social soit forcément politique en même temps. La question est celle de la nature de ce qu'on appelle «mouvement social», quand les termes de lutte de classes, de mouvement ouvrier ou mouvement prolétarien écorchent la réalité. Pour nous, le mouvement de mai-juin 2003 est politique dans la mesure où il pose des questions qui sont indissociablement sociales et politiques comme celles du travail et de l'État ; mais c'est autre chose que lui reconnaître une perspective politique. Si on veut essayer d'être plus concret, on peut remarquer que sur la question de l'État, le mouvement est au sens strict «réactionnaire» car il le critique de l'intérieur au nom d'un État idéal qui a trop tendance à ressembler à celui de l'âge d'or de sa forme providence et de son mode de régulation fordiste. C'est pour cela que le refus de la décentralisation se fait, chez les enseignants, sur une base politique jacobine [14] non avouée, mais très présente dans leur attachement à l'égalité des établissements, au caractère national des diplômes, etc.). Mais cette position se trouve en total porte-à-faux à la fois avec la réalité du redéploiement de l'État dans sa forme réseau [15], qui ne correspond pas à la caricature qu'en font bien souvent certaines organisations syndicales et politiques et aussi avec la réalité d'un mouvement de moins en moins jacobin dans ses lieux d'expressions [16] comme dans ses modes de fonctionnement très éclatés. Les regroupements les plus prisés semblent être ceux au niveau d'un «bassin d'emploi» ou de recrutement pour les écoles. Il y a là assurément une raison de facilité rendue par la proximité, mais il y a aussi une recherche d'autonomie de la part du mouvement. Mais la contradiction entre cette autonomie formelle et la dépendance réelle au positionnement politique jacobin, empêche toute perspective. Pour prendre un exemple encore, il peut paraître étonnant que les étudiants de Perpignan, dont l'Université est un pur produit de la décentralisation précédente, n'aient pas saisi l'occasion du nouveau projet de décentralisation…pour proclamer leur université libre et «autonome», y compris à l'égard de la tutelle rectorale sur les examens ! Nous ne sommes plus dans les années 60 à Berkeley, Berlin, Rome ou Nanterre ! Cette absence de perspective n'est pas un obstacle en soi au déclenchement du mouvement et on peut même parier qu'en terme d'efficacité, la forme prise par la contestation de la réforme à Perpignan et dans quelques autres villes a provoqué au gouvernement une peur irraisonnée d'un nouveau mai 68 étudiant; d'où la décision de reporter la réforme des universités. Mais, sauf à Toulouse, les étudiants sont alors rentrés dans leur coquille.
Ce mouvement comporte donc une indéniable dimension de critique du travail. Et en cela il contient un potentiel de lutte pour un prochain moment de rupture. Mais on ne peut se réjouir que les salariés des secteurs de la reproduction soient dévalorisés et traités de la même façon que de purs prolétaires (c'est-à-dire des individus dépossédés de tout) comme si la révolution avait à voir avec une question de pureté de classe. Bien au contraire, nous avons toujours affirmé que les moments révolutionnaires ont correspondu à des mixages entre classes [17] et c'est encore plus vrai aujourd'hui qu'il n'y a plus guère d'imagerie de classe. Par exemple, les enseignants, en abandonnant toute critique de leur propre activité quotidienne et en s'investissant dans une critique politique ponctuelle et partielle du système risquent de perdre de vue que c'est pourtant leur position particulière dans les rapports sociaux et la reproduction de ces rapports qui peut donner à leur lutte une dimension universalisable. Car dans cette société où les savoirs, les informations, les communications, la culture, les technosciences sont des opérateurs majeurs de la «création de valeur», des salariés de la reproduction renversant la dynamique capitaliste de leurs activités [18] se trouveront alors nécessairement en première ligne des bouleversements révolutionnaires à venir.
in Solidarité, juin 2003[1] C'est cet aspect de la lutte que Ch. Charrier néglige quand il insiste sur le caractère «lutte pour la lutte» du mouvement. Cf. l'article Le mouvement de mai-juin 2003 et l'immédiateté des classes sur le site : http://lamaterielle.chez.tiscali.fr/index.html[2] Comme le dit Charrier dans le texte précité: «Non pas en lutte pour mais parce que...»
[3] Par exemple dans le «Tous ensemble» de 1995, l'unité affective semble parfois l'emporter sur l'exigence revendicative du retrait de la réforme Juppé.
[4] On aura eu droit à toute l'ignominie de la pensée de gauche, avec, par exemple, un tract de la FSU 04 selon lequel, la baisse des retraites : «c'est freiner la consommation et donc aussi pénaliser les entreprises» (cité dans une Déclaration concernant la récente attaque contre le malheureux reste de survie concédé par la société capitaliste,texte signé «Quelques parents en rage»).
[5] Ce fut le sens des réformes d'après mai 68, celles qui opérèrent l'autonomisation et la particularisation de l'ensemble des institutions de l'ancienne société de classe.
[6] LO a été la seule organisation d'extrême-gauche à ne pas appeler à la grève générale.
[7] C'est le cas des luttes enseignantes qui, même parties très tôt dans l'année (mars-avril) et sous des formes radicales, reprirent, sur la question de la décentralisation, tout l'argumentaire pavlovien des syndicats pro-étatiques.
[8] Par inessentialisation de la force de travail dans le processus de valorisation, nous n'entendons pas analyser la fin du travail, mais le fait que le travail vivant joue un rôle de plus en plus périphérique dans cette valorisation. Il ne s'agit pas non plus de dire que c'est dans la bulle financière que se réalise la valorisation, mais qu'il y a à la fois substitution de plus en plus importante de travail mort (machines, capital fixe) au travail vivant et développement de capital fictif (le crédit, les start upet tutti quanti).
[9] Cf. "Retraites à vau-l'eau et vies par défaut, contre le capital : Assaut!" Temps critiques,3 juin 2003.
[10] Sur ces transformations de l'État, cf. Temps critiquesn°13.
[11] En même temps que son «recentrage», la CGT adopte des méthodes de plus en plus subtiles pour orienter le mouvement en fonction de sa stratégie. Si elle s'oppose encore parfois frontalement au mouvement comme à la Poste (pas de préavis de grève déposé en dehors des quelques temps forts) ou à la RATP («on n'est pas concerné»), elle utilise plutôt une tactique contra-cyclique : ainsi, à la SNCF, elle souffla le froid au moment du plus chaud (le 13 mai) et souffla le chaud au moment de la retombée (à partir du 10/12 juin). A noter aussi qu'elle a su exploiter le mot d'ordre de grève reconductible (qui fait aussi partie de la tradition gréviste cheminote) alors que nombreux pensaient que des actions tournantes de blocage seraient plus efficaces même si elles encouraient alors des sanctions pour atteinte à la continuité du service public. C'est aussi une manière détournée de signaler que la «démocratie ouvrière» a ses limites quand un mouvement est par trop minoritaire. La grève reconductible dont certains ont voulu faire une panacée, a d'ailleurs permis aux syndicats de bloquer l'extension des grèves dans les entreprises publiques car elle est techniquement plus difficile à mettre en place que la grève illimitée qui a prévalu en 95.
[12] Cette défense peut être directe quand c'est l'idéologie du travail qui est mise en avant dans la participation cédétiste à la refondation sociale ou dans l'idéologie des mains calleuses de la CGT, mais elle peut être indirecte, plus insidieuse quand on se met à vouloir distinguer les travaux pénibles des autres. C'est pourtant ce que font ouvertement la CFDT et la CGT et de manière plus feutrée la CNT, quand au détour d'une conversation de postiers «actifs» on apprend que ceux des bureaux pourraient bien aller jusqu'à 40 ans de cotisation-retraite puisque leurs conditions de travail ne sont pas si dures que cela comparées à celles d'autres postiers. Où on voit qu'il existe déjà des syndicalistes, y compris anarcho, prêts à établir les nouvelles règles de l'obligation au travail!
[13] En 1968, la contestation de l'institution des examens, dont certains comités d'action des facultés exigeaient d'abord le report, est devenue un objectif largement dépassé dès que la montée en puissance du mouvement a contesté l'ensemble de la société et tous ses modes de domestication.
[14] Jacobine et non pas citoyenne.
[15] Nous renvoyons toujours aux textes des n° 12 et 13 de Temps critiques(L'impliqué, 2001 et 2003). Mais pour faire bref, on peut dire que l'État-nation en crise se recentre sur ses fonctions régaliennes (c'est là que se maintient la position jacobine), mais explose et se dilue dans l'ensemble des rapports sociaux, rendant floue et donc non pertinente toute distinction entre État et société civile. C'est particulièrement net pour tout ce qui concerne «le social», mais c'est un mouvement qui remonte déjà à une dizaine d'années. Ce processus se trouve aujourd'hui renforcé par une entreprise telle que «la refondation sociale» dans laquelle la frontière entre loi et contrat s'estompe. Dans le même ordre d'idées, mais sur un autre terrain, ce sont les droits spécifiques des divers particularismes organisés en lobbies qui viennent concurrencer ou supplanter le Droit général.
[16] La Commune et Mai 68 ont été des mouvements surtout parisiens alors que depuis 95 et encore plus dans ce dernier mouvement, c'est en province que le mouvement a été le plus fort et surtout il a concerné quasiment toutes les villes, même les petites qui ont tenues à avoir leurs propres AG et manifestations. La grande messe de la manif nationale à Paris, comme en 1995, n'en était que plus déplacée, même si, invariablement, elle continue à compter un grand nombre de partisans.
[17] Cf. par exemple le rôle des «artisans-ouvriers» dans la Première Internationale et l'influence de l'origine paysanne dans certaines révoltes ouvrières.
[18] C'est le sens de notre hypothèse qui nous fait mêler alternative et révolution et non pas les opposer.
Syndicat Intercorporatif Anarchosyndicaliste de Caen
La lutte contre le projet de réformes des retraites : une défaite prévisible...
in L'Anarcho-Syndicaliste n°86 —Septembre 2003
Nous sortons d’un conflit social d’ampleur, massif, qui aura duré des semaines. Des semaines de grève, de manifs et plus rarement d’action. En vain !!! Cela n’aura pas suffit pour faire reculer le gouvernement et en soi, cela ne constitue pas pour nous une surprise. Nous sortons de ce conflit plutôt avec un certain nombre de confirmations. L’heure du bilan a sonné. Il faut maintenant tirer des leçons des évènements. Il y a urgence car les mauvais coups vont continuer à pleuvoir. Il nous faut extraire de la défaite ce qui pourra nous aider à être victorieux demain...ANALYSONS LE CONTEXTE UN GOUVERNEMENT DE COMBAT
Pour celle et ceux qui en doutaient encore, il va falloir se rendre à l’évidence. Le gouvernement actuel bénéficie d’une assise politique très importante et stable : il a été massivement élu. Et le fait qu’il ait été élu grâce à l’apport de très nombreuses voix de gôche ne tétanise en rien son action. Une fois élu, les gouvernements n’ont plus de comptes à rendre.
Main dans la main avec le MEDEF, le gouvernement, qui a les coudées bien franches, se lance dans un ensemble de réformes, une véritable «refondation sociale» pour parler en Seillières dans le texte. Plus ou moins importantes, ces réformes se succèdent à un rythme soutenu : disparition du statut des pions, emplois-jeunes virés comme des malpropres, réforme du régime de chômage, durcissement programmé du statut des intermittents du spectacle, suppression de l’impôt sur les grandes fortunes, décentralisation, compressions budgétaires, réforme des retraites… Et à la rentrée, la Sécu, les universités et le droit de grève dans les transports publics vont être visés par un main qui ne tremble pas.
Contrairement à l’insidieuse politique socialiste de grignotage lent et progressif des acquis sociaux, la droite a décidé de mettre le turbo. Elle s’attaque plus particulièrement à tout ce qu’on appelait le «salaire indirect», à savoir la couverture chômage, vieillesse et santé. Les salariéEs voient leurs cotisations augmenter (en durée et en pourcentage du salaire direct) et leurs droits se réduire. Comme d’habitude, ils/elles supportent l’essentiel des «efforts» que la logique capitaliste leur impose pour la préservation du sacro-saint taux de profit.
DES MEDIAS AUX ORDRES
Qu’ils soient nationaux ou régionaux, télévisés, écrits ou radiophoniques, la très grande majorité des médias a fait preuve d’une servilité tout à fait remarquable. La dénonciation continuelle de «l’irresponsabilité», du «manque de civisme» des grévistes, «privilégiés», à l’occasion «violents», infiltrés par l’extrême gauche, qui ruinent l’économie, font le jeu du fascisme, prennent en otages les usagers des transports, stressent les lycéen(ne)s ou des étudiantEs qui doivent passer leurs examens... aura atteint des sommets.
La réforme gouvernementale fut quant à elle décrite bien souvent comme «inévitable», «nécessaire», «urgente», «courageuse», «équitable»...
Médias partout, info nulle part !!!
DÉSORMAIS LA POLICE VEILLE...
ET PAS QUE DANS LES CITÉS CRASSEUSESLes sondages le disaient : « les français veulent de la sécurité ». Le gouvernement a donc donné plus de flics, bénéficiant de droits plus étendus à une population qui, elle, en a de moins en moins et est soumise à des lois de plus en plus nombreuses, répressives, à des peines alourdies qu’on va purger dans des prisons surpeuplées. Les dernières semaines auront peut-être eu l’avantage de rappeler à un certain nombre de grévistes gazés, frappés, molestés, insultés, interpellés voire inculpés que l’ordre sécuritaire qui s’installe dans ce pays ne vise pas que les putes, les manouches, les roumains ou les banlieusards basanés, bref « les autres », qu’il est également mis en place pour s’en prendre aux grévistes, aux activistes, aux contestataires trop remuantEs au goût du gouvernement et du patronat...
«LES SYNDICATS SONT NOS AMIS,
ILS NE NOUS ONT JAMAIS TRAHI !!!»Le mouvement social a démarré progressivement. Prudents comme toujours, les syndicats ont enchaîné les journée d’(in)action et autres «temps forts» en attendant de voir ce qui allait se produire. Et quand le 13 mai, des manifs de masse se sont produites partout en France, quand le 25 mai un énorme cortège a envahi les rues de Paris... ils se sont bien gardés d’étendre la lutte en appelant à la grève générale reconductible et interprofessionnelle.
En 1936, le stalinien Thorez disait qu’il fallait «savoir terminer une grève», aujourd’hui les grands chefs syndicalistes, toujours à la pointe du progrès, nous démontrent qu’ils savent désormais aussi ne pas la commencer.
Bien des grévistes, syndiqués ou non, engagés sans arrières pensées dans la lutte, s’en sont émus... et au fur et à mesure que le temps passait, on a pu voir se manifester chez eux une déception, une amertume, une incompréhension, une colère de plus en plus affichée vis à vis des syndicats.
Nous disons à ces camarades de lutte qu’il n’y a pas lieu d’être déçus ou amers car l’attitude des syndicats est tout à fait compréhensible. Elle ne devient incompréhensible que si l’on a encore des illusions sur les syndicats, comme croire par exemple, que leur but premier est de lutter aux cotés des travailleurs contre les injustices dont ils sont la cible.
Si tel fut bien souvent le cas à leurs origines, les syndicats ont depuis longtemps abandonné les idées de lutte de classe, de transformation radicale de la société, les principes d’indépendance vis à vis des partis politiques et du financement d’Etat, d’autonomie vis à vis des valeurs bourgeoises, le devoir de solidarité et d’appui mutuel. Ils ne sont plus les lieux où s’auto-organisaient au début du siècle les travailleurs les plus combatifs et où circulaient des idées critiques et alternatives.
Non aujourd’hui, ce sont des appareils bureaucratiques, hautement hiérarchisés, financés par l’Etat, traversés par de multiples influences politiciennes et dont la fonction première est de négocier la mise en œuvre, avec les autres « partenaires sociaux » (Etat-patron et MEDEF), d’un certain nombre de réformes ou adaptations nécessaires du point de vue du capital et/ou de l’appareil d’Etat. En échange de quoi, ils obtiennent de temps en temps quelques miettes ou menus avantages provisoires pour les travailleurs, ce qui leur permet de sauver les apparences. Ils justifient aussi leur existence aux yeux des salariEs par de multiples prestations de service (prud’hommes, mutations, problèmes de notations administratives...).
A l’occasion quand la base grogne ou lorsque leurs intérêts bureaucratiques sont menacés, ils se lancent dans des mobilisations mais toujours un peu à reculons car il n’est pas toujours aisé de les canaliser, de les diriger, de les maintenir dans le cadre des manifestations ritualisées, respectueuses de la légalité, où tout le monde s’emmerde pendant que le pouvoir s’en fout...
A la différence des grands syndicats traditionnels, les petits syndicats récents sont souvent plus combatifs et démocratiques et en général ils le restent tant qu’ils ne grossissent pas trop, après ils ont beaucoup d’élus, s’intègrent dans les instances paritaires, deviennent «raisonnables et réalistes»... comme les autres. Comme on dit par chez nous, «Les syndicats, c’est fait pour être débordés !!!».
Oui, vraiment, déception et amertume ne servent à rien. Quant à la colère, camarades de lutte, gardez là et cultivez la avec soin. Elle aide à ouvrir les yeux et elle aura bientôt l’occasion de resservir...
LE MOUVEMENT A CUMULÉDE GRAVES FAIBLESSES FAIBLESSE DE L'AUTO-ORGANISATION
Les AG ont refleuri et elles ont été marquées en général par une réelle démocratie… à la base, dans les bahuts, les dépots, les centres de tri et autres établissements. Le problème, c’est qu’une lutte d’une telle ampleur ne peut se mener uniquement au niveau des établissements de services publics. Or, si les AG d’établissements ont bien été démocratiques, tel ne fut pas le cas des AG départementales ou régionales (de branche ou interprofessionnelle) qui, elles, furent bien souvent contrôlées et verrouillées par les syndicats (réunis en inter-syndicales, ces «unions sacrées» bureaucratiques qui ont pour but la canalisation des foules) qui y donnaient le «La», faisaient souvent voter uniquement ce qui les arrangeaient, monopolisaient la parole, définissaient ce qui était possible, correct et ce qui ne l’était pas.
Les AG d’établissements ou de secteurs (autour de petites localités) ne gêne guère les syndicats. Ces AG prennent souvent en charge toute une partie du travail de mobilisation et de circulation de l’information que les syndicats n’ont plus vraiment les moyens militants d’assurer. Les syndicats les acceptent d’autant mieux qu’elles leurs offrent une façade démocratique. Par contre, il est fondamental pour eux de contrôler les AG centrales des grandes villes, des départements et des régions où se concentrent parfois des centaines et des centaines de grévistes et à partir desquelles se dessinent la forme et le contenu du mouvement.
Malheureusement, mis à part quelques embryons de coordinations auto-organisées dans certaines régions (en particulier entre collectifs indépendants de profs), rares ont été les structures autonomes de lutte directement mises en place par les grévistes et ensuite coordonnées de manière interprofessionnelle dans les grandes villes et à l’échelle des régions.
FAIBLESSE DE L’ACTION
Même si le mouvement n’avait pas l’ampleur de celui de 95, cela aurait vraisemblablement pu être compensé par une action résolue. Ce ne fut pas le cas. Certes, dans certains endroits et/ou dans certains secteurs se sont manifestés ce que nous appelons «des poches de radicalité».
De ci de là, des piquets de grève, des barrages mobiles, des blocages fixes, des actions surprises dans des gares, des occupations de bâtiments administratifs, des dégradations de locaux patronaux ont eu lieu mais avec une fréquence et une extension bien trop faible.
L’impact de telles formes d’actions ne devient réellement dérangeant pour le pouvoir que lorsqu’elles se généralisent (à la fois géographiquement et sectoriellement), se coordonnent et se produisent à une échelle importante TOUS les jours... Une telle généralisation de l’action menace directement le contrôle du mouvement par les syndicats qui sont dans l’incapacité d’être partout. Ils le savent et c’est justement pour cela qu’ils freinent de telles actions, parce qu’elles portent en germe leur débordement pratique, parce qu’elles peuvent provoquer des incidents et donc radicaliser les grévistes.
FAIBLESSE DE LA CULTURE DE LUTTE
La faiblesse de l’action et du degré d’auto-organisation mis en œuvre par le mouvement de lutte renvoie à la faiblesse actuelle de ce que nous appelons la «culture de lutte», c’est à dire un ensemble d’expériences pratiques et de réflexions théoriques, collectivement partagé et orienté vers la construction d’un mouvement autonome de résistance et d’émancipation sociale.
Depuis 95, un certain nombre (relativement restreint) de luttes défensives, en général très localisées (entreprises qui ferment, plans sociaux), qui prennent un tour radical, se sont produites mais il ne s’agissait en aucun cas de mouvements d’ampleur. Une fois ces entreprises liquidées, les collectivités de salariEs qui y bossaient se dispersaient et avec eux, le capital d’expériences de lutte qu’ils avaient pu accumuler.
Il y a bien eu aussi quelques conflits plus importants dans l’Education Nationale et à la SNCF mais ils restèrent essentiellement à caractère régional.
Cette absence, pendant prés de 8 ans, de grands mouvements, ou de nombreux mouvements plus limités (sectoriellement et géographiquement), ayant une certaine durée et radicalité, les fermetures de boites, la précarité et le chômage (sans parler du matraquage idéologique), tout cela a réduit les opportunité d’acquérir, d’approfondir et de transmettre des expériences de lutte. Et tout cela fait cruellement défaut maintenant... Cela se ressent à travers de multiples attitudes passives, spectatrices, attentistes, consommatrices, à travers un manque de combativité, d’expérience, de solidarité, de réseaux, à travers l’absence d’actions et de structures de coordination indépendantes des syndicats, à travers des discours et actions qui se veulent très légalistes, responsables, à travers la naïveté qui consiste à croire qu’il suffit de manifester nombreux pour obtenir gain de cause ou à demander au gouvernement de bien vouloir entendre la rue...
QUELLES PERSPECTIVES ??? Les limites rencontrées par le mouvement actuel doivent constituer le point de départ d’une réflexion et d’une action nécessaire mais qui ne pourront donner des résultats que sur le long terme.
AG, COMITES DE LUTTE, RESEAUX, COLLECTIFS, COORDINATIONS
Partout où c’est possible, les AG de base, tenues sur les lieux de travail, doivent être démocratiques et souveraines. Dans les établissements de services publics les plus importants, il faut essayer de faire en sorte qu’elles débouchent sur la constitution de comités de lutte (ou de grève), indépendants des syndicats. Il faut ensuite rapidement tenter de coordonner localement les comités de lutte et les AG, au sein d’une même branche et entre toutes les branches en lutte. Cela passe entre autres par des visites directes dans les AG locales des différentes branches en lutte.
Là où cela n’est pas directement possible, il faut essayer de se regrouper entre personnes favorables à l’auto-organisation et à la radicalisation, créer des réseaux où circulent infos, analyses et propositions concrètes et mettre en place dés que possible, sur des bases locales, des collectifs autonomes de salariéEs en lutte, en dehors de toute influence syndicale (même si des syndiquéEs peuvent faire la démarche de les rejoindre à titre individuel).
Il faut ensuite saisir toutes les opportunités de se rencontrer et de se coordonner entre AG, comités de lutte, réseaux, collectifs et coordinations de différentes localités, à une échelle départementale et régionale.
Ce type de travail demande pas mal d’énergie et nécessite du temps. Il est évident qu’il ne peut être mené à bien par quelques groupuscules radicaux (même si ceux-ci peuvent y participer). Ce travail ne pourra se concrétiser que si de nombreux individus sont déterminés à le prendre en charge et se montrent capables de créer, collectivement, une dynamique de lutte et d’auto-organisation.
Toute expérience d’auto-organisation et de lutte radicale, même limitées géographiquement et/ou sectoriellement, même fragile et provisoire, constitue de fait une avancée vers l’autonomie du mouvement social. Il est indispensable de construire des formes d’auto-organisation qui pourront servir de réceptacles pour les salariéEs radicaliséEs lorsque éclateront de nouveaux conflits et de creusets où pourront se forger les éléments d’une culture de lutte autonome.
RETOURNER AUX SOURCES DE L’ACTION DIRECTE
Il s’agit d’agir par soi-même, pour soi-même, sans passer par des intermédiaires syndicaux ou politiciens et sans se laisser tétaniser par les interdictions de la loi capitaliste.
Les actions peuvent être individuelles ou collectives, diffuses ou concentrées... Blocages, piquets de grève, occupations, séquestrations, harcèlement des déplacements ministériels, grèves perlées, grève du zèle, sabotages, coulage de la production, multiplications des malfaçons, débordements divers, actions surprises visant un ou plusieurs objectifs simultanément (ce qui tend en plus à réduire les risques de répression policière)... Les options ne manquent pas. L’impact de ces formes d’actions, le degré de nuisances qu’elles représentent pour le pouvoir dépend de leur généralisation (spatiale et sectorielle) et de leur fréquence quotidienne. Même si elles restent limitées en nombre localement, ces formes d’action peuvent avoir un fort effet cumulatif et dynamique au niveau national. Elles doivent chercher prioritairement à perturber le fonctionnement de l’économie et/ou de l’appareil d’Etat. Leur mise en œuvre dépend de la situation locale concrète, du degré d’organisation et d’expérience tactique des gens, du nombre de personnes prêtes à y participer, de leur détermination et préparation, du rapport de force global...
POLITISER LES LUTTES
Là encore, il s’agit d’un boulot de fond et de longue haleine. Il faut essayer de libérer la parole, de susciter des discussions dans les AG, d’organiser des débats, taper la discute dans les manifs, multiplier les prises de paroles publiques, faire circuler infos, analyses, propositions via tracts, mailist, petits sites internet, petits journaux ou feuilles d’infos sur la lutte, brochures, critiquer radicalement la société actuelle et ses modalités de médiation/intégration syndicale et politicienne, discuter collectivement de la mise en place d’alternatives concrètes au système, reposant sur d’autres valeurs, fonctionnant de manière non hiérarchique, autogérée…
Nous allons proposer localement à un certain nombre de personnes de discuter de tous ces objectifs et étudier, avec elles, les moyens qui s’offrent à nous pour s’en rapprocher.
Même s’il faut bien reconnaître que le mouvement social actuel part de bas, il ne faut pas perdre de vue que les mois qui suivront la rentrée risquent d’être porteurs de conflictualité, et que c’est dans et par la lutte que peuvent émerger des processus d’autonomisation, de radicalisation et de politisation du mouvement social. Tout mouvement de lutte tend à faire apparaître ses faiblesse en même temps qu’il produit l’expérience capable de les dépasser.
LAISSONS LE PESSIMISME POUR DES TEMPS MEILLEURS...
S’ORGANISER POUR LUTTER, LUTTER POUR S’ORGANISER !!!
Christophe Bitaud
Chronique d'une trahison annoncée
Dans le précédent numéro de «l'Anarcho-Syndicaliste», notre camarade Alexandre Hébert dresse un bilan lucide et sans complaisance des récents mouvements sociaux contre la destruction des retraites. Tout en souscrivant à l'essentiel de son analyse, j'apporterai ma propre vision des choses avec parfois quelques nuances.S'il est permis d'espérer que nous n'ayons pas perdu la guerre, force est de constater que nous avons perdu une bataille, et non des moindres. Le gouvernement est en passe de faire passer sa contre réforme des retraites. Comment en est-on arrivé là ? Des erreurs ont-elles été commises ? Lesquelles ? Par qui ? Peut-on parler de trahison ? Etait-ce inévitable ? Autant de questions difficiles auxquelles il convient d'apporter des éléments de réponse si l'on ne veut pas se résigner à la destruction des droits sociaux, à la disparition progressive de toutes les conquêtes du mouvement ouvrier, car tel semble bien être l'objectif du gouvernement et du MEDEF.
Pour espérer gagner trois conditions doivent être réunies : disposer d'un outil efficace, définir un mandat clair et développer une stratégie pour le faire aboutir.
Le rôle des confédérations syndicales
L'outil naturel de la classe ouvrière n'est autre que l'organisation syndicale. Certains ont cru pouvoir s'en passer, Ce fut le cas notamment des militants de Lutte Ouvrière qui n'ont eu de cesse dans les Assemblées Générales de tenter de marginaliser les syndicats. Ainsi a-t-on pu voir de nombreux enseignants — certains de bonne foi — s'investir dans une nébuleuse coordination qui se refusait systématiquement à définir un mandat clair et qui organisait des manifs festives ou des violences gratuites (à moins que certains s'imaginent sincèrement pouvoir prendre l'assemblée d'assaut avec 500 militants contre un barrage de CRS !). Malheureusement, les gauchistes n'occupent que la place laissée libre par les organisations ouvrières.
Pour que les confédérations syndicales jouent leur rôle, il faut impérativement qu'elles restent fidèles à l'esprit de la Charte d'Amiens. Ce qui élimine d'emblée les fédérations enseignantes, qui, comme à leur habitude, se sont avérées être les relais de leur administration de tutelle (si bien nommée !). Ces fédérations en choisissant l'autonomie se sont coupées de la classe ouvrière, elles ne peuvent alors, pour survivre, que jouer un rôle de subsidiaire. Rien d'étonnant alors à ce que la FSU, par un réflexe corporatiste méprisant vis-à-vis des «prolos de l'Education Nationale», abandonne les personnels non enseignants à la régionalisation. La même FSU qui, en appelant à la grève, tout en refusant de demander le report du Bac, ne fait rien moins que mettre en application la notion réactionnaire de «service minimum».
Que dire alors des confédérations ? Nous passerons rapidement sur la CFDT qui, une fois encore, a démontré que ses racines catholiques la vouent à la recherche d'un mythique intérêt commun, dont chacun sait qu'il n'est rien d'autre qu'un leurre inventé par la bourgeoisie et l'Eglise afin de nier la lutte de classes. En signant la destruction de nos retraites avec le gouvernement et le MEDEF, la CFDT n'a pas trahi puisqu'elle n'a jamais été une organisation au service de la classe ouvrière.
Il est d'ailleurs surprenant que certains le découvrent aujourd'hui, on pouvait imaginer que les derniers à s'être, honnêtement, trompé sur la nature de cette officine catholique, avaient ouvert les yeux en 95.
Peut-on parler de syndicalisme indépendant en évoquant la C.G.T. ? Jusqu'au dernier moment la centrale de Montreuil a défendu un axe privilégié avec la CFDT, axe logiquement renforcé par son entrée dans la CES. La CGT, toujours inféodée aux néo-staliniens est, au niveau national, noyée dans la gauche plurielle. Le spectacle de Thibault s'en allant se faire acclamer au congrès du parti dit «socialiste» était pitoyable. Lorsque l'on sait que le gouvernement socialo a préparé le terrain à Raffarin en commandant moult rapports sur les retraites, tous plus alarmants et mensongers les uns que les autres, en n'abrogeant pas les mesures Balladur, que même dans «l'opposition» les députés de gôche ne remettent pas en cause la soi-disant nécessité d'augmenter la durée de cotisation, il n'est pas surprenant que Thibault se soit refusé à mettre en avant les mots d'ordre de retrait du plan Fillon et de 37,5 annuités pour tous, ce qui lui valut les louanges de Fillon qui n'eut de cesse de s'enthousiasmer pour son «attitude responsable» et son «opposition raisonnable».
Il faut dire qu'en constituant en 2002 avec la CFDT, la CGC, et la CFTC, un comité intersyndical d'épargne salariale (CIES), en langage moins hypocrite un comité de gestion de fonds de pension, la CGT est bien mal placée pour défendre nos retraites. De plus, en intégrant la CES, la CGT est devenue une des organisations subsidiaires de ia commission européenne. Comment, dans une telle situation, combattre la destruction des retraites méthodiquement organisée par les bureaucrates de Bruxelles ?
Il reste à se pencher sur le cas de la C.G.T.F.O. Certes, la direction de la Confédération n'a pas hésité, au nom de la sacra sainte unité à s'aligner sur les positions de la CFDT (cf l'appel à manifester du 1er février), puis de la CGT. Une telle attitude a indéniablement contribué à semer le trouble et les illusions dans la classe ouvrière. Il convient de rappeler que si la C.G.T.F.O. s'est refusée à gérer les fonds de pension, si Marc Blondel ne se risquerait pas à aller faire le beau au congrès du PS, l'appartenance de la C.G.T.F.O. à la C.E.S. pose les mêmes problèmes d'indépendance que ceux décrits dans le cas de la CGT. Ceci étant, force est de constater que le fédéralisme a permis de ne pas sombrer totalement dans une stratégie d'accompagnement des contre réformes voulue par l'appareil dit «réformiste». Des fédérations, comme celle de l'enseignement, des Unions Départementales, à Paris, par exemple (pour ne citer que ces deux cas que je connais directement) se sont efforcées, malgré quelques errements «unitaires», de construire la grève pour le retrait du plan Fillon.
Quel mandat ?
Venons-en maintenant au mandat. Il convient d'être lucide. Le gouvernement n'a pas lésiné pour faire passer sa propagande visant à faire croire que la réforme était inéluctable. La presse aux ordres, les experts économiques, grands gourous de ce nouveau millénaire, certains «syndicalistes» (sic) ont fait part de brillantes analyses «socio-économico-démographiques» tendant toutes à démontrer que la réforme des retraites (en réalité sa destruction, car il est incongru de parler de réforme pour désigner une mesure rétrograde) s'imposait à tous, au même titre que la succession des saisons. Ainsi, tout individu niant ce fait était considéré comme un hérétique, comme un dément niant l'évidence.
Ils ne furent pas nombreux, les syndicalistes qui osèrent braver le tabou, qui affirmèrent que la destruction des retraites était un choix politique et non une nécessité économique. Ils se comptèrent sur les doigts d'une main, ceux qui comparèrent les moyens nécessaires pour la sauvegarde de nos retraites aux cadeaux fiscaux que perçurent les entreprises, qui firent remarquer que si les dépenses sociales augmentaient, il en était de même de la productivité des travailleurs. Ils furent bien rares les «iconoclastes» qui s'étonnèrent qu'au Brésil, pays qui ne connaît pas, c'est le moins que l'on puisse dire, un vieillissement de la population, les mêmes contre-réformes étaient appliquées.
Le rôle des organisations ouvrières était donc d'affirmer haut et fort que la seule justification de la «réforme» des retraites était de détruire les droits sociaux de la classe ouvrière et de livrer l'argent des retraites à la spéculation via les fonds de pension. Au lieu de cela on vit fleurir les déclarations intersyndicales avançant l'idée qu'une autre réforme, nécessaire, était possible. Encore une fois, l'unicité syndicale s'avéra être un piège, un leurre pour la classe ouvrière.
Pourtant, dans les assemblées générales, dans les manifestations, des militants syndicalistes, souvent membres de la C.G.T.F.O. mais pas seulement, réussirent à définir des mots d'ordre clairs comme ceux adoptés à l'unanimité par l'AG des instituteurs parisiens :
On ne peut donc que regretter, qu'au nom de l'unité syndicale, on adopta trop souvent des mots d'ordres équivoques, contradictoires avec le mandat de la base.
- retrait du plan Fillon
- 37,5 annuités pour tous (public, privé)
- maintien du code des pensions
- l'abrogation des mesures Balladur
- abandon des projets de décentralisation
- pas un AE au chômage, emplois statutaires pour tous et titularisation des précaires
Grève générale ?
Enfin, dernier point : quelle stratégie fallait-il mettre en œuvre pour faire aboutir les revendications ? Cette question peut se résumer à une autre qui s'est posée durant tous ces mouvements sociaux, à savoir: les confédérations ouvrières devaient-elles appeler à la grève générale ?
En préalable, il est nécessaire de rappeler que la grève générale, telle qu'elle fut définie par Pelloutier en son temps, est une arme révolutionnaire émancipatrice, c'est sans doute ce qui effraya nombre de bureaucrates syndicaux, A ce titre, la grève générale ne se décrète pas, c'est une évidence. Cependant, l'ampleur des manifestations de ce printemps, l'état d'esprit combatif des grévistes peut laisser supposer qu'elle était possible sinon probable. N'était-il pas, dans ce cas, de la responsabilité des confédérations ouvrières d'appeler à la grève générale, même au risque qu'un tel appel ne soit pas suivi d'effet ? C'était en tout cas, certainement la seule possibilité de faire plier le gouvernement qui pariait sur une simple grève enseignante et son enlisement inéluctable.
Quoiqu'il en soit, les «leaders» syndicaux préfèrent user les manifestants en appelant à des temps forts successifs sur des mots d'ordre on ne peut plus flous. Il paraît évident que la CGT refusa d'appeler à la grève générale car la «gauche plurielle» n'était plus à même d'assumer le pouvoir.
La position de la C.G.T.F.O. fut plus complexe. Marc Blondel, comme il l'a exprimé dans un entretien au «Parisien», craignait que la grève générale ne débouche sur un mouvement révolutionnaire. Mais, dans le même temps, de nombreuses fédérations et UDFO appelaient à la grève générale, d'une manière parfois incantatoire, il est vrai. Sous la pression de la base, la C.G.T.F.O. en vint finalement à appeler à la grève générale à Marseille, mais Marc Blondel savait alors parfaitement qu'il était trop tard et que son appel ne serait pas relayé par la C.G.T.
Perspectives
D'aucuns, sans doute pour faire oublier leurs atermoiements passés, nous promettent une rentrée chaude. Nous ne lisons pas dans le marc de café et tout paraît possible. La stratégie du gouvernement qui, en refusant tout négociation sur le paiement des jours de grève, espère dissuader les travailleurs de s'engager de nouveau dans une grève longue peut s'avérer payante. A moins, au contraire, qu'elle n'attise la rancœur et le désir d'en découdre. A suivre...
Pour notre part, en tant que militants révolutionnaires, nous devons nous tenir prêts dans l'éventualité d'une authentique grève générale. Nous devons tirer les leçons des erreurs commises, lutter contre les bureaucraties syndicales toujours promptes à l'intégration et faire vivre la démocratie ouvrière pour que le mandat des militants soit respecté.
Attention cependant à ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain : la nécessaire critique anti-bureaucratique ne doit pas nous amènera nous illusionner sur la nature réactionnaire des coordinations dont l'action se borne souvent à une stérile agitation sous l'influence des politicards de «la gauche de la gauche».
Le syndicat, malgré toutes ses faiblesses, reste la seule arme efficace aux mains des travailleurs.
Les attaques de régression et de répression sociales menées par le capitalisme international avec ses institutions politico-économiques que sont: l'OCDE, l'Union européenne, FMI, la Banque mondiale, le G8 ont pour relais les États-nations. Partout en Europe, les attaques antisociales sont nombreuses. Pour la France, depuis janvier 2003, la réforme l'Unedic, avec la signature de la CFDT, précarise particulièrement les chômeurs âgés et longue durée (l'Unedic a annoncé le 17 juin 2003 que 613.000 à 850.000 chômeurs vont voir leurs droits diminuer ou disparaître dès le 1er janvier 2004), puis c'est le déremboursement de plus de 600 médicaments, aujourd'hui les retraites et la décentralisation, demain le RMA (revenu minimum d'activité qui contraindrait les RMIstes à signer un contrat de travail de vingt heures hebdomadaires, payées entre 2 et 4 euros de l'heure !), la privatisation d'EDF-GDF et d'Air France puis la remise en cause des retraites complémentaires du privé (caisses Arcco, Agirc) qui assurent la moitié des pensions pour le privé, la casse de la Sécurité sociale (privatisation partielle) sans oublier les départs en retraite non remplacés dans le public et les désormais habituels milliers de licenciements secs dans le secteur privé....Les mêmes réformes sont à l'œuvre partout en Europe. En Autriche, des mobilisations massives ont eu lieu sur les retraites. En Allemagne, le gouvernement social-démocrate casse les acquis sociaux des travailleurs. Les retraites ne sont bien qu'un aspect de toute une série d'offensives destinées à faire baisser le coût global du travail (le salaire auquel se rajoutent les prestations sociales) en France dans le reste de l'Europe. C'est la première depuis 150 ans que la durée du travail augmente alors que les richesses produites n'ont jamais été aussi importantes... Nous sommes convaincus que la seule limite à l'offensive capitaliste est la capacité des travailleurs et travailleuses à s'organiser et à résister.
Évidemment, les obstacles sont nom breux : les médias, à la solde des Etats et du patronat international, se sont faits les thuriféraires du pouvoir en axant la stratégie de communication sur la division public-privé. Comme l'explique très cyniquementi un «expert » de l'OCDE: sur «la faisabilité de l'ajustement», pour qu'un gouvernement puisse faire passer des mesures impopulaires «il doit se ménager le soutien d'une partie de l'opinion, au besoin en pénalisant davantage certains groupes. En ce sens, un programm qui toucherait de façon égale tous les groupes [...] serait plus difficile à appliquer qu'un progranme discriminatoire». Sur l'éducation, il écrit: «Il faut veiller à ne pas diminuer la quantité de services, quitte à ce que la qualité baisse. On peut réduire, par exemple, les crédits de fonctionnement aux écoles ou aux universités, mais il serait dangereux de restreindre le nombre d'élèves ou d'étudiants. (Les familles réagiront violemment à un refus d'inscription de leurs enfants, mais non à une baisse graduelle de de la qualité de l'enseignement, et l'école peut progressivement et ponctuellement obtenir une contribution des familles ou supprimer telle activité. Cela se fait au coup par coup, dans une école mais non dans l'établissement voisin, de telle sorte que l'on évite un mécontentement général de la population...» (1) Pour compléter le tableau, une dépêche AFP du jeudi 12 juin indique que le président de la Banque centrale européenne, Wim Duisenberg, a encouragé les gouvernements européens à mettre en œuvre les réformes de leurs systèmes de retraite malgré les protestations des opinons publiques [...] Si les populations concernées refusent le changement, elles en paieront le prix», a-t-il déclaré. (2)
Le texte de loi de la contre-réforme des retraites est en finalisation de vote au palais «Bourbeux». L'article 9 du projet de loi a été adopté par les députés. Il «assouplit» l'interdiction de cumuler un emploi et une retraite, en autorisant le cumul si le total des deux revenus reste inférieur aux derniers salaires perçus. Le texte permet en outre aux retraités de reprendre de l'activité chez leur dernier employeur, avec un délai minimum de six mois après leur départ en retraite. Le gouvernement, sachant pertinemment que la mesure d'allongement de la durée des cotisations induira une baisse conséquente des pensions, organise déjà la publicité auprès de ses agents pour qu'ils cotisent aux fonds de pension, dont les banques et compagnies d'assurance sont friandes. Pour ceux qui ne pourront pas se les payer, il faudra travailler jusqu'au tombeau avec les emplois-vieux...
Ne comptons que sur nos forces !
Un sondage CSA publié dans le quotidien la Croix du lundi 23 juin 2003 indique qu'une large majorité de Français soutient ou éprouve de la sympathie à l'égard du mouvement sur les retraites, et ce malgré le discours très pro-gouvernemental des médias. Ce soutien se manifeste dans le privé (61 %) comme dans le public (76 %). Les Français restent également sceptiques sur le fond : 54 % jugent que le plan Fillon ne permettra pas de résoudre le problème du financement des retraites, alors que le gouvernement a fait de l'impasse financière la justification essentielle de la réforme.
À Rennes, des assemblées générales interprofessionnelles ont eu lieu quotidiennement. Ces outils d'émancipation et de coordination ont permis de décider et de mettre en œuvre démocratiquement les actions des collectifs en lutte. Dans les manifestations, le secteur privé étaitdavantage encore dans la rue qu'en 1995, en particulier ceux qui subissent des plans sociaux : le mardi 10 juin, à Rennes, une centaine de salariés de Thomson en grève étaient présents. Leur entreprise leur a annoncé presque simultanément des bénéfices records (5100 euros par salarié) et le plan de licenciement de 60 personnes. Ils étaient dans la rue car ils ont compris, comme d'ailleurs les intermittents du spectacle, que ce sont les bas salaires et le chômage qui vident les caisses de retraites : cela représente d'autant moins de cotisations sociales à rentrer dans les caisses de prestations sociales. Toujours à Rennes, les salariés d'une filiale privée de France Télécom, Transpac-Equant, ont pris part avec d'autres entreprises du privé à la mobilisation sur les retraites (jusqu'à 100 personnes dans les cortèges intersyndicaux, CGT-CFDT, de l'entreprise, avec même quelques sous-traitants qui ont débrayé!). I1 y a eu un début de fédération des luttes locales sur la zone tndustrielle Rennes-Atalante, où des contacts ont été pris avec d'autres secteurs : personnel de l'universté de-Rennes I, FranceTélécom, Recherche et Developpement, France Télécom Ocisi, Polyclinique privée, Garage Renault, Caisse d'épargne, Centre hospitdier, Thomson, etc. Lors des manifs, ces contacts ont été mis à profit pour pouvoir défiler ensemble.
Sur l'attitude des confédérations
Le 13 mai a été une journée de grève générale et de manifestations monstres dans toute la France. Aux PTT (La Poste, France Télécom, leurs filiales et les opérateurs privés du secteur), la grève a été suivie à 77 % au niveau de la direction régionale Ouest. Par endroits, et selon les secteurs, la grève a été totale (entre 90 et 98 % dans certaines écoles, hôpitaux et dépôts SNCF). Les confédération syndicales ont réussi à épuiser le mouvement en ne donnant aucune information sur la poursuite de la mobilisation le lendemain, voire en freinant toute velleité de mobilisation reconductible (ça a été le cas à la SNCF et à la RATP pour la CGT). Ainsi trimballée de temps fort en journées d'action, la mobilisation, sans réellement faiblir, perdait progressivement ses perspectives, en particulier dans les secteurs fortement mobilisés comme l'Éducation nationale, parfois en grève depuis début avril.
Pour réussir, sur la réforme des retraites, il aurait fallu bloquer le pays, mais il est maintenant évident que la CGT (seule en mesure de mener la danse), comme les autres confédérations d'ailleurs, ne voulait pas appeler à la grève générale. La signature, le 15 mai, du plan Fillon par la CFDT a eu le mérite de la clarté aux yeux des travailleurs. La CGT ne voulant pas aller jusqu'à une crise gouvernementale majeure car la gauche plurielle, étant moribonde, n'était pas en capacité politique de revenir aux affaires. De plus, il est vraisernblable que les confédérations envisagent fortement la gestion des futurs fonds (naturellement «éthiques» !) d'épargne libérés par la casse de la répartition. Dans ces conditions, il fallait bien qu'elles restent les interlocuteurs responsables que le gouvernement souhaitait. Ainsi, dans le journal le Monde du 16 juin 2003, nous apprenons que François Fillon a tenu à rendre hommage à la CGT et à son secrétaire général, Bernard Thibault, pour son «attitude responsable». En soulignant ainsi «l'opposition raisonnable» de la CGT, «même dans les moments de tension», le ministre du Travail sait gré à la centrale de Montreuil de s'être évertuée à empêcher la généralisation d'un mouvement qui risquait d'échapper à son contrôle, indique le journaliste du Monde.
Face à cette offensive patronale, les organisations syndicales ont donc préféré la sauvegarde des prérogatives de leur appareil à la sauvegarde des acquis sociaux des salariés. Et ce malgré une certaine pression de la base, par exemple, à Marseille, où les leaders syndicaux des confédérations étaient présents le
jeudi 12 juin dans cette ville à la pointe du mouvement interprofessionnel. Marc Blondel y a indiqué que la «commission exécutive de la confédération Force ouvrière recommandait la grève générale» et a rappelé sa «proposition d'appel à la grève générale faite aux autres organisations syndicales», mais sans date d'effet immédiat, ce qui ne constituait en rien un point d'appui suffisant, en particulier pour le secteur privé qui en aurait eu bien besoin. Quoi de mieux, pour enterrer un mouvement, qu'un appel non suivi de la mise en place de moyens, pourtant très importants ? Pour sa part, Bernard Thibault a annoncé à Marseille, outre la énième journée d'action du jeudi 19 juin, le lancement d'une «vaste consultation nationale pour recueillir des millions de soutien et obtenir ainsi que le gouvernernent sursoie au projet de loi sur les retraites». Cela lui paraissait plus opportun à quinze jours de l'été ! Mais de nombreux militants CGT présentsau Vélodrome marseillais ont bien compris, et ils l'ont copieusement hué et sifflé, tout en gueulant: «Grève générale!»La logique de «temps forts» (grèves et manifs du 1er février, du 3 avril, des 19, 22, 25 mai, des 3, 10 et 19 juin) appelle la constitution de «temps morts» (quand tout le monde travaille, et que M. le Baron s'enrichit). Pour obtenir le retrait des plans Raffarin-Fillon-Ferry, les travailleuses et les travailleurs
devaient bloquer durablement le pays, comme en hiver 1995, où Juppé avait remballé son plan antisocial. Les militants de base n'ont pas pu mettre suffisamment de pression sur les instances de contrôle et d'assujettissement des luttes que sont les organes directeurs des confédérations pour qu'elles appellent à la grève générale interprofessionnelle, pourtant il y a eu des tentatives : en Ille-et-Vilaine par exemple, le secrétaire de l'union locale CGT de
Saint-Malo a courageusement remis en cause la secrétaire de l'union départementale CGT pour son «attentisme».À leur habitude, les médias, propriété soit de l'État, soit de multinationales de la communication ou du BTP (TF1) ont minimisé la mobilisation. Ainsi, selon France 2, aucune manifestation n'avait eu lieu le 3 juin dans tout l'ouest de la France. La manifestation de 15.000 personnes à Rennes, par exemple, n'a donc jamais eu lieu ! Et pourtant, par endroits, la grève s'est étendue aux entreprises du privé, et même davantage qu'en 1995. De nouveaux secteurs ont rejoint la grève. À Rennes, les salarié(e)s de Thomson, l'Urssaf Transpac-Equant et des délégations de Citroën et Gomma étaient présent(e)s dans la rue. Malgré cela, la mobilisation a été minimisée à l'intérieur des organisations syndicales sur le thème: «Le privé n'est pas mobilisé, il faut d'abord aller le mobiliser car nous ne pouvons rien faire sans lui ; il ne sert à rien de décréter la grève générale; d'ailleurs, c'est quoi la grève générale ?»
À la CGT, très peu d'informations ont filtré sur l'état des lieux en instantané de la mobilisation, que ce soit par lieu géographique ou par branche d'activité. Certains bureaucrates se sont même publiquement félicités d'avoir «empêché la reconduction dans leur service le 14 mai, car cela avait (sic) pour objectif de casser le 25 mai» (manif parisienne du dimanche). N'est-ce pas plutôt le 25 mai, amoncé en même temps que la date du 13 mai par Bernard Thibault, le 7 mai qui avait vocation à casser la grève reconductible ?
Nous en finirons sur l'attitude de la CGT en précisant que le service d'ordre de la centrale syndicale s'en est pris à ses propres militants cheminots lors de la manifestation de la place de la Concorde, le 10 juin, car ils voulaient aller au contact de l'Assemblée nationale. Il ne s'agissait évidemment pas de quelques centaines de casseurs sur la fin de la manif, mais de 3.000 syndicalistes qui se sont fait gazer par les CRS dès 17 heures, alors que la queue de cortège en était encore au départ. Enfin, des camarades de la Fédération anarchiste, pour certains syndiqués CGT, se sont fait molester, et leur banderole a été arrachée le 3 juin à Paris.
Nos limites
Nous n'avons pas su ou pas pu dépasser les bureaucraties syndicales. Beaucoup de salariés mobilisés attendaient des confédérations, par manque de pratique et d'expérience militante, une amplification de la mobilisation. Il faudra à l'avenir être plus vigilants pour empêcher toute manœuvre syndicale et politicienne. En particulier, Lutte ouvrière, outre la volonté habituelle de contrôler le mouvement (spécialement à l'Éducation nationale) pour créer le futur grand parti des travailleurs, expliquait début juin que, si le projet des retraites passait, ce ne serait finalement pas si grave. De même, LO n'a jamais rien fait pour exercer une pression sur les bureaucraties syndicales et a repris leur discours en argumentant que le privé ne se mobilisait pas et qu'il fallait donc continuer à chercher à:le mobiliser, tout en se refusant à participer à la pression faite par des syndiqués auprès de leur confédération. Ainsi, Lutte ouvrière a-t-elle été particulièrement réticente à reprendre dans les manifestations le mot d'ordre d'appel à la grève générale, pour lui préférer des slogans ou chansonnettes parfois;vides de sens ou franchement folkloriques.
À l'opposé, et de façon caricaturale, le Parti des travailleurs, toujours très respectueux des institutions existantes, était lui dans une logique stricte de dépôt de motions auprès des bureaucraties.
La LCR, toujours dans sa stratégie mouvementiste, était présente dans toutes les AG, coordinations et autres comités...
I1 reste encore beaucoup à faire pour garantir l'autonomie des luttes gérées par toutes et tous.
Quelles perspectives?
Sur les retraites, les travailleurs n'ont évidemment pas gagné sur l'essentiel. Mais cette lutte n'est pas perdue, car nous avons renoué des liens entre nous qui nous permettront de repartir dans la mobilisation à la rentrce contre toutes les offensives antisociales du patronat et son bras lagislatif et exécutif: la classe politique.
De plus, la lutte pour la défense dés retraites a été le signe pour beaucoup d'entre nous que nous pouvions nous mobiliser, parfois dans la durée. Nous avons également repris confiance en notre force d'action collective. En ayant des contacts avec d'autres professions, nous avons compris que les notions public-privé et autres multiples différences de statuts savamment entretenues n'étaient que des artifices pour nous diviser, car les travailleurs ont tous les mêmes intérêts.
Pour l'avenir, nous avons gagné en expérience et acquis quelques réflexes. Ne faisons pas confiance aux confédérations pour l'organisation de la lutte. Nous pourrons réutiliser, prochainement nos modes d'organisation en assemblée générale et en comité de grève interprofessionnel, en les revendiquant comme libertaires. La lutte intersyndicale coordonnée par des comités de grève avec mandats impératifs et révocables est un acquis. Nous avons appris à laisser de côté les querelles de boutiques syndicales. Seules les revendications doivent faire la différence. La convergence des luttes est vitale. Seule la grève générale interprofessionnelle reconductible et le blocage des transports nous permettra de gagner à l'avenir. Ne comptons que sur nos propres forces. Ne nous faisons guère d'illusions sur les instances de récupération de l'autonomie des luttes que peuvent être les directions syndicales. Imposons-leur la grève générale.
Les militants libertaires devront être particulièrement attentifs à la répression syndicale, qui ne fait que s'amplifier : réquisitions de personnel dans le service public, intimidations patronales ou gouvernementales quant aux dépôts de préavis, mise en place de service minimum, licenciement de militants, criminalisation de l'action syndicale, lois Sarkozy assimilant séquestration ou occupation d'un bâtiment avec acte terroriste sont autant de moyens utilisés par les puissants pour casser le droit de grève, intimider les militant(e)s et faire régner la «paix sociale», pour les patrons, seule garante du pseudo «intérêt général» de l'État. Or nous savons que l'État sert les intérêts de la classe politique qui lui est propre, et les intérêts de la bourgeoisie économique.
Dans les mois à venir, et suite aux différents positionnements des organisations syndicales dans la poursuite de la lutte, nous constaterons certainement une nouvelle recomposition — ou bien plutôt décomposition — syndicale. Une minorité de militants va se radicaliser, et donc sans doute venir nous rejoindre. Dans le même temps, il y a le danger d'une plus grande banalisation auprès des syndiqués de base de l'aspect cogestionnaire de leur confédération. Il y a un réel risque chez les salariés et syndiqués de perte de confiance dans la lutte, et ce à une bien plus grande échelle que la frange en cours de radicalisation. La perspective syndicale est donc relativement sombre : d'un côté des organisations de lutte minoritaires sans aucun espoir à moyen terme de peser d'une manière ou d'une autre sur le cours des événements et, de l'autre, des organisations de masse (plusieurs centaines de milliers d'adhérents) mais sans plus aucune référence à la lutte de classe...
Il va nous falloir mettre le paquet pour redynamiser et resyndiquer le secteur privé. I1 y a une réelle opportunité de syndicalisation auprès de structures de lutte (CNT, SUD) dans les secteurs les plus précarisés du salariat, d'autant plus qu'il n'y existe souvent aucun syndicat, il y est donc plus facile de s'y implanter.
Dans les grosses entreprises du privé ou dans le secteur public où les structures syndicales sont déjà légion, les anarchistes ont tout intérêt à entrer dans la structure syndicale la plus combative et la plus représentative du personnel pour pouvoir y peser. Cela suppose un mode de fonctionnement démocratique dans la section. Celui-ci dépend souvent de la qualité des militants de base qui y sont organisés, le syndicat n'étant rien d'autre que la forme d'organisation collective des travailleurs. Les anarchistes investis dans les confédérations représentatives vont devoir pousser plus que jamais les bureaucrates dans leurs retranchements dans les mois à venir : ils nous doivent des comptes!
1. http://www.occd.org/dev/publication/cahiers/cahier13.pdf
2. http://fr.news.yahoo.com/030621/202/39sp4.html dépêche AFP
Les grandes luttes comme celles que nous venons de vivre ont le mérite de pousser les logiques, d'éclaircir les positions. Si nous sentions venir les divergences bien avant les événements (1), le positionnement des libertaires et des syndicalistes révolutionnaires ou plutôt de ceux d'entre eux qui s'expriment dans leur presse (2) nous a laissé pour le moins songeur. Du soutien aux «assemblées générales» interprofessionnelles et autres coordinations, à l'incantation à la grève générale en passant par l'apologie des petits syndicats dits alternatifs, rien n'a manqué. La presse libertaire a aussi réussi à réserver ses lignes les plus dures non pas contre le gouverne-ment, le patronat ou même la CFDT ou la CGC mais contre une organisation qui n'a pourtant pas signé les accords, qui a assuré l'essentiel du travail nécessaire à la mobilisation et qui a rassemblé au moins la moitié des manifestants dans ses rangs: la CGT.Notre collectif, « La Sociale », est constitué principalement de militants de la CGT. Notre vision des événements en est nécessairement influencée, nous en sommes bien conscients. Cependant il nous a semblé important de faire entendre notre son de cloche, justement parce que, à de rares exceptions près, ceux qui, syndicalistes et anarchistes à la fois, se sont exprimés dans le mouvement libertaire l'ont fait à notre sens selon des doctrines qui sont étrangères à ce mouvement.Ainsi a-t-on pu lire, à longueur de page des journaux du mouvement libertaire ou dans les tracts, une incroyable litanie de propos gauchistes, pour la plupart empruntés au trotskisme. De fait, ceux qui se croient toujours plus libertaires que les autres nous ont gavés de leur foi dans un nouveau «fer de lance» de
la lutte, de la trahison des «dirigeants» syndicaux, de la radicalité supposée (mais jamais constatée) de la base, etc., etc.Pour notre part, nous avons tenu à ce que chacun sache qu'il existe un autre point de vue libertaire, le nôtre, et que, si nous acceptons de nous tromper sur tel ou tel point, nous avons fait une analyse concrète de faits concrets, en tenant au loin les fantasmes.
Mais ce qui ne cesse de nous étonner, c'est que tous ces positionnements sont les mêmes que ceux de... l'extrême-gauche. Il nous semble aujourd'hui que de trop nombreux camarades font fausse route. Aujourd'hui, l'anarchisme et l'anarcho-syndicalisme en particulier, pourraient redonner des perspectives à une classe ouvrière qui n'en a plus.
Mais pour cela, il faut avoir les idées claires. Nous espérons que l'analyse que nous vous livrons puisse être utile aux libertaires et aux syndicalistes.
Le rapport de force Pendant ce conflit, certain d'entre-nous ont cru au lendemain du 13 mai qu'il était peut-être possible de faire reculer l'offensive du gouvernement. C'était se laisser gagner par l'euphorie du moment, oublier toutes les analyses sur la «contre-révolution» qui nous menaçaient. La confrontation allait avoir lieu et ça s'engageait mal pour la classe ouvrière. En effet, la France a la particularité d'être le pays où il existe le plus d'organisations syndicales et où le nombre
de syndiqués est le plus faible. A peine 8% de travailleurs organisés et malheureusement fortement divisés.Une pratique de la grève de moins en moins « naturelle » due à des années de combats perdus, de démantèlement des bastions ouvriers, au remplace-ment
des vieilles générations militantes par des jeunes sans culture de lutte. Un prolétariat de plus en plus atomisé dans de petites unités de travail,
les PMI et les PME, elles-mêmes sous la pression des barons du capitalisme.En face, le gouvernement est conscient de tout cela, bien qu'il soit méfiant vis-à-vis d'une possible fronde populaire. Il détient tous les leviers du pouvoir, fort de sa légitimité démocratique écrasante (3) et à la différence de la gauche il est sans complexe au sujet des coups qu'il peut nous donner. Il sait également depuis notre défaite de 95 (4), qu'il suffit d'être patient quitte à lâcher quelques concessions aux secteurs les plus mobilisés. Il a retenu aussi que de s'attaquer de front aux corporations les mieux organisées conduit au renforcement de leurs organisations syndicales. Ce coup-ci, il jouera plus fin.
De plus, depuis plus de 15 ans et le fameux livre blanc de Michel Rocard, version nationale d'une logique mondiale, les médias — véritables fabriques de l'opinion publique — nous expliquent à longueur d'année que notre santé, nos retraites ont un coût trop élevé. Ces mêmes médias en arrivent même à influencer les militants qui y voient là une source d'information comme une autre et en oublient qu'elle est manipulatrice et sert habilement les intérêts de la bourgeoisie.
Pour terminer, les travailleurs ont peu de chose à attendre d'une éventuelle alternative à gauche car ils savent bien que question «coup de couteaux dans
le dos» ( privatisations, précarisation, flexibilisation, allègement de cotisa-tions patronales, casse du service public... ) la gauche en connaît un rayon.Et cela n'est pas vraiment mobilisateur pour un prolétariat qui ne sait plus vraiment à quel saint se vouer, pour des syndicalistes qui ont toujours attendu beaucoup de la représentation politique et qui aujourd'hui se sentent bien seuls.
Nous allions monter sur le ring et nous n'étions pas favoris, loin de là.
L'unité Les puissantes mobilisations de mai et de juin n'ont pas une origine spontanée.
Elles sont le fruit d'un ras-le-bol général des politiques réactionnaires que nous font vivre les différents gouvernements depuis trop longtemps.
Elles sont le fruit d'attaques répétées sur notre système de retraite: rap-ports alarmistes, décrets Balladur, plan Juppé, accords de Barcelone .
Elles sont le fruit d'un mal-vivre généralisé...
Elles sont surtout le fruit d'un long travail de contre information et de mobilisation des organisations syndicales.
Elles sont le fruit de l'unité concrétisée par la plateforme des propositions des organisations CGT, CFDT, CGC, CFTC, FO, FSU, UNSA et déjà
dédaignée par le G10. C'est bien le travail assuré par les grandes confédérations qui a permis la montée en puissance des revendications et d'assurer la mobilisation tant le 1er février, le 3 avril (5) et le 13 mai.C'est le 13 mai où la mobilisation a été la plus forte et ceci n'est pas tant dû à la capacité de mobilisation de la CFDT qu'à l'effet catalyseur de l'unité syndicale sur la mobilisation des salariés.
Il sera bon de nous en souvenir pour les luttes à venir car même si la CFDT est enfoncée jusqu'au cou dans la collaboration, elle n'en reste pas moins
un syndicat de masse majoritairement implanté dans le privé.Quant au G10, toujours en marge de l'unité mais sentant la mobilisation monter, il tente le coup de force en appelant à la grève générale « reconductible» dès le 13 espérant bien entraîner une partie de la CGT.
Comme si la Grève générale n'était qu'un simple mot d'ordre que l'on peut reconduire à souhait.
Ce fut un échec cuisant. Peu de salariés, peu de syndicats l'ont suivi. Quand ils l'ont fait, les plus clairvoyants ont repris le travail, histoire de ne pas jouer les avant-gardes et de garder des forces car on ne proclame pas une grève générale... qui ne se fait pas toute seule. Appeler à la Grève générale à ce moment-là n'était ni crédible, ni sérieux. On ne peut pas reprocher à la CGT de ne pas l'avoir fait. Elle a été tout simplement pragmatique. A la vue du rapport de force toujours très défavorable malgré les millions de manifestants, il n'était pas raisonnable de briser l'unité car à cette date la CFDT était toujours de la partie. Quoi qu'il en soit, la CFDT brisa ses engagements le 15 et le mouvement ne fut plus jamais aussi puissant. En agissant ainsi, François Chérèque et ses amis coupaient l'herbe sous le pied de son opposition interne que les mobilisations auraient requinquée.
Ils plaçaient sa centrale comme interlocuteur privilégié de tous les gouvernements et comme partisane des «réformes nécessaires».
Ils brisaient le front syndical issu de la stratégie cégétiste du «syndicalisme rassemblé».
De récentes déclarations de secrétaires cédétistes demandant à la CGT de stopper cette orientation sont là pour le confirmer. En effet, le syndicalisme rassemblé est un puissant levier pour les luttes puisqu'il répond à la demande d'unité de la part des salariés mais il a le «tort» de renforcer principalement la CGT car elle est le plus gros et le plus combatif des syndicats. Le G10 ne s'y est pas trompé non plus puisque toute sa stratégie s'est basée sur «ne jamais faire l'unité» (6) et essayer de « pousser la CGT à la faute».
Les assemblées générales interprofessionnelles et autres coordinations Voici ce que nous écrivions dans un tract le 10 juin:
«On voit beaucoup fleurir par les temps qui courent des comités et autres coordinations ! Ca a le goût de l’indépendance, le parfum de la souplesse non-conformiste et, ce qui n’est pas négligeable, ça se donne des titres ronflants qui nous bercent de tendres illusions. Nous demandons à ceux qui se sont engagés dans ce type de structure de réfléchir aux questions suivantes :
- Qui est réellement mandaté dans les AG et par qui ?
- Qui contrôle la tribune et donc les débats et les votes ?
- En quoi un comité/coordination est plus efficace qu’un syndicat ?
- Pourquoi créer une structure différente si c’est pour finalement « faire pression » sur les confédérations syndicales pour qu’elles se positionnent «correctement » ?Pour nous, anarcho-syndicalistes, les réponses sont claires : l’expérience acquise dans les confédérations ne peut être remplacée par des structures éphémères. Quant au risque de manipulation politique, il est bien plus grand dans des lieux informels où naviguent les vieux briscards du Gauchisme.»
Nous ne nous étions pas trompés. Tout ça a un air de déjà vu. Et une fois de plus, de trop nombreux camarades tombent dans les vieux pièges en essayant de réinventer l'eau chaude. Les débats sur l'organisation sont vieux de plus d'un siècle et il nous semblait bien que les anarchistes avaient tranché la question.
Nous voulons bien croire que certaines coordinations aient plutôt bien fonctionné et évité les manipulations, mais ce ne fut généralement pas le cas. En outre, elles ne présentent pas les avantages des structures riches d'expérience mise en place depuis un siècle par le mouvement ouvrier.
A Montpellier, c'est autour des enseignants du premier degré que ce sont construites les «AG» interpro.
Tout d'abord, dès février et plus encore à partir d'avril, les enseignants ont entamé la lutte au sujet de la décentralisation. Rapidement ils ont organisé des AG dites de secteur (géographique), soutenues par des syndicats (SNUipp-FSU, SUD Education, SNE, SNUDI-FO, CNT ) .
Malheureusement cette organisation favorise l'expression de gros contingent de convaincus qui se coupent du grand nombre resté dans les établissements.
Que 4 à 500 personnes vote la grève reconductible à l'AG de Montpellier c'est bien, mais quand cette grève n'est suivie que par 20% maximum des personnels dans un département apparemment très mobilisé cela pose question sur sa représentativité.
En revanche les temps forts ont mobilisé jusqu'à 80% des personnels.
De plus lors de ces AG, pas de mandat, pas de contrôle, chacun dit la sienne, et on vote «un homme = une voix», peu importe qui il est, d'où il vient, où il travaille, et surtout qui et combien il représente... On peut rajouter à propos des syndicats associés qu'au moins deux sont fortement influencés par les trotskistes locaux: SNUIPP (LCR) et FO (PT).
Le 25 mai, le « service d'ordre » de ce comité bouscule des militants de la CGT et empêche les manifestants de suivre la manifestation unitaire en la détournant sous prétexte qu'il avait prévu un autre trajet (7).
Pourtant la FSU et FO faisaient partie de l'intersyndicale unitaire. Alors quel jeux jouaient le SNUIPP et le SNUDI-FO ?
Ce comité de grève appelle le 29 mai à des «AG» interpro. On y arrive. On remarque qu'en plus dudit comité, le G10 y appelle ainsi que les satellites trotskistes tels que l'Ecole Emancipée-FSU. Les gauchistes manoeuvrent partout pour tirer dans ce sens quitte à essayer manipuler des AG d'entreprises parfois avec succès sur la fin du mouvement. Les délégués de ces boites ont alors la fâcheuse tendance de ne pas porter la parole de leur AG d'entreprise mais de faire redescendre les «ordres» de l'inter-pro. Le «comité central» n'est pas bien loin.
Les buts avoués sont d'attirer des syndicats confédérés, de pousser les confédérations à appeler à la grève générale.
Un autre but est d'affaiblir la CGT, de dresser contre elle une partie des travailleurs en l'accusant de tous les maux.
Le 12 juin, c'est sans hésitation que des enseignants, des militants de SUD et de la LCR conspuent la CGT lors d'une prise de parole de Marc Lopez, secrétaire de l'UD CGT. Il s'agit d'un travail de sape qui ne peut que conduire à la division durable du salariat. Outre les problèmes de contrôle déjà soulevés nous notons que hormis le SNUDI-FO aucun de ces syndicats n'est confédéré (la CNT pèse si peu...). L'interprofessionnel, ils ne le connaissent pas et ne le pratiquent pas. Ces AG interprofessionnelles visent aussi à combler ces manquements. L'appel s'adresse à tous et donc on élimine de fait les AG sur les lieux de travail qui sont à notre avis les plus légitimes et qui sont celles qu'organisent les syndicats confédérés. On y retrouve les même travers que ceux que nous avons déjà cité plus haut à propos des AG des enseignants. Ils sont même exacerbés. Nous rajouterons que nous ne pouvons pas concevoir que la grève soit décidé par d'autres que ceux qui la font dans l'entreprise concernée, c'est à dire in fine ceux qui en supportent le coût, qu'il soit psychologique ou financier.
On a également du mal à imaginer des AG à 50000 personnes. Heureusement, elles n'en ont jamais rassemblé plus de 500. Que des libertaires soutiennent une organisation qui favorise le centralisme et la manipulation par de petits groupes de gens bien organisé nous surprend. Le fédéralisme proudhonien cher aux anarchistes et au mouvement ouvrier est bien loin.
Les manipulations de LO à la coordination nationale des enseignants sont de la même teneur. Les exemples sont légions. Pour nous, anarcho-syndicalistes, il va de soi que seule une organisation rigoureuse et une pratique de la lutte peuvent empêcher ce type de manipulation. Certes, le mouvement se cherchait et une partie de celui-ci a cru bon de «s'auto-organiser».
Mais cette «auto-organisation» ne fit guère plus que de l'improvisation.
On ne gagne pas une bataille d'une telle importance en n'y étant pas préparé.
Cela nous désole de voir des anarchistes tomber dans le panneau gauchiste et oublier un siècle de réflexions et de pratiques tant pour éviter les manipulations que sur la nécessité de « s'auto-organiser » en structures permanentes: les syndicats ouvriers. La seule certitude, c'est qu'il nous paraît nécessaire de renforcer le syndicalisme c'est-à-dire de multiplier ses adhérents et de réduire son nombre de chapelles. Les AG doivent avoir lieu sur les lieux de travail et les syndicats doivent porter leurs revendications.
La coordination doit être l'oeuvre des syndicats au sein de leurs Unions Locales ou Départementales ainsi que dans leurs Fédérations.
Et en attendant une hypothétique organisation unique, les anarcho-syndicalistes doivent, à l'intérieur des organisations syndicales et des unions professionnelles où ils militent, pousser au regroupement des syndiqués et des travailleurs en lutte dans des inter-syndicales qui complèteront le système. Il n'y a là rien de nouveau : il s'agit des pratiques mises en place par le syndicalisme depuis ses origines et que parfois nous oublions.
La grève générale Pendant la lutte de classe que nous venons de vivre, le terme de grève générale a été utilisé à toutes les sauces. C’est pourquoi on est en droit de s’interroger sur la signification des appels litaniques du type : «Dirigeants des organisations ouvrières (sic)! Appelez à la grève générale» alors que l’on doit savoir que «la grève générale», à aucun moment et dans aucun pays, n’a été décrétée par qui que ce soit, si ce n’est par les travailleurs eux-mêmes. Les appels à la grève générale dans l’éducation, ou à la grève générale reconductible, nous confirment cette confusion. Soyons sérieux : la grève générale est tout d’abord interprofessionnelle, elle nécessite l’occupation des lieux de travail.
Ensuite elle peut devenir expropriatrice, les travailleurs prennant en main la production et les services publics. Ce sont alors les prémices de la Révolution. Cette confusion des mots a eu cours dans les AG, dans la presse syndicale, dans la déclaration des bureaucrates, dans l’ensemble des médias.
Elle est la preuve d’une culture syndicale limitée et affadie avec la volonté de certaines composantes syndicales d’utiliser cet imbroglio pour éviter l’élargissement.
Il a été beaucoup reproché à la CGT de ne pas appeler à la grève générale. Ces reproches viennent essentiellement d'organisations extérieures à la CGT et qui pour beaucoup lui sont hostiles ou concurrentes. On chercherait à l'affaiblir, on ne s'y prendrait pas autrement.
La CGT n'a pas cessé de dire que la grève générale ne se décrétait pas, que ce serait les travailleurs à la base qui la décideraient. Il est surprenant que des libertaires aient quelque chose à redire à cela.
Dans un tel contexte, le rôle d'une confédération est bien de favoriser l'extension du mouvement. De nombreux militants de la CGT se sont mobilisés dans ce sens. Les appels confédéraux à élargir, à étendre le mouvement ont été incessants. La bataille de l'opinion publique a été gagnée. De nombreuses fédérations ont appelé à la grève reconductible et à une mobilisation générale à partir du 3 juin. On peut reprocher à la CGT cette date tardive, le manque de rythme de la mobilisation avec des journées d'actions peut-être trop éloignées.
Quoiqu'il en soit, les salariés du privé ne se sont jamais mobilisés massivement après le 25 mai, et ceux du public ne l'ont fait que pendant les temps forts même dans les secteurs fortement mobilisés où les préavis reconductibles étaient déposés. Nous avons tous pu le constater (la presse «pro-grève générale» en fait aussi le constat). La mobilisation des salariés est fortement corrélée à l'implantation syndicale et les déserts sont légions. Dans ces conditions on reproche à la CGT de ne pas avoir appeler à la grève générale alors que tous les signes montraient qu'on allait au casse-pipe. Il ne faut pas confondre audace et témérité. C'est cela aussi la force d'une confédération : être capable de juger d'une situation en couvrant de larges franges du prolétariat. Des camarades ont joué les avant-gardes alors qu'ils étaient généralement très minoritaires. Ils ont perdu parfois un ou deux mois de salaire. C'était courageux mais ils ont conduit des salariés à l'abattoir. Des drames humains se sont joués. Des salariés sont dégoûtés à vie de lutter. C'était insensé.
Les organisations qui poussaient à la roue ne prenaient aucun risque car elles étaient incapables de la faire, cette grève générale. La CGT elle-même n'a plus la capacité de porter ce moyen d'action. Pourtant, elle aurait eu à en assumer seule les conséquences politiques en cas d'échec. Et l'échec était certain à la vue du rapport de force. On imagine aisément les conséquences : un mouvement ouvrier balayé, à genou pour des années, inca-pable de renforcer son organisation pour être en capacité de mener les luttes à venir et de freiner l'offensive capitaliste.
Enfin nous ne pouvons pas nous empêcher de raconter quelques anecdotes. A la fédération des cheminots CGT, on en rigole encore. Quand le petit facteur de Neuilly, ex-candidat LCR à la présidentielle, syndiqué SUD se voyant revivre Octobre est venu exhorter les cheminots d'un dépôt à la grève générale, ces derniers lui ont fait remarqué qu'à son bureau de poste les salariés étaient au boulot. Il en est reparti le cul merdeux. A Montpellier, le 14 et le 15 mai, ce sont des adhérents du SNUI (G10), de SUD-PTT (G10) et du comité de grève des instituteurs qui ont voulu voter la grève illimitée... à l'AG des cheminots.
Et enfin une dernière plus dramatique, celle du comité interpro de Montpellier qui a organisé l'occupa-tion des voies de chemin de fer alors que seulement une vingtaine de train sur une moyenne journalière de 260 passaient ce jour là, les cheminots étant en grève. Trois cent personnes y sont allées (à comparer à des manifes-tations à 50000). Elles se sont faites matraquer. Cette violence ne peut ser-vir que la Réaction. Au mieux, cette pseudo radicalité n'est qu'un aveu de faiblesse.
Pour conclure Des combats nous allons en livrer d'autres et en perdre beaucoup face à la Réaction. Tous les acquis issus des conquêtes ouvrières du passé vont être malmenés. Nous sommes impuissants à y répondre à court terme du fait de nos divisions et de nos faibles effectifs.
Il est confortable dans ces conditions d'accuser «les autres» d'être responsables des échecs collectifs que nous subissons. Il est confortable de se réfugier dans de petites organisations où on est bien au chaud entre convaincus et de passer son temps à tirer sur des camarades qui se battent pourtant pied à pied. Bien sur, les grandes confédérations et la CGT en premier, n'ont pas toutes les vertus. Il y a des choses qui déconnent, nous le concédons volontiers. Il y a des fédérations qui jouent un jeu trouble, notamment certaines du privé qui craignent de perdre des cartes si on défend les fonctionnaires. Peut-être n'ont-elles pas bien lu le plan Fillon? Il y a aussi les camarades qui ont une place bien au chaud et qui ne veulent surtout pas la perdre quitte à faire quelques «petites» concessions qui ressemblent à de grand recul pour les travailleurs. La Cgt est également confronté à la délégation de pouvoir, ce qui arrange bien ceux qui délèguent et témoigne en même temps d'un vide militant relatif. Il est vrai que de nombreux camarades
n'arrivent pas à se débarrasser de leur vieux fantasme sur la nécessité de l'alternative politique de gauche, du découpage entre le politique et le syndical. Il n'est pas facile de changer une façon de penser et d'agir vieille de plus d'un demi-siècle et nous ne pensons pas que cette question se résoudra d'un coup. Pourtant la CGT a de nombreuses propositions sociétaires, politiques mais elle n'a pas encore réappris à se passer des partis pour les porter en avant. La visite de Bernard Thibault au congrès du PS était sans doute destinée à rassurer les tenants de ce partage des taches.La CGT est aussi traversée de courant qui aimerait bien la voir s'institutionnaliser. L'abandon des références au socialisme au congrès de 95 va dans ce sens. Et comme la nature à horreur du vide, on nous propose aujourd'hui de les remplacer par l'utopie «d'un
nouveau statut du salarié» qu'on serait en mesure de mieux faire appliquer que les différents textes actuels. C'est de la Science-fiction.Pour nous néanmoins, la CGT reste de loin l'organisation la plus vivante, la plus porteuse de promesses. D'ailleurs, il n'y a qu'à en faire le constat sur les dernières années, partout où ça se bagarre la CGT n'est jamais loin ! Toutes les organisations peuvent-elles en dire autant?
Certains, qui sont pourtant incapables de faire de tels constats (et pour cause), nous présente les SUD et le G10 comme le nouvel El Dorado. Mais on est bien en mal de nous dire pourquoi. Seuls les trotskistes le savent. Leurs efforts pour en assurer le contrôle payent. A Montpellier G10 et LCR défilent généralement côte à côte. Ici, les gauchistes ont quasi tous quitté les autres syndicats (hors éducation nationale) et n'ont pas hésité à diviser un peu plus les salariés en réalisant des scissions (8). L'organisation en syndicats départementaux issue de ses origines cédétistes facilite grandement la prise en main de ses structures. Fin août, c'est encore le G10 qui est venu au secours de l'extrême gauche suite à une altercation avec Niconof, président d'ATTAC. Ce soi-disant syndicalisme de «lutte et de transformation sociale» parfois effi-cace dans les conflits corporatistes a subi un échec cuisant ce printemps en étant incapable de peser sur la situation. Alors que la CGT est de moins en moins une courroie de transmission, le G10 fait le chemin inverse. Il pourrait bien en subir les conséquences aux prochaines élections professionnelles. Déjà cet été, le SNJ-G10 (majoritaire chez les journalistes) a perdu 3,5% au profit du SNJ-CGT (9).
Quant à la CNT, nous comprenons la nostalgie qu'elle inspire aux anarchistes. Mais la Révolution espagnole, c'était en 1936. Certes, elle fut un très grand syndicat ouvrier outre-Pyrenées mais aujourd'hui en France ne reste-elle pas qu'un syndicat anarchiste malgré ses récents succès? Et nous ne voulons pas d'un syndicat anarchiste car nous ne voulons pas d'un syndicat communiste, ni d'un syndicat trotskiste, ni d'un syndicat socialiste... Nous voulons un grand syndicat réunissant les travailleurs, celui de la classe ouvrière et du prolétariat (10).
Malgré le sentiment d'échec, le syndicalisme a démontré à nouveau ce printemps qu'il était la seule force capable de s'opposer au capitalisme . Il apporte des capacités d'actions au plus proche des salariés dans leurs entre-prises mais aussi au niveau national et international sur les grands sujets de société.
Outre les nécessités de renforcer son organisation, le syndicalisme devra aussi prendre à bras le corps sont déficit de communication. Tel que nous l'avons déjà dits, les médias sont très influents et notre presse, nos tracts semblent bien dérisoires. Le syndicalisme doit penser à se doter d'un grand outil de communication tel une radio ou une télévision. C'est ambitieux mais sûrement incontournable.
Le rôle des anarchistes est de s'investir massivement dans le mouvement syndical tel qu'il l'a fait à l'aube du 20e siècle. Nous confronter aux autres, avancer avec eux, apporter nos analyses, nos pratiques de la démocratie (assemblée, mandatements, rotations des tâches, procès-verbaux...)... sans les arrières pensées boutiquières qu'ont les postulants à la conquête du pouvoir politique.
Conscient que les choix d'adhésions puissent être variés, partout les salariés, les syndicalistes, les anarchistes doivent s'opposer à l'institutionnalisation mortifère du syndicalisme et à son morcellement. Bien au contraire ils doivent travailler à son développement, à son unité d'action et éviter tout émiettement synonyme de divisions et de temps perdu. Reconstruire pierre après pierre l'unité organique du «parti du travail» est un enjeu majeur. L'indépendance face au patronat, à l'état et aux partis politiques est primordiale pour rassembler les salariés et mener une politique authentiquement prolétarienne. Le syndicalisme doit se positionner sur les choix de société, oeuvrer à défendre, consolider et conquérir des acquis de société en attendant «la suppression de l'exploitation capitaliste, notamment par la socialisation des moyens de production et d'échange». Enfin le syndicalisme doit développer ses liens internationaux pour lutter efficacement contre la mondialisation capitaliste et étendre l'esprit de la lutte et l'espoir d'un autre futur.
Septembre 2003,
(1) Cf. les numéros de la Lettre de MSL publiés depuis le début de cette année.
(2) Il existe des exceptions notables.
(3) La responsabilité de ce désastre dans les mobilisés de ce printemps incombe à beau-coup: communistes, extrême-gauche, fédérations CGT qui ont appelé à voter Chirac, ... et même des anarchistes.
(4) Novembre-décembre 95 est devenu un véritable mythe au point d'oublier que le Plan Juppé est passé. Seuls les régimes spéciaux qui ne sont pas des régimes de fonctionnaires (cheminots, EDF-GDF,...) ont tiré leur épingle du jeu, notamment parce que ces travailleurs faisaient l'objet d'une attaque frontale (statut, emploi, avenir...) visant à dessouder les «bastions du syndicalisme». La droite de l'époque était plus faible et plus divisée et elle a fait «l'erreur» historique de vouloir aller vite et de s'attaquer aux salariés encore bien organisés. On peut néanmoins souligner que si les cheminots
ont défait la direction de la SNCF et gagné 7 ans de paix relative, les Gaziers et Electriciens ont vu l'ouverture à la concurrence en Europe se poursuivre. Non, décidément l'hiver 95, ce n'était pas le grand soir.
(5) La confédération CFDT n'a pas appelé le 3 avril.
(6) Les tracts de SUD rail sont édifiants: tout en se joignant à l'appel du 3 juin, ils n'ont de cesse de critiquer les autres organisations.
(7) A Montpellier, les services d'ordre sont exceptionnels, les manifestations se déroulant généralement sans heurt. On rajoutera que ce jour-là, la plupart des militants cégétistes étaient à Paris.
(8) Par exemple, à la Mutualité Sociale Agricole de l'Hérault, ils ont provoqué une scission dans la CGT pour créer SUD. Il y a aujourd'hui 5 syndicats pour environ 300 salariés. Les administrateurs se frottent les mains.
(9) SNJ 42,4% (-3,26), CGT 19,8% (+4), CFDT 15,8% (-1,3)...
(10) Erico Malatesta (théoricien anarchiste) disait déjà cela... il y a un siècle.
Des regrettent que la CGT n'ait pas appelé à la grève générale. C'est effectivement, comme l'écrit le groupe La Sociale dans le ML n° 1334 une critique qui peut difficilement s'entendre si on est attaché à ce que les salarié(e)s en lutte décident eux-mêmes de la suite de leur mouvement. Sauf que l'on peut penser qu'appeler à la grève n'est pas la décider, mais affirmer en tant que syndicat que c'est le seul moyen de parvenir à ses fis. Si, je l'avoue, j'ai été en colère le lendemain du 13 mai et le 12 juin de voir que la CGT n'appelait pas à la grève générale, je peux aujourd'hui entendre vos arguments, avec le recul.
Il ne s'agit pas de créer une polémique, mais simplement de montrer que du point de vue où l'on se place, les analyses peuvent être différentes. Peut-on dire pour autant qu'Untel ou Unetelle est plus anarchiste que l'autre ? Ce débat est stérile et nous devons plutôt tenter d'analyser ce qui a bien marché et ce qui a fait défaut pour avancer ensemble et peut-être essayer d'avoir plus d'impact sur le prochain mouvement qui ne saurait tarder.Cependant, il ne faudrait pas, soit par manque d'information, soit par un aveuglement de chapelle (que je ne comprendrais pas, venant d'anarchistes) complètement occulter le fait que les dirigeants de la CGT ont, dans plusieurs secteurs et à plusieurs moments, empêché le développement de la grève.
Nous sommes, au groupe de Rouen, salarié(e)s dans divers secteurs, et pour plusieurs d'entre nous, syndiqué(e)s à la CGT, et tous, je pense, pourrions confirmer ce constat.
De la volonté délibérée des cadres de la CGT de freiner la lutte, nous en avons fait, sur Rouen, la triste expérience quasiment tous les jours (sept semaines de grève reconductible pour près de 50 % des enseignants, plus encore pour les remplagants, et certains emplois-jeunes, et les Havrais, et encore pour les 20 % d'hospitaliers mobilisés).
Forts de nos deniéres expériences de grève passées de 95 et 98, et, pour certains d'entre rious, bien d'autres encore, nous nous sommes dès le début organisé(e)s en assemblée générale de secteur, puis en assemblée générale d'agglomération, en comité de grève, puis assemblée générale interprofessionnelle et comité interpro.
Le comité de gréve était composé de délégués mandatés révocables de chaque AG de secteur ainsi que d'un représentant de chaque syndicat et n'avait qu'un rôle de coordination. Que peuvent dire les anarchistes contre œ fonctionnement ?
En ce qui concerne le comité interprofessionnel, je rejoins l'analyse du groupe La Sociale, si on considère le fait que les délégués de boites (SNCF, chimie, EDF, hôpitaux, etc.) étaient pour l'essentiel des miitants de la LCR — dont-nous avorns un important groupe sur Rouen —, sa légitimité est beaucoup plus critiquable, tous ne représentant pas forcément un secteur mobilisé. Certain(e)s militant(e)s profitent effectivement du peu d'expérience des autres à prendre la parole, rédiger des comptes-rendus, des tracts, etc. pour se placer systématiquement en avant. Je n'ai moi-même eu de cesse pendant cette grève de répéter que c'était le moment, que chacun pouvait apporter des idées, prendre part aux décisions, se faire mandater, et que l'on ne doit pas compter sur les militant(e)s professionnels. Il faut aussi reconnaître que bien souvent les gens sont paresseux et se disent que puisque d'autres se proposent et qu'en plus ils font cela très bien, pourquoi se forcer ? En effet, ce qui différencie les anarchistes des trotskistes pendant la grève se noue souvent autour des questions de pouvoir. Il est évident que, pour nous, la grève est éducative, on réflèchit à sa place dans le travail, on comprend que l'on peut changer collectivement les choses. Les trotskistes ne s'intéressent pas à cela, ils sont l'avant-garde et ne se préparent pas à l'autogestion, méme s'il leur arrive de la prôner pour la forme !
Pour autant, doit-on renoncer à ces structures pendant la grève ? Je ne le pense pas. Car en effet, c'est au sein des AG que se crée une conscience collective, il y a dans le fait d'être en grève reconductible une émulation, une radicalisation des actions et des liens qui se tissent qui ne seront pas remplacés par quelques journées d'action éparses appelées par l'intersyndicale, comme cela a été le cas. Sans vouloir embellir une situation aujourd'hui un peu morose, il s'est créé, pendant cette grève, au sein de ces actions décidées à la base, un véritable sentiment de «résistance» qui sévit toujours dans l'Éducation nationale, ainsi qu'un réseau de relations toujours vivant. Cela, les directions syndicales sont incapables de le créer.
En ce qui concerne l'action de l'intersyndicale sur Rouen, depuis le début de l'année, le conseil CGT, CFDT, FSU, Unsa, et plus tard FO, se réunit et a continué à se réunir pendant la grève. Il n'a fait que suivre les consignes nationales et appeler à des journées sans lendemain, sur la plate-forme très minimale de janvier, voulant poursuivre l'unité avec la CFDT. À part la FSU, l'Unsa, le Sgen, FO-éduc et la CGT-éduc, qui étaient présents dans les deux structures, le conseil intersyndical a depuis le début du mouvement nié la légitimité des assemblées générales et de leurs décisions. De plus, il a toujours refusé la présence de délégué(e)s de SUD ainsi que celle d'un représentant du comité de grève. Le jeu de la FSU, souhaitant ménager l'une et l'autre structure est apparu un peu flou. Le jeu de la CGT était sans équivoque : les AG n'ont pas de raison d'être, il n'y a pas de grève en dehors des journées nationales d'action, le reste n'est que folklore et agitation.
Une suite de ratés
Le 1er Mai, où la mobilisation a été très importante, les enseignant(e)s appelaient à une AG interpro, souhaitant étendre la grève aux autres secteurs. Les élus CGT ont fait barrage : quand j'ai demandé que cela soit annoncé au micro, je rne suis fait jeter «comme une malpropre»! (voir la revue les Temps maudits, sur le mouvement où un camarade de la CNT de Marseille relate le même événement... Bizarre!)
Une autre fois, nous avons bloqué le pont de Brotonne à 5 000, venus de toute l'académie, L'intersyndicale voulait appeler en même temps à une manif à Rouen et a eu bien du mal à changer l'heure, nous obligeant tout de méme à écourter une AG départementale, réunie à Yvetot.
La manif du 13 mai était énorme et regroupait pour la moitié des enseignant(e)s en grève. La CGT a refusé de faire passer le cortège devant le rectorat, comme cela avait été décidé en AG, voulant coûte que coûte «tenir» les décisions du conseil syndical.
Le 23 mai, était décidée en assemblée générale une manif de nuit. Pour sa part, le conseil syndical a appelé à une manif à 17 heures. Résutat: 50 pour la manif de l'aprés-midi, 2 000 pour la manif de nuit !
Le summum de la brutalité imbécile a été atteint quand un collègue a été sorti manu militari de la réunion du conseil syndical par le secrétaire départemental de la CGT, alors qu'il avait été élu pour représenter le comité de grève, sous prétexte qu'il était à SUD-Éducation !
Pour clore sur ces quelques exemples, fin juin, la CGT, qui ne voulait pas être en reste, a appelé à une AG interprofessionelle dans la banlieue rouennaise. La salle était quadrillée ; de part en part de gros bras machos, qui faisaient la claque aux cadres qui intervenaient et huaient toute personne osant appeler à la grève. Si on croyait que les tristes temps du stalinisme étaient révolus : on se trompait!
Le choix pour certain(e)s enseignant(e)s d'être à la CGT, pour être «avec les travailleurs», dans le grand syndicat, ne les a même pas aidés, puisqu'ils n'étaient pas du tout entendus, n'avaient, eux non plus, aucune de voix au chapitre, alors qu'ils étaient les personnels les plus mobilisés. Plus d'une fois, nous avons constaté de la défiance envers les enseignant(e)s en lutte, qui seraient des salarié(e)s à part, alors que nous avions fait un énorme effort vers l'interpro avec blocages, distributions de tracts, appel à des actions communes, et revendiquions le retour aux 37 ans et demi pour tous !
I1 est évident que la grève reconductible gêne fortement les gros syndicats, en particulier la CGT, parce que là, des AG quotidiennes se tiennent, des décisions sont prises et en plus, les actions sont réussies. Faute de vouloir s'appuyer sur une base très mobilisée, la CGT s'est coupée d'un bon nombre de secteurs en lutte, et une nouvelle fois, a fait la démonstration de son fonctionnement hiéarchisé, anti-démocratique et pour le moins sectaire.
Pour ma part, je pense que l'on doit analyser l'échec de ce mouvement en regard des difficultés pour certains secteurs publics (notamment les transports) et privés à se mobiliser, le manque. de volonté des enseignant(e)s à reporter le bac, seule possibilité de blocage, mais également à l'attitude de la CGT.
L'incapacité dans laquelle la gauche se trouvait de proposer une alternative à Raffarin a sûrement joué dans le manque de volonté de la CGT à radicaliser la lutte.
En effet, celle-ci, en voulant rester à la conduite d'un mouvemerit et en voulant rester crédible auprès du gouvernement, après avoir passé des accords obscurs avec le PS (espérant sûrement encore s'asseoir à la tablè des négociations), non seulement n'a pas suffisamment mobilisé sa base, mais a constitué le plus souvent un véritable frein à l'extension de la lutte et à la prise en main de celle-ci par les salarié(e) eux-mêmes.
Œuvrer à la coristruction d'une alternative syndicale, offensive et autogestionnaire, à l'extérieur des syndicats majoritaires, ou tenter de l'intérieur de radicaliser et imposer des modes de démocratie directe: voilà le boulot des anarchistes !
L'article du Collectif La Sociale, de Montpellier intitulé "Retour sur le mouvement social du printemps" n'aura pas manqué de marquer l'attention. Il aura aussi soulevé différentes interrogations et jusqu'à certaines réactions passionnées. Effectivement, les égos de nous autres qui serions Sudistes par exemple, ou comme moi humble Cénétiste, auront été quelque peu titillés. Mais toute polémique, trop enfiévrée qui plus est, perdrait de son intérêt, serait même néfaste, pour peu qu'elle cesse d'être objective et dans une ligne constructi-ve.Aujourd‚hui, l'anarchisme et l'anarcho-syndicalisme en particulier, pourraient redonner des perspectives à une classe ouvrière qui n'en a plus. Mais pour cela, il faut avoir les idées claires. En affirmant cela, les camarades de La Sociale ont eu bien raison, et il convient ici de le répéter.
Plusieurs points exposés dans leur ana-lyse, aussi bien sur des propos spéciaux que sur des questions de fond, appel-lent des réponses, des explications ou des réfutations. Par ailleurs, selon les points de vue, le débat peu conduire à des conclusions différentes, dont il nous appartient individuellement et collectivement de peser les pour et contre.
Haro sur la CGT !
Comme on nous le rappelle, la CGT a été fort critiquée. Il suffit de reprendre les ML (Monde Libertaire, l'un des principaux périodiques du mouvement libertaire - NDLR) de l'époque et tous ceux qui suivent, mais aussi de faire appel à ses propres souvenirs, pour s'apercevoir que les reproches concernant cette organisation ont porté sur la bureaucratie confédérale (avec en ligne de mire Thibault, son secrétaire général) stratégies ambiguës.
Alors que sur le terrain, certains syndicats de base portaient des slogans assez intéressants (37,5 annuités pour tous, grève générale reconductible, de l'argent il y en a chez les patrons, ça va péter, etc.), souvent sympathiques aux anarchosyndicalistes et libertaires, les directions confédérales, quant à elles, n'étaient pas du tout sur la même longueur d'onde. Évidemment, les syndicalistes «alternatifs» ont beaucoup commenté cela. Mais nous savons aussi que c'est déjà au sein même de la CGT que les gueulantes ont été les plus fortes, aussi bien en interne (au sein des syndicats ou en commissions exécutives), qu'en public dans les cortèges, à Marseille, à Lyon ou ailleurs.
La presse libertaire, contrairement aux médias institutionnels (qu'ils soient télévisés ou écrits), s'est faite l'écho de ces faits et a livré ses analyses du pourquoi et du comment. Aurait-elle dû se censurer sous prétexte de ne pas diviser le salariat ?
Pourquoi était-il si important de commenter/critiquer l'attitude de la CGT, alors que finalement la CFDT et la CGC en auraient beaucoup moins pris pour leur grade ? À tort ou à raison, les différents acteurs et observateurs des mouvements sociaux du printemps ont considéré que la CGT, à elle seule, possédait la clé du rapport de force.
À tort peut-être, on s'est sûrement fait beaucoup trop d'illusions sur les «capacités d'entraînement» de l'appareil cégétiste. À ce sujet, on ne saurait trop recommander de se reporter à l'excellent article «Variations sur une protestation avortée» de Freddy Gomez, paru dans le Monde Libertaire, hors série n°23.
Avec raison, car si la CGT (dans son ensemble) s'était donnée corps et âme à faire triompher et à organiser ce mouvement, on peut légitimement penser qu'elle aurait réussi à entraîner dans son sillage des pans plus que significatifs du salariat vers un réel rapport de force (n'en déplaise à Freddy Gomez). Ainsi, les impressionnants cortèges cégétistes que nous avons pu observer ici et là semblent confirmer de telles impressions. Par ailleurs, on peut se référer aux mouvements de 1995, et se rappeler les brillantes envolées lyriques de Marc Blondel, secrétaire général de FO, appelant à corps et à cri à développer et à continuer le combat jusqu'à ce que le projet de réforme de la Sécu soit définitivement retiré, sans aucune autre condition. On se souvient que si Blondel s'est autant mouiilé, c'est surtout parce qu'avec cette loi son organisation avait beaucoup à perdre dans la cogestion de la Sécurité sociale. On se souvient aussi qu'à l'époque, la CFDT avait déjà «trahi» (outre sa stratégie de «force d'accompagnement», eile récupérait les pions perdus par FO à la Sécu) et que la bureaucratie cégétiste avait le cul entre deux chaises : d'un côté sa base de grévistes (notamment chez les cheminots) et de l'autre côté ses scrupules par rapport à sa nouvelle copine — la CFDT — de la Confédération européenne des syndicats. Néanmoins, l'attitude de Blondel a contribué à rassurer les frondeurs cédétistes, à maintenir les lutteurs de la CGT, et au final, d'obtenir un peu d'extension au mouvement. En fin de compte, le projet de loi fut retiré. On peut s'affliger de tels phénomènes panurgiques, mais ils apparaissent quelquefois comme des réalités (une partie importante des grévistes de tous poils était d'ailleurs bien consciente des enjeux interorganisationnels et plus bassement «matériels» qui se jouaient sur ce coup). On peut être désolé que Thibault ne se soit pas trop mouillé au printemps dernier, en vertu des mêmes effets.
Les critiques, finalement, d'où proviendraient-elles ?
D'une part, certainement, de la frustration de voir ceux qui semblaient posséder la force ne pas simplement essayer. D'autre part, d'une naïve volonté de vouloir déniaiser tous ceux et celles qui comptaient sur les motivations réelles de la CGT, une partie de ses adhérents, de ses militants, et de tous les autres en dehors. Il n'est pas inutile de rappeler ce qui ne constitue pas un fantasme :
— Lors de son dernier congrès, en mars 2003, la CGT avait abandonné la revendication des 37,5 annuités pour tous.
— Depuis 2001, la CGT cogère avec d'autres organisations représentatives les fonds d'épargne salariaux, l'une des pièces concrètes du pont qui conduit tout droit aux retraites par capitalisations
— Depuis son adhésion à la CES, en 1995, la CGT montre qu'elle a choisi d'assumer son «engagement».
Il se trouve que la pseudo trahison de la CFDT (et de la CGC) n'a surpris que les idiots qui se faisaient des iilusions sur sa bonne volonté. Tiens, tiens... Il y a belle lurette que les milieux libertaires ont intégré le rôle de la CFDT, et c'est en quasi continu qu'ils s'obstinent à le dénoncer et à l'expliquer. C'est pourquoi au lendemain du 15 mai on a surtout entendu dans leurs rangs des commentaires cyniques, des éclats d'hilarité et des «vous voyez, c'est bien comme on disait».
Et pour finir sur cette question sans trop vouloir insister, il paraît exagéré d'affirmer que les propos ont été plus virulents à l'encontre de la «très glorieuse confédération», qu'à l'encontre du gouvernement et du MEDEF.
Plus de 30 ans d'expérience
Le constat est posé, le paysage syndical français est sinistré.
Les dernières décennies ont été marquées par une longue suite de combats perdus, et encore faudrait-il se souvenir de ceux qui auraient été gagnés.
Quels syndicats assument-ils la conclusion de Mai 68, avec tout ce que cela veut dire, en particulier les accords de Grenelle ? Quelles conquêtes peuvent-ils revendiquer ? Quels droits ont-ils réussi à défendre ?
À quoi ça sert, les syndicats ? Est-ce que ça sert à demander (poliment) aux gens d'arrêter de faire «la sociale» et de reprendre le travail dans les usines modernes qu'ils cogèrent avec les patrons ? Et depuis ces temps jadis, combien d'autres couleuvres ont-ils réussi à faire avaler au prolétariat ? Combien de «trahisons» ?
Les trente-cinq dernières années de luttes sociales démontrent clairement les dégâts du syndicalisme réformiste et corporatiste. Ça suffit! Certes, la CGT n'est pas la seule responsable d'un tel désastre, mais quand même, en ce qui la concerne elle et elle seule...
On pourrait écrire des livres entiers sur cet unique sujet. Passons. Qui s'étonnera alors de l'atomisation du prolétariat ? Un petit sondage auprès des salariés pourrait bien nous révéler qu'ils se méfient des syndicats, tous les syndicats, car ceux-ci semblent beaucoup plus attachés à leurs intérêts propres qu'à ceux des travailleurs. Mais des fois, un syndicat c'est bien utile, comme une mutuelle ou une assurance, qui sait ce qui pourrait advenir ?
On en arrive donc au printemps 2003, avec toutes les autres raisons que nous explique le collectif La Sociale, à un rapport de force défavorable, malgré quelques manifestations monstrueuses et un courant de sympathie rarement égalé dans l'opinion publique (surtout en ce qui concerne la question des
retraites).Faire la peau aux mythes !
De mémoire de quadras, on a l'habitude, c'est chaque fois pareil. La pieuse unité syndicale, à laquelle on aime se référer pour (se) convaincre de ses bonnes intentions, mais que jamais personne ne pratique, est l'argument récurent du cégétiste basique pour expliquer tout et n'importe quoi.
L'unité. Laquelle d'ailleurs ?
L'unité avec les camarades qui négocient pour nous (et sans jamais nous demander notre avis) ? L'unité avec les autres camarades qui sont au gouvernement lorsque la gauche est au pouvoir ou avec ceux qui nous «sauvent» du fascisme actuellement? L'unité avec des centrales qui se font l'habitude de «trahir» (CFDT, CGC, CFTC) ou d'autres qui ne veulent pas entendre parler d'unité (FO) ? L'unité, la belle panacée que les syndicats alternatifs se font un malin plaisir à briser en posant des pièges sournois à la CGT. L'unité suivant toutes les volontés de l'innocente CGT. Ô sainte CGT, tu parviendras bien à nous faire pleurer. Pourquoi jamais l'unité avec ceux qui sont en lutte face à leurs exploiteurs ?
Était-il crédible d'appeler à la grève générale ? Non, surtout lorsque soi-même on est lié par des intérêts, surtout lorsqu'on en a peur parce qu'elle deviendrait incontrôlable. C'est une simple question de pragmatisme, n'est-ce pas ? Ceux qui attendaient que Thibault lève le point, criant sus à l'ennemi de classe, et se ruant au combat, sont vraiment trop bêtes.
Le 13 mai, les cheminots, tant attendus et si précieux pour le rapport de force, s'engagent dans la grève. Dans les villes, les cortèges des manifs sont monstrueux. Le 14, les cheminots sont invités à retourner au travail, pour ne pas nuire à la stratégie des temps forts. Le 15, la CFDT joue la soupape.
À partir du 16, dans les villes, les cortèges ne maigrissent point, bien au contraire, jusqu'à la fin (la veille du Bac). La CGT est de plus en plus impressionnante dans les rues. FO mobilise à plein bal. Les Unsa, SUD, FSU, etc. affichent un dynamisme étonnant. Les cédétistes rebelles, loin d'être ridicules en nombre, arborent fièrement leurs banderoles avec un F barré. Le PS ose le culot de manifester et differ un tract en couleur sur les retraites... Le 25, un beau dimanche, à Paris, en province, les foules sont toujours dans la rue plutôt qu'à la campagne ou au bord de l'eau. Au passage, le 1er juin autour du lac Léman, le mouvement contre le G8 marque des succès inespérés. Le 10 juin, contre toute attente, ça continue, le pouvoir prend peur, ça fritte, ça arrête, à Paris, à Calais, à Lorient.
Le 12 juin, c'est le bac : rentrez chez vous, vous avez échoué votre examen d'émancipation ! Consolez-vous, la CGT vous consulte: : «Que pensez-vous de la réforme des retraites ?».
En ces temps là, l'unité syndicale fut largement dépassée et ce qui fit surtout défaut : un peu de culot, de tactique et de rapport de force économique, toutes choses du ressort des syndicats.
D'un rêve d'autonomie
Certes, les AG interprofessionnelles sont des cibles faciles pour les noyauteurs de tous poils. Néanmoins, pour les personnels en luttes, syndiqués ou pas, elles se sont souvent imposées comme des nécessités
— afin afin de vaincre les isolements respectifs ;
— afin de rompre l'immobilisme chronique des centrales syndicales ;
— afin d'obtenir une autonomie de lutte ;
— afin d'engager une dynamique interprofessionnelle et développer l'extension du mouvement. ;
Les résultats ont été plus ou moins limités.
Souvent, on a pu conster que les AG étaient sous contrôle.
Les vieux briscards du gauchisme ou du syndicalisme ne comptaient pas se laisser déborder. Quant aux intersyndicales, le contrôle était latent au sein même des organisations qui les composaient.
Mais ponctuellement, ici ou là, des points positifs ont pu être relevés. Comme dans la régionlyonnaise, où plusieurs collectifs Éducation se sont montés par secteurs géographiques. La CNT y était présente, et a contribué à des initiatives intéressantes, reliant les collectifs avec les habitanes du quartier (notamment à Vaulx-en-Velin). Toujours dans cette région, la CNT était dans l'intersyndicale et a pu un tant soit peu y peser. Une analyse plus détaillée de cette expérience mériterait d'être exposée par les camarades lyonnais. Néanmoins, la bataille de l'autonomie est loin d'être gagnée, à nous d'y travailler pour l'avenir.
Pour éviter les conclusions prématurées
Bien sûr, il arrive souvent que les libertaires utilisent les mêmes mots que les gauchistes de toutes sortes. Ils se retrouvent d'ailleurs fréquemment sur les mêmes terrains et portent des revendications qui semblent aller dans le même sens : liberté, égalité, solidarité, partage des richesses, du travail... C'est ce qui a pu arriver concernant les AG.
Ce qui nous différencie essentiellement, outre le discours de fond qui n'intéresse pratiquement personne, disons-le, c'est nos pratiques, notre éthique, et les perspectives réelles qu'elles offrent. La récente campagne du contre-G8 en a été une démonstration éclatante sur bien des aspects.
En ce qui concerne le G10, les jugements portées par La Sociale à leur encontre, à juste titre ou pas, ne m'intéressent que par voyeurisme. C'est à eux d'y répondre.
Mais il est nécessaire maintenant de démentir une regrettable erreur concernant la CNT, précisons car c'est fondamental , la CNT Vignoles : «[...] mais aujourd'hui en France ne reste-t-elle pas qu'un syndicat anarchiste malgré ses récents succès?» Oh peuchère, ne s'agirait-il pas d'une provocation lancée par nos amis partageux montpelliérains ?
Revenons à la base et pour faire simple, disons simplement ceci :
L'anarchosyndicalisme et le syndicalisme révolutionnaire sont des outils inventés par les anarchistes. Il est donc logique de trouver de nombreux anarchistes parmi l'ensemble de tous les militants d'une organisation pratiquant l'ASSR (Anarchosyndicalisme et syndicalisme révolutionnaire, NDLR), donc à la CNT. Mais, tous les anarchistes français ne sont pas à la CNT. Il y en a à la CGT, SUD, FO, et même à la CFDT, plus d'autres qui sont complètement anti organisationnels.
À la CNT, il y a une foule de gens qui ne sont pas du tout anarchistes.
C'est d'ailleurs en fonction de nos pratiques ASSR que notre implantation se développe avec des perspectives syndicale concrètes de lutte, dans le public — le meilleur exemple qui me tient à cœur est chauvin : CHU de Saint-Étienne —, ou dans le privé (lire Le Monde libertaire ou le Combat syndicaliste).
Il reste beaucoup de chemin à faire pour atteindre l'organisation de masse capable d'en imposer dans les rapports de force de grande échelle, mais petit à petit nous avançons.
Et c'est cela qui compte : nous avançons parce que nous construisons la CNT ASSR. Pas autrement.
Si, en tant qu'anarcho-syndicalistes, nous nous contentions de tenter de peser sur la CGT, FO, CFDT ou autres, de l'intérieur, nous nous verrions vite intégrés à ces organisations et à leurs stratégies d'accompagnement, de proposition et de cogestion. Car c'est l'illusion de tous les gauchistes de penser qu'on peut y arriver ainsi.
Tout au plus nos efforts serviraient à nourrir ces grandes pieuvres.
Construire le fameux grand syndicat unique qui serait l'organisation de tous les travailleurs semble une tâche démesurée et illusoire, et, pour peu que les projets sociétaires, politiques d'une telle centrale se retrouvent en adéquation avec la sociale démocratie, cela ne servirait strictement à rien. Que l'on s'intéresse par exemple en Allemagne, où il existe un monopole syndical (DGB), qu'est-ce que ça change?
Le «parti du travail», si cher à notre cœur, fait référence à une CGT qui autrefois était un syndicat de lutte et non de cogestion, influencé par les anarcho-syndicalistes de l'époque. Aujourd'hui, reprendre une influence significative au sein des organisations de la CES relève carrément du rêve mystique, en particulier au sein d'une organisation qui, au siècle dernier, se défendait d'être la courroie de transmission du parti stalinien, et qui, en ce début de siècle, vient faire la courbette au grand parti de la gauche régnante.
La reprise de la lutte syndicale sur le terrain de l'action directe qu'a caractérisé le mouvement d'avril-mai-juin sur les retraites et sur la décentralisation a été confronté à plusieurs obstacles : les efforts conjugués des différentes bureaucraties confédérales voire fédérales visant à empêcher toute extension du mouvement, l'incapacité dans de nombreuses régions de tisser à la base, entre syndicalistes et sections syndicales des liens interprofessionnels durables qui puissent être à la base d'initiatives et pallier la défaillance et la main-mise sur l'interpro de certaines UD, et enfin la difficulté, en l'absence de préparation syndicale suffisante, de faire basculer de large pans du salariat, notamment privé, dans la lutte.Pour ce qui est de l'attitude des confédérations, elles ont tout fait pour éviter toute généralisation de la grève, conjuguant outre la trahison prévisible de la CFDT, le verbiage sans actes pour FO, dont le secrétaire général, Blondel, affirmait avec démagogie que la commission exécutive «recommandait la grève générale» après avoir appelé à la reprise dans le nettoyage à Marseille, ou alors que, majoritaire dans la chimie, aucun appel fédéral à la grève n'ait été produit, sans parler de l'absence de dynamique militante à la base ). La CGT adoptait une stratégie d'étalement des échéances de mobilisation, ce qui a conduit lentement à l'essoufflement du mouvement. Quant aux fédérations et syndicats autonomes, on aura noté la capitulation de la FSU, entérinant une remise en cause sans précédent du droit de grève, devant les pressions gouvernementales sur les épreuves du BAC, après avoir rechigner à étendre le mouvement, se contentant d'un opportuniste «appel à la grève partout où c'est possible». Il faut rajouter le suivisme sans surprise de l'UNSA dans la stratégie de démobilisation. Enfin, en ce qui concerne les syndicats de luttes G10 et CNT, si leur positionnement a été beaucoup plus clair, ils se sont avérés bien incapables, par leur taille ou éventuellement leurs faiblesses structurelles, d'être moteurs et de sortir d'une position de suivisme, à part ponctuellement et localement dans les régions de forte implantation.
On peut expliquer cette volonté des bureaucraties des grandes confédérations et fédérations (CGT, FO, UNSA, FSU) d'empêcher à tout prix une grève générale par plusieurs facteurs :
Conscient-e-s de ces faiblesses, à nous de nous organiser pour briser la bureaucratie : en faisant circuler l'information, qui est le nerf de la guerre. En tissant des liens interprofessionnels. En faisant vivre les collectifs et assemblées interprofessionnelles de lutte dans la durée. En continuant le combat que nous avons entamé dans les syndicats contre la mainmise bureaucratique. En questionnant la cogestion qui liquide toute dynamique de lutte et toute défense des intérêts du salariat. En posant la question des permanents et leur rôle dans le développement et la permanence des bureaucraties. De reprendre l'offensive sur le terrain.La gestion par la CGT des «fonds de pension éthique » qui représente une manne inespérée de financement des permanents et qui donne tout intérêt aux bureaucraties confédérales d'entériner la réforme. On soulève ici l'impasse de l'attitude cogestionnaire d'un type de syndicalisme qui n'est plus que l'ombre de lui-même. La volonté de la bureaucratie CGT de prendre la présidence de la C.E.S, ce en quoi elle avait besoin de l'appui de la CFDT et de l'UNSA, avec lesquelles elle ne pouvait assumer donc une rupture claire. L'absence de tout projet de rupture avec le système capitaliste : bien incapable de percevoir une quelconque perspective de changement social, les bureaucraties s'enferment dans la collaboration de classe. Il ne s'agit plus dès lors, hors de toute perspective anticapitaliste, d'arracher par la lutte au patronat une partie de ce qu'il nous vole, mais d'échanger des « avancées sociales » contre des régressions en termes d'acquis pour le salariat. Fini le rôle historique du syndicalisme : défendre les intérêts du salariat et rien que ceux-ci. Ce syndicalisme se préoccupe désormais, par déviation politicienne, de la bonne survie du capitalisme et du rapport d'exploitation. La question du partage des richesses était ainsi inexistante, sauf peut être dans le discours de FO, de SUD et de la CNT, et certains militant-e-s de bases ou représentants fédéraux de la CGT. L'impact d'une conception marxiste du syndicalisme : celle d'un syndicalisme qui n'a pas vocation à être autonome mais dont le rôle consiste exclusivement à créer un rapport de force dont les conséquences ne sauraient se traduire que par la victoire électorale d'un parti. Les réseaux des partis de gauche n'avaient aucun intérêt à une victoire syndicale, qui aurait signifiée leur inutilité. Les politiciens avaient tout intérêt à une défaite syndicale pour paraître comme la seule alternative : pas celle de la lutte des classes, mais celle de la délégation et du vote. Nul doute que nombre de militants syndicalistes de base affilié-e-s au PC ou au PS ne se retrouvaient pas dans cette perspective : mais le désarroi exprimé lors de nombreuses AG devant l'absence d'une alternative parlementaire a contribué à la faillite du mouvement : car c'est le syndicalisme, et de manière autonome, sans se soucier des simagrées politiciennes qui n'ont jamais apporté grand-chose au salariat, qui doit défendre les intérêts de ce dernier, par la lutte et le rapport de force. L'autonomie du mouvement syndical par la lutte, voilà un vieux principe anarcho-syndicaliste qu'il convient de réaffirmer, car la conception syndicale marxiste ne peut conduire qu'à la déviation des énergies de l'essentiel et du réel de la lutte syndical vers le virtuel de l'arène électorale. Reconstruire un syndicalisme d'action directe, anti-bureaucratique, telles sont les conditions pour une victoire syndicale qui marquerait un coup d'arrêt à la démolition sociale du patronat et de l'Etat.
N'ayant d'autre ressource que leur capacité de travail, les salariés n'ont pas d'autre moyen pour faire pression sur leur patron que d'interrompre leur activité productive, indispensable à la bonne marche des affaires. Le droit de grève reste fondamentalement une arme de la classe ouvrière contre le patronat, bien que des tendances récentes poussent à dépasser largement ce cadre ; bien qu'également, dans les pays où il a été reconnu, il fasse sans cesse l'objet de tentatives de restriction, d'empiétement ou même de suppression pure et simple.
En français, le mot «grève» apparaît au début du XIXe siècle et provient du nom de la place de Grève (aujourd'hui place de l'Hôtel de Ville à Paris) sur laquelle les ouvriers se réunissaient en attendant une embauche éventuelle. La grève a une histoire : à Lyon, au début du XVIe siècle, les «griffarins», des ouvriers imprimeurs qui utilisent l'arrêt du travail, au cri de «Trique, trique» (d'où peut-être le terme strike en anglais pour désigner la grève ou le fait de faire grève), pour vider l'atelier du maître récalcitrant et «jeter l'interdit» sur ceux qui songeraient à les remplacer.À la fin du XIXe siècle, on distingue encore mal entre grève, émeute et insurrection : la plupart des grèves depuis 1815 avaient pris un caractère révolutionnaire, la plus fameuse étant celle des canuts de Lyon en 1834. Avec l'essor du syndicalisme autour de 1900 dans les pays industriels, une confusion persiste entre grève et émeute, alimentée aussi par les peurs de la bourgeoisie et les espoirs des syndicalistes révolutionnaires qui versent dans la mystique de la grève générale insurrectionnelle.
L'histoire de la grève générale Selon des historiens et historiennes, l'idée de grève générale apparaîtrait au cours de la Révolution française, exprimée par Sylvain Maréchal, Le Tellier, Mirabeau. Elle est préconisée par le syndicalisme britannique dans les années 1832-1842. Face au coup d'État de Louis Napoléon Bonaparte, elle est avancée par le libéral Émile de Girardin. Elle est débattue au IIIe Congrès de l'Association internationale des travailleurs. Les grèves de 1886 à Chicago pour les huit heures servent de déclencheur pour le mouvement ouvrier français qui s'est redressé rapidement de l'énorme saignée de la Commune. Au sein de la Fédération des Bourses du travail, fondée en 1892, Fernand Pelloutier promeut la stratégie de l'arrêt collectif du travail qu'il expose dans une brochure rédigée avec Henri Girard, Qu'est-ce que la grève générale ? (1895). Le IIe Congrès de la C.G.T., à Tours en 1896, adopte le principe d'une propagande intense en faveur de la grève générale. Le même scénario se renouvelle en 1897 (Tours), 1898 (Rennes), 1900 (Paris). Le congrès de Montpellier dote l'organisation d'une commission des grèves et de la grève générale. L'article 16 des nouveaux statuts indique qu'elle "a pour objet d'étudier les mouvements de grève dans tous les pays" et qu'elle "s'efforce, en outre, de faire toute la propagande utile pour faire pénétrer dans l'esprit des travailleurs organisés la nécessité de la grève générale". Le VIIIe congrès, à Bourges en 1904, confie le soin à Paul Delesalle d'animer une commission spéciale chargée de mener une campagne pour les huit heures qui seraient obtenues d'ici le 1er mai 1906. Sur la façade de la Bourse du travail de Paris, un panneau proclame : "A partir du 1er mai 1906, les travailleurs ne feront plus que huit heures." 1906 sera la première tentative de grève générale en France.
Lors de la révolution russe de 1905, qui, pour l'essentiel, dura de septembre à décembre, la grève générale joua un rôle complètement inédit. Loin d'être un fantasme des anarchistes, ou un substitut à l'insurrection ouvrière, la grève générale de 1905 s'est révélée être une arme redoutable entre les mains des travailleurs, portant en elle une dynamique capable d'embraser le pays entier. Dans sa brochure "La grève de masse", écrite en 1906, Rosa Luxemburg tirait les leçons de la réalité concrète des événements de 1905.
Les débats sur la grève générale au XIXe siècle et au début du XXe Au sein du mouvement syndical du début du XXe siècle, il y des oppositions fondamentales dans les objectifs donnés à la grève générale :
Les positions guesdiste et syndicaliste révolutionnaire sont la continuité des débats entre marxiens et anarchistes au XIXe siècle. Jules Guesde, reprenant avec plus de raideur encore des objections de Friedrich Engels, avait condamné la stratégie de la grève générale. A l'époque, de manière purement théorique, on suggérait que si tous les travailleurs faisaient grève ensemble, pendant suffisamment longtemps (on parlait souvent de quatre semaines - "le mois sacré" comme disaient les révolutionnaires anglais, les "chartistes"), soutenus par les caisses ouvrières évidemment, le capitalisme s'effondrerait. Pour Marx et Engels, cette position était pour le moins naïve, d'autant plus qu'avec le temps, la "grève générale" était devenue le mot d'ordre fétiche des anarchistes. Engels ironisa en 1873 : "Dans le programme de Bakounine, la grève générale est le levier qu'on emploie pour déclencher la révolution sociale. Un beau matin, tous les ouvriers de toutes les usines d'un pays, ou même du monde entier, cessent le travail, contraignant de la sorte en quatre semaines au maximum les classes possédantes, soit à capituler, soit à taper sur les ouvriers ce qui donne alors à ceux-ci le droit de se défendre et par la même occasion de jeter bas toute la vieille société."Marx et Engels finirent par considérer que la grève générale n'avait pas de rôle particulier à jouer dans la stratégie ouvrière. Mais, en 1893, Engels (Marx était déjà mort) reconsidéra la question de la grève générale à la lumière de la lutte de classe en Belgique où, par le biais d'une telle grève, les travailleurs venaient d'arracher des acquis politiques importants. Loin de dénoncer l'utilisation de cette nouvelle tactique, Engels montra qu'il s'agissait d'une arme très puissante qu'il fallait manier avec précaution. Comme il l'a dit dans une lettre à Kautsky : "la grève politique doit, ou bien vaincre tout de suite, par sa seule menace (comme en Belgique où l'armée était très secouée), ou se terminer par un fiasco colossal ou, en définitive mener directement aux barricades."
- Pour le courant réformiste, la grève générale est un moyen d'obtenir des améliorations partielles et immé-diates pour les travailleurs, secteur par secteur (grèves générales sectorielles) ou ensemble en imposant par l'action économique le vote de lois sociales.
- Le courant guesdiste (1) était plutôt opposé à la grève générale. Il subordonnait l'action syndicale à celle du parti afin de permettre la conquête du pouvoir par celui-ci. Le parti étant considéré comme seul à même de mettre en œuvre la révolution par la mise en place d'un "état ouvrier". La grève générale devient alors pour les guesdistes un levier pour permettre la prise de pouvoir insurrectionnelle par le parti ouvrier.
- Pour le courant syndicaliste révolutionnaire, la grève générale était l'outil essentiel de la révolution. Elle devait en effet permettre aux travailleurs de prendre le contrôle de l'ensemble de l'économie et des moyens de production : arrêt simultané de la production dans tous les secteurs, destruction de l'appareil d'état, abolition du patronat et du salariat et enfin reprise de la production dans la nouvelle économie socialisée. Cette dernière devant être au service et sous le contrôle des travailleurs par le biais des organes démocratiques issus des syndicats. Cette grève générale devait être très organisée et la plus brève possible afin d'éviter les préjudices de l'arrêt trop long de la production pour la population. Bien évidemment cette grève devait ne pas être déclenchée spontanément mais organisée, préparée après des mouvements partiels par secteurs. Une notion très importante est celle de "gymnastique révolutionnaire" : l'organisation syndicale devait permettre d'obtenir des améliorations immédiates pour les travailleurs dans différentes grèves, les entraînant et les organisant en vue de la grève générale.
Trotsky dira : "Ainsi que tout marxiste le sait, la grève générale constitue l'un des moyens de lutte les plus révolutionnaires. La grève générale n'est possible que lorsque la lutte des classes s'élève au-dessus de toutes les exigences particulières et corporatives, s'étend à travers tous les compartiments des professions et des quartiers, efface les frontières entre les syndicats et les partis, entre la légalité et l'illégalité, et mobilise la majorité du prolétariat en s'opposant de façon active à la bourgeoisie et à l'État. Au-dessus de la grève générale, il ne peut y avoir que l'insurrection armée."
Les grèves générales en France La première tentative de grève générale en France est prévue pour le 1er mai 1906 avec pour but l'obtention de la journée de 8 heures (déjà obtenue en Angleterre). A l'approche de la date fatidique, Georges Clemenceau, premier flic de France, futur président du Conseil, masse 50.000 hommes dans la région parisienne. Sous prétexte de déjouer un complot, le ministre fait arrêter le secrétaire de la CGT le 30 avril. Le lendemain, la police à cheval rend impossible tout rassemblement parisien. En province, la mobilisation est médiocre. L'agitation se prolonge jusqu'à la fin du mois de mai. Néanmoins, le mouvement a échoué. Le Parlement adopte le 13 juillet 1906 une loi sur le repos hebdomadaire sans que l'offensive syndicale ait véritablement pesé sur le projet conçu de longue date par des parlementaires réformistes. Le congrès de la "Charte d'Amiens" se tient du 8 au 14 octobre 1906. Il tire les leçons du 1er mai 1906 mais aussi de la formation en 1905 du Parti socialiste unifié, la section française de l'Internationale ouvrière (SFIO). En dépit des critiques provenant des médiocres résultats de l'action, le mouvement entrepris est à poursuivre. Le rapporteur évoque un schéma à quatre temps : luttes par branches, arrêts simultanés, grève générale, révolution. La Charte d'Amiens écarte toute stratégie parlementaire. Autonome, le syndicat, expression de toute la classe, travaille à l'amélioration immédiate du sort des travailleurs et à plus long terme, à leur émancipation par la grève générale.
En mai et juin 1936, après la victoire du Front populaire, déferle une vague de grèves qui touche la quasi-totalité des secteurs agricole, industriel et commercial du privé (12 000 entreprises dans le secteur privé - le "public" n'est pas en grève, ne bénéficiant pas du droit de grève -, près de deux millions de grévistes, dont les trois quarts occupent leurs usines). Le 18 juin, Jouhaux, secrétaire inamovible (depuis 1909 !) de la C.G.T. n'en revient toujours pas : "Le mouvement s'est déclenché sans qu'on sût exactement comment et où." Aucune consigne centrale en effet ne l'a précédé, ni même accompagné. Des comités de grève, s'ils ont le mérite d'exister, d'être en général assez représentatifs des différents secteurs de l'entreprise, sont rarement élus autrement qu'à l'applaudimètre de l'A.G.. Leur coordination est inexistante à quelques exceptions ou tentatives près : la C.G.T. réunit à plusieurs reprises des délégués syndicaux de la métallurgie ; il existe un comité intermagasins dont les délégués accompagneront les syndicats aux négociations du secteur ; enfin le comité de grève d'Hotchkiss tentera de faire vivre une coordination de 33 puis 280 usines métallurgiques de la région parisienne au point culminant du mouvement. La grève imposera les accords Matignon qui vont bien au-delà du programme électoral du Front populaire. Mais le combat a radicalisé les combattants. Il faudra toute l'autorité de Thorez pour stopper un mouvement qui est à son zénith entre le 7 et le 12, c'est-à-dire après les accords dits maintenant Maquignon.
L'autre grande grève générale fut celle de mai 68 (2). Tandis que les étudiants tiennent d'interminables "assemblées générales" depuis la fermeture de Nanterre le 2 mai, les ouvriers, las de grèves ponctuelles et de négociations infructueuses, décident de contrer plus durement l'intransigeance patronale. Des luttes très dures menées début 68, on peut trouver trace dans un article du Combat Syndicaliste du 22 février 1968, journal de la CNT (qui avait à l'époque une existence symbolique), dans un article intitulé "Vive l'action directe" :
L'agitation étudiante, jusque-là isolée, rencontre la sympathie de l'opinion publique : le 13 mai, à Paris et dans toute la France, les syndicats manifestent avec les étudiants pour protester contre les brutalités policières. La crise prend alors une nouvelle dimension, car le lendemain, de façon tout à fait inattendue et spontanée, une vague de grèves s'enclenche: à la révolte étudiante succède une véritable crise sociale. Au soir du 14 mai, les salariés de Sud-Aviation, dans la banlieue de Nantes, occupent leur usine et séquestrent le directeur. Les 15 et 16, la grève gagne les usines Renault de Cléon et Sandouville (Seine-Maritime), Flins et Boulogne-Billancourt. Progressivement, jusqu'au 22 mai, et sans mot d'ordre syndical national, le mouvement s'étend. Le pays se retrouve paralysé par 7 millions de grévistes déclarés (sans compter les salariés en chômage technique, ou bloqués par le manque de transports). Les usines, les bureaux, les services publics, les transports, tous cessent le travail. Nées spontanément, les grèves de Mai 68 ne sont encadrées qu'a posteriori par les syndicats, qui collent cependant autant que possible au mouvement, tentant de le traduire en revendications négociables.
- Nantes, 20 janvier 1968 : "L'installation du nouveau conseil d'administration de la Caisse primaire de sécurité sociale a donné lieu à une manifestation des unions locales des syndicats ouvriers. Des C.R.S. venant prêter main forte aux gardiens de la paix, des projectiles divers étaient lancés sur les forces de police et les premières sommations étaient faites"
- Redon, 20 janvier 68 : "Les ouvriers de l'usine Jean GARNIER, fabrique de machines agricoles ont, au nombre d'environ cinq cents, de nouveau débrayé jeudi soir et parcouru la ville. Ils ont encore jeté quelques pierres et boulons contre les fenêtres de l'appartement particulier du sous préfet et de la gendarmerie. ...
- Caen, 24 janvier 68 : "Le climat s'est durci à Caen. A proximité de l'hôpital, la police voulut barrer la route aux ouvriers qui arrivaient au coude à coude. Le heurt fut violent avec les manifestants armés de morceaux de bois... Une autre échauffourée avait eu lieu le matin sur la R.N. 13 à l'entrée de Caen, où les gardes mobiles ont dû dégager la route bloquée pendant trente minutes par les ouvriers en grève de la Sonormel"
- Angers, 27 janvier 68 : plusieurs centaines de viti-culteurs ont manifesté contre les conditions d'application de la TVA. à leur profession.... C'est alors que quelques incidents éclatèrent, des manifestants lançant des pétards dans la cour de la préfecture. Ensuite une centaine de manifestants, malgré l'ordre de dispersion, se dirigèrent vers la gare et envahirent les voies. A 18 h 30, deux trains ont ainsi été bloqués"
- Caen, 27 janvier 68 : "La manifestation organisée à Caen vendredi après-midi pour appuyer les revendica-tions des ouvriers métallurgistes en grève s'est prolon-gée dans la soirée par de véritables scènes d'émeutes. 18 blessés, 86 personnes, jeunes pour la plupart, furent appréhendées. Mais dès qu'un cortège se forma, il apparut très rapidement que des manifestants, particulièrement des jeunes, étaient très échauffés. Ces manifestants ne dissimulaient guère leurs intentions : ils tenaient à la main des barres de fer et avaient les poches bourrées de projectiles. Les gardes mobiles apparurent bientôt lançant des grenades lacrymogènes. La nuit tombée, pendant trois heures, de violentes bagarres se multiplièrent au centre de la ville. En même temps, des vitrines, des feux de signalisation, des enseignes étaient brisées, des voitures endommagées. La B.N.R a été lapidée, un camion de pneus a été la proie des flammes. (...)
Après un week-end marathon, sont signés entre le gou-vernement d'un côté, la C.G.T. et la CFDT de l'autre, les "accords de Grenelle" du lundi 27 mai qui se traduisent par :
Mais ce compromis de Grenelle ne satisfait pas la base ouvrière : il privilégie les revendications "quantitatives" classiques, alors que les grévistes mettent plutôt en cause les rapports de travail et les structures de pouvoir dans l'entreprise. La reprise du travail se fait lentement. On se bat encore, mi-juin, à Flins et à Sochaux. Bien des grévistes se sentent floués; mais ils sont isolés. Ces accords consacrèrent la liquidation du programme révolutionnaire en accordant aux syndicats ouvriers un statut officiel de "partenaire social" qu'ils occupaient déjà de facto dans le mode de régulation fordiste en place depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Mai 68 a été un vaste mouvement de contestation. Contestation du pouvoir, contestation des institutions, contestation de De Gaulle, contestation des règlements universitaires, contestation de la violence policière, contestation de la société, contestation des tabous sexuels, contestation des conditions de travail, contestation de la croissance économique...
- Relèvement du SMIG de 35 %, ce qui le portait de 2,22F à 3 F Généralisation du SMIG à toute la France (le SMIC n'existait pas encore - il sera institué en 1970 -. Le minimum était le SMIG, Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti, basé et indexé sur l'indice des prix à la consommation, mais il ne s'appliquait pas partout en France, ni dans tous les secteurs d'activité).
- Hausse des salaires de 10 % en 7 mois
- Extension des droits syndicaux
- Reconnaissance de la section syndicale d'entreprise
- Accords de réduction du travail pour revenir progressivement aux 40 heures
- Travaux sur le droit à la formation continue, sanctionnés par l'accord de juillet 70 instaurant la formation professionnelle rémunérée.
Une grève générale partielle (dans la fonction publique) Début juillet 1953, bénéficiant des pouvoirs spéciaux, Laniel, président du conseil, annonce qu'il va prendre toute une série de mesures afin de limiter les dépenses sociales (ce pour financer les dépenses militaires de la guerre coloniale en Indochine) : réformes de l'assurance sociale, suppression de 4 000 emplois dans la fonction publique, allongement de l'âge de la retraite. La procédure voulait que ces projets soient soumis par le gouvernement au Conseil supérieur de la Fonction publique qui devait se tenir le 4 août. Ce même jour, la CGT, le Syndicat autonome et la CFTC (la CFDT, qui en fut issue, n'existait pas encore) appelèrent à organiser des pétitions, des délégations et un débrayage d'une heure contre les décrets annoncés. FO s'était contentée le 3 août d'une mise en "état d'alerte" de ses syndicats. Le 4 août donc, l'activité cessait dans la quasi-totalité des bureaux, des centres et des services postaux mais, comme il était prévu, le travail reprit au bout d'une heure, sauf à Bordeaux. Là, un militant de FO, Jean Viguié, de tendance anarcho-syndicaliste, prit le micro et résuma la situation: "Seule une grève générale et illimitée peut aboutir à faire reculer le gouvernement" et conclut en disant: "Pourquoi ne la lancerions-nous pas ?". Les applaudissement tinrent lieu de vote. Par téléphone, les postiers grévistes de Bordeaux avertissaient eux-mêmes leurs collègues, dans le reste du pays. Deux jours plus tard, la grève était générale dans les PTT et gagnait d'autres secteurs, concernés eux aussi par les décrets-lois. À son point culminant, la grève fut suivie par quatre millions de travailleurs. Il n'y avait plus de trains, plus de courrier. Le téléphone, alors manuel entre Paris et la province, était paralysé, le gouvernement dut utiliser les lignes intérieures de l'armée. Les chèques postaux étaient bloqués, les ordures ménagères s'entassaient sur les trottoirs des villes. Elle dura jusqu'au 25 août. Mais pour le gouvernement comme pour les syndicats, il s'agissait de régler cette affaire avant la fin du mois d'août, avant que le reste des salariés ne retourne au travail. Le 20, un accord était signé avec FO et la CFTC. Le gouvernement reculait sur les retraites et les salaires les plus bas. L'ordre de reprise de FO et de la CFTC fut sans effet. Pour la C.G.T., il s'agissait de faire un baroud d'honneur démonstratif de leur influence. Démonstration faite, la C.G.T. appela à la reprise du travail le 25 août, sans que les travailleurs obtiennent rien de plus. Mais le gouvernement avait dû remiser ses fameux décrets-lois et promettre d'augmenter les bas salaires.
De 1968 à aujourd'hui... La masse de grévistes de 1968, si elle n'a pas ébranlé le régime malgré la bonne frousse flanquée à la bourgeoisie, a tout de même contribué à un certain rééquilibrage du rapport de force entre le capital et le travail. Des acquis, certes au-dessous de ce qui était escompté, ont pu être arraché au pouvoir et à la bourgeoisie. De plus, ce nouveau rapport de force s'accompagnait d'une contestation frontale des valeurs bourgeoises. Depuis, nous avons assisté à l'érosion de ce rapport de force qui s'est infléchi en faveur du capitalisme. Des restructurations gigantesques, parfois pilotées par l'État lui-même, ont jeté à la rue des centaines de milliers de travailleurs. L'offensive de la bourgeoisie s'accentue ensuite pour réduire à l'état de miettes les acquis cumulés d'un demi-siècle de luttes sociales. Ces éléments d'un "compromis" entre travail et capital que certains croyaient possible sont éliminés. L'action continue du capitalisme est d'autant plus efficace qu'elle est déterminée à parvenir à ses fins et ne trouve face à elle que des réactions dispersées, même si elles sont parfois spectaculaires, et des organisations de travailleurs persistant à penser dans le cadre d'un "compromis" que la bourgeoisie a depuis longtemps rompu. Ainsi, ces dernières années ont laissé l'initiative à une bourgeoisie jalouse de ses prérogatives, ne comptant partager aucune parcelle de pouvoir, désireuse de maintenir puis d'augmenter de manière conséquente ses taux de profit. Par ses coups de boutoirs sans cesse plus violents, elle contraint les travailleurs à se cantonner à une posture défensive. Celle-ci, souvent désespérée, demeure à l'écart de toute coordination, inconsciente souvent du nouveau rapport entre les classes et nostalgique d'une période d'équilibre qui s'est avérée illusoire, un repli stratégique de la classe des possédants. Cette défensive des travailleurs n'est pas même élément d'une stratégie de cantonnement qui travaillerait à la construction d'un nouveau rapport de force, prélude, en même temps qu'élément constitutif d'une stratégie offensive future, consciente cette fois de l'impossible existence d'un quelconque compromis durable avec le capital et l'État.
Pour que cette conscience rejaillisse, la révolte élémentaire, même sous ses formes actuelles, est d'une impérative nécessité. Elle doit être le socle d'une nouvelle conscience de classe débouchant sur une nouvelle conscience politique indispensable au constat des enjeux liés aux rapports de classe d'aujourd'hui.
Lors du mouvement de ce printemps, nous avons pu entendre le mot d'ordre "Grève Générale" émerger ça et là, de la bouche de militantes et militants révolutionnaires certes, mais surtout des franges les plus déterminées de salariés en lutte. Ainsi, parmi les personnels les plus engagés de l'Éducation Nationale (minorité importante et très active) est apparue l'affirmation de la nécessaire confrontation générale sans laquelle leurs revendications propres n'ont aucune chance d'aboutir. Il en va de même, évidemment, pour tout mouvement catégoriel. Auparavant et en même temps, des sections syndicales d'entreprises licenciant en masse se rencontraient pour construire une réaction des travailleurs à la hauteur des enjeux en dénonçant clairement le capitalisme et en défendant l'urgence de la construction d'un rapport de force offensif.
Aujourd'hui, la nécessité de la grève générale, la nécessité de synthétiser les mécontentements grandissants de tous les salariés, chômeurs et précaires, germe dans les mouvements. Sans prise de conscience globale, sans lutte d'ensemble, il sera de plus en plus difficile de faire avancer quoi que ce soit pour quelle catégorie que ce soit. Notre salut est encore une fois dans l'union active de tous les travailleurs. Cependant, il faut maintenir les liens apparus dans les mouvements au risque de devoir repartir de zéro à chaque coup tordu du pouvoir. Pour que nécessité puisse devenir réalité, coordination et organisation sont d'une vitale nécessité, car aucun mouvement se voulant victorieux ne peut se contenter de se payer de mots.
(1) Courant socialiste français qui fondait sa politique sur des principes marxistes et ayant pour but final: le renversement du capitalisme. En 1880, le parti ouvrier français est fondé par Jules Guesde et Paul Lafargue. En 1905, ce courant participera à la création du nouveau parti socialiste unifié (qui en adhérant à la IIe Internationale adopta le titre de Section française de l'Internationale ouvrière : SFIO), mais ses thèses ne furent pas celles retenues par ce parti.
(2) On vous recommande vivement de lire, si vous ne l'avez pas encore fait, le numéro Hors-série à ce sujet de Courant alternatif, 3,80 € (Note des auteurs)
Le récent mouvement de mai-juin sur les retraites et ses prolongements ont reposé de nouveau et de manière explicite la question de la démocratie syndicale.Cette question est, en tant qu’anarcho-syndicalistes, au centre de nos préoccupations.
Mais qu’entendons nous par démocratie syndicale ?
Eclaircir cette question est d’importance, tant ce slogan est également souvent le leitmotiv de différents groupes trotskystes, qui pour agir en tant que fraction au sein des organisations syndicales, au mépris de cette même «démocratie» syndicale, n’en ratent pas une pour se servir de cet étendard issu su syndicalisme révolutionnaire afin d’affermir leur positions, et notamment au sein des appareils...
«Démocratie syndicale» et syndicalisme «professionnalisé» Par démocratie syndicale, nous entendons les modes de fonctionnement qui permettent de rendre le syndicat aux syndiqué-e-s, de revenir à ce qui faisait le syndicalisme : l’organisation autonome des travailleurs et travailleuses pour la défense de leurs intérêts de classe, loin des intérêts des fractions politiciennes.
Cette démocratie syndicale est contenue dans la quasi-totalité des statuts des confédérations, au travers du double fédéralisme, bien que la bureaucratisation ait vidé celui-ci de son contenu.
En tant qu’anarcho-syndicalistes, nous entendons contribuer à développer les capacités d’auto-organisation de la classe laborieuse.
Le syndicat nous paraît un moyen incontournable pour y arriver. Mais, nous ne pouvons manquer de constater que le syndicalisme, et particulièrement dans les grandes confédérations est aujourd’hui confronté à la bureaucratisation, au mépris des ses statuts et de ses origines, à la délégation sans contrôle, qui liquide progressivement l’autonomie de classe au profit d’une logique de service confinant le syndicalisme à une fonction d’assurance sociale dont les prestations reposent sur une poignée de militants professionnalisés.
La démocratie syndicale dans les actes, c’est le regroupement des travailleurs et travailleuses, s’organisant de manière active pour défendre leur droit. La décomposition syndicale qui continue son cours prend ses racines dans plusieurs phénomènes :
Le développement d’un «syndicalisme» professionnalisé, à travers les postes de permanents et les décharges.
On substitue la délégation sans contrôle à l’action collective, la répartition des tâches, la construction coopérative de la lutte syndicale, et le mandatement impératif et révocable dans les instances syndicales. Le développement de strates successives d’une bureaucratie syndicale, où plus l’on monte dans les instances fédérales et confédérales, plus les responsables syndicaux sont coupés du salariat par l’accumulation de décharges ou par le statut de permanent, dépossède les syndiqué-e-s de leur contrôle sur le syndicat.
Ce qui était au début du siècle une démarche coopérative, basée sur l’organisation et l’investissement direct des travailleurs et travailleuses, une émanation de leur autonomie, s’est peu à peu, sous l’influence de l’institutionnalisation et de la professionnalisation militante, qui va avec l’émergence individualiste et l’érosion de la conscience de classe, transformé en système assurantiel où l’on prends sa carte en déléguant à des professionnels la défense individuel et collective.
Le syndicat devient dès lors une assurance vie à stricte vocation individuelle, réduit au statut de lobby quand il s’agit de la défense des intérêts collectifs du prolétariat, dépendant du bon vouloir de politiques, qui, sans surprises quelles que soient leur tendances, ne sont que les porte-voix des intérêts du patronat.
Contrôle de l'information Le contrôle de l’information, le monopole de celle-ci par quelques-uns, est un outil de pouvoir important pour la bureaucratie.
L’absence de circulation de l’information permet de concentrer le pouvoir de décision au sein de quelques mains, situées au coeur des structures syndicales, transformées d’instances de décisions dans le cadre du mandatement en structures de pouvoir personnelles ou fractionnels.
L’absence ou la faiblesse de l’information sur les luttes qui se mènent hors du secteur géographique ou de la branche affaiblit la dimension inter-professionnelle du syndicalisme, base de la conscience du classe, tout autant qu’elle renforce le contrôle des bureaucraties sur les mobilisations. Outil pour prévenir l’extension
«incontrôlée» des mouvements de luttes, complété par le silence des médias bourgeois, ce monopole de l’information est également souvent accompagné d’une faiblesse dans la formation syndicale, principalement pour les militant-e-s de base, ce qui a pour conséquence de renforcer la spécialisation, mais également de faire passer des vessies pour des lanternes ouvrant la voie à l’acceptation de lignes fédérales ou confédérales défavorables aux salarié-e-s par absence de retour critique sur leur impact négatif pour les travailleuses et travailleurs.L’accord sur la formation professionnelle en est un exemple : présenté par les confédérations comme un progrès pour les salarié-e-s, il ne résiste pas à une analyse poussée sur sa fonction d’atomisation du salariat, qui, avec la casse du principe de faveur par la réforme sur la «démocratie sociale» (sic) et la destruction du cadre collectif des diplômes par la réforme universitaires LMD, constitue une attaque sans précédent sur les conventions collectives et les garanties collectives de salaire en substituant la validation de compétences individualisées à celle des qualifications, étalon collectif de valeur.
L’absence de formation syndicale, ou le contrôle de cette formation l’expurgeant de tout discours critique, est un outil de taille pour enfermer les syndiqué-e-s dans la délégation, pour assurer aux bureaucraties le contrôle des syndicats.
La Lettre des militant-e-s syndica-listes libertaires, parallèlement à d’autres publications (Syndicaliste !, L’Émancipation syndicale et pédagogique, et bien d’autres), tente d’apporter sa contribution — modeste — aux efforts faits pour briser ce monopole, à cette nécessaire mise en circulation de l’information et de l’analyse critique, rendue plus aisée par la technologie internet, même si celle-ci est encore loin d’être accessible à tout-e-s les syndicalistes.
Contre le travail de «fraction» L’action de fractions politiques, de gauches ou d’extrême gauche est également une attaque contre la démocratie syndicale.
Celles-ci visent à inféoder le syndicat (et donc l’autonomie prolétarienne) à la logique des partis, en s’emparant ou en gardant le contrôle des structures décisionnelles des organisations syndicales, en utilisant des moyens comme la répartition clientéliste des décharges, la désignation par le haut des mandatés de congrès en fonction des proximités politiques, validés par les syndicats de base en l’absence de pratique démocratique à la base.
Les fractions politiques, qu’il s’agisse de la social-démocratie, des résidus staliniens ou des trotskystes ont tous en commun le mépris pour les capacités de décisions et de gestion du salariat.
Elles prétendent inféoder l’action syndicale au parti, cantonnant le syndicat au rôle de groupe de pression, lui déniant toute action autonome, c'est-à-dire qui n’aurait pas comme aboutissement le débouché politique partidaire : ainsi a-t-on vu les réseaux de gauche freiner la lutte dans certains secteurs en mai-juin, considérant que construire la grève générale porterait un risque de faire tomber le gouvernement, risque que certain-e-s ne souhaitaient pas prendre en l’absence d’alternative à gauche.
Cette conception marxiste du syndicalisme, a pour conséquence non seulement d’entraver le fonctionnement démocratique des syndicats en y introduisant des logiques extérieures, en totale contradiction avec la charte d’Amiens, mais plus concrètement de désarmer les travailleurs et les travailleuses face au patronat.
La gauche trotskyste, elle, enfermée dans son appel aux «directions syndicales», est passée à côté d’un élément essentiel : si effectivement, des choix clairs au niveau confédéral auraient permis une extension du mouvement et la construction d’un rapport de force, notamment dans les transports ou le sabotage de la bureaucratie CGT a été évident, l’analyse de la bureaucratisation du syndicalisme devrait conduire plus à déterminer quels moyens, dans cette situation, doivent se donner le salariat et les syndicats de bases pour s‘organiser et mener la lutte en se passant des structures confédérales quand celles-ci ne remplissent pas leur fonction de défense du salariat.
Sur les «comités» et les «collectifs» Les comités interprofessionnels, et les collectifs de luttes, n’en déplaisent aux camarades du collectif La sociale, sont avant tout des réponses à la bureaucratisation des centrales syndicales, lorsque de catalyseurs de la lutte elles se transforment, par choix politiciens, en frein.
Questionner les manquements démo-cratiques de tels comités ou de telles AG, c’est une tâche effectivement qu’il nous appartient de faire, anarcho-syndicalistes, et c’est ce que nous avons fait sur Lyon en luttant pour des mandatements par établissements, AG de secteurs, etc..., mais pas pour y opposer le caractère prétendument démocratique d’un syndicalisme confédéré, dont le caractère bureaucratique est une évidence pour un nombre de plus en plus important de salarié-e-s, qu’ils soient à la CGT, la CFDT, FO, SUD ou autre...
Doit-on alors s’étonner que ces formes d’organisations émergent, lorsqu’un Thibault va parader au congrès du PS en pleine grève reconductible, lorsque les Unions départementales s’abstiennent d’organiser une AG interpro le 13 mai à Lyon, dénient l’accès à une salle de la bourse du travail au comité intersyndical de défense des retraites, qui réunissait des syndicalistes de bases CGT, FO, SUD, CFDT, CNT, et qui souhaitait organiser une rencontre pour organiser la lutte sous un angle interprofessionnel pour tenter de palier au fait que les UD ne faisaient pas leur travail ?
Doit on fustiger ces initiatives qui correspondent avant tout à une volonté de contrôle de la grève par les grévistes, à une tentative d’auto-organisation des salarié-e-s en lutte (qu’aurions-nous à y redire, en tant qu’anarcho-syndicalistes qui défendons l’auto-organisation du salariat), ou s’interroger sur ce qu’elles révèlent comme dysfonctionnement du syndicalisme, un syndicalisme qui par sa bureaucratisation et ses inconséquences bureaucratiques ne remplit plus, au-delà de la base, son rôle de catalyseur et organisateur des luttes en défense du salariat ?
Souligner les manipulations gauchistes des AG, c’est une tâche nécessaire, mais comment peut on interpréter une telle démarche si elle ne s’accompagne pas d’une dénonciation des manipulations des réseaux d’extrême gauche, de gauche, ou tout simplement bureaucratiques qui liquident le syndicalisme ?
Les camarades de la Sociale croient-ils que les organisations confédérées, par leur caractère permanent, sont épargnées par de telles manipulations politiciennes ?
Ce serait là une nouveauté, qui ferait l’impasse sur un sacré bout d’histoire syndicale qui a abouti notamment à la multiplication des scissions syndicales et la liquidation du syndicalisme révolutionnaire comme tendance dominante du syndicalisme français.
Oui, ces coordinations et ces structures éphémères ne peuvent se substituer à l’organisation permanente des salarié-e-s dans des syndicats, il n’est pas dans mon propos de faire de l’antisyndicalisme, je serais bien en peine, en tant que syndicaliste qui comme les autres s’échine sur son lieu de travail à faire avancer la syndicalisation.
Mais en attendant, tant que les syndicats ne seront pas à même de questionner leur fonctionnement, il ne faut pas s’étonner qu’une part de plus en plus large du salariat recherche hors de leur sein les moyens de son auto-organisation dans la lutte.
Ce n’est pas un hasard si nombre de syndiqué-e-s participaient à ces comités.
Pas par anti-syndicalisme, mais parce qu’à choisir entre auto-organisation et fonctionnement dans le cadre strict du syndicat, ils choisissaient la première option.
En tant qu’anarcho-syndicaliste, je pense que l’auto-organisation est conciliable avec le syndicalisme, que concilier l’un et l’autre est nécessaire et indispensable dans la lutte des classes, que le choix ne devrait pas se poser en ces termes, qu’il faut restituer au syndicalisme sa fonction d’outil d’auto-organisation du salariat. Mais réconcilier syndicalisme et auto-organisation des grévistes, du salariat, c’est poser la question de la démocratie syndicale. Une telle synergie, qui est un élément incontournable du rapport de force face au patronat, ne peut se faire sans que le fonctionnement démocratique qui existe dans les statuts des organisations syndicales ne redevienne une réalité pratique et concrète.
Sur «l'unité» Alors combattre pour l’unité du mouvement syndical, c’est un objectif que nous partageons tou-te-s, nous sommes pour l’unité du prolétariat face au patronat, qui est la condition sine qua non d’un rapport de force favorable dans la lutte des classes. Mais cette unité n’est possible que dans le cadre d’un fonctionnement démocratique, et du respect de l’indépendance syndicale, de l’autonomie du syndicalisme et sa complète séparation des logiques politiciennes pour se cantonner à son objectif originel : la défense du salariat dans la perspective d’une société sans classe et sans État.
Toute autre conception de l’unité ne correspond qu’à la vulgate gauchiste du front unique ou l’unité n’est qu’un masque aux ambitions de pouvoir d’une fraction.
L’unité dans le renoncement et la bureaucratisation, en l’absence de démocratie syndicale c’est désarmer le salariat face au patronat... Personne n’est contre l’unité, mais c’est sur quelle base elle se fait dont il est question.
Or, tant que prédomine la conception d’un syndicalisme lobby, inféodé au parti et incapable, par idéologie, de mener ses propres actions, tant que ce syndicalisme s’appuie sur une négation dans les faits de la démocratie syndicale, aucune unité n’est possible. L’unité syndicale, sur des bases de classe, sur les bases d’une conception d’un syndicalisme s’affranchissant de la bureaucratie, on l’a trouvé dans la lutte, reste à se donner les moyens de construire de manière permanente des réseaux qui permettront la reconstruction d’un syndicalisme révolutionnaire, antibureaucratique, démocratique, et dès lors, unifié.
Si l’on peut se lamenter en constatant que la CGT a bien changée depuis la charte d’Amiens (c’est ce dont devraient se rendre compte les camarades de La sociale), il s’agit surtout de se donner les moyens de reconstruire un syndicalisme de classe, anti-bureaucratique.
C’est à ce prix que nous pourrons parler d’unité syndicale, car celle-ci n’est possible que dans le cadre d’un syndicalisme antibureaucratique, libéré des influences partidaires, respectant la démocratie syndicale et le double fédéralisme, substituant l’action collective et la répartition des tâches à la
délégation de pouvoir et la professionnalisation (décharges et permanents).
Nous sommes confrontés à un mouvement historique qui voit déferler l’individualisme, la délégation de pouvoir et le consumérisme, y compris militant.
C’est une nécessité, il me semble, d’inverser la tendance, en se donnant les moyens de faire revivre ou d’assurer la continuité des pratiques d’auto-organisation, d’action directe, de fédéralisme et de gestion directe.
Et cela passe par la pratique, la mise en cause des structures et des fonctionnements qui renforcent la délégation, cette délégation qui fossoie la démocratie...
Anarcho-syndicalistes, nous savons que les fins sont liées aux moyens, et que l’on ne peut construire l’autonomie de classe en l’attaquant par nos pratiques syndicales...
Ad augusta per angusta Mes biens chers frères,
Vous, qui représentez et animez avec tant d'abnégation tout au long de l'année, un véritable syndicalisme de « service ».
Vous qui vous occupez avec tant de célérité des mutations, des passages en « hors classes » pour les enseignants, du sapin de Noël du comité d'entreprise et de tant d'autres petits soucis qui affectent si durement le monde laborieux, soulageant ainsi ses peines.
Vous qui déployez tant d'énergie quand viennent les élections syndicales pour pouvoir passer ou rester devant vos concurrents. et ainsi obtenir les subsides nécessaires pour payer les permanents.
Vous qui faites confiance à vos états majors syndicaux, vos leaders estampillés après de longues batailles « seuls interlocuteurs officiels » du pouvoir.
(sachez que nous utilisons tous les moyens légaux comme la loi Perben par exemple pour empêcher que d'autres prennent nos places.).
Vous vous demandez effarés : Mais que faire quand un mouvement d'une telle ampleur comme celui qui nous touche aujourd'hui, démarre, se développe, s'amplifie et s'organise même sans que nous n'y soyons pour rien ou du moins pour si peu ?
Aura popularis
Ne risque-t-on pas quand on s'apercevra que nous faisons tout pour le canaliser, le freiner le contrôler, de nous faire jeter un jour de ces «Assemblées Générales» et ruiner ainsi tous nos efforts quotidiens ?
N'y a-t-il pas grand danger pour nous, frères militants, en ce moment particulier où de partout surgit d'entre nos brebis la clameur d'une « Grève Générale illimitée » ?
Oui, mes biens chers frères, vous voyez juste il y a bien péril en la demeure ! Nous avons eu bien du mal, en effet, à prendre en marche le train de la grève reconductible mais il fallait en passer par là sous peine d'être désavoués par nos « bases ».
Mais vous ne vous poseriez pas toutes ces questions mes frères, si vous aviez bien tous, dès le début, compris pourquoi nous devons empêcher ces luttes d'arriver à leurs termes ! Dois-je vous rappeler que certains de nos syndicats confédérés parmi les plus puissants adhèrent à l'illustre Confédération Européenne des Syndicats ? (ceux qui n'y participent pas encore sont néanmoins en complet accord avec ses objectifs). Ils y ont obtenu une stature institutionnelle parmi toutes les autres institutions européennes. Nous devons accompagner celles-ci pour garantir les droits des travailleurs de notre continent. Ils sauront nous en être reconnaissants soyez en sûrs. Mais de grâce n'imaginez surtout pas que nous pourrions, ou même devrions, aller à l'encontre d'un système libéral dont personne (sauf des poètes peut-être) ne voit l'alternative.
Cela n'enchante guère nombre d'entre vous je le sais, mais à ceux-là je répondrai en employant cette expression populaire : contentons nous de limiter la casse ! Et que leur conscience en soit apaisée.
L'Europe sociale à laquelle nous ouvrons c'est aussi l'Europe du capital, ne soyons pas naïfs et de même qu'au niveau national, nous pouvons y remplir parfaitement notre rôle de courtiers de la main d'ouvre. Car le capital ne saurait se passer de nous comme force régulatrice et négociatrice. Allons mes frères le libéralisme nous réserve encore de beaux jours ! Courage !
Et c'est bien en ce sens que nous assumons d'une façon responsable notre rôle actuel que d'aucuns ne manqueront d'appeler perfidement « briseur de grève ».
J'en viens d'ailleurs au conseil tant attendu de votre part pour justement fermer leur caquet à ceux-là : non-syndiqués ou syndiqués de fraîche date ou encore porte-voix de syndicats alternatifs. Car il faut avec célérité s'employer à désamorcer la bombe que leurs critiques pourraient faire exploser.
Lors de nos premières expéditions missionnaires au Japon (16ème siècle) certains d'entre nous en ont rapporté l'art subtil du Jiu-Jitsu. Un des principes fondamentaux en est qu'il ne faut pas opposer la force à la force (surtout si l'on ne fait pas le poids) mais jouer sur le déséquilibre de l' adversaire utilisant même sa propre inertie. En voici l'application :
Nolens, volens
1. Les « révolutionnaires » partisans de la démocratie directe en appellent toujours aux assemblée générales souveraines. Cela à priori remet en cause notre rôle, on le sait, mais ces assemblées se créent spontanément et nous n'y pouvons rien... Aussi, n'allons pas à contre courant il suffit d'y être présents ! Vous avez tous lu Platon dans le texte et vous n'ignorez pas que dans des lieux ou le pouvoir vient de la parole, ceux qui jactent le mieux tirent leur épingle du jeu. Or n'êtes vous pas des spécialistes ? Considérez l'avantage que vous avez sur ces néophytes qui s'exercent pour la première fois, ô combien maladroitement, à s'exprimer en public !
Quid nescit dissimulare nescit regnare
2. Dites oui aux A.G ! Résolument ! Et même allez plus loin ! Si l'on vous demande pourquoi vous n'appelez pas à la grève Générale illimitée, ne vous effrayez pas : retournez la force de votre contradicteur contre lui : n'hésitez pas à dire haut et fort que si vous ne le faites pas c'est par respect pour ces mêmes Assemblées qui seules ont le pouvoir de décider d'une telle chose. C'est par respect pour la démocratie que vous n'en faites rien ! Et le tour est joué !
3. Remarquez l'habileté de l'argument : d'une part vous apparaissez dans toute la modestie d'un vrai représentant de « la base » mais en plus vous ne manquerez pas de stigmatiser à l'occasion celui qui vous demande des comptes comme un de ces aventuriers qui n'hésiterait pas, lui, à se substituer à la volonté collective ! ! !
Voici donc une phrase type que vous pouvez utiliser partout : « Nous n'appelons pas à la grève générale car ce sont les assemblées qui décident et nous ne saurions nous substituer à elles ! Nous respectons la démocratie, nous ! »
L'argument portera d'autant plus que votre contradicteur sera le porte parole d'un de ces petits syndicats alternatifs qui pullulent depuis peu.
Ceux-ci, en effet, sont prêts à en appeler aux Assemblées et même aux «Coordinations » d'assemblées sans rechercher aucune reconnaissance particulière pour leurs syndicats ! Cette position pourrait leur amener bon nombre de sympathies. Ce qui apparaîtrait comme gage de leur honnêteté peut néanmoins se retourner contre eux pour peu que l'on insinue adroitement qu'en fait ils se fondent dans les assemblées pour mieux les manipuler, profitant du fait qu'ils sont moins connus que nous qui ne pouvons nous cacher du fait de notre notoriété.
N'est ce pas là une prise admirable digne des grands maîtres du Jiu-Jitsu ?
Allons, le temps presse mes frères et la besogne est dure : les grévistes semblent déterminés à poursuivre leur mouvement et il est à espérer que notre labeur soit récompensé ! Mais de toutes façons si ce n'est par les uns ce sera par les autres.
Ah ! J'oubliais ! Ayez toujours à l'esprit le mot d'un de nos illustres prédécesseurs le Père Maurice Thorez : « Il faut savoir terminer une grève ! »
PS : Veuillez à ce que ce document ne soit pas divulgué à de simples curés de campagne qui n'ont pas la formation suffisante pour en comprendre la nature.
Les inc'oyables et les Me'veilleux (1) De sou*ce assez poissonneuse, on c*oit savoi* que l'inc*oyable et me*veilleux Be*na*d Thibault de la Cégété decla*e*a la g*ève géné*ale le 1er av*il 2004, de maniè*e à mett*e à p*ofit la pé*iode de septemb*e à av*il pou* const*ui*e la montée en puissance. L'inc*oyable et me*veilleux Ma*c Blondel de Effo ne pou**a pas l'assister dans cette éno*me tâche car il au*a passé la main à son successeu*.
Le déc*et de g*ève géné*ale a**ive*a pa* messager : les syndiqués sont d'o*es et déjà appelés à se mobiliser pour fai*e naît*e puis
d*esser les chevaux qui se*ont nécessai*es dans tous les *elais de poste. Aucune inquiétude à avoi* pou* la paille : le gouve*nement actuel fait tout ce qu'il faut pou* nous y mett*e dessus, c'est une den*ée qui ne manque*a pas.La *évolution est en ma*che.
PS : 1. Si le message est brouillé, le tremper dans un chaudron de bave de crapaud en récitant la formule incantatoire "Ce n'est pas le Medef qui nous gouvernera !"
2. Si le message reste encore brouillé, ouvrir son livre d'Histoire à la page 1936 et à la lettre E, comme Espagne(1) INCROYABLES ET MERVEILLEUSES - Après la chute de Robespierre, c'est la fin de la Terreur. La jeunesse dorée aristocratique affiche par réaction des tenues extravagantes et un maniérisme dans la façon de parler. Ils suppriment la lettre R (qui leur rappelle la révolution et robespierre) ; les femmes portent des tenues inspirées de l'Antiquité (les Merveilleuses), les hommes des cravates démesurées et des pantalons moulants (les Incroyables). Leur usage immodéré du parfum de musc les fera surnommer muscadins.