ANARCHISME, HOMOSEXUALITÉS, HOMOPHOBIE, SEXISME... (articles du Monde libertaire)


ANARCHISME, HOMOSEXUALITÉS, HOMOPHOBIE, SEXISME...
(articles du Monde libertaire)

Sommaire
Patrick Schindler ENCORE UNE LOI MINIMALISTE n° 1343 (22 janvier 2004)
Une «fiotte» noire L'HOMOPHOBIE TUE n° 1348, (26 février 2004)
La Fiotte Noire ANARCHISME ET HOMOSEXUALITÉS — UNE LUTTE TOUJOURS EN DEVENIR ? n° 1353, du 1er avril 2004
Sam LUTTER CONTRE LE SEXISME ET L'HOMOPHOBIE À L'ÉCOLE n° 1349 du 3 mars 2004

Patrick Schindler
Homophobie
ENCORE UNE LOI MINIMALISTE
in Le Monde libertaire, n° 1343 (22 janvier 2004)

Le 27 novembre 2002, l'Assemblée nationale rejetait la proposition de loi sur la presse, déposée par Patrick Bloche (PS) et déjà défendue par des élu.e.s vert.e.s et du PC, sous le gouvernernent Jospin. Elle prévoyait de réformer la loi sur la presse, «afin d'étendre à la lutte contre l'homophobie, le sexisme et l"'handiphobie" les dispositions prévues pour les injures racistes». De plus, elle aurait permis aux associations de se porter partie civile. Mais, pour le gouvernement, une telle loi ne semble pas relever de la priorité. Le secrétaire d'État a demandé à la majorité, avant d'aller plus loin, d'attendre un autre projet de loi et de préférence, plutôt préparé par.... la majorité.
Durant les débats sur la proposition, la droite s'est montrée sous son jour le plus habituel : peu convaincue de l'urgence de la chose. Les arguments relevaient «de la haute volée», comme nous pouvons en juger. Xavier de Roux, député UMP: «S'il est normal de ne pas critiquer un état naturel comme le handicap, il n'en est pas de même à l'égard des mœurs et des comportements. Ce texte me semble extrêmement dangereux pour la liberté de la presse : on aura tous les jours des gens traînés devant les tribunaux.»

I1 y aurait donc autant de propos sexistes, homophobes, lesbophobes, transphobes et handiphobes énoncés quotidiennement en France? C. Vanneste, un second
UMP renchérit: «La presse, c'est la plume et l'opinion : un domaine qui nous fait pénétrer dans la subjectivité.»

Ah bon? Pourtant, quand on lit par exemple le Parisien, on n'a pas vraiment l'impression de s'élever au-dessus du débat, on serait même tenté de donner à tous ces politicards un petit cours d'alphabétisation parlementaire. Si les lois entraînent, en général, des contraintes, celles-ci se retournent rarement, il me semble, contre ceux ou celles qui les pondent. Sinon, ça se saurait et à quoi servirait alors l'immunité parlementaire ? Ces député.e.s auraient-ils et elles peur de tomber trop souvent sous le coup d'une telle loi ?

Une majorité pas unanime, vers le bas

Le gouvernement actuel préfére «privilégier des mesures spécifiques, avec des sanctions moins lourdes, car l'homophobie n'est pas [...] aussi grave que le racisme». Pourtant, juste avant son élection à 82 % (selon les sondages excluant les abstentions), Chirac en personne avait déclaré au journal gay mercantile Têtu, appartenant à l'apparatchik caviar Pierre Berger: «L'homophobie est autant condamnable que le sexisme ou que le racisme.» Combien de lesbiennes et de gays ont cru à cet effet d'annonce, parmi tant d'autres (comme, par exemple, le recul du chômage ou la baisse des impôts pour les pôvres) ? Chirac élu, Raffarin reprenait le flambeau et se prononçait, fin 2003 «en faveur d'une loi contre les discriminations à caractère homophobe, devant une législation insuffisante». Tout était dit, alors. Pourtant depuis, plus rien n'est fait, nulle part.

Que sont les belles intentions devenues ?

Ah, si ! soyons juste: un groupe de travail a été constitué à l'Assemblée; il est supervisé par Perben, qui a affirmé à la presse «trouver le projet un peu prématuré et les députés UMP, pas assez mûrs». De plus, il n'était «pas question de faire un cadeau à Patrick Bloche, déjà coauteur du Pacs». Ah, mais, qui est aux commandes du «petit bolide gouvernement» ! Aujourd'hui, seule l'association SOS Homophobie continue la lutte, en lançant une pétition en faveur de la pénalisation des propos homophobes. Bon, une pétition ca n'a jamais fait de mal à personne. J'allais oublier le ministère de l'Agriculture qui s'engage «courageusement» contre l'homophobie ! En effet, les lycéen.ne.s agricoles auront la possibilité de voir huit courts métrages d'éducation, destinés à la lutte contre les disriminations, parmi lesquels Une robe d'été d'Ozon, Ô troubles de Sylvia Calle, etc. Avec ça, on est bien barré !

Pour nous anarchistes, il est évident qu'une loi ne régléra pas le problème de l'évolution des mentalités, de l'autocensure, voire de la disparition pure et simple des propos racistes, xénophobes, sexistes, transphobes, handiphobes, ou encore homophobes, etc. Une loi ne résout rien, certes, mais c'est au moins un minima. Nous le voyons bien, avec la toute dernière sortie contre le port du voile dans les écoles publiques. Elle ne résout pas, pour autant, le port du voile, en général, et ne remet surtout pas en question le sexisme, le fondamentalisme et surtout, le machisme intégral des religions perpétrés sur les femmes et les homosexuel.le.s. Elle ne résout pas, non plus, le problème de l'exclusion des jeunes issu.e.s de l'immigration. Il en sera donc de méme, avec une loi promulguée contre les propos homophobes. Pourra-t-elle empêcher, par exemple, la recrudescence des crimes homophobes?

Combien de victimes ?

Faut-il rappeler le nombre de meurtres, dernièrement perpétrés sur les lieux de drague, contre des homos? Le dernier fut fatal à un jeune homme de Reims, agressé et jeté dans un canal par une bande de jeunes néo-fascistes. Certes, les assassins ont été condamnés à la prison ferme, par la loi du 15 mars 2003. Comme quoi, les lois servent parfois la cause, mais hélas, une fois le copain mort ! Les propos homophobes ou lesbophobes, etc., ont-ils cessé pour autant, sur nos lieux de-travail et de vie? Faut-il également rappeller l'ampleur que prennent les crimes ciblés sur les transgenres ? Quatre commis en France et dix-sept aux États-Unis, pour la seule année 2003. Ce n'est pas une loi de plus qu'il faut promulguer, mais c'est également nos mentalités et notre regard quotidien sur les autres qu'il faut changer. En luttant par exemple, tous les jours, contre le patriarcat et de manière globale !



Patrick Schindler
groupe Claaaaaashpour la commission antipatriarcale de la FA

Une «fiotte» noire
L'HOMOPHOBIE TUE

in Le Monde libertaire, n° 1348, du 26 février avril 2004


Sébastien Nuchet a été brûlé vif, aspergé d'un liquide inflammable, dans son jardin de Nœux-les-Mines (Pas-de-Calais), après de longs mois d'agressions homophobes. Il est aujourd'hui entre la vie et la mort, plongé dans un coma artificiel. Comme d'habitude, dans ce genre d'évenement, à peine le Monde diffusait, un peu tard, l'info (les persécutions que subissaient le couple étaient déjà relayées depuis plusieurs semaines, dans la presse homo et notamment sur le site Internet d'Act-Up Paris), que tous les élus de droite comme de gauche se sont empressés de condamner l'homophobie, mais également toutes les dérives, et racistes, et religieuses, et la tête, alouette... Bref. en période électorale, ça ne pouvait pas mieux tomber, Chirac s'est bien sûr fendu d'ur petit mot d'excuses adressé aux parents de la victime.

Cela fait des mois que le gouvernement traîne des pieds devant le dossier de l'homophobie, pour des raisons de «paternité». En juillet 2003, les associations homosexuelles, lesbiennes et trans alarmaient déjà le gros Raffarin. Pourtant, le contexte de cette affaire semble moins complexe et casse-gueule que celle du voile. En effet, tout le monde la réclame, cette loi-là, exception faite, naturellement, de quelques masochistes isolés et «d'emmerdeurs anarchistes, contre toutes les lois» !

«Les pédés au bûcher»

Des anti-Pacs le criaient. Aujourd'hui il le font. Si une loi peut empêcher, dans un cas comme celui qui nous occupe, un journal, le Républicain lorrain d'écrire à l'avenir: «La lutte contre l'homophobie est un lynchage médiatique, un retour à l'Inquisition. Certes, cette pratique est une vilaine manière, mais elle ne relève que de l'intolérance ordinaire. Les bouffeurs de curé d'antan n'ont jamais été traduits en justice, pas plus que les amateurs d'histoires belges. »

Ce n'est pas elle, en revanche, qui luttera contre l'ensemble des dérives racistes et sexistes , que les lesbiennes homos et transgenres doivent subir tous les jours, dans leur quotidien ; dans le métro, au boulot, voire «dans nos milieux», comme dirait Sylvie Jolly.

De plus, une loi existe déjà, qui signifie qu'un mobile homophobe peut être retenu comme circonstance aggravante en cas de meurtre, tortures, violences, viol et agression sexuelle. Elle n'a pas souvent servi, les femmes, homos ou trans agressés, ayant plutôt une vision négative de la police ou de la justice, ce qui est recevable.

AG antihomophobie d'Act-Up

Act-Up Paris rassemblait aux Beaux-Arts environ 300 personnes convaincues que l'heure de la riposte avait sonné. SOS homophobie rappelait quelques chiffres : en 2003, l'association a reçu environ 700 appels, dont 12 % relevaient d'agressions physiques (contre 10 % en 2002), concernant à 80 °/0 des hommes entre 25 et 50 ans. Des transgenres sont intervenues pour signaler que le nombre d'agressions était en constante augmentation. Des lesbiennes ont souligné que les agressions dont elles sont victimes sont tout aussi nombreuses, même si elles sont moins voyantes. Cela reflète le climat homophobe sous-jacent dans la société française, banalisé par les manifs anti-Pacs et transformé en une véritable chasse au faciès, surtout depuis l'instauration du «tout sécuritaire».

De plus, une camarade transgenre, «tendance anar», rappelait que «Sébastien fait partie du monde ouvrier défavorisé, et que les personnes plus fragilisées socialement sont en général les premières cibles de ce type d'agressions. Les milieux plus privilégiés ayant les moyens de vivre leur sexualité dans l'anonymat des grandes villes». Un autre intervenant rappelait «qu'un racisme plus pointu existe au sein de la «"communauté gay"»: aussi bien la ségrégation anti-beurs, qu'anti-vieux, ou encore lesbophobe ou transphobe.

Quelle riposte ?

Dans l'urgence, Act Up Paris a maintenu le rassemblement du 21 février dans le Marais, tout simplement parce que le lieu est symbolique, d'autant que la manif était déjà annoncée. Elle se poursuivra peut-être ailleurs. Une seconde manif antisexiste et anti-homophobe sera organisée la semaine suivante, rassemblant également les féministes et tous les individus qui n'entendent pas laisser passer de tels agissements. Il n'est pas question que les politicards récupèrent le dossier pour le noyer sous un flot de bonnes intentions et l'enterrent, une fois les élections passées. C'est dans la rue que nous serons encore le mieux pour gueuler notre colère, ainsi que sur nos lieux de travail, nos lieux de luttes, afn de mettre un terme définitif à cette foutue construction des genres, qui est la véritable responsable de toutes les agressions.


Une «fiotte» noire
La Fiotte Noire
ANARCHISME ET HOMOSEXUALITÉS
UNE LUTTE TOUJOURS EN DEVENIR ?
in Le Monde libertaire, n° 1353, du 1er avril 2004
A Paris et dans les grands centres urbains plus ou moins protégés par l'anonymat, l'affirmation lesbienne, gay, transgenre ou bisexuelle (LGTB) est devenue aujourd'hui une réalité courante et «relativement» simple à vivre. Pourtant, elle relève parfois, dans certaines situations individuelles ou géographiquement plus isolées, du véritable défi social, et implique la remise en cause et la lutte contre ses fondements : le patriarcat et l'ordre moral. (1)

En revanche, se vivre «femme, homme, LTGB et anarchiste», à la ville comme à la campagne, est une problématique beaucoup plus complexe. Nous nous trouvons alors confronté.e.s à la mise en perspective de différents niveaux de lutte, partagé.e.s entre nos pratiques affinitaires et nos convictions face à l'urgence sociale. Cette position nous oblige alors à réfléchir sur le sens profond de notre engagement politique global, en y intégrant la sphère personnelle.

Peu d'anarchistes ont posé le problème en ces termes, sinon quelques rares exceptions. Pour parler des plus récentes, Daniel Guérin a toujours essayé de mettre en adéquation ces deux combats. Michel Foucault aurait également pu le faire, s'il avait été un peu plus anar... Pour parler des plus ancien.ne.s, Emma Goldman au début du XXe siècle défend en Amérique, lors de ses prises de positions «les opprimés victimes d'injustice sociale, tout comme ceux victimes des préjugés puritains» (les homosexuel.le.s), tout en prônant l'amour libre et le droit à la contraception.

Zo d'Axa, enfin, soutient également la lutte des homosexuel.le.s dans leur «contestation concrète des valeurs morales» de l'époque. Qu'importe le nombre : nous sommes deux, nous sommes trois...

Ce sont surtout les militant.e.s anonymes qui intègrent dans leur lutte globale au sein de l'organisation leur vécu quotidien. Ce postulat militant n'est pourtant pas l'apanage exclusif des LGTB. Par exemple, les anarcha-féministes se trouvent également confrontées à une réalité similaire. Comment, en effet, mettre en adéquation pertinente, pratiques individuelles et convictions politiques militantes ?

Comment faire coexister notre fibre anarchiste, antiautoritaire, antireligieuse, antisécuritaire et antiélectoraliste, avec d'autres schémas plus personnels? Pour ne citer que le combat des femmes et des LTGB : revendiquer depuis des siècles, la reconnaissance des droits fondamentaux et communautaires, tout en validant la libre disposition de nos corps ? L'IVG et la contraception pour les femmes, le droit aux papiers pour les transgenres et les exclu.e.s, le Pacs, l'adoption et l'homoparentalité, pour les homos et lesbiennes. Malheureusement, toutes ces revendications ne peuvent, pour l'instant, que passer par les incontournables filets légalistes, et c'est bien là que se noue le nœud gordien.

Pour essayer d'envisager là question selon un autre angle, si j'étais économiste (Michel Bakounine et Louise Michel m'en préservent!), j'hésiterais entre une approche micro politique et une autre plus macro, «qui engloberait le tout» ! Mais il existe une autre solution politique d'urgence, et c'est celle que j'ai choisie, n'ayant pas d'autres choix : militer dans une orga anarchiste et, conjointement, dans une des assoces LGTB. Pourtant, si l'on y regarde de plus près, ce n'est pas toujours en adéquation et aussi satisfaisant qu'on pourrait le penser.

«Communautaire» ou affinitaire

Je suis très satisfait de militer auprès des mes compagnes et compagnons LTGB, au sein d'Act-Up Paris. J'ai l'impression que nous y faisons un vrai travail militant quotidien, utile, concret et constructif. Nous faisons avancer les choses et nous positionnons sur les problématiques sociales les plus dures. Comme par exemple, lutter contre la persécution sécuritaire exercée sur les plus fragiles socialement: les séropos en général, les séropos sans papiers, les séropos en prison plus particulièrement et, voire, les prostitué.e.s (de gré ou de force) qui doivent faire un choix entre un statut logal ou la très radicale solution abolitionniste. Si vous étiez un.e prostitué.e politisé.e, que feriez vous? Ce n'est pas toujours simple, et l'on pourrait encore compliquer la question à loisir, sans parler du voile !

Pourtant, œtte présence et cette lutte quotidienne auprès des plus fragiles, menées au jour le jour sont plus qu'importantes, mais elles me semblent amputées d'une vision politique plus large, plus globale et surtout à plus long terme. C'est-à-dire, la remise en question politique globale de l'ordre patriarcal et de l'ordre moral en général. Retour au nœud gordien.
 

1. Voir les articles du Monde libertaire consacrés à Sébastien, brûlé vif par des homophobes dans le Nord-Pas-de-Calais en février 2004, ou encore à Sohane, brûlée vive en banlieue parisienne parce que seulement femme voulant se libérer du patriarcat.
2. Front homosexuel d'action révolutionnaire (à tendance hautement maoïste et trotskiste, mais qui rassemblait également quelques anars)

Du côté de l'anarchie

Je suis satisfait de militer auprès de mes camarades anarchistes à la FA. Nos luttes sont réparties sur des causes et des combats fondés, et nous avons les mêmes ennemi:e.s : le patronat, l'exploitation de «l'homme par l'homme», entraînant souvent celle de «la femme par l'homme», etc. Mais, grâce à la présence, et au relais des anarchaféministes, depuis de nombreuses années, nous avons pu avancer, tout en posant ponctuellement de nouveaux défis, comme au sein de la nouvelle commission antipatriarcale de la FA. Nous voilà doté.e.s de nouveaux outils de lutte, avec lesquels nous suivrons les traces des Louise Michel, d'Emma Goldman, des Mujeres Libres ou autres Daniel Guérin. Et tellement d'autres anonymes, dans le combat global contre l'antipatriarcat, jamais acquis, tout comme celui de l'abolition du capitalisme en général.

En tant qu'homo et anarchiste, personnellement, je n'ai jamais eu à me plaindre de l'accueil de mes camarades de la FA : militer en 1972 au groupe Germinal ne m'empêchait pas de militer également au FHAR. (2) Après quelques années d'absence, «les années sida», l'organisation a vu d'un bon œil la création du Claaaaaash en 1998. Les six «a» sous-entendaient, la mise en perspective sur le même front: de la lutte contre le capitalisme, la religion, le racisme et incluant celles contre le sexisme et l'homophobie, au sein d'une vision globale et anarchiste. Elle englobait un positionnement fédéral, contre des manifestations mercantiles (par exemple, la lesbian, gay, bi, trans pride, en 2000) et ouvrait quelques éléments de réflexion sur la sexualité, voire la nécessité d'une «déconstruction des genres». Retour au nœud gordien.

Contre les oppressions

Pourtant, nous ne vivons pas aujourd'hui, dans un monde idéal anarchiste avec des genres déconstruits. Nous avons encore beaucoup de mal à faire reconnaître l'oppression que nous subissons quotidiennement, nous, les femmes, les LGTB et les hommes pro-féministes. Et les militant.e.s anarchistes ont encore du mal à se mobiliser, lors des actions de positionnement que nous organisons. Et je ne comprends toujours pas pourquoi, dans la mesure où nous n'hésitons pas à apparaître, pratiquement au sein de toutes les autres luttes. C'est dommage car à chaque fois que nous, les anars, sommes présent.e.s dans les luttes féministes, c'est dingue le nombre de Monde libertaire que je vends, par exemple, lors d'actions contre les anti-IVG ou les «phobistes» : un signe qui ne trompe pas ?

A bas les lois et les genres

Les lois ne régleront jamais la montée en puissance des antichoix. Ne laissons pas l'initiative aux «sociaux démocrates» qui ne nous proposent qu'une voie légaliste. La rue nous appartient, et nous devons y exprimer notre solidarité avec les victimes de crimes homophobes (Sébastien) ou sexistes (Sohane) aux côtés d'autres victimes de l'ordre moral. Avec la montée du «tout religieux», nous assistons à une recrudescence de ces crimes, qui existaient déjà au Moyen Âge et étaient perpétrés contre «les sorcières et les sodomites».

Les anarchistes n'ont-ils pas leur mot à dire faœ à ces agissements, et peut-on hésiter à soutenir la lutte des féministes et des LGTB, face au retour de bâton du patriarcat et de l'ordre moral ?Allons-nous, encore une fois de plus, laisser les lois nous soumettre, aux bons soins d'une Christine Boutin, présidente de la commission anti-homophobie à l'Assemblée nationale, ou d'un Garaud anti-IVG, et pour un statut de l'embryon ?

Il me semble que les anardhistes, anarcha-féministes et LGTB ont gagné une place légitime et historique dans le combat libertaire contre l'ordre patriarcal. J'espère que nous serons en première ligne dans cette lutte pour le droit de décider de nos corps, comme nous serons également présent.e.s sur toutes les autres.

L'anarchie comme prolongement de l'individu et comme libération des hommes, des femmes et des LGTB (dans l'ordre ou dans le désordre) ! Incluse, la déconstruction du genre, pour un combat commun contre le capitalisme, le racisme, le machisme, le sexisme, les phobies, toutes et tous ensemble, sous les plis du drapeau noir !


L.F.N.
Sam
LUTTER CONTRE LE SEXISME ET L'HOMOPHOBIE À L'ÉCOLE
in Le Monde libertaire, n° 1349 du 3 mars 2004
La récente agression de Sébastien Nouchet, mort après avoir été aspergé d'essence et brûlé vif, parce qu'il était homosexuel, pose avec acuité la nécessité d'une lutte sans concessions contre les préjugés et la violence homophobes. Les associations gaies et lesbiennes, de même qu'Act-up, soulignent à juste titre l'importance de l'éducation dans la lutte contre les préjugés homophobes.

Quant à la récente controverse autour du voile, elle aura au moins servi à dévoiler toute l'hypocrisie de l'institution scolaire, qui, si elle se focalise sur le symbole visible d'oppression sexiste, garde un silence plus que complaisant face aux très nombreuses manifestations quotidiennes et concrètes du sexisme, qu'il s'agisse de violences verbales, psychologiques ou physiques. L'État développe ainsi une vision qui relève bien plus de «l'ordre public» que de la volonté de favoriser l'émancipation des femmes et la lutte contre le sexisme. Ce n'est guère une surprise pour nous qui n'avons jamais vu en l'État un libérateur. Loin de cette mascarade, quelques pistes d'action, basées sur une expérience personnelle et concrète, avec une collègue féministe...

En tant qu'actrices et acteurs éducatifs, nous tentons, dans le cadre de notre pratique professionnelle, à travers les outils syndicaux et pédagogiques, de faire avancer des idées et des pratiques de coopération, et les idées d'égalité politique, économique et sociale.

Sur Lyon, un réseau de lutte contre le sexisme et l'homophobie à l'école tente de se constituer. La diffusion de films (Chaos de Coline Serreau, Fucking  Amal de Lukas Moodysson sont des supports intéressants) et l'organisation de débats peuvent être l'occasion de discuter de problématiques aussi variées que la question de la violence domestique, les mariages forcés, la prostitution, la virilité imposée chez les garçons, l'exploitation des femmes dans le travail domestique, la différence de traitement filles/garçons (autour de l'opposition «salopes» et «tombeurs» qui entraîne une répression de la sexualité des filles et leur négation comme sujet) et le caractère transclassiste du sexisme, présent dans tous les milieux sociaux.

La présence d'un homme et d'une femme est un outil intéressant pour montrer :

— que les femmes peuvent tenir un discours autonome sur la question, et peuvent vivre, penser, vouloir et désirer les choses hors de la norme patriarcale,

— que des hommes peuvent essayer de remettre en cause la norme viriliste et machiste, et être solidaire de la lutte des femmes sans s'y substituer (ce qui serait pour le moins paternaliste).

Cette mixité, si elle a des intérêts, peut avoir des limites notamment dans l'expression sincère et franche des opinions et du ressenti des un.e.s et des autres. Dès lors, la non mixité se révèle également un outil pertinent.

Parallèlement à ce travail ponctuel, une intervention basée sur la discussion s'impose quand des propos sexistes et/ou homophobes sont tenus. Il est dommage que cette exigence ne soit pas davantage partagée par les collègues. En effet, les propos sexistes et homophobes sont souvent tolérés quand des propos racistes déclenchent immédiatement une réaction virulente (c'est une bonne chose, il serait juste important d'étendre cette attention pédagogique à la lutte contre le sexisme et l'homophobie). Le plus souvent, l'intervention sur les «enculés» et autres «pétasses» se fait plus sous l'angle du rejet de la vulgarité que du rejet du sexisme et de l'homophobie. Or, anarchistes, nous nous contrefoutons de la notion de vulgarité qui renvoie à une norme bourgeoise du langage et qui est basée sur une différenciation de classe. Par contre, le langage est un support de choix pour les idéologies de la domination, et l'omniprésence des termes sexistes et homophobes dans le vocabulaire contribue à légitimer les comportements et les conceptions réactionnaires. Intervenir donc, par la discussion, en questionnant les préjugés religieux, réactionnaires, naturalistes, notamment ceux qui lient le fait d'être pénétré au fait d'être dominé-e et qui fondent le préjugé homophobe et sexiste. Intervenir en valorisant la possibilité d'une pratique affective, relationnelle et sexuelle différente, basée sur la réciprocité, le contrat, le refus des normes, le refus de la criminalisation des désirs quand ils n'entraînent pas violence ou domination.

L'homophobie en milieu scolaire est tenace, le sexisme également. Mais c'est souvent par absence d'autres modèles ou plutôt de questionnement du modèle, que persistent les préjugés réactionnaires.

Les cours d'éducation sexuelle se réduisent le plus souvent à une information sur la contraception et l'avortement, avec du matériel pédagogique inadapté centré sur la description des appareils génitaux.

Fidèle aux préjugés réactionnaires, l'institution réduit le plus souvent la sexualité à la question de la reproduction, enfermant celle-ci dans le schéma du couple hétérosexuel comme seul modèle social. La sexualité dans son angle pratique, ludique, constructif, n'est jamais abordée, ou alors c'est à l'initiative courageuse d'enseignant.e.s, d'infirmières ou d'intervenant.e.s extérieur.e.s, du planning familial principalement. Ne pas parler des pratiques, des mille et une possibilités dans l'acte sexuel, du nécessaire respect de la partenaire et de ses désirs, de la nécessité d'une réciprocité dans l'initiative qui rompe avec le schéma passif/actif source de violence et de misère sexuelle, c'est, par le tabou ainsi créé, ne proposer aux adolescent.e.s qu'un unique modèle ; celui des films pornographiques, avec leurs schémas hétéro-centrés autour d'une sexualité génitale qui nie toutes les autres parties du corps ou qui les sort de la pratique sexuelle (un bon outil pour la reproduchon de la misère sexuelle), une sexualité basée sur des schémas de domination/soumission, qui nie le désir des femmes, les réduit à l'état d'objets (l'image, sans le toucher, l'odeur, le vis-à-vis, dépersonnalisant et déshumanisant les femmes) dont l'usage est centré autour du plaisir masculin.

Ce modéle déshumanisant proposé par les films pornos est un facteur de choix dans la construction de la sexualité patriarcale et des violences sexuelles. Une conversation franche avec des ados dans un internat a suffi pour s'en rendre compte. Les mecs pensent que c'est la grosseur de leur sexe qui donne du plaisir, (quand il se soucient d'en donner et qu'il ne se contentent pas d'en prendre), certaines filles ignoraient qu'elles pouvaient se masturber, qu'elles avaient un clitoris, à quoi celui-ci servait...

Les adolescents ont souvent une représentation de la sexualité basée sur des schémas guerriers «je la prends, je la retourne, je la déchire», avec qui plus est un schéma «femme ou putain» classique du patriarcat. La sodomie, la pénétration, n'est vue que comme un acte  violent, de conquête. D'où l'image du pénétré comme dominé, base du rejet homophobe...

Alors, évidemment, souvent, il y a un décalage entre le discours de coq et la pratique, quant on discute et qu'on va au fond des choses. Quand la façade masculine « je maîtrise tout» cède la place, on se rend souvent compte que certains sont loin d'être aussi à l'aise et dominateurs que cela. On retrouve par exemple un discours de renversement de la responsabilité lorsqu'il s'agit de parler de viols collectifs. Quand le sujet est abordé, le discours qui est tenu régulièrement c'est «les meufs elles sont consentantes, elles le cherchent souvent». Mais quand on approfondit, ce discours s'effondre et les élèves en question admettent que de tels actes constituent des viols et les rejettent.

C'est pour cela qu'une réelle éducation à la sexualité, qui ne soit pas centrée sur la génitalité mais qui englobe l'ensemble des pratiques sexuelles (caresses, baisers, masturbation et toutes les différentes «positions» et accessoires possibles), hétéro ou homo, et qui aborde la question sous l'angle relationnel également, est indispensable car ce serait un outil efficace de lutte contre les violences sexistes et homophobes à l'école. Les textes réglementaires (il s'agit en général d'une expression de la démagogie ministérielle chaque 8 mars, vite rangée au placards) en offrent la possibilité — relative — (pas demain qu'on parlera de godes et de polyfidélité à l'école, il est déjà souvent très difficile d'aborder la question de l'homosexualité et du lesbianisme autrement que sous l'angle judéo-chrétien de la «tolérance» ce qui voudrait dire parler de liberté sexuelle), mais celle-ci est rarement saisie par les personnels. Pourtant, la circulaire N° 2002-262 du 22-11-2002, et la circulaire du 03-10-1988 offrent un cadre assez large, même si la dernière circulaire Ferry, circulaire N° 2003-027 du 17-2-2003, introduit un retour en arrière avec la précision suivante: «Cette éducation, qui se fonde sur les valeurs humanistes de tolérance et de liberté, du respect de soi et d'autrui, doit trouver sa place à l'école sans heurter les familles ou froisser les convictions de chacun».

Cette précision est une concession de taille aux lobbys religieux et réactionnaires, puisqu'elle inféode l'éducation sexuelle aux préjugés religieux en l'enfermant dans la sphère du politiquement correct. Outre cette circulaire, la réticence des chefs d'établissement, par peur notamment de conflit avec les parents d'élèves, est souvent un frein aux initiatives. Mais ce cadre et le cadre des CESC (comité d'éducation à la santé et la citoyenneté (sic)) sont des lieux qu'il est possible d'investir en tant qu'actrices et acteurs pédagogiques.

À nous anarchistes de nous en saisir, en subvertissant le cadre étriqué de l'éducation réactionnaire de l'État, à nous de briser le tabou sur la sexualité, sur le sexisme et l'homophobie, sur les violences. Attaquons nous au sexisme dans l'orientation scolaire qui est à la base de la division sexuée du travail et aux manuels qui invisibilisent les femmes et les homosexuels dans l'histoire, à un contenu pédagogique qui nie les femmes en tant que sujets historiques, actrices de l'histoire.

Bref, du pain sur la planche, mais c'est une lutte que nous devons mener, anarchistes sur notre lieu de travail, en sensibilisant nos collègues sur la question notamment à travers les réseaux syndicaux dans lesquels nous sommes investi.e.s. Une société libertaire et égalitaire ne se fera pas sans extirper les préjugés qui asservissent une bonne moitié de l'humanité, les femmes et qui répriment les individu.e.s et leurs désirs.


Sam
Militant du groupe Durruti de la FA, à Lyon