Leila Ñ Prostitution : La liberté de se vendre ?

Leila
Prostitution : La liberté de se vendre ?
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Le proxénétisme est, de toute évidence, l'exploitation d'un individu par un autre à condamner. Mais la liberté de disposer de son corps, est-ce la liberté de le vendre ? Depuis les années soixante-dix, le sujet divise les milieux féministes de façon abrupte. Petite réflexion libertaire sur une question complexe où s'imbriquent patriarcat et capitalisme.

La prostitution peut se définir comme un marché où s'effectue la rencontre entre une offre et une demande, et dont l'intention est l'échange d'un service sexuel contre de l'argent. Dés le départ, il est important de faire une distinction entre le proxénétisme et la prostitution, et par conséquent de placer l'esclavagisme sexuel géré par les mafias, le tourisme sexuel et la prostitution enfantine, sur un plan différent de la prostitution dite " traditionnelle ". Dans le dernier cas, le(a) prostitué-e choisit et assume son activité sans l'autorité d'un proxénète. Cette activité concerne donc des hommes (travestis ou non) et des transgenres (transsexuels, surtout féminins) mais touche essentiellement des femmes. C'est pourquoi le débat sur la prostitution ne peut se dispenser des apports du féminisme sur le patriarcat et la liberté sexuelle.

Si on considère que le phénomène même de la prostitution est une aliénation du corps féminin au pouvoir masculin, elle est une manifestation violente du patriarcat. Déjà, sur ce point, les féministes s'opposent. Les abolitionnistes rejoignent, paradoxalement, les groupes de défense de la morale conservatrice pour qui la prostitution est une atteinte aux " bonnes mÏurs ". Ils considèrent que vendre la sexualité est le symptôme de décadence d'une société. Ces féministes jugent la prostitution dégradante pour les femmes. En les réduisant à un statut d'objet sexuel, la prostitution atteint un summum de l'oppression patriarcale.

Le piège de cette position est de considérer les personnes prostituées systématiquement comme des victimes et d'adopter à leur égard une attitude condescendante. C'est contre cela que s'élève les voix des féministes radicales qui veulent faire admettre la prostitution comme un échange économico-sexuel qui n'humilie en rien les femmes. Pour elles, cette activité est un continuum, c'est-à-dire un phénomène social et économique dont on ne peut isoler un aspect, par exemple l'exploitation, sans tomber dans l'abstraction. On peut considérer qu'un marchandage sexuel a lieu aussi dans le mariage ("devoir conjugal" contre gîte et couvert), et que des conditions comme le choix relatif (on n'a pas forcément d'autres alternatives) est aussi présent dans d'autres métiers, tel que le boulot à l'usine. Parmi les prostituées traditionnelles, certaines ont choisi ce métier parce qu'il n'y a "Ni patron, ni bureau".

Par ailleurs, le statut marginal de la "pute", que l'on stigmatise, en opposition à la "mère", est revendiqué, pris comme une revanche vis-à-vis du patriarcat. La "putain" est peut-être, en théorie, indépendante financièrement et sexuellement. Sauf qu'elle subit un modèle de sexualité imposé par les hommes et fait partie intégrante du schéma patriarcal (l'assimilation femme libérée = "pute"). Il est donc difficile de soutenir comme ces féministes que la prostitution est une manière, parmi d'autres, pour les femmes de se libérer, économiquement et sexuellement.

D'autant plus que comme souvent dès qu'il s'agit de liberté, le capitalisme n'est pas loin, prêt à s'emparer de cette valeur pour la retourner en sa faveur. Et si on décide d'employer le terme "travailleur-se du sexe", on accepte que la prostitution soit banalisée et devienne un service de plus dans la sphère marchande.

Comme toute activité économique, elle est soumise à la libéralisation et ses conséquences : concurrence d'une "main d'Ïuvre" immigrée et peu chère (des prostituées originaires d'Afrique et d'Europe de l'Est), augmentation d'une prostitution contrainte, conditions de travail difficiles (harcèlement policierÉ). Le fait est que la prostitution est aujourd'hui "mondialisée", vite devenue une multinationale par le biais des mafias et des Etats complices, creusant l'inégalité Nord/Sud et Est/Ouest. L'industrie sexuelle "néo-colonialiste" (dans certains pays asiatiques, elle atteint 14 % du PIB...) prospère grâce aux touristes européens qui profitent d'une impunité assurée par l'éloignement géographique.

Adopter une position par rapport aux groupes de prostituées qui veulent conquérir leurs droits est délicat. Il est important de soutenir celles/ceux qui se prennent en main pour sortir de la clandestinité, ne plus être traité-e-s comme des criminel-le-s, et de condamner la répression et les brimades policières.

Certaines associations qui demandent une caisse de retraite, une Sécurité sociale, un accès au crédit bancaire, exigent aussi " une reconnaissance légale sous forme d'un texte de loi précis. " Or, défendre la règlementarisation revient à rendre l'Etat plus maquereau qu'il n'est déjà par l'intermédiaire de la police. Et, on le sait, ce n'est pas la loi qui annulera le sexisme ni la course au profit du capitalisme.

Les clients, quant à eux sont rarement mis en cause dans l'histoire. Et pour cause c'est de Monsieur-tout-le-monde que provient la demande d'un rapport sexuel dépourvu d'engagements autre que financier. Ils sont les produits du patriarcat et d'une société du spectacle où l'omniprésence et la violence des représentations sexistes banalise le geste prostitutionnel. Les médias entretiennent et développent l'idée que l'on peut s'approprier des corps féminins formatés pour le désir masculin et que la sexualité est une forme de consommation. Du point de vue des femmes (surtout jeunes), la prostitution peut apparaître comme une tentation. Perçue comme argent facile, elle représente le moyen d'un supplément financier occasionnel. Une victoire de la société de consommation, que de pousser à devenir soi-même objet consommable pour pouvoir consommer encore davantageÉ

Une fois éliminés le capitalisme et la domination sexuelle, verra t-on une société sans prostitution ? Sans rapports sexuels monnayables et unilatéraux, mais avec des relations humaines égalitaires. La redistribution des richesses et la liberté sexuelle annuleraient logiquement les facteurs de la prostitution que sont la pauvreté et la misère sexuelle. N'oublions pas qu'en Catalogne en 1936-37, la prostitution a pu être abolie, temporairement, car la priorité de tous allait au travail collectif en même temps qu'existait une liberté sexuelle.



Leila
Commission antipatriarkat