LE REVEILLON DES GUEUX
Air : Digue, digue, digue, diguedidou
(Cloches de Corneville)
A mon ami Jean Richepin
Dans Paris glacé, les cloches des églises
Sonnent, à minuit, la chanson de Noël,
Et les vagabonds, sans pain et sans chemises,
S'en vont, greloytant et maudissant le ciel.
Blême et muselant l'appétit qui l'assiège,
Le rôdeur se dit qu'il n'ira plus bien loin,
Et, loin des sergots, s'étendant sur la neige,
Comme un chien galeux va crever dans un coin. —(bis)
Digue, digue, digue, diguediguedon,
Sonne, sonnz, sonnez, joyeux carillon !
Digue, digue, digue, diguediguedon, `
Sonne l'heure du Réveillon !
Digue, digue, digue, digue,
Etc., etc.
Les fils de famille et les filles de joie,
Les maigres viveurs et les bourgeois tout ronds,
Près d'un clair foyer s'en vont manger de l'oie :
Le Peuple, pour eux, a tiré les marrons.
L'on boit, l'on s'empiffre, et l'on bat la campagne,
Les catins en rut dépouillent les michés,
Et le cliquetis des verres de champagne
Répond en sourdine à l'hymne des clochers. —(bis)
Digue, digue, digue, diguediguedon,
Sonne, sonnez, sonnez, joyeux carillon !
Digue, digue, digue, diguediguedon, `
Sonne l'heure du Réveillon !
Digue, digue, digue, digue,
Etc., etc.
Gros bourgeois repus, nocez, faites ripaille !
Nous, les meurt-de-faim, nous nous réveillerons !
Près d'un clair foyer, rôdeurs sans sou ni maille,
Nous viendrons un jour pour manger les marrons !
Oui, les vagabonds sans pain et sans chemises,
Viendront démolir vos Noëls et vos dieux !
Et vous entendrez les cloches des églises
Sonner à minuit, le réveillon des gueux (bis)
Digue, digue, digue, diguediguedon,
Sonne, sonnz, sonnez, joyeux carillon !
Digue, digue, digue, diguediguedon, `
Sonne l'heure du Réveillon !
Digue, digue, digue, digue,
Etc., etc.
26 décembre 1886 |
LA MÉLINITE
Air : Ça vous coup' la gueule à quinze
pas
A mon ami Henri d'Arsay
I' faut le r'connaître, un' jolie invention
C'est celle do la mélinite.
Ça fait honneur à la civilisation,
D' produir' des matières de c' mérite.
C'est joli, ça r'ssemble à du miel ;
Mais ça fait sauter vingt maisons jusqu'au ciel.
Un simple choc et patatras !
Ça vous coup' la gueule à quinz' pas !
Nous avions déjà découvert la nitro-
Glycérine et la dynamite ;
L' Prussien, sentant v'nir la guerre au petit trot,
Inventa la douc' panclastite.
Monstres, prenez pas c't air rupin,
Car la mélinit' c'est le coup du lapin ;
Réunis, vous ne la valez pas :
Ça vous coup' la gueule à quinz' pas !
Chauvins d'outre-Seine et soudards d'outre-Rhin,
En dépit' de vos airs terribles,
Les peupl's couvriront, de leurs grand's voix d'airain,
Le bruit d' vos matièr's explosibles.
Gar' si nous nous en emparons,
Un jour, contre vous, nous nous en servirons.
C'est drôl' que vous n' le sentiez pas :
Ça vous coup' la gueule à quinz' pas !
11 janvier 1887
|
LA SOCIÉTÉ
PROTECTRICE DES ANIMAUX
«Tout Paris était hier soir à
l'hyppodrome pour la seconde représentation des courses de taureaux...
«Quelques fanatiques de la Société
Protectrice des animaux ont cru devoir protester, mais sans grand succès.»
Air : aimez-moi au moins comme vos bêtes
Lachambaudie.
A mon ami Henri Brissac
A l'aube, je vais à l'usine ;
En sueur, sans jamais m'asseoir,
Je me surmène, je turbine,
Depuis le matin Jusqu'au soir.
Philanthropes, soyez plus chouettes ;
Je vaux bien tous vos animaux.
Bis :
Aimez-moi du moins comm' vos bêtes,
Vos chiens, vos chats et vos taureaux !
Pour rien je travaille sans trêve ;
L'exploiteur est mon picador ;
Et lorsqu'à bout je me soulève,
César est mon toréador.
Hommes sensibles que vous êtes,
Protestez contre mes bourreaux !
Bis :
Aimez-moi du moins comm' vos bêtes,
Vos chiens, vos chats et vos taureaux !
Quand j'attrape soixante ans d'âge,
Le patron dit: «Il est trop vieux !»
Il m'envoie à l'équarrissage
Comme un pauvre cheval boiteux.
Au lieu de faire des courbettes
Devant mes cruels toreros,
Bis :
Aimez-moi du moins comm' vos bêtes,
Vos chiens, vos chats et vos taureaux !
Le sort me garde en récompense
La mort, sans rien dans le fanal ;
L'autopsie, au nom de la science,
Sur un triste lit d'hopital.
Les travailleurs ont leurs squelettes
Dans les cabinets medicaux.
Bis :
Aimez-moi du moins comm' vos bêtes,
Vos chiens, vos chats et vos taureaux !
23 janvier 1887.
|