La lecture du bilan des dernières élections cantonales genevoises rédigé par un militant d'une des trois composantes de l'Alliance de Gauche de ce canton, les tentatives et les contre-feux pour en créer une en pays de Vaud, le suivi de quelques débats électoraux en terre lausannoise, m'ont donné envie d'écrire ceci: L'abstentionnisnne en matière d'élections et davantage encore en matière de votations n'a jamais été compris et valorisé par nous comme une position essentiellement radicale, critique, contestatrice. Certes, voter c'est déléguer mais c'est aussi s'engager, prendre parti. Ces deux dimensions doivent être prises en compte dans leur interaction quand on veut développer une politique qui veut faire reculer la délégation au profit de l'auto-organisation et faire transcroître chaque engagement, chaque antagonisme en action directe, en autonomie, contre le système.La politique institutionnelle, enfermement du politique
Ceci étant dit, il est tout aussi important de rappeler que la compétition électorale, dont le débouché fatal demeure l'instance étatique législative ou gouvernementale, suppose l'enfermement de la politique dans la gestion du possible, tel que prescrit par le système et le réseau de pouvoirs qui le structurent. L'élection renvoie à la division entre exécutantEs-votantEs et dirigeantEs-éluEs, entre celles et ceux qui ne savent pas et ne peuvent pas et celles et ceux qui peuvent et qui savent.
Beaucoup de gens, qui se battent et résistent, voient l'essentiel de la solution aux problèmes qu'ils recentrent dans une présence accrue de la gauche au pouvoir. Beaucoup de militantEs, hier encore fans de la prise du Palais d'Hiver ou groopies de la Longue Marche, expliquent à longueur de bilan que les gens ne comprendraient pas que les forces et les espoirs représentés par la gauche qui résiste soient absents de la bataille électorale. L'important, camarades, ce n'est pas que la gauche aille au pouvoir ou y participe mais que les gens prennent du pouvoir. Telle doit être la mesure et la direction de toute action qui veut combattre et changer le système.
Pour nous, les élections sont une représentation faussée d'une réalité sociale très différente des médiations et des rites institutionnels. Elles sont importantes pour les classes dominantes et les appareils d'Etat dans la mesure où les dynamiques sociales, la confrontation entre capital et travail, les luttes contre la domination, peuvent par leur biais être mieux circonscrites, limitées au cadre de la "gouvernabilité" du système. Elles masquent le pouvoir de fait: un Etat autoritaire, coercitif, défenseur des intérêts d'un petit nombre de gens forts contre les besoins de la majorité, des gens faibles.
Les rapports de forces entre domineras et dominés ne se décident pas sur le terrain électoral. On n'a jamais pu repousser les politiques et régression sociale et les attaques liberticides grâce à une bonne majorité parlementaire ou à un gouvernement de "gauche". Il suffit de jeter un petit coup d'œil autour de soi pour s'en apercevoir. Hélas, les camarades qui détiennent aujourd'hui les clés du "réalisme" (comme ils détenaient hier celle du socialisme "scientifique") ont quelques problèmes à regarder sinon à voir.
La gauche-gauche
Parlons un peu de la gauche. Non pas de la gauche d'État, vilaine, social-démocrate et majoritaire. Non, traitons de la gauche-gauche, celle qui résiste au système. Elle se trouve confrontée à une évolution autoritaire, anti-populaire, très fortement répressive, de la société. Les services publics sont démantelés, les conditions de vie se détériorent, la précarité croît. Or, dans sa grande majorité (il y a certes des exceptions significatives), notre gauche-gauche livre des combats sur le terrain syndical et social mais elle continue d'être dominée par une logique partidaire, auto-référentielle, captive dans sa centralité du terrain parlementaire et institutionnel. En ce sens, une bonne partie de son action est fonctionnelle à la reproduction du système, recupérée et détournée par lui. Les appels à voter, à participer se heurtent à la charge de dépossession, d'atomisation, de précarisation que vivent tes gens. Paradoxalement, le déficit d'autonomie, d'action directe et d'auto-organisation finit par tuer la politique délégative elle-même. La distance entre la classe politique et le peuple se lit à chaque consultation. ChacunE, dans la gauche-gauche, pourrait se demander quelle est la qualité du lien entre le discours politique, "compétent", recherchant et sollicitant la délégation, et la vie de celles et ceux qui sont sans emploi, qui se sentent excluEs, et qui le sont, qui se ressentent sans pouvoir et n'en ont pas. Qui n'ont aucun pouvoir même sur celles et ceux qu'ils pourraient contribuer à faire élire.
Et quand des camarades sont éluEs quelque part (des camarades, honnêtes, moralement droitEs, conséquentEs, combatifs-ves) que se passe-t-il? Le mécanisme de la logique institutionnelle-bureaucratique, mine et avilit les meilleures intentions, les plus beaux projets, les plus fortes déclarations pré-électorales. EnferméEs dans un parlement dominé par la droite et la gauche d'Etat, prisonniers des pouvoirs du système (du Capital à la grande et intouchable bureaucratie étatique, avec leurs appareils, leurs réseaux, leurs relais, leurs hommes et leurs femmes de main), ils se dessèchent et s'usent. Rares sont celles et ceux qui maintiennent une position subversive et résistent à la longue marche à travers la raison d'État.
Une action politique depuis le bas
L'abstention n'est pas en elle-même une attitude radicale, contestatrice, rebelle, nous l'avons dit. Elle n'est même pas toujours une protestation contre ce qui est. On pourrait ajouter qu'elle peut être souvent le signe d'une totale conformité avec le système, avec l'essence du système: le pouvoir séparé de la société, la division irréductible entre dirigeantEs et exécutantEs. Il n'en reste pas moins que l'abstention énonce au ssi un grand dégoût face à la Politique du système, face à la "gouvernabilité" comme horizon exclusif de l'action politique. Il y a aussi des gens qui pensent que la lutte des partis pour se partager du pouvoir (c'est-à-dire du fric, des postes, des privilèges) n'est en rien une manifestation concrète de démocratie, une occasion de construire une démocratie vraie.
Nous, libertaires, travaillons à subvertir le terrain de la politique délégative. Nous croyons qu'on ne peut déléguer aux politiciens la solution et la gestion de toutes les problématiques vitales sur le plan social (travail, situé, formation, égalité, sécurité sociale, droit à la dignité et à l'autonomie). Il faut au contraire relancer depuis le bas la question sociale, c'est-à-dire la réappropriation directe de nos besoins et de leur défense.
Les exigences vitales de chaque être humain ne seront pas défendues en mettant la priorité sur l'élections de quelques députés de plus mais en renforçant depuis le bas une action politique quotidienne. Sensibiliser et intensifier parmi les gens une volonté de participer vraiment à des expériences et à des luttes, rechercher des solutions meilleures pour les problèmes individuels et collectifs, imposer aux "expertEs" et aux "administrateurs" une gestion et une législation différente, à partir de notre action et de notre contrôle, de notre imagination et de nos savoirs, c'est là le vrai terrain des volontés sociales fortes. C'est là le cœur d'une démocratie authentique. C'est là qu'il faut construire la gauche. Enfin, la gauche-gauche.