Pour la destruction des enfers carcéraux et technologiques (Appel à des assemblées de solidarité avec Marco Camenisch)

Appel à des assemblées de solidarité avec Marco Camenisch
Pour la destruction des enfers carcéraux et technologiques
6 Feb 2003

La prison n'est pas circonscrite aux murs de béton qui s'érigent un peu partout : asiles psychiatriques, camps de rétention pour immigrés et réfugiés, centres pour mineurs délinquants, foyers pour pauvres… A ceux-là, on pourrait ajouter l'école — qui domestique les corps et formate les  esprits — ou bien encore de nombreux ouvrages architecturaux à la fonction sociale déterminée (cités, hôpitaux, usines — construit sur le même modèle).  Mais la prison c'est tout cela et bien plus encore.

Elle agit d'abord comme une menace paroxystique faisant peser au-dessus de chacun-e la peur de la sanction pour tout crime ou toute déviance — elle est le symbole visible du rapport de force du capital. Échapper à la misère salariée par exemple signifie franchir les limites étroites de la loi, celles qui protègent à la fois les possédants de ceux et celles qui voudraient se réapproprier leur vie, et celles qui génèrent les rapports sociaux qui permettent justement à l'exploitation de perdurer : famille, rapports genrés, destruction de la planète, etc. Elle agit ensuite comme un châtiment non point pour «rééduquer» ou «réinsérer», mais bien pour punir et détruire. Elle est historiquement dirigée contre les pauvres et particulièrement contre ceux et celles qui se révoltent. On voit bien au  niveau européen par exemple, la généralisation des régimes d'isolement et de terreur «blanche» qui sont destinés non plus à éliminer en fonction du délit, de la peine ou de la durée, mais du comportement en son sein, c'est-à-dire du degré de soumission (41 bis en italie, FIES en espagne,  nouvelles prisons de type 3 en france, prison de type F en turquie, système  d'isolement en suisse…).

La prison ne constitue cependant pas le centre du dispositif de contrôle et d'anéantissement parce qu'elle a d'autres alliés. Comme élément complémentaire à ceux déjà cités (école, usine…), elle ne peut cependant exister que par la servitude volontaire de toutes et tous d'abord parce qu'on n'échappe pas à ce monde et parce que les compromis pour survivre sont permanents et surtout confortables. Faute de mettre un maton/flic pour surveiller chacun-e, la société carcérale a besoin de la participation de tous et toutes — et réciproquement. Médiatisant massivement tous les rapports sociaux, l'adhésion y est obligatoire. La nécessité de ce système  apparaît comme une évidence et est reproduite à chaque instant.

«Et pourtant le monde est rempli d'hommes et de femmes «libres» comme tous ceux-là, femmes et hommes qui ne se rendent même pas compte que leur cellule est bien plus petite que la mienne, parce qu'elle ne dépasse pas leur épiderme : ils sont à la fois prisonniers et leur propre prison... prisonniers d'eux-mêmes. Leurs ailes sont engluées par un liquide visqueux et liberticide que les États répandent sur les individus, communautés, pour les empêcher de voler et d'observer les monstruosités qu'ils accomplissent sur la terre...» Torre Nura, prisonnier sarde.

Derrière le devoir de participation, c'est la collaboration qui se profile. Derrière la désobéissance civile, c'est le dialogue avec les institutions et le jeu démocratique qui est activé. Et il ne s'agit pas pour nous que de la simple question de la violence contre nos cages ou de détruire la société et le capitalisme plutôt que de les changer : il s'agit de notre rapport au monde.

Nous nous reconnaissons dans chaque acte d'insoumission où la question de la liberté — vue comme un rapport social porté par des individus autonomes hors  de toutes médiations, de toutes normes et de toute autorité — est posée. Au-delà des classes et de l'exploitation, il y a les individus et les communautés (les jeux de la libre association créant à leur tour une dialectique entre les deux) qui ne se réduisent pas à leur force de travail. Au-delà de la violation de la loi, il y a la liberté qui ne se définit pas contre ou à partir d'elle mais à partir de nos désirs. Au-delà de la  violence et de la destruction, c'est l'entièreté de la vie que nous désirons. Enfin, derrière ce refus de toute médiation (journaflics, travailleurs sociaux, syndicats, associations ou partis), nous recherchons l'autonomie par la confrontation tous azimuts avec les oppresseurs. Et même si la frontière entre soumission et révolte traverse non pas la société mais bien chacun-e de nous, chaque individu ne peut servir en même temps les deux camps : un vigile sans-papiers est d'abord un flic, un exploité du BTP qui mure un squat est d'abord un expulseur, une AS qui fait signer un «contrat  d'insertion» est d'abord une matonne, un médecin qui signe un internement est d'abord un bourreau, un journaliste est d'abord un menteur et une  balance, un électeur est d'abord un esclave qui choisit le maître qui va tous nous écraser, et ainsi de suite.

L'ordre social n'est pas uniquement conservé par la coercition mais aussi par la reproduction et la participation de chacun-e. Et si la coercition est  présente, c'est entre autres pour mater les révoltés qui se soulèvent et apeurer ceux qui en auraient l'idée. Détruire toutes les prisons, c'est donc bien sûr détruire la société qui les produit et les contient, mais c'est aussi en finir avec la servitude volontaire, ce qui implique comme base première le refus des médiations, du dialogue avec les institutions et de la participation. Ce qui manque aujourd'hui, ce ne sont pas tant des luttes — inhérentes à l'oppression — ou leur degré ponctuel de radicalité (des tribunaux brûlent comme à pontoise, des salariés sont prêts à faire sauter «leur» usine  comme à Cellatex, des émeutiers saccagent des villes comme à gênes, des camps de rétentions sonten feu comme en australie, des champs d'OGM sont ravagés de-ci de-là, des flics à vélo sont tabassés comme à pantin), mais  bien plus leur portée de rupture : l'autonomie des luttes suppose de ne pas reproduire d'emblée toutes ces limites (médiations collectives, collaboration individuelle) qui précisément servent de fondement à ce monde. Il ne s'agit pas ici de pureté, de morale, mais bien de refuser d'alimenter de nos énergies le ciment de l'exploitation et de l'aliénation (dépossession tant corporelle qu'affective), de jeter les bases d'autres rapports et de commencer «à vivre» ici et maintenant C'est le seul choix réellement tactique et stratégique parce qu'il contient en lui-même sa propre  efficacité. C'est pourquoi des luttes portant des possibilités de ruptures profondes avec ce système ne peuvent exister que si autonomie et antagonisme se développent et s'alimentent mutuellement.

Un moyen de contrôle a progressivement pénétré tous les rapports et toute la société. La technologie nous dépossède un peu plus de nos résidus d'autonomie en rendant le savoir inaccessible par son immensité et sa parcellisation et en s'imposant comme une nouvelle nécessité. Elle impose par de nouveaux outils des normes sociales, obligeant chacun-e à s'y intégrer (portable, internet, grande vitesse, énergie nucléaire...). Se diffusant par la contribution de tous et toutes, elle pénètre et dépossède les individus jusque dans leurs corps. Elle mêle états et industries offrant les possibilités nouvelles du contrôle total. Le contrôle  direct qu'elle permet (caméras, écoutes, fichiers interconnectés, génétique, biométrie — numérisation d'iris ou d'empreintes digitales) transforme la  métropole en un gigantesque panoptique et la planète en un centre à  surveiller. Les formes de répression qu'elle engendre (armes, chimie —  médicaments et autres) démultiplient le rapport de force en faveur du  pouvoir face à toute révolte (individuelle ou collective). Elle permet de contrôler et de gérer la circulation massive des données et des personnes  (câbles optiques, télématique, numérique, mobilité à grande vitesse) en fonction des besoins économiques ou médiatiques en restreignant encore davantage la communication réelle, les déplacements volontaires et les  échanges humains.

Elle participe de l'idée reçue que l'histoire est arrivée à sa fin, que le capitalisme est l'unique solution et que le seul progrès est scientifique.  Pire, elle inscrit ce postulat dans la réalité en créant sa propre nécessité  mais cette fois-ci non dans un rapport social mais environnemental. Pourrions-nous détruire la technologie sans faire appel à elle pour éliminer son héritage (pollutions chimiques, nucléaires et génétiques) ? Elle se rend  également indispensable car elle est un des piliers essentiels du dogme de la société qui l'a produite. Elle prolonge la foi industrielle née du  positivisme, l'émancipation par la machine. Elle est le seul progrès social envisagé. Malgré cette panoplie de contrôle maximal, il existe de  nombreux-ses révolté-e-s. Marco Camenisch est l'un d'entre eux.

«La solidarité est le lieu où se rencontrent la résistance et l'envie de liberté. Aucun mouvement ne pourra espérer dans sa victoire s'il laisse un seul de ses membres dans les griffes de l'état. Sentir que chaque combattant  dans le monde est ton compagnon, fait que chaque lutte sociale devient  radicale et dangereuse pour le système.» A.T Lesperoglou, prisonnier anarchiste grec.

Marco Camenisch fut arrêté en Suisse en 1980. Condamné à dix ans pour vol, association de malfaiteurs et des sabotages antinucléaires, il s'évada de prison avec cinq autres détenus en 1981. Pendant l'évasion, un maton fut tué  et un autre blessé. Il vécut alors dix ans en clandestinité, période au cours de laquelle il continua ses activités. En 1989, il fut accusé du  meurtre d'un douanier suisse. Il passa alors en italie où il fut arrêté fin 1991 et écopa de 12 ans pour des sabotages à l'explosif et pour la fusillade  avec des carabiniers au cours de laquelle il fut pris. En avril 2002, il a  été extradé vers la suisse où il attend son jugement à la fin de l'année  2003.

Marco Camenisch a toujours refusé le dialogue avec les institutions judiciaires et pénitentiaires. L'état lui fait payer le prix fort, la pression qui pèse sur lui ne se relâche pas. Il est en quartier de haute sécurité, a mis plusieurs mois avant d'obtenir un parloir avec son épouse et, gravement malade, doit notamment lutter quotidiennement pour l'accès aux  soins qui lui sont nécessaires. Le 18 janvier, il a entamé une grève de la faim de un mois contre l'isolement.

Nous nous reconnaissons dans chaque acte de mutiné de la prison sociale, et notamment dans ceux dirigés contre la technologie et la prison. La solidarité n'est pas une posture, c'est une pratique. Elle permet de rejoindre et croiser différentes formes de luttes. Elle n'est pas un slogan  général mais un lien avec des individus de chair et de sang qui a pour objet l'échange d'autres pratiques, des attitudes et des luttes. Marco est l'un d'eux, et avec lui tous ceux et celles qui ont fait le choix de la praxis. C'est l'expérience d'un insoumis à partir de laquelle continuer le débat mais aussi affirmer par des actes que la révolte n'est pas une affaire de  spécialistes mais celle de toutes et tous. Dépasser cette solidarité précise c'est aussi affirmer notre volonté d'en finir avec ce monde, s'attaquer par  exemple aux technologies ou aux prisons et combattre toute soumission.

Nous vous convions à une assemblée liant théorie et pratique qui prendrait comme base le regroupement d'individus pour la destruction des enfers  carcéraux et technologiques et la solidarité avec tous les mutinés de la  prison sociale.


Assemblée le samedi 8 février 2003 à 15h00 au 612
104, rue des Couronnes, paris 20e, M° Couronnes ou Jourdain