Carlo Cafiero-Communisme et Anarchie (1880)

CARLO CAFIERO
COMMUNISME ET ANARCHISME
Source : http://membres.lycos.fr/ereca/cafiero1.htm
INTRODUCTION
Ce texte de Carlo Cafiero fut publié pour la première fois dans " le révolté " de Genève en 1880. Ce texte est la reproduction du rapport lu par Cafiero cette même année à lĠoccasion du congrès de la Fédération jurassienne de lĠA.I.T. à Chaux-de-Fonds.

Cet écrit de Cafiero situe les communistes anarchistes et l'évolution nette de l'époque entre les partisans de Bakounine qui venaient de mourir et les nouveaux communistes antiautoritaires qui succèdent aux collectivistes.

En effet, dès 1876, la formule collectiviste : " à chacun selon ses oeuvres ou selon son travail " fut abandonnée pour celle communiste : " de chacun suivant ses forces, à chacun selon ses besoins ".

Kropotkine dit alors : " cet écrit admirable fut une surprise très grande pour nous partisans de l'abandon de la parole collectiviste ".

Le ralliement à ces thèses n'est pourtant pas général et les espagnols resteront longtemps attachés au programme collectiviste de l'A.I.T. antiautoritaire définit à Saint-Imier en 1872 (contrairement aux italiens entraînés par Costa, Malatesta, Cafiero et Covelli au congrès de Florence de 1876 où le communisme fut adopté par la Fédération italienne de l'A.I.T.).


Au congrès tenu à Paris par la région du Centre, un orateur, qui sĠest distingué par son acharnement contre les anarchistes, disait : " Communisme et anarchie hurlent de se trouver ensemble. "

Un autre orateur qui parlait aussi contre les anarchistes, mais avec moins de violence, sĠest écrié, en parlant dĠégalité économique : " Comment la liberté peut-elle être violée, lorsque lĠégalité existe ? ".

Eh bien ! je pense que les deux orateurs avaient tort.

On peut parfaitement avoir lĠégalité économique, sans avoir la moindre liberté. Certaines communautés religieuses en sont une preuve vivante, puisque la plus complète égalité y existe en même temps que le despotisme. La complète égalité, car le chef sĠhabille du même drap et mange à la même table que les autres ; il ne se distingue dĠeux que par le droit de commander quĠil possède. Et les partisans de " lĠEtat populaire " ? SĠils ne rencontraient pas dĠobstacles de toute sorte, je suis sûr quĠils finiraient par réaliser la parfaite égalité, mais, en même temps aussi le plus parfait despotisme, car, ne lĠoublions pas, le despotisme de lĠEtat actuel augmenterait du despotisme économique de tous les capitaux qui passeraient aux mains de lĠEtat, et le tout serait multiplié par toute la centralisation nécessaire à ce nouvel Etat. Et cĠest pour cela que nous, les anarchistes, amis de la liberté, nous nous proposons de les combattre à outrance.

Ainsi, contrairement à ce qui a été dit, on a parfaitement raison de craindre pour la liberté, lors même que lĠégalité existe ; tandis quĠil ne peut y avoir aucune crainte pour lĠégalité là où existe la vraie liberté, cĠest-à-dire lĠanarchie.

Enfin, anarchie et communisme, loin de hurler de se trouver ensemble, hurleraient de ne pas se trouver ensemble, car ces deux termes, synonymes de liberté et dĠégalité, sont les deux termes nécessaires et indivisibles de la révolution.

Notre idéal révolutionnaire est très simple, on le voit : il se compose, comme celui de tous nos devanciers, de ces deux termes : liberté et égalité. Seulement il y a une petite différence.

Instruits par les escamotages que les réactionnaires de toute sorte et de tout temps ont faits de la liberté et de lĠégalité, nous nous sommes avisés de mettre, à côté de ces deux termes, lĠexpression de leur valeur exacte. Ces deux monnaies précieuses ont été si souvent falsifiées, que nous tenons enfin à en connaître et à en mesurer la valeur exacte.

Nous plaçons donc, à côté de ces deux termes : liberté et égalité, deux équivalents dont la signification nette ne peut pas prêter à lĠéquivoque, et nous disons : " Nous voulons la liberté, cĠest-à-dire lĠanarchie, et lĠégalité, cĠest-à-dire le communisme. "

Anarchie, aujourdĠhui, cĠest lĠattaque, cĠest la guerre à toute autorité, à tout pouvoir, à tout Etat. Dans la société future, lĠanarchie sera la défense, lĠempêchement apporté au rétablissement de toute autorité, de tout pouvoir, de tout Etat : pleine et entière liberté de lĠindividu qui, librement et poussé seulement par ses besoins, par ses goûts et ses sympathies, se réunit à dĠautres individus dans le groupe ou dans lĠassociation ; libre développement de lĠassociation qui se fédère avec dĠautres dans la commune ou dans le quartier ; libre développement des communes qui se fédèrent dans la région - et ainsi de suite : les régions dans la nation ; les nations dans lĠhumanité.

Le communisme, la question qui nous occupe plus spécialement aujourdĠhui, est le second point de notre idéal révolutionnaire.

Le communisme actuellement, cĠest encore lĠattaque ; ce nĠest pas la destruction de lĠautorité, mais cĠest la prise de possession, au nom de toute lĠhumanité, de toute la richesse existant sur le globe. Dans la société future, le communisme sera la jouissance de toute la richesse existante, par tous les hommes et selon le principe : De chacun selon ses facultés, à chacun selon ses besoins, cĠest-à-dire : De chacun et à chacun suivant sa volonté.

Il faut remarquer, - et ceci répond surtout à nos adversaires, les communistes autoritaires ou étatistes - que la prise de possession et la jouissance de toute la richesse existante doivent être, selon nous, le fait du peuple lui-même. Le peuple, lĠhumanité, nĠétant pas des individus capables de saisir la richesse et la tenir dans leurs deux mains, on a voulu en conclure, il est vrai, quĠil faut, pour cette raison, instituer toute une classe de dirigeants, de représentants et de dépositaires de la richesse commune. Mais nous ne partageons pas cet avis. Pas dĠintermédiaires, pas de représentants qui finissent toujours par ne représenter quĠeux-mêmes ! Pas de modérateurs de lĠégalité, pas davantage de modérateurs de la liberté ! Pas de nouveau gouvernement, pas de nouvel Etat, dut-il se dire populaire ou démocrate, révolutionnaire ou provisoire.

La richesse commune étant disséminée sur toute la terre, tout en appartenant de droit à lĠhumanité entière, ceux donc qui se trouvent à la portée de cette richesse et en mesure de lĠutiliser lĠutiliseront en commun. Les gens de tel pays utiliseront la terre, les machines, les ateliers, les maisons, etc., du pays et ils sĠen serviront tous en commun. Partie de lĠhumanité, ils exerceront ici, de fait et directement, leur droit sur une part de la richesse humaine. Mais si un habitant de Pékin venait dans cepays, il se trouverait avoir les mêmes droits que les autres ; il jouirait en commun avec les autres de toute la richesse du pays, de la même façon quĠil lĠeût fait à Pékin.

Il sĠest donc bien trompé, cet orateur qui a dénoncé les anarchistes comme voulant constituer la propriété des corporations. La belle affaire que lĠon ferait, si lĠon détruisait lĠEtat pour le remplacer par une multitude de petits Etats ! Tuer le monstre à une tête pour entretenir le monstre à mille têtes !

Non ; nous lĠavons dit, et nous ne cesserons de le répéter : point dĠentremetteurs, point de courtiers et dĠobligeants serviteurs qui finissent toujours par devenir les vrais maîtres : nous voulons que toute la richesse existante soit prise directement par le peuple lui-même, quĠelle soit gardée par ses mains puissantes, et quĠil décide lui-même de la meilleure manière dĠen jouir, soit pour la production, soit pour la consommation.
 
 

Mais on nous demande : le communisme est-il applicable ? Aurions-nous assez de produits pour laisser à chacun le droit dĠen prendre à sa volonté, sans réclamer des individus plus de travail quĠils ne voudront en donner ?

Nous répondons : Oui. Certainement, on pourra appliquer ce principe : De chacun et à chacun suivant sa volonté, parce que, dans la société future, la production sera si abondante quĠil nĠy aura nul besoin de limiter la consommation, ni de réclamer des hommes plus dĠouvrage quĠils ne pourront ou ne voudront en donner.

Cette immense augmentation de production, dont on ne saurait même aujourdĠhui se faire une juste idée, peut se deviner par lĠexamen des causes qui la provoqueront. Ces causes peuvent se réduire à trois principales :

  • LĠharmonie de la coopération dans les diverses branches de lĠactivité humaine, substituée à la lutte actuelle qui se traduit dans la concurrence ;
  • LĠintroduction sur une immense échelle des machines de toutes sortes ;
  • LĠéconomie considérable des forces du travail, des instruments de travail et des matières premières, réalisée par la suppression de la production nuisible ou inutile.
  • La concurrence, la lutte est un des principes fondamentaux de la production capitaliste, qui a pour devise : Mors tua vita mea, ta mort est ma vie. La ruine de lĠun fait la fortune de lĠautre. Et cette lutte acharnée se fait de nation à nation, de région à région, dĠindividu à individu, entre travailleurs aussi bien quĠentre capitalistes. CĠest une guerre au couteau, un combat sous toutes les formes : corps à corps, par bandes, par escouades, par régiments, par corps dĠarmée. Un ouvrier trouve de lĠouvrage où un autre en perd ; une industrie ou plusieurs industries prospèrent, lorsque telles ou telles industries périclitent.

    Eh bien ! imaginez-vous lorsque, dans la société future, ce principe individualiste de la production capitaliste, chacun pour soi et contre tous, et tous contre chacun, sera remplacé par le vrai principe de la sociabilité humaine : chacun pour tous et tous pour chacun - quel immense changement nĠobtiendra-t-on pas dans les résultats de la production ? Imaginez-vous quelle sera lĠaugmentation de la production, lorsque chaque homme, loin dĠavoir à lutter contre tous les autres, sera aidé par eux, quand il les aura, non plus comme ennemis, mais comme coopérateurs. Si le travail collectif de dix hommes atteint des résultats absolument impossibles pour un homme isolé, combien grands seront les résultats obtenus par la grande coopération de tous les hommes qui, aujourdĠhui, travaillent hostilement les uns contre les autres ?

    Et les machines ? LĠapparition de ces puissants auxiliaires du travail, si grande quĠelle nous paraisse aujourdĠhui, nĠest que très minime en comparaison de ce quĠelle sera dans la société à venir.

    La machine a contre elle, aujourdĠhui, souvent lĠignorance du capitaliste, mais plus souvent encore son intérêt. Combien de machines restent inappliquées uniquement parce quelles ne rapportent pas un bénéfice immédiat au capitaliste ?

    Est-ce quĠune compagnie houillère, par exemple, ira se mettre en frais pour sauvegarder les intérêts des ouvriers et construira de coûteux appareils pour descendre les mineurs dans les puits ? Est-ce que la municipalité introduira une machine pour casser les pierres, lorsque ce travail lui fournit le moyen de faire à bon marché de lĠaumône aux affamés ? Que de découvertes, que dĠapplications de la science restent lettre morte, uniquement parce quĠelles ne rapporteraient pas assez au capitaliste !

    Le travailleur lui-même est aujourdĠhui lĠennemi des machines, et ceci avec raison, puisquĠelles sont vis-à-vis de lui le monstre qui vient le chasser de lĠusine, lĠaffamer, le dégrader, le torturer, lĠécraser. Et quel immense intérêt il aura, au contraire, à en augmenter le nombre lorsquĠil ne sera plus au service des machines ; au contraire, elles-mêmes seront à son service, lĠaidant et travaillant pour son bien-être !

    Enfin, il faut tenir compte de lĠimmense économie qui sera faite sur les trois éléments du travail : la force, les instruments et la matière, qui sont horriblement gaspillés aujourdĠhui, puisquĠon les emploie à la production de choses absolument inutiles, quand elles ne sont pas nuisibles à lĠhumanité.

    Combien de travailleurs, combien de matières et combien dĠinstruments de travail ne sont-ils pas employés aujourdĠhui par lĠarmée de terre et de mer, pour construire les navires, les forteresses, les canons et tous ces arsenaux dĠarmes offensives et défensives ! Combien de ces forces sont usées à produire des objets de luxe qui ne servent quĠà satisfaire des besoins de vanité et de corruption !

    Et lorsque toute cette force, toutes ces matières, tous ces instruments de travail seront employés à lĠindustrie, à la production dĠobjets qui eux-mêmes serviront à produire, quelle prodigieuse augmentation de la production ne verrons-nous pas surgir !
     
     

    Oui, le communisme est applicable ! On pourra bien laisser à chacun prendre à volonté ce dont il aura besoin, puisquĠil y en aura assez pour tous. On nĠaura plus besoin de demander plus de travail que chacun nĠen voudra donner, parce quĠil y aura toujours assez de produits pour le lendemain.

    Et cĠest grâce à cette abondance que le travail perdra le caractère ignoble de lĠasservissement, en lui laissant seulement le charme dĠun besoin moral et physique, comme celui dĠétudier, de vivre avec la nature.

    Ce nĠest pas tout dĠaffirmer que le communisme est chose possible nous pouvons affirmer quĠil est nécessaire. Non seulement on peut être communiste ; il faut lĠêtre sous peine de manquer le but de la révolution.

    En effet, après la mise en commun des instruments de travail et des matières premières, si nous conservions lĠappropriation individuelle des produits du travail, nous nous trouverions forcés de conserver la monnaie, partant une accumulation de richesses plus ou moins grande, selon plus ou moins de mérite, ou plutôt dĠadresse des individus. LĠégalité aurait ainsi disparu, puisque celui qui parviendrait à posséder plus richesse se serait déjà élevé par cela même au-dessus du niveau des autres Il ne resterait plus quĠun pas à faire pour que les contre-révolutionnaires établissent le droit dĠhéritage. Et, en effet, jĠai entendu un socialiste de renom, soi-disant révolutionnaire, qui soutenait lĠattribution individuelle des produits, finir par déclarer quĠil ne verrait pas dĠinconvénients à ce que la société admît la transmission de ces produits en héritage : la chose selon lui, ne porterait pas à conséquence. Pour nous qui connaissons de près les résultats auxquels la société en est arrivée avec cette accumulation des richesses et leur transmission par héritage, il ne peut pas y avoir de doute à ce sujet.

    Mais lĠattribution individuelle des produits rétablirait non seulement lĠinégalité parmi les hommes, elle rétablirait encore lĠinégalité entre les différents genres de travail. Nous verrions reparaître immédiatement le travail " propre " et le travail " malpropre ", le travail " noble " et le travail " ignoble " : le premier serait fait par les plus riches, le second serait lĠattribution des plus pauvres. Alors ce ne serait plus la vocation et le goût personnel qui détermineraient lĠhomme à sĠadonner à tel genre dĠactivité plutôt quĠà un autre : ce serait lĠintérêt, lĠespoir de gagner davantage dans telle profession. Ainsi renaîtraient la paresse et la diligence, le mérite et le démérite, le bien et le mal, le vice et la vertu, et, par conséquent, la " récompense ", dĠun côté, et la " punition ", de lĠautre, la loi, le juge, le sbire et la prison.

    Il y a des socialistes qui persistent à soutenir cette idée de lĠattribution individuelle des produits du travail en faisant valoir le sentiment de la justice.
     
     

    Etrange illusion ! Avec le travail collectif, que nous impose la nécessité de produire en grand et dĠappliquer sur une large échelle les machines, avec cette tendance, toujours plus grande, du travail moderne à se servir du travail des générations précédentes, - comment pourra déterminer ce qui est la part du produit de lĠun et la part du produit dĠun autre ? CĠest absolument impossible, et nos adversaires le reconnaissent si bien eux-mêmes, quĠils finissent par dire : " Eh bien ! nous prendrons pour base de la répartition lĠheure de travail " ; mais, en même temps, ils admettent eux-mêmes que ce serait injuste, puisque trois heures du travail de Pierre peuvent souvent valoir cinq heures du travail de Paul.
     
     

    Autrefois nous nous disions " collectivistes ", puisque cĠétait le mot qui nous distinguait des individualistes et des communistes autoritaires ; mais, au fond, nous étions tout bonnement communistes antiautoritaires, et en nous disant " collectivistes ", nous pensions exprimer par ce nom notre idée que tout doit être mis en commun, sans faire de différence entre les instruments et matières de travail et les produits du travail collectif.

    Mais, un beau jour, nous avons vu surgir encore une nouvelle nuance de socialistes qui, ressuscitant les errements du passé, se mirent à philosopher, à distinguer, à différencier sur cette question, et qui finirent par se faire les apôtres de la thèse suivante :

    " Il existe - disent-ils - des valeurs dĠusage et des valeurs de production. Les valeurs dĠusage sont celles que nous employons à satisfaire nos besoins personnels : cĠest la maison que nous habitons, les vivres que nous consommons, les vêtements, les livres, etc., taudis que les valeurs de production sont celles dont nous nous servons pour produire : cĠest lĠatelier, les hangars, lĠétable, les magasins, les machines et les instruments de travail de toute sorte, le sol, matières de travail, etc. Les premières valeurs qui servent à satisfaire les besoins de lĠindividu ? disent-ils - doivent être dĠattribution individuelle, tandis que les secondes, celles qui servent à tous pour produire, doivent être dĠattribution collective. "

    Telle fut la nouvelle théorie économique trouvée, ou plutôt renouvelée pour le besoin.

    Mais je vous demande, à vous qui donnez lĠaimable titre de valeur de production au charbon qui sert à alimenter la machine, à lĠhuile servant pour la graisser, à lĠhuile qui éclaire sa marche - pourquoi le refuserez-vous au pain et, à la viande dont je me nourris, à lĠhuile dont jĠassaisonne ma salade, au gaz qui éclaire mon travail, à tout ce qui sert à faire vivre et marcher la plus parfaite de toutes les machines, le père de toutes les machines : lĠhomme ?

    Vous classez dans les valeurs de production la prairie et lĠétable qui sert à abriter les bÏufs et les chevaux et vous voulez en exclure les maisons et les jardins qui servent au plus noble de tous les animaux : lĠhomme ?

    Où est donc votre logique ?

    DĠailleurs, vous-mêmes qui vous faites les apôtres de cette théorie, vous savez parfaitement que cette démarcation nĠexiste pas en réalité, et que, sĠil est difficile de la tracer aujourdĠhui, elle disparaîtra complètement le jour où tous seront producteurs en même temps que consommateurs.

    Ce nĠest donc pas cette théorie, on le voit, qui aurait pu donner une force nouvelle aux partisans de lĠattribution individuelle des produits du travail. Cette théorie nĠa obtenu quĠun seul résultat : celui de démasquer le jeu de ces quelques socialistes qui voulaient atténuer la portée de lĠidée révolutionnaire ; elle nous a ouvert les yeux et nous a montré la nécessité de nous déclarer tout carrément communistes.
     
     

    Mais enfin abordons la seule et unique objection sérieuse que nos adversaires aient avancée contre le communisme.

    Tous sont dĠaccord que nous allons nécessairement vers le communisme, mais on nous observe quĠau commencement, les produits nĠétant pas assez abondants, il faudra établir le rationnement, le partage, et que le meilleur partage des produits du travail serait celui basé sur la quantité du travail que chacun aura faite.

    A ceci nous répondons que, dans la société future, lors même que lĠon serait obligé de faire le rationnement, on devrait rester communistes : cĠest-à-dire le rationnement devrait se faire, non pas selon les mérites, mais selon les besoins.

    Prenons la famille, ce modèle du petit communisme (dĠun communisme autoritaire plutôt quĠanarchiste, il est vrai, ce qui, dĠailleurs, dans notre exemple, ne change rien).

    Dans la famille, le père apporte, supposons cent sous par jour, lĠaîné trois francs, un garçon plus jeune, quarante sous, et le gamin seulement vingt sous par jour. Tous apportent lĠargent à la mère qui tient la caisse et qui leur donne à manger. Tous apportent inégalement, mais au dîner chacun se sert à sa guise et selon son appétit ; il nĠy a pas de rationnement. Mais viennent les mauvais jours, et la dèche force la mère à ne plus sĠen remettre à lĠappétit et au goût de chacun pour la distribution du dîner. Il faut faire un rationnement et, soit par lĠinitiative de la mère, soit par convention tacite de tous, les portions sont réduites. Mais voyez, cette répartition ne se fait pas suivant les mérites, car cĠest le plus jeune garçon et le gamin surtout qui reçoivent la plus grosse part, et quant au morceau choisi, il est réservé pour la vieille qui ne rapporte rien du tout. Même pendant la disette, on applique dans la famille ce principe de rationnement selon les besoins. En serait-il autrement dans la grande famille humaine de lĠavenir ?

    Il est évident quĠil y aurait à dire davantage sur ce sujet, si je ne le traitais pas devant des anarchistes.

    On ne peut pas être anarchiste sans être communiste. En effet, la moindre idée de limitation contient déjà en elle-même les germes dĠautoritarisme. Elle ne pourrait pas se manifester sans engendrer immédiatement la loi, le juge, le gendarme.

    Nous devons être communistes, car cĠest dans le communisme que nous réaliserons la vraie égalité. Nous devons être communistes, parce que le peuple, qui ne comprend pas les sophismes collectivistes, comprend parfaitement le communisme comme les amis Reclus et Kropotkine lĠont déjà fait remarquer. Nous devons être communistes, parce que nous sommes des anarchistes, parce que lĠanarchie et le communisme sont les deux termes nécessaires de la révolution.


    Carlo Cafiero