Pour en finir avec le mythe du Bund (CNT-AIT, Toulouse)

Pour en finir avec le mythe du Bund

Le Combat Syndicaliste (CNT-AIT, Toulouse)
N° 73 Avril-Mai 2002
Bien que ce texte soit polémique, il a été décidé qu'il a sa place ici.
Pour autant,  n'entre pas dans la «querelle» des CNT.


 
On n'a jamais tant parlé du Bund que depuis ces dernières années depuis la seconde Intifada, comme si, après avoir été obligé de parler de l'écrasement sanglant de la révolte palestinienne et de la politique génocidaire des sionistes, les libertaires avaient besoin de se trouver une compensation : un mouvement juif, mais antisioniste, car, comme le dit l'auteur de l'article sur le Bund du dernier CS, «la sale propagande actuelle fait de chaque juif un sioniste en puissance».


Mais qu'a-t-on besoin de prouver ? Tout le monde sait que le mouvement libertaire a toujours compté un grand nombre de juifs qui ne se sont jamais référer au sionisme. La liste est longue des Erich Mühsam, Gustav Landauer, Emma Goldman, Voline, etc. Mais apparemment ce n'est pas suffisant. Ce qui manque pour certains, c'est une ORGANISATION spécifiquement juive. D'où l'intérêt pour le Bund. Mais qu'était donc ce fameux Bund ? Plus un parti politique qu'un syndicat, construit sur les principes marxistes autoritaires adoptés par la Ier internationale, quand Bakounine et ses amis en furent exclus. Un parti plus révolutionnaire que les bolcheviks par certains côtés, mais par d'autres plus sectaire, car basé sur une appartenance ethnique, ce qui explique que de nombreux juifs (tant marxistes qu'anarchistes) aient préféré lutter dans des organisations plus internationalistes. Et si les bundistes ont été exterminés par les bolcheviks, puis les quelques survivants par les nazis, n'oublions pas que ce fut le cas aussi des trotskistes, pourtant peu sympathiques. Si les vaincus n'ont pas forcément tort, ils n'ont pas non plus forcément raison. Alors, pourquoi donner tant d'importance à ce mouvement tragiquement disparu ?

Il est triste de voir qu'il y a encore des juifs libertaires qui pensent qu'on peut être juif autrement que par hasard, rejoignant ainsi les théories fumeuses sur «l'exception juive» qu'on s'attendrait plutôt à retrouver chez les théoriciens de l'antisémitisme. Il semble loin le temps où Georges Brassens parlait des «imbéciles heureux qui sont nés quelque part».

L'antisémitisme s'est manifesté de bien des façons, mais ce n'est pas de l'antisémitisme que de condamner le sionisme, qui ne fait que perpétuer le mythe des races «supérieures» et «inférieures». aucun libertaire, à plus forte raison juif, ne devrait se sentir visé. Ma sympathie va à tous mes frères anarchistes, juifs et non-juifs mélangés, qui ont lutté dans la Makhnovtchina, dans les milices révolutionnaires en Espagne, dans les mouvements ouvriers à travers le monde, contre tous les fascismes et toutes les formes de racisme, mais aussi contre la démocratie bourgeoise, ses guerres, son colonialisme et sa destruction des peuples. Des juifs ont été de tous ces combats, non pas en tant que juifs, mais en tant que révolutionnaires, et nous nous reconnaissons en eux. Par contre, d'autres ont mené des combats qui n'étaient pas les nôtres, et le fait qu'ils étaient juifs ne doit pas nous égarer. J'ai été époustouflé en lisant un article d'Alternative libertaire où on reprochait aux anarchistes de l'époque de ne pas s'être suffisamment investis lors de l'affaire Dreyfus. En quoi le sort du CAPITAINE Dreyfus, fût-il juif, devrait-il intéresser les antimilitaristes ? Détail cocasse, le seul anarchiste de l'époque qui trouve grâce aux yeux d'AL, c'est Kropotkine, qui aurait volé au secours de Dreyfus alors que la majorité des anarchistes se voilaient pudiquement la face. Le même Kropotkine qui fut l'un des seuls libertaires à se prononcer pour la guerre contre l'Allemagne. Pas étonnant qu'il ait tenu à démontrer que Dreyfus n'était pas un espion ! Si les anarchistes veulent dénoncer l'antisémitisme, il peuvent trouver des exemples plus intéressants que l'affaire Dreyfus, dont la révolutionnaire Rosa Luxemburg, disait que c'était un conflit interne à la bourgeoisie qui ne concernait en aucune façon les révolutionnaires. Autre exemple de cette dérive identitaire : pour fêter dignement le deuxième millénaire de la naissance du Christ, la CNT Vignoles avait organisé une semaine militante avec moult débats autour du 1er mai 2000. En bonne place au menu, les libertaires et le Yiddishland et le Bund. Par contre, pas un mot sur le drame palestinien, ni même sur le sionisme. Pas intéressant, ou trop gênant pour en parler ? Et maintenant, avec l'insoutenable au quotidien, est-ce qu'on va en parler ?


Marius Jacob